Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 06 00 88 Date : Le 7 février 2007 Commissaire : M e Jean Chartier X Demandeur c. POLYCLINIQUE MAISONNEUVE-ROSEMONT Docteur Luc Racine Entreprise DÉCISION L’OBJET DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . [1] Le 21 novembre 2005, le demandeur écrit à l’entreprise, à l’attention du D r Luc Racine, en vue de lui faire la demande qui suit : « Par la présente, je vous communique mon désaccord avec votre expertise médicale. S’il vous plaît, modifier le contenu de cette expertise après avoir pris connaissance du texte qui suit. » 1 L.R.Q., c. P-39.1, ci-après appelée « Loi sur le privé ».
06 00 88 Page : 2 (Le demandeur ajoute 31 commentaires et/ou demandes de rectification). [2] Devant l’absence de réponse de l’entreprise, le demandeur fait une demande, le 16 janvier 2005, en vue de soumettre cette mésentente à la Commission d’accès à l’information (la Commission). L’AUDIENCE [3] Une audience a lieu à Montréal, le 11 janvier 2007, en présence des parties. A) LA PREUVE i) Du demandeur [4] Le demandeur a été victime d’un accident de la route le 27 septembre 2002. Il a été traité pour ses blessures et a subi plusieurs expertises médicales. [5] À la demande de la Société d’assurance automobile du Québec, ci-après appelée la SAAQ, le demandeur s’est soumis à une expertise médicale effectuée par le D r Luc Racine, chirurgien orthopédiste, au sein de l’entreprise. [6] Cette expertise effectuée le 6 octobre 2005 a fait l’objet d’un rapport écrit du D r Racine. Le demandeur a obtenu copie de ce rapport et en conteste plusieurs aspects. Il a transmis et déposé au dossier de la Commission une copie de cette expertise sur laquelle il a fait des annotations énumérées selon la séquence des lettres de l’alphabet. Il joint à « l’expertise annotée » la lettre du 21 novembre 2005 qu’il a transmise au D r Racine et qui contient des remarques et des corrections qu’il demande d’apporter à l’expertise. [7] Le 18 mai 2006, le D r Racine a transmis à la Commission, au demandeur et à la SAAQ une nouvelle version de l’expertise du 6 octobre 2005. [8] Cette lettre est intitulée : « copie amendée selon les commentaires de M. Hristov ». Cette nouvelle version tient compte de plusieurs remarques du demandeur et comporte des corrections. [9] Plus particulièrement, les remarques que le demandeur avait cotées sous les lettres « A, B, C, D, E, F, H, I, J, K et L » ont été satisfaites et ont fait l’objet de corrections par le médecin dans la version amendée transmise le 18 mai 2006.
06 00 88 Page : 3 [10] À l’audience, le demandeur admet que ces corrections ont été apportées et il s’en déclare satisfait. [11] En ce qui concerne les corrections que l’entreprise a refusées, le demandeur maintient chacune de ses demandes en apportant quelques explications à l’appui de chacune d’entre elles. [12] Pour une meilleure compréhension de la présente décision, nous reprendrons les remarques du demandeur selon la séquence qu’il a utilisée dans sa lettre du 21 novembre 2005. [13] Remarque G : Examen subjectif - 3 e paragraphe, page 3. Le demandeur conteste la phrase suivante : « il ne peut courir ou marcher plus de cinq mètres à cause de douleurs et il ne peut sauter ». Le demandeur déclare qu’il peut marcher plus de cinq mètres et l’avoir mentionné au D r Racine lors de l’expertise. D’ailleurs, l’expertise rapporte que le demandeur marche environ 800 mètres pour se rendre du terrain de stationnement à son poste de travail, au moins deux fois par jour. Les deux affirmations seraient donc incompatibles. Dans son expertise amendée le 18 mai 2006, le D r Racine a modifié la rédaction de cette phrase pour y ajouter les mots « à cause de sa cheville droite », ce qui est insuffisant selon le demandeur. [14] Remarque I : Examen subjectif - page 3, 5 e paragraphe. Le D r Racine écrit : « à cause de douleurs, le D r Ranger a suggéré de suspendre ses activités du 10 juin 2004 au 5 juillet 2004 ». Le demandeur souligne que le D r Ranger (autre médecin du demandeur) ne lui a jamais dit cela. [15] Le demandeur indique d’ailleurs dans son témoignage ne pas avoir suspendu ses activités pendant cette période et avoir toujours occupé son emploi. Il demande donc que cette portion du texte soit enlevée. [16] Remarque M : l’expertise mentionne : « il marche avec ses souliers avec une très légère boiterie […] ». Le demandeur est en désaccord et affirme que parfois sa boiterie est légère mais parfois elle est plus prononcée. [17] Remarque N : l’expertise mentionne : « il n’y a pas d’amyotrophie des deux cuisses mais il existe une atrophie de trois centimètres au niveau de la jambe droite […] ». Le demandeur dit qu’après les avoir mesurées lui-même, il a constaté que ses deux cuisses ne sont pas de la même dimension malgré ce que rapporte le médecin.
06 00 88 Page : 4 [18] Remarque O : l’expertise mentionne : « les mouvements de la cheville droite sont limités […] ». Le demandeur demande qu’un autre médecin expert se penche sur cet aspect. [19] Remarque P : l’expertise mentionne : « malgré sa boiterie, il peut négocier des escaliers et des terrains accidentés et marcher sans interruption au-delà de 500 mètres ». Bien que cela soit exact, le demandeur a dit ressentir de la douleur. Il reproche au médecin de ne pas l’avoir mentionné. [20] Remarque R : l’expertise mentionne que le membre inférieur gauche du demandeur : « porte une cicatrice à la face antérieure de 20 par 20 centimètres peu apparente ». Le demandeur affirme que la mesure est de 20 millimètres. [21] Remarque T : l’expertise mentionne qu’il y a au membre inférieur droit : « une cicatrice à la crête iliaque de 14 centimètres ». Selon le demandeur, la cicatrice est plus longue et l’expertise devrait en tenir compte. [22] Remarque V : l’expertise mentionne : « en fait, monsieur marche 900 mètres ce qui représente au moins une quinzaine de minutes et se maintient debout et marche durant son travail ». Le demandeur explique qu’il n’a pas le choix puisqu’il doit marcher de l’endroit où il gare son véhicule jusqu’à son lieu de travail. [23] Remarque W : l’expertise mentionne : « de plus, son travail est à 75 % assis de sorte qu’il lui serait probablement possible de travailler à temps plein […] ». Cet extrait est tiré de l’évaluation d’une autre expertise faite par un autre médecin (le D r Benaroch) et le demandeur affirme qu’il n’a jamais pu occuper son emploi à plein temps depuis son accident. [24] Remarque X : l’expertise mentionne : « quant à son siège orthopédique, je doute fort que les douleurs multiples au niveau du dos, au niveau du cou, des deux hanches, des membres supérieurs soient vraiment en relation avec son accident ». Le demandeur conteste cette affirmation puisque, selon lui, les douleurs ne peuvent être dues qu’à l’accident dont il a été victime. [25] Remarque Z : l’expertise mentionne : « monsieur se plaint de douleurs pas nécessairement au niveau de son membre inférieur mais un peu partout ». Le demandeur aurait voulu que le médecin écrive que la douleur ressentie se situait « surtout à la cheville droite ». [26] Quant aux remarques Q, T, U, AB, AC et AE, le demandeur voudrait que les affirmations du D r Racine soient vérifiées par un autre médecin expert.
06 00 88 Page : 5 [27] Quant aux remarques portant les lettres S, AA et AD, le demandeur n’en a pas discuté à l’audience mais la Commission en tiendra compte dans sa décision. ii) De l’entreprise [28] Le D r Luc Racine a témoigné au nom de l’entreprise et à titre de signataire de l’expertise effectuée le 10 octobre 2005. [29] Le D r Luc Racine est chirurgien orthopédiste, membre de la Société des médecins experts du Québec. Il travaille à la Polyclinique Maisonneuve-Rosemont. [30] À la demande de la SAAQ, il a procédé à une expertise qu’il décrit de la façon suivante dans son rapport déposé au dossier de la Commission : « Pour faire suite à votre demande, nous avons procédé, le 6 octobre 2005, à l’étude du dossier médical soumis, de même qu’au questionnaire et à l’examen du requérant en rubrique et ce, afin d’établir une expertise médicale et de déterminer : 1. L’opinion sur les séquelles (2000 et après) a) Locomotion b) Esthétique c) Sensibilité cutanée 2. Opinion en troisième expertise. » [31] Agissant en fonction des instructions reçues, le médecin a consulté les notes d’évaluation des autres médecins experts qui avaient déjà rencontré le demandeur. [32] Le représentant de l’entreprise indique avoir fait suite à plusieurs remarques du demandeur en apportant les corrections demandées aux remarques A à L. [33] En ce qui concerne les autres corrections demandées, le D r Racine indique qu’elles visaient l’évaluation des autres médecins et des remarques relevant de sa propre expertise. Dans l’un et l’autre cas, il n’y avait pas lieu d’apporter des corrections.
06 00 88 Page : 6 [34] Référant à chacune des remarques faites par le demandeur, le témoin explique que son rapport reflète les paroles du demandeur et les mesures objectives qu’il a pu prendre au moment de l’expertise. Il rappelle que l’expertise a eu lieu en octobre 2005 et qu’à ce titre, certains éléments relatés dans son expertise peuvent avoir changé. LA DÉCISION [35] Après analyse, le soussigné constate que les corrections déjà apportées avaient pour but de corriger des faits que le médecin n’avaient pas constatés et qui avaient été rapportés par le demandeur. [36] Toutefois, tel qu’il l’a mentionné lors de l’audience, le D r Racine n’a pas accepté de faire les autres corrections réclamées par le demandeur parce qu’il s’agirait alors de modifier des constatations objectives ou subjectives qui ont été consignées dans son expertise. [37] Il reconnait que le demandeur est insatisfait mais il a été retenu à titre d’expert par la SAAQ. C’est à la demande de cette Société qu’il a posé un regard sur les évaluations antérieures des autres médecins. [38] Dans Dufour c. ministère de la Justice, la Commission avait à décider d’une demande en vue de rectifier des renseignements contenus dans un rapport médical. Cette décision a été rendue en vertu de l’article 89 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 2 mais il s’agit essentiellement du même droit que fait valoir le demandeur en vertu de la Loi sur le privé. Dans cette décision, la Commission écrit 3 : « Nous avons pris connaissance du rapport médical et nous avons lu les demandes de rectification. La plupart des renseignements faisant l’objet des demandes de rectification constituent l’opinion ou la perception de la réalité du médecin […] Même si nous comprenons que la demanderesse puisse reprocher au médecin l’emploi de certains mots ou d’une certaine phraséologie, il faut se rappeler que celui-ci rédige un rapport d’expert et que le contenu sert à soutenir ses conclusions. Il n’y a, par ailleurs, rien d’objectivement 2 L.R.Q., c. A-2.1. 3 [1987] C.A.I. 20.
06 00 88 Page : 7 faux dans le texte. Au contraire, les renseignements contenus sont le reflet nécessairement subjectif de ce qu’a entendu le médecin au cours de l’entrevue en vue de formuler des recommandations à l’organisme. Dans ce contexte, puisque ces renseignements sont transcrits selon la perception qu’en a l’auteur de l’expertise médicale et qu’il ne s’agit pas de faits objectifs vérifiables mais plutôt d’un résumé d’une entrevue, la Commission ne peut intervenir, d’autant plus que plusieurs demandes de rectification portent davantage sur le style du rapport que sur son contenu. » [39] Dans une affaire plus récente, la Commission fait le même constat. Le commissaire Michel Laporte écrit 4 : « L’article 40 du Code civil du Québec et l’article 28 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé permettent une rectification pour des renseignements s’avérant « inexacts, incomplets ou équivoques » : 40. Toute personne peut faire corriger, dans un dossier qui la concerne, des renseignements inexacts, incomplets ou équivoques; elle peut aussi faire supprimer un renseignement périmé ou non justifié par l’objet du dossier, ou formuler par écrit des commentaires et les verser au dossier. La rectification est notifiée, sans délai, à toute personne qui a reçu les renseignements dans les six mois précédents et, le cas échéant, à la personne de qui elle les tient. Il en est de même de la demande de rectification, si elle est contestée. 28. Outre les droits prévus au premier alinéa de l’article 40 du Code civil du Québec, la personne concernée peut faire supprimer un renseignement personnel la 4 X. c. Association québécoise d’aide aux personnes souffrant d’anorexie nerveuse et de boulimie, [2003] C.A.I. 544, 546.
06 00 88 Page : 8 concernant si sa collecte n’est pas autorisée par la loi. Le droit de rectification s’exerce selon les modalités prévues notamment aux articles 42 et 53 de la loi : 42. Toute personne intéressée peut soumettre à la Commission d’accès à l’information une demande d’examen de mésentente relative à l’application d’une disposition législative portant sur l’accès ou la rectification d’un renseignement personnel ou sur l’application de l’article 25. 53. En cas, de mésentente relative à une demande de rectification, la personne qui détient le dossier doit prouver qu’il n’a pas à être rectifié, à moins que le renseignement en cause ne lui ait été communiqué par la personne concernée ou avec l’accord de celle-ci. (L’italique est du soussigné.) Ce droit de rectification doit porter sur des faits précis et vérifiables. Du cas sous étude, M me Fortier-Cyr a déclaré qu’elle n’a rapporté, sous la rubrique « Commentaires », que les propos du demandeur, sans en évaluer la teneur. Elle a également reconnu l’erreur de date. » [40] Appliquant ces propos à la présente affaire, le soussigné ne peut donner suite aux demandes de corrections de l’expertise. [41] Le D r Luc Racine a expliqué que les modifications refusées étaient le résultat de mesures prises avec des instruments, de constatations visuelles objectives et finalement d’évaluations subjectives des séquelles ou des incapacités du demandeur. [42] Cependant, la remarque « G » mérite qu’on y donne suite. Dans son expertise amendée, le médecin écrit : « il ne peut courir ni marcher plus de cinq mètres à cause de douleurs à sa cheville droite ». On le comprendra, le médecin n’a pu constater cela n’ayant assurément pas demandé à son patient de courir plus de cinq mètres dans son bureau.
06 00 88 Page : 9 [43] Cette rédaction est donc le résultat d’une déclaration du demandeur. Or, ce dernier a déclaré à l’audience pouvoir marcher plus de cinq mètres et affirme que le médecin n’aurait pas dû écrire cette mention. [44] Le demandeur précise qu’il peut marcher plus de cinq mètres mais qu’il ne peut courir. [45] Le 4 e paragraphe de la section « examen subjectif » de l’expertise amendée du 18 mai 2006 devrait être corrigé pour en retirer les mots « ni marcher », de façon à dissiper toute ambiguïté dans l’esprit du demandeur et dans celui de tout lecteur appelé à prendre connaissance de cette expertise. [46] En ce qui concerne les remarques Q, T, U, AB, AC et AE, le demandeur réclamait qu’un autre médecin expert se penche sur chacun de ces éléments. La Commission n’a aucune juridiction en ces matières et il appartiendra au demandeur d’assurer le suivi de son dossier personnel. [47] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [48] ACCUEILLE partiellement la demande d’examen de mésentente formulée par le demandeur; [49] ORDONNE à l’entreprise et au D r Luc Racine de modifier la 5 e ligne du 4 e paragraphe de la section « Examen subjectif » de l’expertise amendée du 18 mai 2006 pour en retirer les deux mots « ni marcher » pour qu’elle se lise dorénavant comme suit : « Il ne peut courir plus de cinq mètres à cause de douleurs à sa cheville droite. » dans les trente (30) jours de la réception de la présente décision. [50] REJETTE la demande de rectification du demandeur quant au reste. JEAN CHARTIER Commissaire
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