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LEMIEUX, Pierre
ci-après appelé le « demandeur »
c.
MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ci-après appelé l’« organisme »
Le 17 février 2000, le demandeur s’adresse à l’organisme pour avoir accès aux
documents aux mains de l’organisme ou de la Sûreté du Québec ou
d’organismes apparentés qui concernent :
1.
le nombre et les sujets, par grandes catégories, des messages
électroniques reçus par « dircom » (dircom@suretequebec.gouv.qc.ca)
[…] sur le site Web de la Sûreté du Québec au moins jusqu’au
5 septembre 1999 ;
2.
la proportion de chaque catégorie de messages qui constituait des
plaintes ou des commentaires critiques ;
3.
la proportion de ces messages, éventuellement par catégorie, auxquels
la Sûreté du Québec a fourni une réponse ;
4.
les délais dans lesquels les réponses ont été fournies ;
5.
la date à laquelle cette adresse e-mail et le lien correspondant ont été
changés pour « webcommunicatrice@surete.qc.ca », les raisons pour
lesquelles ce changement a été effectué, ainsi que les justifications du
nouveau nom de l’adresse ;
6.
tout document directement ou indirectement relié à ma correspondance
du 21 septembre et du 23 décembre 1999 avec le directeur de la Sûreté
du Québec au sujet des points (1), (2) et (3) ci-dessus.
(les inscriptions entre crochets sont les miennes)
Le lendemain, le 18 février 2000, le demandeur fait parvenir une autre requête à
l’organisme pour avoir accès aux documents aux mains de l’organisme ou de la
Sûreté du Québec ou d’organismes apparentés qui concernent :
1. la réception, l’évaluation et traitement de la lettre que j’ai envoyée à
« mon » « Contrôleur des armes à feu », M. Guy Asselin de la Sûreté du
Québec, le 19 novembre 1999 […], et notamment les raisons pour
lesquelles cette lettre n’a reçu aucune réponse ;
2. les raisons pour lesquelles l’avis du 15 octobre 1999 (« Demande de
permis à présenter », JUS 848 EF), auquel ma lettre du 19 novembre fait
référence, m’avait été envoyé ;
3. les statistiques sur le nombre de lettres que le Contrôleur des armes à feu
[..] reçoit annuellement de citoyen, la proportion de ces lettres qui
constituent des plaintes ou des manifestations de mécontentement, et la
proportion des deux catégories [...] qui donne lieu à une réponse écrite, en
distinguant les réponses personnelles des formulaires-réponses ;
4. l’évolution de ces données au cours des dix dernières années ;
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-2-
5. les stratégies, bureaucratiques ou autres, qui auraient pour but ou pour
effet, par harcèlement ou autrement, d’inciter les gens à se débarrasser de
leurs armes légalement acquises ;
6. toute manifestation de mécontentement parmi les agents de la Sûreté du
Québec quant à la manière dont les lois qu’ils font appliquer, notamment
mais non exclusivement les contrôles des armes à feu, traitent maintenant
les citoyens […] ;
[…]
7. une copie de ma lettre du 19 novembre telle qu’elle se trouve dans les
archives de la Sûreté du Québec.
(les inscriptions entre crochets sont les miennes)
Le 22 février 2000, la responsable de l’accès de l’organisme accuse réception des
deux lettres et informe le demandeur qu’elle ne peut donner suite à ses demandes
de renseignements, ni répondre à ses questions le tout, en vertu des articles 1, 15
et 126 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur
la protection des renseignements personnels
1
. Elle ajoute que, dans les
circonstances, elle demandera à la Commission d’accès à l’information (ci-après
appelée la Commission) l’autorisation de ne pas tenir compte de ses demandes.
Le même jour donc, la responsable de l’accès s’adresse à la Commission pour
obtenir de celle-ci cette autorisation, conformément à l’article 126 de la Loi.
Le 7 mars suivant, le demandeur conteste en bloc la décision de la responsable de
l’accès de l’organisme et demande à la Commission de la réviser. À cette occasion,
il formule, devant la Commission, une plainte contre l’organisme, alléguant que ce
dernier aurait agit en contravention de l’article 44 de la Loi. Le demandeur a, à
plusieurs reprises, rappelé à la Commission sa volonté de déposer une plainte
formelle à cet effet contre les agissements de l’organisme à cet égard.
Une audience se tient en la ville de Montréal, le 13 février 2001.
L’AUDIENCE
LA REQUÊTE DE L’ORGANISME FAITE EN VERTU DE L’ARTICLE 126
L’article 126 stipule ce qui suit :
1
L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « la Loi ».
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-3-
126. La Commission peut, sur demande,
autoriser un organisme public à ne pas tenir
compte
de
demandes
manifestement
abusives par leur nombre, leur caractère
répétitif ou leur caractère systématique.
Il en est de même lorsque, de l'avis de
la Commission, ces demandes ne sont pas
conformes à l'objet des dispositions de la
présente
loi
sur
la
protection
des
renseignements personnels.
Un membre de la Commission peut, au
nom de celle-ci, exercer seul les pouvoirs que
le présent article confère à la Commission.
En réponse aux questions de la soussignée, la responsable de l’accès informe la
Commission que l’organisme s’est désisté, le 21 juin 2000, de sa demande d’être
autorisé, par la Commission, à ne pas tenir compte des demandes d’accès en cause
(dossier ouvert à la Commission sous le numéro 00 04 78). Elle dépose ce
désistement sous la cote O-1. L’organisme n’avait à cette date, toujours pas été
informé par la Commission du dépôt, le 7 mars 2000, de la demande de révision du
demandeur. L’organisme a donc présumé que le demandeur, ayant dépassé le délai
pour ce faire, ne s’était pas prévalu du droit de recours que lui octroie l’article 135 de
la Loi :
135. Une personne dont la demande écrite a
été refusée en tout ou en partie par le
responsable de l'accès aux documents ou de
la protection des renseignements personnels
peut demander à la Commission de réviser
cette décision.
Une personne qui a fait une demande
en vertu de la présente loi peut demander à
la Commission de réviser toute décision du
responsable sur le délai de traitement de la
demande, sur le mode d'accès à un document
ou à un renseignement, sur l'application de
l'article 9 ou sur les frais exigibles.
Ces demandes doivent être faites dans
les trente jours qui suivent la date de la
décision ou de l'expiration du délai accordé
par la présente loi au responsable pour
répondre à une demande. La Commission
peut toutefois, pour un motif raisonnable,
relever le requérant du défaut de respecter
ce délai.
Or, le 12 juillet 2000, la Commission avise l’organisme du dépôt, par le demandeur,
le 7 mars, de sa demande de révision faite en vertu de l’article 135. La responsable
de l’accès affirme que l’organisme ne se serait pas désisté de son recours s’il avait
été informé, en temps opportun, du dépôt de la demande de révision du demandeur
à l’intérieur du délai prévu par l’article 135.
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Le procureur de l’organisme allègue que le retard de la Commission à aviser
l’organisme que le demandeur avait exercé son droit de recours cause préjudice à
l’organisme qui s’est désisté de ses droits. Par conséquent, il demande à la
Commission d’examiner au fond la requête de l’organisme faite en vertu de l’article
126 nonobstant son désistement.
La Commission décide, séance tenante avec motifs à parfaire, de rejeter cette
dernière requête de l’organisme au motif qu’elle ne peut effacer l’erreur ou, à tout le
moins cautionner l’imprudence de l’organisme qui a présumé, sans aucune enquête
auprès de la Commission quant à l’état de son dossier de requête faite en vertu de
l’article 126 (00 04 78), que le demandeur n’avait pas exercé son recours en révision
dans le délai prescrit. Aucun délai n’est imparti à la Commission pour aviser un
organisme que sa décision est contestée devant elle.
De surcroît, cette requête de l’organisme fait fi du pouvoir discrétionnaire de la
Commission de relever un demandeur de son défaut de respecter le délai prévu par
le troisième alinéa de l’article 135, si elle a des motifs raisonnables de le faire.
L’organisme a présumé que le demandeur avait, sans raison valable, outrepassé le
délai prescrit (ce qui n’est pas le cas). Ce faisant, il s’est arrogé un pouvoir qui
n’appartient qu’à la Commission et s’est substitué à elle. La Commission ne peut
recevoir la présente requête de l’organisme sans mettre en danger l’exercice de sa
compétence exclusive.
Le procureur de l’organisme demande également à la Commission d’exercer les
pouvoirs que lui accorde l’article 130.1 de la Loi :
130.1 La Commission peut refuser ou cesser
d'examiner une affaire si elle a des motifs
raisonnables de croire que la demande est
frivole ou faite de mauvaise foi ou que son
intervention n'est manifestement pas utile.
La Commission réserve sa décision sur ce point, préférant d’abord entendre la
preuve que l’organisme a à présenter au soutien de ses motifs de refus fondés sur
les articles 1 et 15 de la Loi :
1. La présente loi s'applique aux documents
détenus par un organisme public dans
l'exercice
de
ses
fonctions,
que
leur
conservation soit assurée par l'organisme
public ou par un tiers.
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-5-
Elle s'applique quelle que soit la forme de ces
documents:
écrite,
graphique,
sonore,
visuelle, informatisée ou autre.
15. Le droit d'accès ne porte que sur les
documents
dont
la
communication
ne
requiert
ni
calcul,
ni
comparaison
de
renseignements.
LA PREUVE
Le procureur de l’organisme appelle, pour témoigner, M
e
Monique Gauthier.
M
e
Gauthier est la responsable de l’accès de l’organisme. À ce titre, référant aux
termes « ou [aux mains] d’organismes apparentés » employés par le demandeur
dans chacune de ses demandes, elle précise qu’elle ne peut répondre de
l’accessibilité de documents détenus par d’autres organismes publics.
Elle explique ensuite, en utilisant la numérotation des documents apparaissant aux
demandes d’accès, quelle a été son analyse sur l’accessibilité de chacun de ces
documents ou groupe de documents ou quel a été le résultat de ses démarches
ou recherches de documents au sein de l’organisme.
Demande du 17 février 2000 :
Ainsi elle estime, en donnant un sens ordinaire aux mots employés par le
demandeur, et après vérification à la Sûreté du Québec, que les points 1 à 5 de
cette demande sont des demandes de renseignements ou d’information et non
des demandes de documents et qu’il n’y a pas de documents contenant les
renseignements recherchés ou les réponses aux questions demandées.
Quant au point 6 traitant des documents liés à la correspondance des
21 septembre et 23 décembre 1999 provenant du demandeur, M
e
Gauthier tient à
déposer cette correspondance, en liasse, sous la cote O-2. Cette correspondance
lui a été remise par madame Hélène Livernois, répondante de l’accès à la Sûreté
du Québec à la suite des démarches entreprises auprès de cette dernière.
M
e
Gauthier affirme que madame Livernois a extrait du disque dur de son
ordinateur et lui a remis le projet de lettre qu’elle avait rédigé en réponse à la
lettre du demandeur datée du 21 septembre 1999. Le témoin dépose ce projet de
réponse et la page de transmission par télécopie, en liasse, sous la cote O-3. Il
n’est pas signé par madame Livernois, mais la page de transmission mentionne
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-6-
que la version finale de cette réponse qu’elle a envoyée au demandeur est
identique.
La responsable de l’accès affirme que le seul document pouvant répondre au point
6 de la demande est ce projet de lettre déposé sous la cote O-3. Elle n’avait pas
fait parvenir copie de ce document au demandeur, assumant que ce dernier l’avait
reçue puisqu’elle lui était adressée, ce qui n’est pas nié par le demandeur.
Demande du 18 février 2000 :
La responsable de l’accès, en donnant un sens ordinaire aux mots employés par le
demandeur, et après vérification à la Sûreté du Québec, est d’avis que les points 1
à 6 de cette demande sont également des demandes de renseignements ou
d’information et non des demandes de documents et qu’il n’y a pas de documents
contenant les renseignements recherchés ou les réponses aux questions
demandées. Elle fait remarquer que quelques points ou questions amènent
nécessairement le répondant ou celui qui connaîtrait l’information, le cas échéant,
à émettre une opinion, à effectuer sa propre analyse. Dans ces situations, il
devient évident que l’information demandée n’existe pas, comme telle, sur un
document.
Quant au point 7 de la demande, la responsable de l’accès a pris pour acquis que
le demandeur avait copie de ce document puisqu’il en est l’auteur. M
e
Gauthier
exhibe néanmoins la copie de cette lettre telle qu’elle se trouve au dossier de
l’organisme avec les annotations y apposées par l’organisme ainsi que la page
d’envoi par le télécopieur du demandeur indiquant l’heure et la date de la
réception par l’organisme et les trois feuillets qui y étaient annexés. Ces
documents sont remis au demandeur séance tenante.
Le demandeur dépose des documents sous les cotes D-1 à D-4, dont son
curriculum vitae et deux articles de journaux. Ces documents, après examen,
s’avèrent non pertinents à la solution du présent litige. Un témoin qu’il a interrogé,
monsieur Guy Côté, ne connaissait pas les réponses à ses questions. Ce
témoignage n’est donc d’aucune utilité.
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LES REPRÉSENTATIONS
Le procureur de l’organisme plaide que les demandes d’accès sont hors du cadre
d’application de la Loi en ce sens qu’elle vise plus à obtenir des informations, des
réponses à des questions, des opinions ou des analyses. Celles-ci sont formulées
dans un style engageant plutôt la polémique. Elles ont un caractère abusif et
frivole. Il estime que sans être formulées de mauvaise foi, ces demandes ne sont
néanmoins pas faites de bonne foi puisque le demandeur cherche
manifestement la confrontation. C’est pourquoi il soutient que les articles 126 et
131.1 de la Loi devraient être appliqués par la Commission.
Le demandeur n’est aucunement d’accord avec ce qu’exprime le procureur de
l’organisme dans son argumentation et nie les allégations de manque de bonne foi
ainsi que de caractère abusif de ses demandes puisqu’il n’a exercé son droit
d’accès que quatre fois dans sa vie. Il estime, de plus, que ses opinions ne
devraient pas affecter ou affaiblir son droit inaliénable d’accès à l’information.
Enfin, il argue que l’organisme n’avait qu’à répondre clairement à ses demandes et
lui écrire que les documents demandés n’existaient tout simplement pas au lieu
d’invoquer sèchement les articles 126, 1 et 15 de la Loi. Cette attitude aurait
plutôt simplifié les choses pour tout le monde.
Dans un tout autre ordre d’idées, le demandeur réitère la plainte qu’il a formulée à
la Commission où il allègue que l’organisme aurait contrevenu à l’article 44 de la
Loi dans le traitement de ses demandes d’accès. En effet, l’organisme aurait
négligé, malgré la demande qu’en aurait faite le demandeur, de lui prêter
assistance pour la formulation de ses demandes et pour l’identification des
documents demandés.
DÉCISION
La preuve me convainc que les documents visés par les points 1 à 5 de la demande
du 17 février 2000 et les documents visés par les points 1 à 6 de la demande du
18 février 2000 n’existent pas. Il en résulte, d’une part, qu’ils ne sont pas détenus
par l’organisme au sens de l’article 1 de la Loi et, d’autre part, que l’article 15 de la
Loi doit recevoir pleine application, c’est-à-dire que l’organisme ne peut être
contraint de fabriquer ou rédiger des nouveaux documents à partir d’autres
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renseignements épars contenus dans des documents divers ou à partir des
connaissances acquises se trouvant dans la mémoire des fonctionnaires. La décision
de la responsable de l’accès concernant ces documents est fondée.
Quant aux documents visés par le point 6 de la demande du 17 février 2000 et par
le point 7 de la demande du 18 février 2000, la preuve démontre qu’ils sont en la
possession de l’organisme au moment de la réponse rédigée par la responsable de
l’accès. La responsable de l’accès devait ou les communiquer au demandeur ou
formuler un refus de communiquer ces documents en vertu de l’un ou l’autre des
motifs de refus prévus par la Loi. Le fait que le demandeur soit l’expéditeur ou le
destinataire d’un document ne peut justifier un refus de le lui communiquer ou ne
peut donner ouverture à la présomption que la demande n’est pas recevable à leur
égard. Ce n’est d’ailleurs pas un motif de refus ou d’irrecevabilité prévu par la Loi. Le
demandeur a droit de recevoir copie d’un document qu’il a envoyé à l’organisme tel
qu’il se trouve dans les dossiers de l’organisme, avec les annotations apposées par
ce dernier, le cas échéant et si ces annotations ne sont pas autrement inaccessibles
en vertu de la Loi. Le demandeur n’a pas non plus à établir qu’il ne possède plus le
document que l’organisme lui a fait parvenir dans le passé ni les raisons qui font qu’il
en est maintenant dépossédé pour obtenir copie de ce document. De même, dans
les deux cas, il peut être instructif pour un demandeur, en certaines circonstances,
qu’un responsable de l’accès lui certifie, en motivant son refus, que l’organisme ne
détient plus ces documents contenant des renseignements qui le concernent.
Enfin, je n’ai vu aucun motif raisonnable de croire que les demandes sont frivoles ou,
vu ce qui précède, que l’intervention de la Commission n’est manifestement pas
utile. En conséquence, je rejette le moyen préliminaire du procureur de l’organisme
fondé sur l’article 131.1 de la Loi.
POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission,
ACCUEILLE, en partie, la demande de révision quant au document
6 visé par la demande du 17 février 2000 et quant aux documents 7
visés par la demande du 18 février 2000 ;
PREND ACTE que ces derniers documents ont été tardivement
remis au demandeur au cours de l’audience ;
PREND ACTE du rappel du demandeur quant à la plainte qu’il a
déposée et en notifie qui de droit ; et
REJETTE la demande de révision quant au reste.
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Québec, le 4 mai 2001
DIANE BOISSINOT
Commissaire
Procureur de l'organisme :
M
e
Jean-François Boulais
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