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99 03 42 SIMARD, Aimé Demandeur c. SÉCURITÉ PUBLIQUE Organisme public OBJET DU LITIGE Le 23 décembre 1998, le demandeur écrit à MM. Richard Guérin et Bruno Beaulieu, Service du contrôle des sources à la Sûreté du Québec, pour obtenir une copie « ... intégrale du dossier que vous avez constituer sur moi et qui est dans vos dossiers de délateur (...) ». Le 25 janvier 1999, l'organisme mentionne avoir reçu copie de sa demande le 8 janvier et l'informe qu'il lui en refuse l'accès en vertu des articles 9, 28, 29, 31, 32, 53, 54, 57, 59, 86.1 et 88 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (1) (ci-après appelée « Loi sur l'accès » ou « la loi »). Le 1 er mars 1999, le demandeur produit à la Commission une demande de révision. L'audience débute le 8 mars 2000 et se poursuit les 6 et 25 octobre suivant. Le demandeur est autorisé à assister à l'audience par lien téléphonique. PREUVE Le demandeur mentionne qu'il ne veut pas son contrat de délateur ni les déclarations qu'il a faites. Il précise que sa demande vise à obtenir la correspondance et les plaintes qu'il a envoyées à l'organisme, ainsi que tous les autres renseignements dont il n'est pas l'auteur. Me Monique Gauthier relate que la demande d'accès lui a été acheminée par M. Bruno Beaulieu, chef du Service de la protection des témoins à la Sûreté du Québec. Elle signale que la demande n'a été précisée que le 8 mars 2000, le demandeur ayant réclamé l'accès à son dossier complet le 23 décembre 1999. Elle remet à la Commission les documents en litige sous pli confidentiel. Elle soutient avoir été sensibilisée au haut degré de confidentialité des documents qui sont détenus par le service dont est responsable M. Beaulieu, notamment du fait que ce dernier service consacre ses activités à protéger les personnes qui ont collaboré avec la justice. Elle soumet qu'elle ne peut dévoiler ni la liste des documents qui sont détenus par le service de M. Beaulieu ni confirmer que la Sûreté du Québec détient les documents relatifs aux plaintes. Elle dépose le contrat que le demandeur a conclu avec l'organisme en vue de collaborer avec la justice (pièce O-1, en liasse). Elle mentionne que ce contrat a été déposé à la Cour dans le cadre d'un procès criminel. Elle spécifie que pour l'organisme, ce contrat ne revêt pas un caractère public. Me Gauthier explique qu'une nouvelle catégorie de témoins, les repentis, a vu le jour depuis 1990, à la suite du rapport du groupe de travail sur l'administration de la justice (ci-après appelé le rapport Guérin) (2) . Le rapport Guérin et le rapport sur l'utilisation des témoins repentis (3) prévoient, dit-elle, la procédure qui doit être suivie pour ce type de témoin ainsi que la mise sur pied d'un comité contrôleur.
Comité qui doit voir au respect du contrat. Elle affirme que la demande concerne l'accès aux renseignements qui sont détenus par le service de M. Beaulieu et vise des informations sur la méthode de sécurité utilisée par le service et qui sont de nature confidentielle au sens des paragraphes 3, 4, 5 et 6 de l'article 28 de la loi et de l'article 29 : 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible : (...) 3. de révéler une méthode d'enquête, une source confidentielle d'information, un programme ou un plan d'action destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois ; 4. de mettre en péril la sécurité d'une personne; 5. qui est l'auteur du renseignement ou qui en est 8. 0. 3. de causer un préjudice à une personne l'objet; 6. de révéler les composantes d'un système de communication destiné à l'usage d'une personne chargée d'assurer l'observation de la loi; 29. Un organisme public doit refuser de communiquer un renseignement portant sur une méthode ou une arme susceptible d'être utilisée pour commettre un crime ou une infraction à une loi. Il doit aussi refuser de communiquer un renseignement dont la divulgation aurait pour effet de réduire l'efficacité d'un dispositif de sécurité destiné à la protection d'un bien ou d'une personne. Interrogée par le demandeur, Me Gauthier lui confirme avoir déposé à la Commission, sous pli confidentiel, le dossier de la Sûreté du Québec. Elle répond à la Commission que le dossier concerne le demandeur en lien avec le contrat (pièce O-1) et vise à assurer sa sécurité. Le demandeur signale qu'il ne veut pas nuire à la sécurité d'autres personnes, ni avoir le nom de tierce partie, ni obtenir des informations qui permettent de les identifier. M. Bruno Beaulieu atteste qu'il est responsable du Service de la protection des témoins. Il explique qu'il doit gérer et mettre en oeuvre l'entente conclue avec le demandeur (pièce O-1). Il fait valoir que sa fonction l'amène à transiger avec le comité contrôleur. Comité composé de gens du Service correctionnel, de la Sûreté du Québec et d'autres personnes. Il mentionne que son rôle est de prendre toutes les mesures nécessaires dans le cadre du programme pour le rendre efficace et maintenir sa crédibilité. Interrogé par le demandeur, M. Beaulieu confirme qu'il a vérifié le dossier dans le cadre de la présente
demande et que les documents en litige sont ceux détenus par son service. Le demandeur fait valoir qu'il veut obtenir les informations qui ont circulé entre la Sûreté du Québec et le Service correctionnel relatives aux transports à l'hôpital, aux conversations téléphoniques avec M. Guérin ou sa secrétaire et à la possibilité d'évasion ou de fraude commise au moyen d'un ordinateur. Il prétend que les informations qu'il demande lui sont nécessaires pour évaluer si cela lui nuit ou pour connaître qui les a communiquées et, s'il y a lieu, pouvoir les rectifier. Il ajoute qu'il ne veut pas lancer des accusations « à tort et à travers » et qu'il s'agit d'une façon, pour lui, de vérifier si l'organisme respecte les conditions du contrat, notamment au niveau de sa sécurité et particulièrement pour des complots visant une atteinte à sa vie. Il signale qu'on l'a changé d'établissement et que les déménagements ont entraîné la perte de plusieurs documents qu'il détenait auparavant et qu'il veut récupérer. Interrogé par le procureur de l'organisme, le demandeur reconnaît qu'il a eu accès à son dossier détenu par le Service correctionnel et qu'il a retracé à ce dossier des informations qui ne lui permettent pas d'identifier l'auteur de certains renseignements. Il veut obtenir ces derniers pour lui permettre de les confronter. Il répète qu'il veut vérifier si la Sûreté du Québec respecte ses engagements, la raison pour laquelle il est enfermé dans sa cellule 23 heures sur 24 et qu'il ne reçoit pas toujours ses chèques. L'organisme présente une preuve ex parte selon l'article 20 des règles de preuve de la Commission : 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. (4) ARGUMENT Le procureur reconnaît que la demande est fondée sur l'article 83 de la loi et que l'organisme peut, en vertu de l'article 87, soulever les motifs de restrictions pour en refuser la communication : 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. Toutefois, un mineur de moins de quatorze ans n'a pas le droit d'être informé de l'existence ni de recevoir communication d'un renseignement nominatif de nature médicale ou sociale le concernant, contenu dans le dossier constitué par l'établissement de santé ou de services sociaux visé au deuxième alinéa de l'article 7. 87. Sauf dans le cas prévu à l'article 86.1, un organisme
public peut refuser de confirmer l'existence ou de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant, dans la mesure la communication de cette information révélerait un renseignement dont la communication doit ou peut être refusée en vertu de la section II du chapitre II. Il soutient que les documents en litige ne peuvent être communiqués au demandeur selon les articles 28 et 29 de la loi parce que cela ferait connaître de façon publique les informations obtenues par le Service de la protection des témoins. Il prétend également que la divulgation des documents viendrait réduire la mise en place d'un dispositif de sécurité comme l'a déjà décidé la Commission (5) . Le procureur soumet qu'il est abusif que soient retournées les lettres ou les plaintes qui ont été expédiées par le demandeur à l'organisme. Il ajoute que la communication par l'organisme de la correspondance pourrait nuire au demandeur et justifie cet argument par le fait que le demandeur est une personne incarcérée et que son courrier pourrait être intercepté par des codétenus. Il indique que la présente situation est particulière et que pour la propre sécurité du demandeur et également pour préserver la confidentialité du programme administré par le Service de la protection des témoins, les documents en litige ne peuvent être communiqués au demandeur. Le demandeur réplique que les documents dont il est l'auteur ne peuvent mettre en danger sa vie. Il signale qu'il est en prison dans un quartier de protection et qu'il reçoit directement à son attention le courrier le concernant. Il certifie qu'il doit signer un document pour confirmer avoir reçu son courrier. Il fait valoir qu'il n'a pas demandé l'accès à ses déclarations parce que ces dernières sont beaucoup plus incriminantes que sa correspondance. Il prétend qu'il ne peut mettre en péril la sécurité d'une personne s'il n'a pas le nom de cette personne ou un renseignement qui puisse lui permettre de l'identifier. Il estime être en droit de connaître la nature des renseignements que la Sûreté du Québec détient le concernant. Il ajoute que le but de sa démarche ne consiste pas à recevoir des informations sur les méthodes d'enquête. Il fait valoir l'importance d'obtenir les informations pour pouvoir, s'il y a lieu, réparer les préjudices que cela lui cause ou pour se défendre. APPRÉCIATION D'entrée de jeu, je tiens à signaler que la Loi sur l'accès n'a pas pour objet de se substituer aux tribunaux civils qui peuvent être appelés à trancher un litige en regard du respect ou non d'un contrat intervenu entre les parties. Est-ce que le contrat conclu entre le demandeur et le comité contrôleur a un caractère public (pièce O-1)? Sur ce sujet, le rapport Guérin souligne que :
« Dans le but de protéger l'intégrité, la crédibilité et la transparence du système judiciaire, nous recommandons que par des directives, l'avocat de la Couronne soit tenu, par le biais du mécanisme de la divulgation de la preuve, de transmettre à la défense copie du contrat intervenu entre le délateur et le comité contrôleur. Dans le cas l'intérêt public exige le secret ou dans l'hypothèse d'une clause de changement d'identité ou de relocalisation, le procureur de la Couronne n'aura qu'à remettre une copie du contrat de laquelle seront retirées les clauses à caractère confidentiel. De plus, nous sommes enclins à penser que le dévoilement d'une telle entente est de nature à inciter les parties à beaucoup de modération dans les avantages consentis. (6) » Et le rapport sur l'utilisation des témoins repentis de juin 2000 confirme que : « La publication de renseignements ayant trait à l'utilisation des repentis est certainement de nature à permettre aux médias et à la population de porter un jugement plus éclairé sur ce moyen destiné à faire échec aux plus grands criminels. Le fait de renseigner le public, par exemple, sur le contenu des ententes signées par les repentis ou sur l'exigence que, préalablement à leur signature, le témoin est soumis à un test polygraphique aux fins de contre-vérifier l'exactitude de ses déclarations et le fondement des accusations auxquelles elles pourraient donner lieu, ne peut que contribuer à une meilleure évaluation de ce moyen de lutte à la criminalité. (...) Le ministère public dévoile ces obligations et avantages à l'accusé dans le cadre du processus de divulgation de la preuve. Le ministère public les présente aussi au tribunal lorsque le repenti rend témoignage au cours des procès impliquant ses anciens complices; cela permet au juge et le cas échéant au jury d'évaluer son témoignage en fonction justement des avantages consentis et des obligations souscrites. Tous les avantages ainsi que toutes les obligations corollaires que contiennent les ententes sont donc alors accessibles au public. (7) » (Le soulignement est mien) La preuve démontre que la pièce O-1 a été déposée en Cour criminelle lors du témoignage du
demandeur. J'ai également constaté de la preuve documentaire que le contrat respecte la directive émise à la suite du rapport Guérin, intitulée « Manuel de directives aux substituts du procureur général - TEM-3 » (8) . Selon la Commission, dans ce cas-ci, le contrat revêt un caractère public au sens du deuxième paragraphe de l'article 53 et de l'article 29.1 de la loi. 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1. leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent ; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2. ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 29. 1. La décision rendue par un organisme public dans l'exercice de fonctions quasi judiciaires est publique. Toutefois, un organisme public doit refuser de communiquer un renseignement contenu dans cette décision lorsque celle-ci en interdit la communication, au motif qu'il a été obtenu alors que l'organisme siégeait à huis-clos, ou que celui-ci a rendu à son sujet une ordonnance de non-publication, de non-divulgation ou de non-diffusion ou que sa communication révélerait un renseignement dont la confirmation de l'existence ou la communication doit être refusée en vertu de la présente loi. Il s'agit maintenant de déterminer si le demandeur peut obtenir copie des documents en litige qui sont détenus par l'organisme, et ce, en vertu de l'article 83 de la loi. Il n'a pas été contesté que les documents en litige sont détenus par le Service de la protection des témoins, responsable notamment d'assurer la sécurité des personnes qui ont collaboré avec la justice. Comme le rapportent M. Beaulieu ainsi que les rapports des ministères qui m'ont été déposés, le repenti « ou ses proches peuvent être l'objet de représailles ou de toutes sortes de tracasseries de la part du milieu criminel. » (9) et « (...) il faut de façon incessante déployer des efforts pour protéger la vie et la sécurité des personnes qui se trouvent menacées en raison du fait qu'elles ont témoigné pour le ministère public. » (10) J'ai examiné attentivement les documents en litige. Je suis d'avis que ces documents ne peuvent être communiqués au demandeur parce qu'ils renferment des renseignements colligés par des personnes qui, en vertu de la loi, sont responsables de prévenir, détecter ou réprimer le crime et que leur divulgation permettrait de réduire l'efficacité d'un dispositif de sécurité destiné à la protection de
personnes au sens de l'article 28 et du deuxième alinéa de l'article 29 de la loi. Toutefois, les lettres ou les notes dont le demandeur est l'auteur et qu'il a expédiées spécifiquement à l'intention du Service de la protection des témoins, celles dont il a mis ce service en copie conforme ou les lettres qui lui étaient destinées précisément par le Service de la protection des témoins pourront lui être transmises. La Commission n'a pas été convaincue que cette correspondance entre le demandeur et le Service de la protection des témoins bénéficie d'une restriction qui puisse faire échec au principe d'accès prévu à l'article 83 de la loi. J'ai noté d'ailleurs, si besoin est, que le contrat convenu avec le demandeur (pièce O-1) respecte intégralement la directive « TEM-3 » et révèle, au paragraphe f) de l'article 2, l'engagement du demandeur de : « f) Prendre les mesures nécessaires afin d'éviter que soient connues les dispositions prises pour sa protection : Notamment, il s'abstient : - de révéler le lieu de sa détention ou celle de co-détenus; - de révéler le lieu de sa relocalisation; - de révéler les mesures prises pour sa protection. » POUR CES MOTIFS, la Commission, ACCUEILLE en partie la demande de révision; ORDONNE à l'organisme de ne transmettre au demandeur que les documents en litige suivants : - les lettres ou les notes dont le demandeur est l'auteur et qu'il a expédiées au Service de la protection des témoins; - les lettres ou les notes reçues par le Service de la protection des témoins dont ce dernier a été mis spécifiquement en copie conforme de la part du demandeur; - les lettres ou les notes qui ont été envoyées et étaient destinées précisément au demandeur par le Service de la protection des témoins. MICHEL LAPORTE Commissaire Montréal, le 6 décembre 2000 Procureur de l'organisme public : Me Jean-François Boulais 1. L.R.Q., c. A-2.1. Groupe de travail sur l'administration de la justice en matière criminelle, ministère de la Justice 2. et ministère de la Sécurité publique, Québec, 1991. 3. Ministère de la Justice du Québec et ministère de la Sécurité publique, Québec, juin 2000. 4. Règles de preuve et de procédures de la Commission d'accès à l'information, décret 2058-84.
X c. Ministère de la Sécurité publique, décision de la Commission rendue le 6 février 1997 par 5. la commissaire Hélène Grenier dans le dossier 96 10 64. 6. Op. cit. note 2, p. 32. Voir également la page 28. 7. Op. cit. note 3, pp. 5 et 18. 8. Op. cit. note 3, annexe IV. 9. Op. cit. note 2, p. 20. 10. Op. cit. note 3, p. 6.
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