Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 1006934-S Nom de l’entreprise : Thomson Tremblay Inc. Date : 17 avril 2018 Membre : M e Cynthia Chassigneux DÉCISION PLAINTE en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . OBJET [1] La Commission d’accès à l’information (la Commission) est saisie d’une plainte à l’encontre de Thomson Tremblay Inc. (l’entreprise) qui œuvre dans le domaine du recrutement et du placement de personnel. [2] La plainte porte sur la communication de renseignements personnels à un tiers sans le consentement de la personne concernée. Plus particulièrement, le plaignant alors à l’emploi de l’entreprise soutient que celle-ci a communiqué son identité, son adresse, son numéro d’assurance sociale (NAS) et ses données financières à ITT Personnel Inc. (le tiers) et ce, sans son consentement. ENQUÊTE [3] À la suite de cette plainte, la Direction de la surveillance de la Commission procède à une enquête conformément à l’article 81 de la Loi sur le privé. [4] À ce titre, elle écrit à l’entreprise pour obtenir sa version des faits et des précisions quant aux liens juridiques existant entre l’entreprise et le tiers, quant aux circonstances entourant la communication des renseignements personnels à l’origine de la plainte et quant aux mesures mises en place par l’entreprise pour informer les personnes concernées et le personnel de l’entreprise de ce type de communication. 1 RLRQ, c. P-39.1, Loi sur le privé.
1006934-S Page : 2 [5] Le procureur de l’entreprise transmet la version des faits de cette dernière et produit différents documents signés par le plaignant lors de son embauche par l’entreprise, notamment « Vérification de référence », « Autorisation de communication de renseignements personnels » et « Formulaire de consentement à la vérification des références et antécédents en vue d’un emploi ou en cours d’emploi ». AVIS D’INTENTION ET OBSERVATIONS [6] Le 20 septembre 2017, la Commission transmet à l’entreprise un avis d’intention l’informant qu’à la lumière des informations dont elle dispose, elle pourrait conclure que l’entreprise contrevient à la Loi sur le privé en communiquant des renseignements personnels à des tiers sans le consentement de la personne concernée et en recueillant des renseignements personnels qui ne sont pas nécessaires à l’objet du dossier, soit à l’étape de la préembauche. [7] En effet, d’une part, la Commission indique qu’elle s’interroge sur le fondement juridique permettant à l’entreprise de partager ses dossiers avec le tiers. Elle s’interroge également sur l’information qui est transmise aux employés (futurs et actuels) sur cette façon de faire. [8] D’autre part, la Commission indique qu’elle a pris connaissance des documents « Autorisation de communication de renseignements personnels » et « Formulaire de consentement à la vérification des références et antécédents en vue d’un emploi ou en cours d’emploi » et qu’elle constate que l’entreprise collecte le NAS des candidats à l’étape de la préembauche. [9] La Commission informe alors l’entreprise qu’il lui revient de démontrer la nécessité de recueillir des renseignements personnels, soit le NAS, pour une finalité donnée, en lien avec l’objet du dossier qu’elle constitue au sujet d’une personne. [10] Pour ce faire, l’entreprise doit démontrer, à l’aide d’éléments concrets et probants, que le ou les objectif(s) poursuivi(s) par cette collecte sont légitimes, importants, urgents et réels. De plus, l’entreprise doit démontrer que l’atteinte au droit à la vie privée que peut constituer cette collecte est proportionnelle aux objectifs poursuivis 2 . Notamment, elle doit démonter qu’il n’existe pas d’autres moyens moins attentatoires à la protection des renseignements personnels qui permettent d’atteindre ces objectifs. 2 Laval (Société de transport de la Ville de) c. X., [2003] C.A.I. 667 (C.Q.); Grenier c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, [2010] QCCQ 93.
1006934-S Page : 3 [11] La Commission informe alors l’entreprise qu’elle pourrait lui ordonner : de cesser de communiquer les dossiers d’employés à des tiers sans le consentement de la personne concernée; de cesser, à l’étape de la préembauche, de recueillir le NAS des personnes qui postulent à un emploi; de détruire les informations relatives au NAS qu’elle détient au sujet des personnes qui ont postulé à un emploi et qui n’ont pas été embauchées par l’entreprise. [12] Le 23 octobre 2017, la Commission reçoit les observations du procureur de l’entreprise quant aux liens existant entre l’entreprise et le tiers, à l’information transmise aux employés (futurs et actuels) et quant à la collecte du NAS à l’étape de la préembauche. [13] Après avoir pris connaissance des observations de l’entreprise, la Commission transmet, le 27 novembre 2017, une demande de complément d’information concernant la collecte du NAS. Elle demande également à ce que lui soient transmises les directives et politiques auxquelles le procureur de l’entreprise fait référence, notamment celles émises par l’Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel et par le ministère du Revenu du Québec, et qui semblent servir de fondement juridique au fait que l’entreprise collecte le NAS des candidats à l’étape de la préembauche. [14] L’entreprise pouvait faire parvenir à la Commission les compléments d’information ainsi que les politiques et directives dans les trente jours de la réception de la demande. À la date de la présente décision, l’entreprise n’a pas répondu à la demande de complément d’information de la Commission. ANALYSE [15] La Loi sur le privé prescrit certaines règles relatives à la protection des renseignements personnels qu’une entreprise doit respecter. Ces règles visent à établir un équilibre entre le droit d’un individu au respect de sa vie privée et les besoins d’une entreprise en matière de collecte, d’utilisation et de communication de renseignements personnels dans le cadre de l’exercice de ses activités. [16] En l’espèce, la Commission doit se prononcer non seulement sur la communication de renseignements personnels à un tiers sans le consentement de la personne concernée, mais aussi sur la collecte du NAS à l’étape de la préembauche.
1006934-S Page : 4 La communication de renseignements personnels à un tiers sans le consentement de la personne concernée [17] Lorsqu’un renseignement personnel est communiqué à un tiers, la Loi sur le privé prévoit que la personne concernée doit consentir à cette communication ou que cette dernière doit être prévue par la loi. 13. Nul ne peut communiquer à un tiers les renseignements personnels contenus dans un dossier qu’il détient sur autrui ni les utiliser à des fins non pertinentes à l’objet du dossier, à moins que la personne concernée n’y consente ou que la présente loi ne le prévoie. [18] À la lumière des éléments dont elle dispose, la Commission constate qu’en plus de « l’avis de constitution de dossier » contenu dans le « Formulaire de consentement à la vérification des références et antécédents en vue d’un emploi ou en cours d’emploi » signé par le plaignant, l’entreprise informe les employés (futurs et actuels) que leur dossier pourra être utilisé tant par l’entreprise que par le tiers. [19] À ce titre, le procureur de l’entreprise soutient que « cette information quant à l’utilisation commune des dossiers fait partie des échanges qui ont lieu entre les conseillers en recrutement et en placement de personnel et les candidats embauchés lors des entrevues d’embauche. Lors des rencontres, les conseillers expliquent clairement les raisons pour lesquelles ces informations sont requises et l’utilisation qui peut en être faite. Ces démarches font partie du protocole standard des conseillers en placement au moment de l’embauche de candidats » 3 . [20] Partant, au regard de ce qui précède, la Commission ne prononcera pas, comme envisagé dans son avis d’intention, d’ordonnance sur cet aspect. La collecte du NAS à l’étape de la préembauche [21] Comme mentionné dans son avis d’intention, la Commission a pris connaissance des documents « Autorisation de communication de renseignements personnels » et « Formulaire de consentement à la vérification des références et antécédents en vue d’un emploi ou en cours d’emploi » transmis par l’entreprise dans le cadre de l’enquête menée par sa Direction de la surveillance. 3 Réponse du procureur de l’entreprise en date du 23 octobre 2017.
1006934-S Page : 5 [22] Elle y constate que l’entreprise, par le biais de ces documents, collecte le NAS des candidats à l’étape de la préembauche. Elle demande donc à l’entreprise de présenter ses observations 4 quant à cette pratique au regard de la Loi sur le privé qui prévoit qu’une entreprise peut recueillir uniquement les renseignements personnels nécessaires à l’objet d’un dossier. 5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d'y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier. [23] Le procureur présente les observations de l’entreprise en soutenant que cette information, à savoir le NAS, est essentielle « compte tenu que les protocoles mis en place par les diverses entreprises de placement de personnel réunies sous la bannière de l’Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel (ci-après « ANERPP ») ont l’obligation avant d’assigner un quelconque salarié à un client de vérifier le permis de travail de chaque candidat ». [24] Il continue en disant qu’ « il est de notoriété publique que les différents organismes gouvernementaux, dont le ministère du Revenu du Québec, ont émis des directives très strictes envers les entreprises de placement de personnel afin de combattre le travail au noir et le travail d’immigrants illégaux ou en situation d’irrégularité, […] Il est également connu que tout numéro d’assurance sociale débutant par un « 9 » réfère à un salarié qui travaille avec un permis de travail et qu’il est dès lors essentiel, compte tenu des directives et politiques en place, de vérifier la validité de ce permis de travail par l’entreprise qui recrute. D’autre part, compte tenu de la nature des opérations des entreprises de placement de personnel, soit de répondre dans un très court laps de temps à des besoins soumis par les clients existants et potentiels, il s’avère que tout candidat dont l’embauche est anticipée pourra être appelé à travailler dans un très courts laps de temps entre le moment de l’entrevue, du complément des différents documents d’embauche et la première journée de travail. […] le numéro d’assurance sociale devenait essentiel à ce moment pour éviter tout retard dans la préparation 4 Loi sur le privé, articles 81 et 83.
1006934-S Page : 6 des documents de paie, ainsi que la vérification du permis de travail [du plaignant] dont le numéro d’assurance sociale commençait par un « 9 » ». [25] Comme indiqué précédemment, la Commission a fait parvenir une demande de complément d’information à laquelle l’entreprise n’a pas donné suite. Il revient donc à la Commission de se prononcer au regard des éléments dont elle dispose. [26] En ce qui a trait à la collecte du NAS à l’étape de la préembauche, la Commission s’est déjà prononcée à l’effet que le NAS n’est pas nécessaire à l’étape de la préembauche et qu’il ne constitue pas le seul identifiant permettant à un employeur d’évaluer un candidat potentiel 5 . [27] En effet, même si toute personne désirant travailler au Canada doit avoir un NAS et qu’un employeur doit le demander à tout nouvel employé à des fins d’impôts, d’assurance-emploi ou pour d’autres programmes et prestations offertes par les différents paliers gouvernementaux, il n’en demeure pas moins que le NAS est confidentiel et ne constitue pas un document d’identification. [28] En l’espèce, même si la Commission comprend que l’entreprise doit vérifier la validité des permis de travail des candidats avant de les recruter et de les placer chez un employeur, elle est d’avis que cette vérification peut se faire sans avoir à collecter le NAS à l’étape de la préembauche. Elle considère, en effet, que l’entreprise peut par exemple ajouter une question sur son formulaire à l’effet de savoir si le candidat qui postule détient un permis de travail et, advenant une réponse positive, demander à voir ledit permis pour vérifier la date d’expiration indiquée sur le document d’immigration l’autorisant à travailler au Canada. [29] Ainsi, la Commission considère que l’entreprise peut demander à voir le document d’immigration autorisant la personne concernée à travailler au Canada afin de vérifier s’il n’est pas expiré. Toutefois, l’entreprise ne peut pas recueillir les informations contenues sur ce document. [30] Par ailleurs, le Gouvernement du Canada précise qu’il est de la responsabilité d’un employeur de « demander le NAS de tout nouvel employé 5 X. c. Résidence L’Oasis Fort-St-Louis, [1995] C.A.I. 367, Delaney c. Les associés, services Financiers du Canada Limitée, CAI 00 03 47, décembre 2001, c. Constant, Stoddart et Laporte; X. c. Lépine Cloutier Ltée, CAI 080943, mars 2014, c. Poitras; X. c. Phamaprix, CAI 1003352, août 2014, c. Desbiens; Ville de Montréal, CAI 100 95 61, mars 2016, c. Chassigneux. Voir également, COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION, Opérations de recrutement et collecte de renseignements personnels, FicheInfo, Janvier 2016.
1006934-S Page : 7 dans les trois (3) jours suivant le début de son emploi » 6 ou encore qu’une personne n’est « pas tenu[e] de fournir son NAS pour : confirmer [son identité], remplir une demande d’emploi, […] » 7 . [31] Par conséquent, la Commission considère que l’entreprise n’a pas démontré en quoi il lui était nécessaire de collecter le NAS d’un candidat avant son embauche. CONCLUSION [32] Ainsi, à la lumière de l’enquête et des observations de l’entreprise et en l’absence d’observations complémentaires à la suite de sa demande du 27 novembre 2017, la Commission conclut que l’entreprise contrevient à l’article 5 de la Loi sur le privé en recueillant des renseignements personnels, à savoir le NAS, qui n’est pas nécessaire à l’objet du dossier, soit à l’étape de la préembauche. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [33] ORDONNE à l’entreprise de cesser, à l’étape de la préembauche, de recueillir le NAS des personnes qui postulent à un emploi; [34] ORDONNE à l’entreprise détruire les informations relatives au NAS qu’elle détient au sujet des personnes qui ont postulé à un emploi et qui n’ont pas été embauchées par l’entreprise. Original signé Cynthia Chassigneux Juge administrative 6 GOUVERNEMENT DU CANADA, « Information à l’intention des employeurs – Numéro d’assurance sociale (NAS) », https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/programmes/assurance-emploi/ae-liste/assurance-emploi-employeurs-numero-assurance-sociale.html. 7 GOUVERNEMENT DU CANADA, « Votre numéro d’assurance sociale : une responsabilité partagée ! Protégez-le! », https://www.canada.ca/fr/emploi-developpement-social/services/numero-assurance-sociale/rapports/responsabilite-partagee.html.
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