Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 06 16 77 Date : Le 15 mars 2007 Commissaire : M e Jean Chartier DÉCISION L’OBJET DEMANDE DE RÉVISION en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « Loi sur l’accès ». DAPHNÉE DION-VIENS LE SOLEIL LTÉE Demanderesse c. UNIVERSITÉ LAVAL Organisme et SYNDICAT DES PROFESSEURS ET PROFESSEURES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL Tierce partie
06 16 77 Page : 2 [1] Le 17 avril 2006, la demanderesse transmet à l’organisme une demande dans laquelle elle réclame les documents suivants : « pour chacun des professeurs de l’Université Laval qui a pris une année sabbatique en 2004-2005, les rapports sur la réalisation de son projet d’année sabbatique et les rapports financiers sur l’utilisation des sommes lui ayant été versées. » [2] Dans les semaines qui ont suivi, des négociations ont eu lieu entre la demanderesse, l’organisme et la tierce partie quant à la communication des documents demandés. [3] Au mois d’août 2006, l’organisme avait accepté de donner accès aux documents réclamés élagués de certains renseignements personnels. [4] Opposée à la communication de ces documents, la tierce partie a entrepris des procédures judiciaires devant la Cour supérieure dans le but d’empêcher cette communication. [5] Par la suite, les parties en sont venues à un accord, le 25 septembre 2006, visant à soumettre le litige à la Commission d’accès à l’information (la Commission). [6] Le 28 septembre 2006, le procureur de la demanderesse a transmis une demande de révision à la Commission pour que cette dernière soit saisie du litige. Cette demande de révision mentionnait le consentement de la demanderesse à ce que la tierce partie intervienne devant la Commission et soit entendue sur la question de l’accessibilité des documents en cause. L’AUDIENCE [7] Le 12 janvier 2007, une audience a été tenue en présence des procureurs de la demanderesse et de la tierce partie. Préalablement, la procureure de l’organisme avait transmis au soussigné un avis l’excusant de son absence, accompagné de ses représentations écrites ainsi que des documents en litige transmis sous le sceau de la confidentialité.
06 16 77 Page : 3 [8] Aucun témoin n’a été entendu et les faits ayant donné naissance au litige ne font l’objet d’aucune contestation. [9] Le procureur de la demanderesse a souligné que « les rapports financiers sur l’utilisation des sommes ayant été versées » ne font plus l’objet de la demande de révision. [10] Les documents réclamés se limitent « aux rapports sur la réalisation d’un projet d’année sabbatique » produits par chacun des professeur(e)s de l’organisme qui a pris une année sabbatique en 2004-2005. A) L’argumentation de l’organisme [11] La procureure de l’organisme a transmis à la Commission une copie intégrale des rapports de réalisation produits en 2004-2005 par les professeur(e)s, « pièce O-1, en liasse », ainsi qu’une copie élaguée de ceux-ci, « pièce O-2, en liasse ». [12] Elle a également produit la « Convention collective » intervenue entre l’organisme et le Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval pour la période comprise entre le 22 juin 2004 et le 31 mai 2007, « pièce O-3 ». L’organisme convient qu’il est assujetti à la Loi sur l’accès et estime devoir permettre l’accès aux documents requis. [13] Elle considère que les « rapports sur la réalisation d’un projet d’année d’étude et de recherche » sont des documents publics parce qu’ils sont préparés dans l’exercice des fonctions des professeur(e)s et parce qu’ils contiennent un résumé de leurs activités « relaté froidement et sans appréciation personnelle. » Ils sont en conséquence visés par le paragraphe 2 de l’article 57 de la Loi sur l’accès qui stipule : 57. Les renseignements personnels suivants ont un caractère public : […] 2° le nom, le titre, la fonction, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail et la classification, y compris l'échelle de traitement rattachée à cette classification, d'un membre du personnel d'un organisme public.
06 16 77 Page : 4 [14] Selon la procureure de l’organisme, une revue de la doctrine et de la jurisprudence permet de conclure que les renseignements qui concernent le prolongement des fonctions des personnes sont des renseignements publics. Elle cite les auteures Desbiens et Poitras 2 qui définissent ainsi le terme « fonction » à l’article 57 de la Loi sur l’accès : « Le terme « fonction » inclut le titre de la fonction, mais également tout geste, toute opinion et toute tâche effectuée dans l’exercice des fonctions de cette personne, incluant la présence et la participation à des réunions ou groupes d’étude. […]. » [15] Ainsi, pour l’organisme, les participations à des conférences, les travaux d’écriture, les voyages effectués à l’étranger pour participer à des projets de recherche, les descriptions sommaires des expériences tentées, les échanges et les rencontres avec des collègues chercheurs sont des activités faisant partie de la « fonction » des membres du personnel d’un organisme public et sont, en conséquence, des renseignements à caractère public, conformément au paragraphe 2 de l’article 57 de la Loi sur l’accès. [16] Le procureur de la demanderesse abonde dans le même sens que la procureure de l’organisme. Les professeur(e)s sont des employé(e)s d’un organisme public et à ce titre, ils sont soumis à la Loi sur l’accès. Il soumet que le « rapport sur la réalisation d’un projet d’année d’étude et de recherche » est rédigé par les professeur(e)s dans l’exercice de leurs fonctions. [17] Il attire l’attention du soussigné sur le chapitre 4.8 de la convention collective traitant de l’année d’étude et de recherche. Il souligne que ces activités sont directement en lien avec les fonctions universitaires telles que décrites au chapitre 2.1 de la convention collective précitée. Ces activités sont donc partie intégrante des fonctions des professeur(e)s. [18] Selon le procureur, le « rapport sur la réalisation d’un projet d’année d’étude et de recherche » ne comprend aucun renseignement ayant trait à la vie privée et, le cas échéant, il accepterait que tout renseignement personnel, relatif au titulaire ou à des tiers, soit caviardé. 2 DESBIENS, M e Lina et POITRAS, M e Diane, « Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, textes annotés », [1996], SOQUIJ, p. 276.
06 16 77 Page : 5 [19] Le procureur de la demanderesse fait le parallèle avec les tâches dévolues à un fonctionnaire qui, au retour d’une mission à l’étranger pour un dossier bien précis, devrait faire un rapport à ses supérieurs. Il réfère le soussigné à une décision où la Commission 3 a déterminé : « Une activité, un geste posé ou une opinion exprimée par une personne dans le cadre de son travail ne constituent pas un renseignement nominatif sur cette personne. La Commission considère ce genre de renseignements comme étant le prolongement de la fonction d’une personne à l’emploi d’un organisme public. À ce titre, ce genre de renseignements a, en vertu des paragraphes premier et deuxième de l’article 57 de la loi, un caractère public. » Il rejoint en cela les prétentions de la procureure de l’organisme. B) Les représentations de la tierce partie [20] Selon le procureur du syndicat, les renseignements contenus dans les « rapports sur la réalisation d’un projet d’année d’étude et de recherche » sont confidentiels et n’ont pas trait à la fonction. Il ne conteste pas que chacun des enseignants soit un membre du personnel d’un organisme public et il ne conteste pas que le paragraphe 2 de l’article 57 donne un caractère public aux renseignements qui y sont mentionnés. Il n’a toutefois pas la même interprétation de ce qu’il faut considérer comme étant un renseignement ayant trait à la « fonction ». [21] Le procureur de la tierce partie prétend que les rapports produits par les professeur(e)s suite à une année d’étude et de recherche sont confidentiels conformément aux articles 53, 54 et 56 de la Loi sur l’accès. Ces articles stipulent : 53. Les renseignements personnels sont confidentiels sauf dans les cas suivants : 1° la personne concernée par ces renseignements consent à leur divulgation; si cette personne est mineure, le consentement peut également être donné par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu par un organisme public dans l’exercice d’une fonction juridictionelle; ils demeurent cependant confidentiels si 3 Giroux c. Centre d’accueil La Cité des Prairies inc., [1993] C.A.I. 53, 59.
06 16 77 Page : 6 l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont personnels les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 56. Le nom d'une personne physique n'est pas un renseignement personnel, sauf lorsqu'il est mentionné avec un autre renseignement la concernant ou lorsque sa seule mention révélerait un renseignement nominatif concernant cette personne. [22] La convention collective prévoit les conditions d’ouverture, les exigences à remplir, la façon dont doit être présenté le projet ainsi que la possibilité d’un rejet de la demande du professeur. Selon le procureur, l’ensemble des renseignements contenus et consignés dans tous ces documents sont des renseignements personnels puisqu’ils traduisent une façon individuelle et une manière personnelle choisis par chacun des professeur(e)s pour accomplir son projet. [23] En conséquence, une année d’étude et de recherche sera différente pour chacun des individus concernés puisque chacun est libre de présenter le projet qu’il veut. Pour l’un, le projet sera ponctué de discussions et de rencontres alors que pour l’autre, le projet fera l’objet de recherches individuelles, de voyages à l’extérieur du pays ou d’une inscription à un congrès particulier. Tous les projets sont différents et donnent lieu à un rapport différent. [24] Le procureur de la tierce partie se dit en désaccord avec une certaine jurisprudence de la Commission qui aurait interprété le paragraphe 2 de l’article 57 dans un sens large et libéral donnant accès à tous les renseignements relatifs aux activités du membre du personnel d’un organisme public dans la mesure où ces activités se situaient dans le prolongement de sa fonction. La jurisprudence de la Commission aurait été renversée par les tribunaux supérieurs et une interprétation beaucoup plus restrictive de cette disposition devrait être retenue. [25] En conséquence, il s’oppose à toute communication « même partielle » des rapports des membres de la tierce partie.
06 16 77 Page : 7 LA DÉCISION [26] Il s’agit de déterminer si les renseignements contenus dans les « rapports sur la réalisation d’un projet d’année d’étude et de recherche » de chacun des professeur(e)s constituent des renseignements relatifs à la « fonction ». [27] La convention collective intervenue entre l’organisme et le Syndicat des professeurs et professeures de l’Université Laval comporte plusieurs dispositions pertinentes qu’il importe de considérer. D’abord, les fonctions universitaires « des professeures et professeurs » sont définies dans la convention : 2.1.01 Les fonctions universitaires des professeures et professeurs sont : a) l’enseignement; b) la recherche; c) la participation interne et externe. L’enseignement et la recherche sont intrinsèquement liés et constituent les caractéristiques fondamentales de l’accomplissement des activités universitaires de chacune des professeures et de chacun des professeurs. » [28] Suivent ensuite dans les paragraphes 2.1.04 à 2.1.07 les descriptions des activités liées à l’enseignement, à la recherche, à la participation interne et à la participation externe. Sans limiter la généralité des descriptions qui y sont contenues, qu’il suffise de mentionner que l’on retrouve parmi les différentes activités l’élaboration de méthodes et d’instruments pédagogiques, la participation à des activités de recherche, à des colloques, congrès ou autres événements scientifiques, artistiques, littéraires ou professionnels et la participation à des programmes de formation d’autres universités. [29] La convention collective comporte également un court chapitre ayant trait à « la liberté universitaire » l’article 3.0.02 stipule : 3.0.02 Les missions principales de l’Université sont la création, la transmission et la diffusion du savoir ainsi que la formation supérieure des personnes. Cela implique la recherche et l’expression intellectuelles libres et critiques, et, partant, la liberté universitaire. L’Employeur respecte la liberté universitaire des professeures et professeurs.
06 16 77 Page : 8 [30] Un chapitre de la convention concerne particulièrement les documents qui font l’objet de la présente décision. Le chapitre 4.8 de la convention collective est intitulé « Années d’étude et de recherche ». L’article 4.8.01 définit le cadre dans lequel doit s’effectuer cette activité : 4.8.01 L’année d’étude et de recherche a pour but de favoriser le renouvellement et l’enrichissement des connaissances de la professeure ou du professeur de carrière. […]. [31] Les articles 4.8.11 et 4.8.12 prévoient certaines exigences dans la pré-sentation du projet : 4.8.11 La professeure ou le professeur qui désire se prévaloir d’une année d’étude et de recherche présente son projet à la ou au responsable le 1 er octobre au plus tard pour une année commençant à la session d’été suivante ou aux sessions d’automne ou d’hiver de l’année universitaire suivante. 4.8.12 Le projet d’année d’étude et de recherche de la professeure ou du professeur comporte un plan de travail, des précisions sur la façon dont elle ou il entend profiter de son année d’étude et de recherche pour renouveler et enrichir ses connaissances, et un calendrier de travail, y compris les dates de début et de fin de l’année et, le cas échéant, les dates de début et de fin de chacune des tranches. [32] Il est aussi possible que la demande d’un professeur(e) soit refusée tel que le prévoit l’article 4.8.20 : 4.8.20 La vice-rectrice ou le vice-recteur peut refuser le projet d’une professeure ou d’un professeur si la ou le responsable a fait une recommandation en ce sens; une telle décision se fonde sur l’un des motifs suivants : a) la qualité universitaire du projet n’est pas suffisante; b) l’ampleur du projet ne justifie pas une année d’étude et de recherche; c) le projet est incompatible avec les responsabilités de l’unité; d) le projet ne permet pas à la professeure ou au professeur le renouvellement et l’enrichissement de ses connaissances;
06 16 77 Page : 9 e) la professeure ou le professeur est clairement incapable de réaliser le projet. [33] Comme en fait foi l’objet de la demande d’accès, un rapport doit être produit à la fin de l’année d’étude et de recherche : 4.8.34 Dans les 60 jours qui suivent la fin de l’année d’étude et de recherche, la professeure ou le professeur remet à la ou au responsable un rapport sur la réalisation de son projet. Dans les 120 jours qui suivent la fin de l’année d’étude et de recherche, la professeure ou le professeur remet à l’Employeur un rapport financier sur l’utilisation des sommes lui ayant été versées ou devant lui être versées en vertu des clauses 4.8.07, 4.8.08 et 4.8.09. La professeure ou le professeur joint à son rapport toutes les pièces justificatives originales afférentes. Au delà de ce délai, aucun remboursement ne peut être réclamé. [34] À la lecture de ces dispositions, on constate que l’encadrement professionnel dans lequel évoluent les professeur(e)s de l’organisme est marqué par une grande indépendance d’esprit et d’action. Il en est de même de l’année d’étude et de recherche dont les travaux ou les activités sont définis dans un projet préparé par chaque professeur qui jouit d’une totale liberté dans la planification de cette année. [35] Toutefois, au-delà de ces constatations, les positions divergent. Pour la procureure de l’organisme, les renseignements contenus dans le « rapport sur la réalisation d’un projet d’année d’étude et de recherche » sont relatés froidement et sans appréciation personnelle et sont, en conséquence, partie intégrante des fonctions des professeur(e)s. [36] Pour la tierce partie, la liberté universitaire dont jouissent les professeur(e)s durant leur année d’étude et de recherche garantit leur cheminement personnel qui, bien qu’encadré par certaines dispositions de la convention collective, doit être considéré confidentiel au sens de la Loi sur l’accès.
06 16 77 Page : 10 [37] Il est vrai qu’une certaine jurisprudence de la Commission 4 a élargi la notion de « fonction » jusqu’à englober toute activité, geste ou opinion exprimé par une personne dans le cadre de son travail. Dans Giroux c. Centre d’accueil La Cité des Prairies inc. 5 , la commissaire Laurie Miller écrit : « Tous les autres documents en litige sont l’œuvre des membres du personnel de l’organisme. Purement factuels, ils décrivent des événements survenus dans le cadre de l’exécution des fonctions de ces personnes et impliquent, directement ou indirectement, le demandeur. Certains auteurs de ces documents émettent également des opinions quant à l’attitude du demandeur. […] Une activité, un geste posé ou une opinion exprimée par une personne dans le cadre de son travail ne constituent pas un renseignement nominatif sur cette personne. La Commission considère ce genre de renseignements comme étant le prolongement de la fonction d’une personne à l’emploi d’un organisme public. À ce titre, ce genre de renseignements a, en vertu des paragraphes premier et deuxième de l’article 57 de la loi, un caractère public. » [38] Les prétentions de la demanderesse et de l’organisme rejoignent l’affirmation faite par le juge Claude Pothier dans la décision Commission de la fonction publique c. Héroux 6 où ce dernier affirmait : « Le désir d’une plus grande transparence de l’administration est de nature à s’opposer à l’objectif d’efficacité qui est relié au secret des informations détenues par cette même administration, d’autant plus que, du secret rattaché à certaines informations, dépend la saine administration et négociation de l’État avec ses différents partenaires. Cependant, il faut se soucier, au-delà des intérêts collectifs que l’on doit protéger, de sauvegarder le droit individuel et fondamental à 4 Syndicat des travailleurs et travailleuses du Centre d’accueil Émilie Gamelin et de la Résidence Armand Lavergne c. Centre d’accueil Émilie Gamelin, [1988] C.A.I. 66; D’Amico c. Collège de Saint-Laurent, [1989] C.A.I. 215; Marsden c. Hôpital Santa Cabrini, [1988] C.A.I. 25; Bobula c. C.S.R. protestante Châteauguay Valley, [1990] C.A.I. 401; Fournier c. C.S. de Charlesbourg, [1992] C.A.I. 280; Larocque c. Ministère des Forêts, [1994] C.A.I. 101. 5 [1993] C.A.I. 53, 58 et 59. 6 [1989] R.J.Q. 2857 (C.Q.).
06 16 77 Page : 11 l’information reconnu à l’article 44 de la Charte des droits et libertés de la personne. Dans ce cadre, il est clair qu’il faut donner au principe d’accès à l’information une portée très large et libérale, de façon à atteindre l’objectif de limpidité poursuivi par le législateur. […]. » [39] Depuis, la jurisprudence a toutefois été marquée par un revirement à la suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dagg c. Ministre des Finances 7 . Dans cette affaire, la demandeur réclamait des documents indiquant le nom et le numéro d’identification des employés qui étaient entrés au travail pendant certaines fins de semaine. Le document recherché contenait les heures d’arrivée et de départ de ces employés. Il s’agissait d’interpréter l’alinéa 3j) de la Loi (fédérale) sur la protection des renseignements personnels 8 qui prévoit que : « Les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant : j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, […]. » [40] En somme, si les renseignements recherchés portaient sur la fonction de l’employé d’une institution fédérale, ils devenaient publics. [41] Discutant des objectifs poursuivis par la loi en matière d’accès à l’information, le juge La Forest écrit 9 (le juge La Forest est dissident mais ses propos sont endossés par le juge Cory de la majorité) : « La loi en matière d’accès à l’information a donc pour objet général de favoriser la démocratie, ce qu’elle fait de deux manières connexes. Elle aide à garantir, en premier lieu, que les citoyens possèdent l’information nécessaire pour participer utilement au processus démocratique, et, en second lieu, que les politiciens et bureaucrates demeurent comptables envers l’ensemble de la population. […] .» 7 [1997] 2 R.C.S. 403. 8 L.R.C. [1985], ch. P-21, art. 3, j). 9 [1997] 2 R.C.S. 403, paragr. 61.
06 16 77 Page : 12 [42] Le juge rappelle que le droit à la vie privée doit également être considéré lorsqu’il est question du droit à l’information 10 : « […] Cette conception de la vie privée découle du postulat selon lequel l’information de caractère personnel est propre à l’intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l’entend. Dans la société contemporaine tout spécialement, la conservation de renseignements à notre sujet revêt une importance accrue. Il peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que nous voulions divulguer ces renseignements ou que nous soyons forcés de le faire, mais les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l’individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu’ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués. Tous les paliers de gouvernement ont, ces dernières années, reconnu cela et ont conçu des règles et des règlements en vue de restreindre l’utilisation des données qu’ils recueillent à celle pour laquelle ils le font; voir, par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels …» [43] Quelle est la nature des renseignements relatifs au poste et à la fonction d’un employé ? Le magistrat répond dans les termes suivants 11 : « En général, les renseignements concernant le poste, les fonctions ou les attributions d’une personne sont du genre de ceux que l’on trouve dans la description de travail. Ils comprennent les conditions liées au poste, dont les qualités requises, les attributions, les responsabilités, les heures de travail et l’échelle de traitement […]. » [44] S’exprimant au nom de la majorité dans « Dagg », le juge Cory approuve dans l’extrait suivant l’analyse du juge La Forest 12 : « Le juge La Forest conclut… Les renseignements relatifs au poste ne sont donc pas « des renseignements personnels », bien qu’ils puissent incidemment révéler quelque chose au sujet des personnes nommées. Par contre, les renseignements qui 10 [1997] 2 R.C.S. 403, paragr. 67. 11 [1997] 2 R.C.S. 403, paragr. 95. 12 [1997] 2 R.C.S. 403, paragr. 5.
06 16 77 Page : 13 concernent principalement les personnes elles-mêmes ou la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leur sont confiées sont des « renseignements personnels. » Je suis d’accord. En outre, je conviens avec le juge La Forest qu’ « [e]n général, les renseignements concernant le poste […] sont du genre de ceux qu’on trouve dans la description de travail », telles que « les conditions liées au poste, dont les qualités requises, les attributions, les responsabilités, les heures de travail et l’échelle de traitement. » [45] Cette interprétation plus restrictive a été suivie par la Commission et par la Cour du Québec, notamment dans Cardinal c. Leclerc 13 où le juge Michel Desmarais écrit : « La commissaire a donné au mot « fonction » un sens large et libéral. Même en considérant cette interprétation, elle parle « de prolongement de fonction ». Il ne peut donc être question pour la Cour qui lui donne une interprétation restrictive d’aller dans le même sens. Ce désir de transparence dans les affaires publiques est fort louable, mais ce n’est pas à la Cour à l’établir. Le tribunal doit simplement appliquer la loi en se servant des règles d’interprétation. » [46] La commissaire Diane Boissinot a adopté la même interprétation dans l’affaire Bourque 14 : « Historiquement, la Commission avait toujours interprété les notions de « traitement » et de « fonction » visées par cet article de façon large et étendue. Ainsi, elle n’avait pas limité la notion de « traitement » à celle du salaire ou de la rémunération, non plus qu’elle s’était campée dans une interprétation limitative du mot « fonction » en la réduisant à la description de tâches. En particulier, pour cette dernière notion, elle avait vu dans la signification du mot « fonction » non seulement les activités prévues à la description des tâches, mais aussi les activités effectivement menées dans ce cadre, croyant en cela se conformer strictement aux définitions du 13 [1999] C.A.I. 492; Laforest c. Caisse de dépôt et Placement du Québec, [2004] C.A.I. 31; Ville de Blainville c. Larouche, [2005] C.A.I. 539. 14 Bourque c. Ville de Val-Bélair, [1999] C.A.I. 424.
06 16 77 Page : 14 Larousse et du Robert pour le mot « fonction », c’est-à-dire : « activités professionnelles », « exercice d’une charge ou d’un emploi. » La Commission comprenait que la protection de la vie privée des employés des organismes publics devrait s’apprécier à la lumière du droit du citoyen à l’information, donnant peut-être plus d’emphase à ce dernier droit fondamental qu’à celui de l’employé à la vie privée. Elle croyait que le droit à la vie privée des employés pouvait être partiellement restreint et elle voyait dans ces restrictions une limite raisonnable à l’exercice de ce droit, dans le cadre de l’application de la loi au sein d’une société démocratique. » [47] Dans l’affaire Laforest 15 , la commissaire Boissinot est encore plus explicite sur l’impact de la décision « Dagg » de la Cour Suprême : « Il est évident que ce ne sont pas tous les actes, toutes les paroles, tous les écrits d’un fonctionnaire ou d’un employé d’un organisme public, exécutés, prononcés et signés à l’occasion de l’exercice de sa fonction ou de sa tâche, qui doivent être assujettis à l’examen minutieux du citoyen. Admettre ceci comme normal pourrait à la limite permettre que toute personne puisse avoir accès aux renseignements des caméras qui surveilleraient constamment ces travailleurs, par exemple. Personne n’y trouverait à redire, vraisemblablement avec raison, si cette surveillance de l’accomplissement des tâches était le fait de l’employeur, des vérificateurs internes ou du Vérificateur général dans le but d’identifier et de sanctionner les abus. Mais ce n’est pas le cas ici. Le demandeur prétend que tout citoyen devrait pouvoir lui-même faire cette surveillance, du moins pour le détail de chacune des dépenses de cet employé. […] La Commission retient que les juges de la Cour suprême du Canada considèrent unanimement que les renseignements qui concernent principalement des personnes elles-mêmes ou la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leurs sont confiées sont des « renseignements personnels » et non des 15 Laforest c. Caisse de dépôt et Placement du Québec, [2004] C.A.I. 31.
06 16 77 Page : 15 renseignements « portant sur » le poste ou les fonctions. […]. » [48] Revenant à l’objet de la présente affaire, il y a lieu de se demander si les « rapports sur la réalisation d’un projet d’année d’étude et de recherche » contiennent des renseignements qui concernent la fonction ou des renseignements qui concernent principalement la manière dont les professeurs choisissent d’accomplir les tâches qui leur sont confiées. [49] Le soussigné a pris connaissance des rapports visés par la demande d’accès qui lui ont été soumis « in extenso » et sous le sceau de la confidentialité. Sans divulguer le contenu de ces documents, précisons qu’en plus de contenir l’identification du postulant, ils comprennent les coordonnées de toutes les personnes qu’il a l’intention de rencontrer ou consulter. Il comprend également une description du projet, de ses étapes, des moyens qu’il entend prendre pour le mener à bien. Dans la plupart des cas, le rapport inclut une description du contenu didactique ou académique du perfectionnement dont le professeur entend profiter ainsi que la description de la pertinence de ce projet avec les fonctions universitaires du titulaire. [50] Le rapport fait aussi état de la façon dont le titulaire a accompli en tout ou en partie le projet qu’il avait planifié, la façon dont il a été réalisé, les publications qui en ont résulté ainsi que l’enrichissement que chaque titulaire considère avoir retiré dans son domaine d’activité. On le constate, ce rapport est une évaluation de l’expérience vécue par chacun des signataires. En tout respect pour l’opinion contraire, le résumé de leurs activités n’est pas « relaté froidement et sans appréciation personnelle. » [51] Chacun de ces rapports est rédigé, structuré, documenté par des universitaires qui ont une façon différente d’écrire, de penser, de rendre compte en fonction de leur personnalité et de leur spécialité. Comme le dit le juge Desmarais dans l’affaire Ville de Lachine c. Leclerc 16 : « Justement parce que leur degré d’autonomie est important, les moyens pour remplir leurs fonctions sont secondaires et la façon d’atteindre leur but est accessoire. Au mieux, les comptes de dépenses sont un moyen 16 [1999] C.A.I. 482.
06 16 77 Page : 16 accessoire ou, comme les qualifie la jurisprudence, « un prolongement de la fonction ». L’article 57 devant être interprété restrictivement, le prolongement de la fonction ne peut être accepté. » [52] Selon le soussigné, il en va ainsi des « rapports sur la réalisation d’un projet d’année d’étude et de recherche » des membres de la tierce partie. [53] Le cadre juridique établi par la convention collective des professeur(e)s milite également en faveur du caractère personnel et confidentiel du contenu de ces rapports. Rappelons le principe de la « liberté universitaire » constaté à l’article 3.0.02 de la convention collective. [54] De plus, le chapitre 4.8 de la convention laisse à chaque professeur(e) toute la latitude nécessaire pour proposer un projet qui lui ressemblera et permettra l’enrichissement de ses connaissances. Bien que ce projet soit encadré et qu’il puisse même être refusé, il reste que « la manière dont il choisit d’accomplir ce projet d’année d’étude et de recherche » est personnelle et propre à chacun. [55] Tel que le disait le juge Cory dans « Dagg 17 » : « […], les renseignements qui concernent principalement des personnes elles-mêmes ou la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leurs sont confiées sont des « renseignements personnels. » […] ». [56] Il est vrai que les professeur(e)s sont des employés d’un organisme public. Tel que le procureur de la demanderesse l’a soutenu, il est question ici de fonds publics, d’utilisation de ces fonds ainsi que du droit du public à obtenir l’information relative à cette utilisation. En accord avec le procureur pour affirmer l’importance de ces enjeux, le soussigné croit néanmoins devoir suivre la limite proposée par le juge La Forest dans l’affaire « Dagg » lorsqu’il précise l’équilibre qui doit exister entre le « droit à l’information » et le « droit à la vie privée : « En limitant la divulgation de renseignements concernant certaines personnes à ceux qui portent sur leur poste, la Loi établit un juste équilibre entre les impératifs d’accès à l’information et de protection de la vie privée. De cette façon, les citoyens sont assurés de connaître les attributions, fonctions et responsabilités de fonctionnaires sans compromettre indûment leur vie privée. » 17 [1997] 2 R.C.S. 403.
06 16 77 Page : 17 [57] En conséquence, le soussigné en vient à la conclusion que les renseignements contenus dans les « rapports sur la réalisation d’un projet d’année d’étude et de recherche », sont des renseignements personnels qui n’ont pas trait à la fonction du professeur au sens du paragraphe 2 de l’article 57 de la Loi sur l’accès. Ces renseignements demeurent donc confidentiels conformément aux articles 53 et 54 de cette même loi. [58] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [59] REJETTE la demande de révision. JEAN CHARTIER Commissaire M e Jules Brière Lavery, De Billy avocats Procureur de la demanderesse M e Annie Laprade Procureure de l’organisme M e Pierre Leblanc Grondin, Poudrier, Bernier Procureur de la tierce partie
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.