DOSSIER : 00 10 08 DÉCISION INTERLOCUTOIRE Les demandeurs s’adressent conjointement à la responsable de l’accès de l’organisme, le 12 avril 2000, afin que celui-ci leur donne accès à tous les renseignements qu’il détient sur eux, en particulier à tous les renseignements que la Sûreté du Québec détient sur eux. La demande est reçue le même jour et, le 10 mai suivant, la responsable de l’accès refuse la communication des documents demandés pour les motifs qui suivent : Pour donner suite à votre correspondance du 12 avril 2000, nous regrettons de vous informer que conformément aux articles 28, 29, 53, 86.1 et 88 de la loi sur l’accès, nous ne pouvons répondre à votre demande. Le 19 mai 2000 les demandeurs formulent une demande de révision et l’audience débute le 25 janvier 2001 aux bureaux de la Commission sis en la ville de Québec. Lors de cette séance du 25 janvier 2001, les procureurs des demandeurs ont présenté la requête qu’ils soient autorisés à avoir personnellement accès aux documents en litige, ce à quoi s’oppose le procureur de l’organisme.HUNTER, Stephan et MERCIER, Alain ci-après appelés les « demandeurs » c. MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ci-après appelé l’ « organisme »
00 10 08 2 Afin de pouvoir statuer sur l’opportunité d’accorder ou non cette requête, j’ai demandé que l’organisme me produise, ex parte et à huis clos, les documents visés par la demande d’accès. Avant de procéder en la seule présence du procureur de l’organisme et de son principal témoin, M e Monique Gauthier, responsable de l’accès, cette dernière révèle, dans les grandes lignes, par quel moyen elle a retracé les documents en litige et la nature de ceux-ci. Certaines parties de ce qui suit ont été révélées en ex parte et huis clos. J’ai cependant jugé qu’elles ne méritaient pas d’être exclues de la connaissance des demandeurs, étant donné qu’elles ne révèlent rien du contenu des documents en litige. C’est donc en interrogeant, sous le nom des demandeurs, le fichier du Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ), fichier nourri des informations provenant de tous les corps policiers opérant au Québec, que le témoin dit avoir commencé sa recherche. Les données du fichier du CRPQ contiennent des renseignements sur chacun des demandeurs. Elle a répertorié les renseignements en trois blocs. Le premier, Bloc A, contient les dossiers dits judiciarisés qui sont toujours actifs et où il est probable que le processus de divulgation de la preuve a eu lieu ou aura lieu. Le deuxième, Bloc B, est composé des inscriptions provenant de corps de police dont celui de la municipalité de Saint-Georges-de-Beauce. Il contient les numéros de dossiers, les corps de police impliqués, etc. M e Gauthier est d’opinion que ces renseignements appartiennent à chacun des corps de police. Le Bloc C comprend tous les autres événements inscrits au CRPQ où les demandeurs sont impliqués, soit à titre de suspects, soit à titre de témoins, soit à titre de plaignants ou soit parce qu’ils ont été cités. Ces autres événements peuvent être non judiciarisés ou encore, judiciarisés mais classés comme non solutionnés ou clos. Le reste du témoignage de M e Gauthier doit rester sous le coup de l’ex parte et du huis clos. Il fait référence directement à quelques renseignements faisant partie des documents en litige.
00 10 08 3 M e Gauthier suggère que les demandeurs fassent connaître lesquels, parmi tous ces documents, sont réellement visés par leur demande d’accès ou la présente requête. Les demandeurs maintiennent leur requête pour tous les documents, ne répondant pas à la suggestion de la responsable de l’accès de circonscrire l’objet de la demande d’accès ou de la présente requête. Les procureurs des parties font valoir qu’ils préfèrent présenter leurs arguments par écrit, le procureur du demandeur Hunter se ralliant à la position qui sera exprimée par le procureur du demandeur Mercier. Un échéancier est établi. La plaidoirie est reçue par la Commission le 1 er février 2001 et la réponse est reçue le 8 février suivant. La réplique du procureur du demandeur Mercier n’est cependant pas parvenue à la Commission. Plusieurs semaines s’étant écoulées depuis l’expiration du délai de production de cette réplique, la Commission prend pour acquis que le procureur du demandeur Mercier a choisi de renoncer à la produire. REPRÉSETATIONS SUR LA REQUÊTE LE REQUÉRANT Le procureur du demandeur Mercier, se fondant sur le jugement du juge Luc Grammond de la Cour du Québec dans Commission scolaire de Saint-Eustache c. Blanchet 1 , prétend que l’accès aux renseignements contenus aux documents en litige lui est essentiel pour les raisons qu’il exprime ainsi : En me donnant accès aux documents j’aurais la possibilité d’être sur un pied d’égalité avec le Ministère de la Sécurité Publique, ce qui assurerait aux parties une audition équitable Je pourrais ainsi faire des représentations quant aux arguments du Ministère sur la qualification légale de l’information en litige, il en va de l’intérêt de la justice. Il n’existe aucune disposition claire pour m’exclure du tribunal. J’ai le droit et l’obligation d’être présent lors de l’audience et de prendre connaissance de toute la preuve, laquelle est en grande partie dans les documents en litige. La seule façon de conserver la transparence du procès et la nature contradictoire de notre système judiciaire demeure de me donner accès aux documents en litige. 1 REJB 1997-01230 (Cour du Québec Montréal 500-02-018490-958, le 18 juin 1997).
00 10 08 4 Un avocat est un officier de justice (article 2 de la Loi du Barreau) et à ce titre un avocat exerce une fonction publique auprès du tribunal et collabore à l’administration de la justice. Je vous soumets aussi que contrairement aux faits analysés par votre tribunal dans la décision Fournier c. Ministère des Finances, (1998) CAI 341, 343, 344, je ne demande pas que mon client assiste à la présentation de la preuve. Le tribunal peut s’assurer de la confidentialité des documents en litige, et ce, sans priver un avocat d’un accès à tous les documents en litige en émettant des conditions qui visent à préserver la confidentialité des documents en litige. Je reconnais que je devrai m’engager à ne divulguer d’aucune façon la teneur et l’existence de ces documents à qui que ce soit. Le requérant, Monsieur Alain Mercier, renoncera par écrit à toute tentative d’obtenir les renseignements dont j’aurai eu personnellement connaissance. Il prétend que dans ce jugement, le Juge Grammond exprime l’avis que le procureur du requérant a le droit d’être présent lors de l’audience et de prendre connaissance de toute la preuve. L’ORGANISME En réponse à cet argumentaire, le procureur de l’organisme, s’en remettant, pour les faits de la présente cause, à ce qui se trouve au dossier de la Commission, soumet ce qui suit : Quant à notre argumentation, nous soumettons qu’il est en l’espèce du devoir de la Commission de prendre connaissance du contenu des documents en litige de façon ex parte et ce, hors la présence des procureurs des demandeurs conformément à l’article 20 du Règlement de preuve et de procédure de la Commission d’accès à l’information[ 2 ]. Tout d’abord, une saine administration de la justice exige que des documents portant sur une enquête policière concernant des individus ne puissent être consultés par des procureurs susceptibles de les représenter ultérieurement ou de leur communiquer de l’information dans le cadre de leur mandat. C’est d’ailleurs le principe à la base de l’article 28 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[ 3 ] qui vise avant tout à préserver l’intégrité des enquêtes criminelles et du processus judiciaire qui a, lui-même, pour but de protéger l’ordre public et la sécurité de l’ensemble des citoyens. 2 c. A-2.1, r-2. 3 L.R.Q., c. A-2.1, ci après appelée la « Loi ».
00 10 08 5 De plus, il appartient à la Commission d’accès à l’information de décider de la nécessité de sauvegarder la confidentialité des documents dont l’accès ne peut être, à première vue, autorisé selon les dispositions de la loi. Il s’agit là de son mandat, la Commission étant la gardienne des droits des demandeurs. Ainsi, exclure le procureur d’une partie lors de l’audition de la preuve concernant la confidentialité des documents en litige lorsque la situation le requiert respecte la lettre et l’esprit de la loi. La Commission a récemment décidé dans le dossier du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec et autres c. min[i]stère de la Justice et autres (décision interlocutoire du 27 novembre 2000, dossier 00 01 55) qu’il pouvait être préférable, selon les circonstances, de procéder à une audition ex parte, hors la présence des procureurs, de la preuve des documents en litige. À cet égard la Commission jouit d’une discrétion. En l’espèce, cette discrétion doit toutefois aller en faveur de l’exclusion des parties et de leurs procureurs aux fins d’une saine administration de la justice. De plus, tel qu’il a été avancé par la procureure de l’organisme dans ce dossier l’exclusion des procureurs est le seul moyen d’obtenir la preuve concernant les documents dont on protège l’accès de façon précise, pleine et entière. La Cour d’appel du Québec a retenu, dans la décision Loto-Québec c. Lynn Moore[ 4 ], que la Commission avait tous les pouvoirs nécessaires à la conciliation des droits des différentes parties sans exclure une audition ex parte de la preuve hors la présence des procureurs. La Cour d’appel fédérale a, quelques années avant la Cour d’appel du Québec, suivi le même raisonnement dans la décision ministère des Consommateurs et des Sociétés c. Hunter[ 5 ]. (les mentions entre chrochets sont les miennes) DÉCISION La particularité de ce tribunal, en matière d’accès aux documents des secteurs public et privé, est qu’il doit statuer sur l’accessibilité à des renseignements se trouvant contenus dans des documents. La communication de ces renseignements est donc le cœur de ces litiges. Par leur requête, les procureurs des demandeurs veulent se voir communiquer l’objet même du litige. Se rappelant que la confidentialité ne vit qu'une fois, comme l’a souligné le juge André Forget de la Cour supérieure 6 , la Commission n’hésite pas, lorsque la situation le requiert, à utiliser les pouvoirs et les moyens que l’article 141 de la Loi et l’article 20 de la réglementation lui permettent : 4 [1999] CAI 571 à 579. 5 [1991] 3 C.F. 186. 6 Aluminerie Alouette inc. c. Commission d’accès à l’information, [1991] CAI 282, 290 (J.E. 91-256).
00 10 08 6 141. La Commission a tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa juridiction; elle peut rendre toute ordonnance qu'elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider de toute question de fait ou de droit. Elle peut notamment ordonner à un organisme public de donner communication d'un document ou d'une partie de document, de s'abstenir de le faire, de rectifier, compléter, clarifier, mettre à jour ou effacer tout renseignement nominatif ou de cesser un usage ou une communication de renseignements nominatifs. 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi 7 . L’exercice de ces pouvoirs et l’utilisation de ces moyens ont été confirmés de diverses façons par nos tribunaux supérieurs 8 . De plus, il appartient à l’organisme ou à l’entreprise de démontrer à ce tribunal que son refus de communication est fondé. Sauf à quelques rares exceptions, le fardeau de la preuve repose sur la partie défenderesse et non sur la partie demanderesse. En appliquant la règle audi alteram partem, il arrive que le tribunal soit appelé à considérer la balance des inconvénients. Dans un cas comme celui qui est soulevé par la présente requête, le tribunal peut favoriser la partie qui a le plus lourd fardeau de preuve 9 . Ayant en tête que la Commission est la gardienne des droits des demandeurs, qu’elle limite l’audition de la preuve ex parte à ce qui est strictement nécessaire, qu’elle fait un résumé, si possible, de la preuve entendue dans ces conditions et qu’elle voit, si possible, à ce que la nature ou la catégorie des renseignements soit à tout le moins dévoilée aux demandeurs et à leurs procureurs, ce qui a déjà été fait, en partie, par l’organisme, je suis d’avis que le présent dossier offre suffisamment de garantie que les droits fondamentaux des demandeurs seront respectés. 7 Règles de preuve et de procédures de la Commission d'accès à l'information, décret 2058-84, voir référence supra note 2. 8 Station Mont-Tremblant Lodge Inc. c. Commission d’accès à l’information, [1988] CAI 275 (C.S.), juge Perry Meyer; Commission de protection des droits de la jeunesse c. Charrette, [1991] CAI 366 (C.S.), juge Michel Côté; Lab Chrysotile inc. c. Société Asbestos Ltée, [1993] RDJ 641 (C.A.) juges Delisle, Rousseau-Houle et Moisan (ad hoc); Loto-Québec c. Moore, [1999] CAI 571 (C.A.) 578, 579; Antonius c. Hydro-Québec, [1998] CAI 554 (C.S.) 560, 561 juge Denis Lévesque. 9 Fournier c. Ministère des Finances, [1998] CAI 341, 344.
00 10 08 7 POUR CES MOTIFS, la Commission REJETTE la requête des demandeurs ; et CONVOQUE les parties à la continuation de l’audience sur le bien-fondé des demandes de révision, aux lieu, jour et heure que fixera la maître des rôles. Québec, le 30 mars 2001. DIANE BOISSINOT Commissaire Procureur du demandeur Mercier : M e Frédéric-Antoine Lemieux Procureur du demandeur Hunter : M e Roger Bernatchez Procureure de l’organisme : M e Jean-Sébastien Gobeil-Desmeules
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.