98 03 36 HYDRO-QUÉBEC ci-après appelée l’« organisme » ou la « requérante » c. LARIVIÈRE, Jean ci-après appelé le « demandeur » ou l’ « intimé » et CASGRAIN, Yves ci-après appelé le « tiers » OBJET DU LITIGE L’organisme, par sa requête du 10 février 1999, demande que la Commission l’autorise à ne pas tenir compte des demandes d’accès ci-après mentionnées, entre autres, pour le motif que ces demandes ne sont pas conformes à l’objet des dispositions de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 qui visent la protection des renseignements personnels le tout, conformément au deuxième alinéa de l’article 126 de la Loi : 126. La Commission peut, sur demande, autoriser un organisme public à ne pas tenir compte de demandes manifestement abusives par leur nombre, leur caractère répétitif ou leur caractère systématique. Il en est de même lorsque, de l'avis de la Commission, ces demandes ne sont pas conformes à l'objet des dispositions de la présente loi sur la protection des renseignements personnels. Un membre de la Commission peut, au nom de celle-ci, exercer seul les pouvoirs que le présent article confère à la Commission. (j’ai souligné) Le 16 février 1999, le demandeur adresse à la Commission une requête en irrecevabilité de cette requête de l’organisme au motif que cette dernière constitue, par son effet dilatoire, un abus de droit. 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « Loi sur l'accès » ou « la Loi ».
98 03 36 2 La Commission entend ces deux requêtes à ses bureaux de Montréal, les 15 et 16 février 1999 et 30 octobre 2000. LES FAITS Le 12 janvier 1998, le demandeur adresse à l’organisme deux demandes d’accès aux documents ou renseignements suivants, qui sont déposées sous la cote R-1 : Demande n° 1 : tout document relatif à toute forme de correspondance ou de communication entre d’une part Hydro-Québec et d’autre part, l’organisme « Info-Secte » et/ou Yves Casgrain […] qui a […] été engagé par Hydro Québec dans le cadre d’une enquête interne au sujet de la présence de « sectes » à l’Hydro. (sic) Demande n° 2 : […] tout document relatif aux enquêtes internes de l’Hydro-Québec sur la présence ou l’ « infiltration » de soi-disant « sectes », dont celles qui se sont déroulées vers 1994-1996 sur le sujet de l’Ordre du Temple Solaire (OTS) et/ou de l’implication alléguée d’employés de l’Hydro-Québec au sein de l’OTS et/ou de soi-disant « sectes ». Un accusé de réception (R-2) suit et, le 5 février 1998, l’organisme avise le demandeur qu’il entend se prévaloir du délai supplémentaire de 10 jours que lui accorde l’article 47 de la Loi pour répondre à sa demande (R-3). Le 18 février 1998, madame Francine Beaudry, responsable de l’accès de l’organisme, répond aux demandes en ces termes, comme en fait foi la lettre déposée sous la cote R-4 : […] vous trouverez ci-annexé un exemplaire du document intitulé Hydro-Québec, Allégations d’infiltration par des groupes ésotériques, Rapport de vérification, Bureau du vérificateur général, Le 22 avril 1997. Nous pensons que ce document devrait répondre aux deux volets de votre demande d’accès du 12 janvier 1998 […]. Quant à tout autre document, nous ne pouvons vous en donner communication pour les motifs énoncés aux dispositions suivantes : − Art. 9 de la Charte des droits et libertés de la personne portant sur le secret professionnel ; − Art. 9, 22, 23, 24, 31, 32, 37, 39 et 41 en regard des restrictions au droit d’accès de la [Loi] mentionnées au chapitre II […] ; − Art. 53, contenu au chapitre III de la [Loi] concernant la protection des renseignements personnels. (les mentions entre crochets sont les miennes)
98 03 36 3 Le demandeur s’adresse à la Commission afin qu’elle révise cette décision du responsable de l’accès de l’organisme (R-5). Les présentes requêtes sont signifiées avant que ne débute l’étude sur le fond de la demande de révision. La requérante fait entendre les témoins suivants : monsieur Luc Amyot, chef des activités corporatives et juricomptable à la Vérification générale de l’organisme; M e Renée Malo, chargée d’équipe à l’accès des documents de l’organisme. Monsieur Amyot déclare avoir pris connaissance des demandes d’accès en cause à l’époque de leur réception. Il dit que ces demandes visent, en substance, les documents du dossier de l’enquête majeure effectuée par la Vérification générale de l’organisme en 1996 et 1997, enquête qu’il a lui-même dirigée du premier jour au dernier. Il ajoute qu’il a participé à la rédaction du rapport final, dont copie a d’ailleurs été remise au demandeur, et qu’il dépose sous la cote R-6. Ce rapport est intitulé Allégations d’infiltration par des groupes ésotériques. Cette vérification était aussi une mise à jour de celle effectuée en 1993 relative à des sujets connexes. Le témoin Amyot dit que l’analyse des vérificateurs a porté, entre autres, sur les déclarations d’environ 200 employés, actuels et anciens, de l’organisme et sur une analyse de 200 fournisseurs, personnes physiques et morales. La vérification s’est déroulée sur l’année comprise entre avril 1994 et avril 1995 à laquelle a été intégrée la vérification de deux mois qui s’était tenue en 1993. Il estime à 10 000 le nombre de documents sur support de papier, chacun contenant de une à 100 pages, conservés dans 60 boîtes de type archivex. La vérification a produit 80 cassettes d’enregistrement audio de deux heures chacun et les informations conservées sur 14 mégabytes de fichiers informatiques équivalent à des dizaines de milliers de pages de texte. Il explique que ces documents contiennent une multitude de renseignements qui permettent d’identifier des centaines d’individus. Tous les échanges d’informations avec le tiers Yves Casgrain se sont effectuées quotidiennement durant le cours de son mandat de six mois. Le tiers a exécuté ce mandat en association avec l’équipe de vérification qu’il dirigeait. En substance, conclut-il, les documents visés par la première demande d’accès se retrouvent dans la masse de ceux visés par la deuxième.
98 03 36 4 Le témoin affirme que l’ensemble de ces documents est extrêmement confidentiel et que ceux-ci sont conservés dans un local séparé à accès très restreint. M e Malo explique son rôle dans le traitement des demandes d’accès. Elle confirme l’essentiel du témoignage de monsieur Amyot, ci-haut rapporté, quant à la nature des documents et des renseignements qui s’y trouvent. Le demandeur ne fait pas entendre de témoin, s’étant limité à contre-interroger les témoins de l’organisme. LES REPRÉSENTATIONS La procureure de la requérante plaide que, vu le nombre impressionnant de renseignements personnels que contiennent les documents en litige et vu que ces renseignements ne concernent aucunement le demandeur, les demandes d’accès en cause ne sont tout simplement pas conformes à l’objet du volet de la Loi qui vise la protection des renseignements personnels, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas conformes à l’objet de son chapitre III intitulé « Protection des renseignements personnels ». Le procureur du demandeur plaide que l’organisme est forclos de présenter sa requête en vertu de l’article 126 au moment où il l’a fait en raison de l’émission, des mois auparavant, de la réponse motivée du responsable de l’accès. C’est la conclusion qu’il tire de la jurisprudence traditionnelle 2 de la Commission. DÉCISION La requête de l’organisme est fondée, entre autres, sur la prétention que les conditions d’application du deuxième alinéa de l’article 126 de la Loi sont réunies, soit que les demandes d’accès en cause ne sont pas conformes à l'objet des dispositions de la présente loi sur la protection des renseignements personnels. 2 Ministère de l’Emploi et de la Solidarité c. Gilbert, [1999] CAI 335, 342 ; Commission scolaire Samuel-de-Champlain c. Syndicat des employées et employés de la Commission scolaire Samuel-de-Champlain, [1996] CAI 214, 218 ; Gyulai c. Ville de Montréal, [1999] CAI 266, 269.
98 03 36 5 Ces dispositions forment le chapitre III de la Loi, chapitre intitulé PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS et le principe de cette protection s’exprime notamment par ses articles 53, 54 et 59 : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1 o leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2 o ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. Toutefois, il peut communiquer un tel renseignement sans le consentement de cette personne, dans les cas et aux strictes conditions qui suivent: 1 o au procureur de cet organisme si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi que cet organisme est chargé d'appliquer, ou au Procureur général si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi applicable au Québec; 2 o au procureur de cet organisme, ou au Procureur général lorsqu'il agit comme procureur de cet organisme, si le renseignement est requis aux fins d'une procédure judiciaire autre qu'une procédure visée dans le paragraphe 1 o ; 3 o à une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi applicable au Québec; 4 o à une personne à qui cette communication doit être faite en raison d'une situation d'urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne concernée; 5 o à une personne qui est autorisée par la Commission d'accès à l'information, conformément à l'article 125, à utiliser ce renseignement à des fins d'étude, de
98 03 36 6 recherche ou de statistique; 6 o (paragraphe abrogé); 7 o (paragraphe abrogé); 8 o à une personne ou à un organisme, conformément aux articles 61, 67, 67.1, 67.2, 68 et 68.1. 9 o à une personne impliquée dans un événement ayant fait l'objet d'un rapport par un corps de police, lorsqu'il s'agit d'un renseignement sur l'identité de toute autre personne qui a été impliquée dans cet événement, sauf s'il s'agit d'un témoin, d'un dénonciateur ou d'une personne dont la santé ou la sécurité serait susceptible d'être mise en péril par la communication d'un tel renseignement. La preuve me convainc que les très nombreux documents en litige contiennent une multitude de renseignements personnels qui permettent d’identifier un grand nombre d’individus. La preuve révèle que ces renseignements personnels nominatifs constituent la très grande majorité des renseignements dont la communication est demandée. Nulle part le demandeur ne mentionne que les renseignements personnels qu’il veut obtenir le concernent. J’en conclus donc que la section IV du chapitre III de la Loi, section intitulée DROITS DE LA PERSONNE CONCERNÉE PAR UN RENSEIGNEMENT NOMINATIF, en particulier les deux premiers alinéas de l’article 83, ne s’applique pas aux présentes demandes d’accès : 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. […] Les demandes d’accès sont ici faites en vertu de l’article 9, alinéa premier de la Loi : 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public. […] Le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il est une des personnes visées par les paragraphes 1° à 9° du deuxième alinéa de l’article 59 ni que les personnes physiques concernées par les renseignements personnels en cause ont consenti à leur communication.
98 03 36 7 L’obligation impartie à l’organisme public par le premier alinéa de l’article 59 est impérative, ce que le demandeur ne peut ignorer. Étant donné la quantité phénoménale de renseignements personnels en cause et vu que ceux-ci forment la très grande partie des renseignements visés par les demandes d’accès, je suis d’avis que celles-ci ne sont manifestement pas conformes à l’objet du chapitre de la Loi qui vise la protection des renseignements personnels. De plus, je ne retiens pas la conclusion recherchée par le demandeur dans sa requête en irrecevabilité de la requête de l’organisme. En effet, le deuxième alinéa de l’article 126 peut, même sans aucune requête de l’organisme, être appliqué d’office par la Commission si celle-ci est d’avis que les demandes ne sont pas conformes à l’objet des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Aucune limite de temps n’est imposée à la Commission pour exercer ce pouvoir d’office. La Commission pouvant en tout temps autoriser l’organisme à ne pas tenir comptes de ces demandes d’accès, celui-ci peut en tout temps s’adresser à celle-là pour lui demander d’exercer ce pouvoir. En conséquence, l’organisme n’est pas forclos de présenter sa requête et la Commission l’autorise à ne pas tenir compte des demandes d’accès parce que ces dernières ne sont pas conformes à l’objet des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission REJETTE la requête en irrecevabilité du demandeur; ACCUEILLE la requête de l’organisme; AUTORISE l’organisme à ne pas tenir compte des demandes d’accès; et FERME le présent dossier de révision. Québec, le 9 février 2001 DIANE BOISSINOT commissaire Procureure de l’organisme-requérant : M e Jocelyne Paquette Procureur du demandeur-intimé : M e Pierre-Maxim Charron
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.