Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 06 03 94 Date : Le 29 juin 2007 Commissaire : M e Guylaine Henri X Demandeur c. GREAT-WEST, COMPAGNIE D’ASSURANCE-VIE Entreprise DÉCISION INTERLOCUTOIRE OBJET DÉCISION SUR UNE REQUÊTE EN IRRECEVABILITÉ D’UNE DEMANDE D’ACCÈS faite en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 [1] Le 9 février 2006, M e Nancy Sawyer écrit à l’entreprise, au nom du demandeur, afin d’obtenir copie des projections du contrat pour une police d’assurance qu’elle identifie. Elle précise qu’elle désire obtenir « […] les 1 L.R.Q., c. P-39.1, la Loi sur le privé.
06 03 94 Page : 2 exemples qui sont donnés à l’assuré avec sa police d’assurance-vie et qui sont généralement sous forme de tableaux indicatifs qui considèrent, entre autres, les primes annualisées, la valeur de rachat et la prestation-décès ainsi que les valeurs garanties, les valeurs de participation. » [2] Le 10 février 2006, l’entreprise répond au demandeur ce qui suit : […] D’une part, compte tenu de la requête introductive d’instance qui nous a été signifiée, vous ne pouvez vous adresser à la Commission d’accès à l’information car cette dernière n’a pas compétence pour entendre votre demande. En effet, comme votre demande de communication de renseignements est faite dans le cadre du litige opposant les parties et que la Cour du Québec est déjà saisie de ce litige, c’est cette dernière qui a compétence pour entendre votre demande. À cette fin, nous vous invitons à prendre connaissance des décisions Therrien c. News Marketing Canada REJB 2000-23991 et Monette c. Westbury Canadienne, Compagnie d’assurance-vie REJB 1999-11896. D’autre part, même en vous adressant à la Cour du Québec, votre demande serait irrecevable et ce, en application de l’article 39 (2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Comme nous vous l’avons déjà mentionné lors de notre conversation téléphonique, lorsque les précisions demandées nous auront été transmises et que nous aurons procédé à l’interrogatoire de Monsieur Binette, nous pourrons réévaluer la pertinence de votre demande. [3] Le 14 février 2006, M e Sawyer soumet à la Commission d’accès à l’information (la Commission) une demande d’examen de mésentente de la décision rendue par l’organisme. [4] Le 14 février 2006, l’entreprise écrit à la Commission pour l’informer qu’elle conteste la demande d’examen de mésentente présentée par le demandeur. Cette lettre reprend en substance les arguments invoqués par l’entreprise dans sa réponse du 10 février 2006.
06 03 94 Page : 3 [5] Le 6 mars 2006, M e Sawyer écrit à la Commission une lettre expliquant que les documents visés par la demande d’accès du demandeur doivent être considérés comme contenant des renseignements personnels et que, pour ces motifs, elle estime que la demande d’examen de mésentente est fondée et désire être entendue sur celle-ci. AUDIENCE [6] Une audience est tenue à Montréal le 28 mars 2007. [7] En début d’audience, M e Sylvain Larocque, conseiller juridique de l’entreprise, informe la Commission que celle-ci maintient son moyen d’irrecevabilité fondé sur l’absence de compétence de la Commission. Il insiste pour que la Commission décide de ce moyen d’irrecevabilité préliminairement à toute décision sur le mérite de ce dossier, ce que la Commission accepte de faire. PREUVE [8] Il n’est pas contesté que, par une requête introductive d’instance signifiée à l’entreprise le 29 décembre 2005, dossier n o 500-22-118023-053, dont copie a été transmise à la Commission, le demandeur a introduit une requête introductive d’instance contre l’entreprise et d’autres personnes. Par cette requête, le demandeur recherche une condamnation contre l’entreprise à payer au demandeur une indemnité de plus de 60 000 $ ainsi que l’annulation de la police d’assurance mentionnée à la demande d’accès du 9 février 2006. ARGUMENTATION DE L’ENTREPRISE [9] L’entreprise soutient que la Commission n’a pas compétence pour décider de la demande d’examen de mésentente fondée sur son refus d’y donner suite. Elle soutient en effet que la demande d’accès est faite dans le cadre d’un litige opposant les parties devant la Cour du Québec et que seule cette dernière a compétence pour décider de la demande d’accès du demandeur. Au soutien de ses prétentions, l’entreprise invoque les décisions de
06 03 94 Page : 4 la Cour supérieure rendues dans les affaires Monette c. Westbury Canadienne, compagnie d’assurance-vie 2 et Therien c. News Marketing Canada 3 . DU DEMANDEUR [10] L’avocate du demandeur soutient qu’il appert de la décision Monette 4 que c’est en vertu de la Loi sur le privé qu’une personne peut obtenir les renseignements la concernant contenus dans un dossier détenu par une entreprise, au sens de l’article 1525 C.c.Q. [11] Par conséquent, malgré l’existence d’un autre recours devant la Cour du Québec, la Commission a compétence pour décider de la demande d’examen de mésentente formulée en vertu de celle-ci. Dans une situation comme en l’espèce, la Commission devra décider de la demande d’examen de mésentente à la lumière du second paragraphe de l’article 39 de la Loi sur le privé. RÉPLIQUE [12] En réplique, l’entreprise soutient que reconnaître la compétence de la Commission alors que la Cour du Québec est saisie d’un dossier pour lequel les documents en litige sont pertinents pourrait permettre à une personne, qui se verrait refuser la communication d’un document par la Cour supérieure, de se tourner vers la Commission afin d’obtenir les documents que cette Cour lui a refusés. [13] L’avocate du demandeur soutient que le 2 e paragraphe de l’article 39 de la Loi sur le privé confirme que la Commission a compétence sur une demande d’examen de mésentente même dans les cas où une procédure judiciaire est pendante devant un autre tribunal. DÉCISION [14] L’article 27 de la Loi sur le privé prévoit le droit, pour toute personne, d’obtenir communication des renseignements personnels la concernant, détenus par une entreprise : 2 C.S. Longueuil, n o 505-05-004515-984, 4 mars 1999, j. Senécal, ci-après Monette. 3 C.S. Hull, n o 550-05-010423-005, 27 novembre 2000, j. Isabelle. 4 Précitée, note 2.
06 03 94 Page : 5 27. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit, à la demande de la personne concernée, lui en confirmer l'existence et lui donner communication des renseignements personnels la concernant. [15] La Loi sur le privé prévoit certaines exceptions à ce principe. La personne insatisfaite de la décision d’une entreprise concernant une demande d’accès peut présenter une demande d’examen de mésentente à la Commission à qui il appartient de statuer, tel qu’il appert de l’article 42 de la Loi sur le privé et de l’article 122 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 5 , tel que cet article se lisait au moment de la demande d’examen de mésentente : Loi sur le privé 42. Toute personne intéressée peut soumettre à la Commission d'accès à l'information une demande d'examen de mésentente relative à l'application d'une disposition législative portant sur l'accès ou la rectification d'un renseignement personnel ou sur l'application de l'article 25. (soulignement ajouté) Loi sur l’accès 122. La Commission a pour fonction d'entendre, à l'exclusion de tout autre tribunal, les demandes de révision faites en vertu de la présente loi. La Commission exerce également les fonctions qui lui sont attribuées par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (chapitre P-39.1). [16] En vertu de ces dispositions, la Commission a pleine juridiction pour se prononcer sur une demande d’examen de mésentente. [17] Il faut également ajouter que le second paragraphe de l’article 39 de la Loi sur le privé offre, à première vue, un moyen de défense à l’entreprise pourvu qu’elle démontre que les conditions de cette disposition sont satisfaites en l’espèce 6 . L’article 39 prévoit en effet ce qui suit : 5 L.R.Q., c. A-2.1, la Loi sur l’accès. 6 L’entreprise a d’ailleurs invoqué cette disposition dans sa réponse du 10 février 2006.
06 03 94 Page : 6 39. Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement: 1° de nuire à une enquête menée par son service de sécurité interne ayant pour objet de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions à la loi ou, pour son compte, par un service externe ayant le même objet ou une agence d'investigation ou de sécurité conformément à la Loi sur les agences d'investigation ou de sécurité (chapitre A-8); 2° d'avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l'une ou l'autre de ces personnes a un intérêt. (soulignement ajouté) [18] Malgré l’existence de l’article 39 de la Loi sur le privé, l’entreprise soutient que la présente demande d’examen de mésentente échappe à la compétence de la Commission en raison d’une procédure judiciaire instituée par le demandeur devant la Cour du Québec. Elle allègue que la demande d’accès serait faite dans le cadre du litige opposant les parties devant la Cour du Québec et que seule cette dernière aurait compétence pour décider de la demande d’accès faite par le demandeur. [19] À mon avis, cet argument confond les règles d’admissibilité et de communication de la preuve devant les tribunaux avec celles gouvernant l’accès à un document, telles qu’édictées par la Loi sur l’accès et la Loi sur le privé. [20] Le fait qu’une requête introductive d’instance ait été déposée à la Cour du Québec dans un dossier impliquant le demandeur et l’entreprise n’empêche pas la Commission d’exercer la juridiction que lui confèrent la Loi sur le privé et la Loi sur l’accès. [21] La jurisprudence a reconnu le caractère autonome et parallèle des règles gouvernant l’accès énoncées dans la Loi sur l’accès et la Loi sur le privé par rapport aux règles gouvernant l’admissibilité de la preuve devant les tribunaux. [22] Dans Société nationale de l’Amiante c. Lab Chrysotile Inc. 7 , la Cour d’appel a reconnu le caractère parallèle du régime de la Loi sur l’accès et celui du Code de procédure civile du Québec. Elle a conclu que les dispositions de la Loi sur l’accès n’empêchent pas la Cour supérieure, après que la Commission ait préalablement conclu qu’un document était confidentiel, de décider à son tour 7 [1995] R.J.Q. 757.
06 03 94 Page : 7 de la confidentialité de ce document suivant les principes applicables devant ce tribunal. Le juge Beauregard écrivait ce qui suit : La Loi sur l'accès donne à toute personne un droit d'accès aux documents d'un organisme public. Ce droit comporte des exceptions. Au cas d'un conflit entre la personne qui désire avoir accès à un document et l'organisme public, c'est la Commission d'accès à l'information qui statue. Ceci n'a rien à voir avec le pouvoir d'un tribunal judiciaire ou quasi judiciaire de contraindre un organisme public de produire tout document que le tribunal juge pertinent au litige qui est devant lui. […] 8 . [23] La Cour du Québec a également reconnu que la Commission a compétence pour exercer les pouvoirs qui lui sont dévolus en vertu de la Loi sur l’accès et de la Loi sur le privé en parallèle avec les règles du Code de procédure civile. [24] Dans Côte-St-Luc (Cité de) c. Vecsei 9 , la Cour du Québec était saisie de questions identiques à celle en l’espèce, sauf qu’il s’agissait d’une demande faite en vertu de la Loi sur l’accès. La Cour devait, entre autres, répondre aux questions suivantes : 5. Does the Commission have the jurisdiction to intervene and order a communication of documents when there is litigation pending between the applicant and the Public Body relating to the subject matter of the documents; 6. When litigation is pending between the Applicant and the Public Body, should the Commission intervene to order the production of documents by one party when is has no jurisdiction to order the opposite party to do the same? [25] Il faut préciser que l’article 32 de la Loi sur l’accès énonce une règle similaire à celle de l’article 39 de la Loi sur le privé : 8 Id., 759. 9 [1995] C.A.I. 387.
06 03 94 Page : 8 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. [26] Dans Côte-St-Luc (Cité de) c. Vecsei 10 , la Cour du Québec a conclu ce qui suit : Quant aux questions n os 5 et 6, le Tribunal considère que l'article 32 de la Loi sur l'accès constitue la confirmation que les règles sur l'accès en vertu du Code de procédure civile et celles en vertu de la Loi sur l'accès peuvent fonctionner en parallèle. Dans les circonstances, je considère qu'il s'agit là aussi d'une question qu'il n'y a pas lieu d'examiner en appel. [27] À mon avis, la même conclusion prévaut dans le cadre de la Loi sur le privé en regard du second alinéa de l’article 39 de celle-ci. C’est d’ailleurs le sens de la décision rendue par la Cour supérieure dans Monette 11 : 12 Un problème particulier se pose lorsque, comme en l’instance, la personne qui demande à consulter son dossier est partie à des procédures contre l’entreprise qui le détient. La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé y pourvoit. En effet, son article 39 prévoit que: […] 13 Ce texte reconnaît l’exception de confidentialité, le «privilège» qui s’attache aux documents préparés en vue d’un litige. La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé comporte donc les mesures nécessaires de protection à cet égard. 14 En résumé, le Tribunal conclut qu’on ne peut pas contourner le Code de procédure civile, qui régit la communication des documents ou d’informations dans le cadre d’un procès, par le seul recours aux articles 38 et 39 du Code civil du Québec. L’autre voie d’accès à ces documents et informations est balisée par la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. 10 Id., 389. 11 Précitée, note 2,
06 03 94 Page : 9 [28] Finalement, la Cour supérieure, dans Therrien c. News Marketing Canada 12 , a également reconnu la compétence exclusive de la Commission à décider d’une demande d’accès aux renseignements personnels détenus par une entreprise. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [29] REJETTE la requête en irrecevabilité de l’entreprise; [30] ORDONNE à la responsable des rôles à la Commission de convoquer les parties pour procéder sur la demande d’examen de mésentente du demandeur formulée le 6 mars 2006. GUYLAINE HENRI Commissaire Charbonneau, avocats Conseils (M e Nancy Sawyer) Avocats de l’entreprise M e Sylvain Larocque Avocat de l’entreprise 12 Précitée, note 3.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.