Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 06 10 38 Date : Le 10 décembre 2007 Commissaire : M e Jean Chartier X Demandeur c. BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC Organisme DÉCISION OBJET DEMANDE DE RÉVISION en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Le 5 avril 2006, le demandeur transmet au responsable de l’accès de l’organisme la demande suivante : « Je fais une étude de l’affaire Coffin. Je suis en train de lire le rapport de la Commission royale d’enquête sur l’affaire Coffin. Cependant, les responsables des Archives 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « Loi sur l’accès ».
06 10 38 Page : 2 nationales à Rimouski ne me permettent pas de lire les volumes suivants parce qu’ils font l’objet d’un huis clos : Volume XVII, séance du 12-03-64 - pages 1330 à 1369; Volume XI, séance du 19-03-64 - pages 2008 à 2029; Volume XII, séance du 24-03-64 - pages 2239 à 2407; Volume XIII, séance du 25-03-64 - pages 2408 à 2447; Volume XIV, séance du 26-03-64 - pages 2668 à 2793; Volume XV, séance du 01-04-64 - pages 2794 à 2914. Je vous demande par la présente de me donner l’autorisation de lire ces documents et de me permettre aussi de consulter le dossier d’enquête de la Sûreté du Québec dans cette affaire. » [2] Le 2 mai 2006, le secrétaire général et responsable de l’accès à l’information de l’organisme, M e Ghislain Roussel, transmet une réponse au demandeur. Par cette réponse, il maintient le refus du Centre régional d’archives de Rimouski. [3] En ce qui concerne la communication du rapport d’enquête de la Sûreté du Québec, le responsable de l’accès de l’organisme réfère le demandeur au ministère de la Sécurité publique qui est responsable de ces documents. [4] Le 17 juin 2006, le demandeur transmet à la Commission d’accès à l’information (la Commission) une demande de révision de la décision rendue par l’organisme. AUDIENCE [5] Une audience est tenue le 5 juin 2007 à Montréal en présence des parties. A) PREUVE i) De l’organisme [6] Le procureur de l’organisme indique à la Commission que le rapport de la Commission royale d’enquête Brossard est public. Cette Commission d’enquête a été instituée en janvier 1964 afin de faire enquête sur les procédures judiciaires qui ont mené à la condamnation de Wilbert Coffin en 1956. Toutefois, il précise qu’il en est autrement de la transcription des audiences de cette Commission. En effet, certains témoignages rendus devant cette Commission auraient fait l’objet
06 10 38 Page : 3 d’ordonnances de « huis clos » et la transcription de ces témoignages en fait mention. [7] Monsieur Donald O’Farrell, archiviste de l’organisme au Centre régional d’archives de Rimouski, témoigne. Il explique que la documentation relative à l’affaire Coffin est constituée de trois ensembles documentaires : 1) le dossier de police qui contient la documentation relative à l’enquête policière de la Sûreté du Québec; 2) le dossier du procès de Coffin incluant les tribunaux d’appels; 3) le rapport de la Commission royale d’enquête Brossard. [8] Il explique que le rapport de la Commission Brossard compte 52 volumes et que les pages dont l’accès a été refusé totalisent un peu plus de 500 pages. Tous ces extraits ont fait l’objet d’une déclaration de huis clos, sauf pour les pages 1330 à 1369 du volume VII que l’organisme consent maintenant à divulguer. [9] Il dépose à l’audience, sous le sceau de la confidentialité, les extraits dont la communication est refusée. Ce dépôt est effectué conformément à l’article 20 des Règles de preuve et de procédure de la Commission d’accès à l’information 2 qui prévoit : 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. [10] Le procureur de l’organisme s’appuie sur l’article 29.1 de la Loi sur l’accès pour refuser la communication des témoignages rendus à huis clos. [11] Lors de l’audience du mois de juillet 2007, le procureur de l’organisme a déposé devant la Commission l’Arrêté en conseil numéro 27 du 8 janvier 1964 ordonnant la constitution de la Commission Brossard 3 : « […] pour faire enquête sur les agissements des officiers et agents de police et de toutes autres personnes ayant participé, directement ou indirectement, à la préparation et à l’exposé de la preuve qui a servi dans toutes les procédures qui ont abouti à l’exécution de Wilbert Coffin, le 10 février 1956, et sur la crédibilité des déclarations faites par Francis Thompson à la police de Miami, en novembre 1958; ». 2 L.R.Q., c. A-2.1, r. 2. 3 Arrêté en conseil, numéro 27, 8 janvier 1964.
06 10 38 Page : 4 [12] Selon le procureur, la Commission d’enquête Brossard ainsi formée est un organisme public qui a agi dans l’exercice de fonctions juridictionnelles et qui a ordonné le huis clos afin que ne soient pas communiqués les renseignements contenus dans certains témoignages ii) Du demandeur [13] Le demandeur est avocat et a été professeur pendant de longues années. Il est également écrivain. Au moment de l’audience, il achevait la rédaction d’un ouvrage sur « l’affaire Coffin ». Afin de compléter son ouvrage, il a analysé l’ensemble de la documentation qui lui a été fournie par l’organisme. Il dit comprendre l’ordonnance de huis clos mais il invoque sa qualité d’avocat et d’officier de justice pour réclamer la communication de ces extraits. [14] Il ajoute que s’il ne pouvait prendre connaissance des extraits qui lui sont refusés, le livre à venir ne pourrait être qu’incomplet. Il déclare que dans le cadre de la rédaction de l’ouvrage sur lequel il travaille, il serait prêt à s’engager à assurer la confidentialité du contenu et des extraits qui lui sont refusés. [15] Suite à la prise en délibéré de cette affaire, le soussigné a demandé au procureur de l’organisme de répondre à certaines interrogations. Cette seconde audience, à laquelle n’a pas assisté le demandeur, a eu lieu le 27 septembre 2007. DÉCISION [16] Le décret qui a ordonné l’institution de la commission d’enquête est daté du 8 janvier 1964, signé par le lieutenant-gouverneur Paul Comtois et par le premier ministre Jean Lesage. Il porte en en-tête le titre suivant : « ARRÊTÉ EN CONSEIL CHAMBRE DU CONSEIL EXÉCUTIF Il est ordonné, sur la proposition du Procureur général : QUE l’honorable Roger Brossard, juge de la Cour supérieure à Montréal, soit nommé commissaire pour faire cette enquête; ».
06 10 38 Page : 5 [17] Les articles 3 et 4 de la Loi sur l’accès prévoient : 3. Sont des organismes publics : le gouvernement, le Conseil exécutif, le Conseil du trésor, les ministères, les organismes gouvernementaux, les organismes municipaux, les organismes scolaires et les établissements de santé ou de services sociaux. Sont assimilés à des organismes publics, aux fins de la présente loi : le lieutenant-gouverneur, l'Assemblée nationale, un organisme dont celle-ci nomme les membres et une personne qu'elle désigne pour exercer une fonction en relevant, avec le personnel qu'elle dirige. Les organismes publics ne comprennent pas les tribunaux au sens de la Loi sur les tribunaux judiciaires (chapitre T-16). 4. Les organismes gouvernementaux comprennent les organismes non visés dans les articles 5 à 7, dont le gouvernement ou un ministre nomme la majorité des membres, dont la loi ordonne que le personnel soit nommé suivant la Loi sur la fonction publique (chapitre F-3.1) ou dont le fonds social fait partie du domaine public. Aux fins de la présente loi, le curateur public est assimilé à un organisme gouvernemental, dans la mesure où il détient des documents autres que ceux visés par l'article 2.2. Est assimilée à un organisme gouvernemental, aux fins de la présente loi, une personne nommée par le gouvernement ou par un ministre, avec le personnel qu'elle dirige, dans le cadre des fonctions qui lui sont attribuées par la loi, le gouvernement ou le ministre. (Les caractères gras sont du soussigné.) [18] Il apparaît donc que la « Commission d’enquête Brossard » constituée le 8 janvier 1964, doit être considérée comme un organisme public au sens de la Loi sur l’accès. [19] Le procureur a déposé deux cédéroms contenant la reproduction numérique de l’ensemble des témoignages rendus devant la Commission Brossard. [20] Le soussigné a pris connaissance des extraits déposés sous le sceau de la confidentialité.
06 10 38 Page : 6 [21] La lecture de ces documents révèle qu’une ordonnance de huis clos a été prononcée par le juge Brossard à chacune des dates suivantes : 1 re ordonnance de huis clos le 12 mars 1964 (pages 1327 à 1369); 2 e ordonnance de huis clos le 19 mars 1964 (pages 2008 à 2029); 3 e ordonnance de huis clos le 24 mars 1964 (pages 2239 à 2407); 4 e ordonnance de huis clos le 25 mars 1964 (pages 2408 à 2447); 5 e ordonnance de huis clos le 26 mars 1964 (pages 2668 à 2793); 6 e ordonnance de huis clos le 1 er avril 1964 (pages 2794 à 2914); [22] Il ne fait pas de doute que les différentes ordonnances de huis clos ont été prononcées dans l’exercice de « fonctions juridictionnelles ». Elles ont été rendues les unes après les autres, au fur et à mesure de l’avancement des travaux de la commission d’enquête. [23] L’article 29.1 de la Loi sur l’accès prévoit : 29.1 La décision rendue par un organisme public dans l'exercice de fonctions juridictionnelles est publique. Toutefois, un organisme public doit refuser de communiquer un renseignement contenu dans cette décision lorsque celle-ci en interdit la communication, au motif qu'il a été obtenu alors que l'organisme siégeait à huis clos, ou que celui-ci a rendu à son sujet une ordonnance de non-publication, de non-divulgation ou de non-diffusion ou que sa communication révélerait un renseignement dont la confirmation de l'existence ou la communication doit être refusée en vertu de la présente loi. Un organisme public doit également refuser de communiquer un renseignement susceptible de révéler le délibéré lié à l’exercice de fonctions juridictionnelles. [24] Le deuxième alinéa de cet article est rédigé de façon un peu particulière. En termes simplifiés, cette disposition impose à l’organisme de refuser de communiquer « un renseignement contenu dans une décision qui interdit la communication d’un renseignement obtenu alors que l’organisme siégeait à huis clos… ».
06 10 38 Page : 7 [25] Selon le procureur de l’organisme, le législateur voulait ainsi imposer à un organisme public le devoir de refuser de communiquer tous les renseignements obtenus par un organisme public qui siège à huis clos. La rédaction du deuxième alinéa de l’article 29.1 de la Loi sur l’accès ne nous permet pas d’en venir à cette conclusion. [26] Les auteurs Doray et Charette 4 décrivent dans les termes suivants les difficultés soulevées par la rédaction de cette disposition : « 2. Huis clos et ordonnances de confidentialité Le deuxième alinéa de l’article 29.1 vise tous les organismes publics et non seulement les organismes qui exercent des fonctions quasi judiciaires. Cette disposition impérative oblige les organismes publics à refuser de communiquer un renseignement contenu dans une décision quasi judiciaire lorsque celle-ci en interdit la communication, soit parce que l’organisme quasi judiciaire a obtenu ce renseignement alors qu’il siégeait à huis clos, soit parce que cet organisme a frappé ce renseignement d’une ordonnance de non-publication, de non-divulgation ou de non-diffusion. Un organisme public doit également refuser de divulguer un renseignement contenu dans une décision quasi-judiciaire lorsque sa communication révélerait un renseignement visé par une disposition impérative de la Loi sur l’accès. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la rédaction de ce deuxième alinéa est problématique. Il semble qu’on ait voulu assurer la confidentialité des renseignements et des documents visés par une ordonnance de non-publication, de non-divulgation ou de non-diffusion rendue par un organisme quasi judiciaire de même que les renseignements qu’un tel organisme obtient dans le cadre d’une audience tenue à huis clos. Une telle mesure serait logique et légitime. Malheureusement, tel que libellé, cet alinéa fait en sorte que le renseignement frappé d’une ordonnance de non-publication, de non divulgation ou de non-diffusion ainsi que le renseignement obtenu dans le cadre d’un huis clos doivent être contenus dans une décision de l’organisme 4 Raymond DORAY et François CHARETTE, Accès à l’information : loi annotée, jurisprudence, analyse et commentaires, Cowansville, Éditions Y. Blais, 2001, vol. 1, p. II/29.1-4, 5.
06 10 38 Page : 8 quasi judiciaire. Cette exigence formelle n’a pas de raison d’être d’autant plus qu’elle ne correspond pas à la pratique des organismes quasi judiciaires. De manière courante, ceux-ci rendent oralement en cours d’instance des ordonnances de non-publication, de non-divulgation ou de non-diffusion. Ces ordonnances sont consignées au procès-verbal de l’audience et visent souvent plusieurs documents ou renseignements qui ne sont pas « contenus dans cette décision ». On retrouve un bon exemple des difficultés d’application du deuxième alinéa de l’article 29.1, tel que libellé, dans l’affaire Burcombe c. Québec (Ministère de l’Environnement et de la Faune), [1997] C.A.I. 370. La Commission d’enquête Doyon instituée par le gouvernement du Québec avait rendu une ordonnance de non-divulgation visant plusieurs documents reçus en preuve dans le cadre de son enquête. La Commission d’accès à l’information a jugé que ces documents ne pouvaient profiter de l’exception du deuxième alinéa de l’article 29.1 de la Loi sur l’accès parce qu’ils ne se retrouvaient pas dans une décision de la Commission Doyon. » [27] Tel que nous l’avons constaté à la lecture des transcriptions déposées, le juge Brossard a émis plusieurs ordonnances de « huis clos ». Toutefois, après chaque ordonnance de huis clos, les témoins ont continué d’être entendus sans qu’une décision n’intervienne et sans que les renseignements divulgués à huis clos ne soient contenus dans une décision. [28] Un exemple éloquent de ce que l’on retrouve dans les débats de la Commission Brossard, du 26 mars 1964, mérite d’être cité : « Le vingt-sixième jour de mars, l’an mil neuf cent soixante et quatre : Me JULES DESCHENES, c.r., Conseiller juridique de la Commission : Je regrette, Votre Seigneurie, mais pour les deux prochains témoins, d’ici la fin de la séance, il faut redemander le huis-clos, parce que nous allons
06 10 38 Page : 9 traiter encore des deux détenus qui ont été entendus ici. LA COUR : Alors, le public est prié de se retirer de la salle, et je vais suspendre pour cinq minutes. » [29] La suite est constituée des notes sténographiques des témoignages entendus à huis clos. [30] Comme le disent les auteurs Doray et Charette, l’ordonnance du tribunal a été consignée au procès-verbal de l’audience mais les témoignages qui suivent chacune des ordonnances ne sont pas contenus dans une décision. Dans l’affaire Burcombe, la commissaire Diane Boissinot décrit le champ d’application de l’article 29.1 de la Loi sur l’accès 5 : « En d’autres mots, ce à quoi tout organisme public est tenu de refuser l’accès, en application de cet article de la loi, est l’accès aux renseignements se trouvant dans une décision, qu’il détient, émanant d’un autre organisme public, exerçant, celui-là, des fonctions quasi judiciaires et qui a fait l’objet, tel renseignement, d’une interdiction de communication par cet autre organisme public. Il ne peut y avoir litige quant à l’application de l’article 29.1 de la loi que dans la mesure où la décision dont il y est question fait l’objet d’une demande d’accès, ce qui n’est pas le cas ici. Jamais les demandeurs ne se sont adressés à l’organisme pour avoir accès à une décision contenant un renseignement répondant à la définition de l’article 29.1. [31] Pour donner suite à l’argument de l’organisme, il faudrait que le soussigné en vienne à la conclusion que les témoignages rendus à huis clos « sont contenus dans une décision qui en interdit la communication ». Il s’agit d’une interprétation « littérale » mais l’article 29.1 impose une restriction au principe général de l’accès constaté à l’article 9 de la loi. Il doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. [32] En tout respect pour l’opinion contraire, le deuxième alinéa de l’article 29.1 de la Loi sur l’accès ne trouve pas application dans la présente affaire. 5 Burcombe c. Québec (Ministère de l’Environnement et de la Faune), [1997] C.A.I. 370.
06 10 38 Page : 10 [33] La Commission ordonnera donc la communication des extraits de témoignages rendus à huis clos, tout en demandant à l’organisme de respecter le paragraphe 2 de l’article 53 de la Loi sur l’accès qui prévoit : « 53. Les renseignements personnels sont confidentiels sauf dans les cas suivants : 1° la personne concernée par ces renseignements consent à leur divulgation; si cette personne est mineure, le consentement peut également être donné par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu par un organisme public dans l’exercice d’une fonction juridictionelle; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. » [34] L’organisme devra masquer les noms et prénoms des témoins entendus de même que tout autre renseignement personnel qui concerne une personne physique et qui permet de l’identifier (article 54 de la Loi sur l’accès) dans les extraits qui seront communiqués. [35] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [36] ACCUEILLE la demande de révision du demandeur; [37] ORDONNE à l’organisme de communiquer dans les trente jours de la date de la réception de la présente décision, les extraits suivants des débats de la Commission royale d’enquête sur l’affaire Wilbert Coffin : Volume XI, séance du 19-03-64 - pages 2008 à 2029; Volume XII, séance du 24-03-64 - pages 2239 à 2407; Volume XIII, séance du 25-03-64 - pages 2408 à 2447; Volume XIV, séance du 26-03-64 - pages 2668 à 2793; Volume XV, séance du 01-04-64 - pages 2794 à 2914. [38] Après avoir masqué les renseignements personnels qu’ils contiennent. JEAN CHARTIER, commissaire M e Ghislain Roussel Avocat de l’organisme
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