Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 05 14 29 Date : Le 11 décembre 2006 Commissaire : M e Jean Chartier X Demandeur c. BCP LTÉE Entreprise DÉCISION L’OBJET DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . [1] Le 30 juin 2005, le demandeur s’adresse à l’entreprise en vue de lui présenter deux demandes rédigées comme suit : Demande # 1 : En vertu de l’article 27 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, je désire avoir accès aux originaux de tous les documents contenant des renseignements personnels me concernant 1 L.R.Q., c. P-39.1, ci-après appelée « Loi sur le privé ».
05 14 29 Page : 2 soit la totalité de mon dossier d’employé et plus particulièrement les documents en rapport avec mon dossier médical. Demande # 2 : De plus, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, je vous demande de me justifier l’utilisation ou la communication des renseignements personnels me concernant notamment auprès de votre procureur M. [X] et de la Sergente-détective Luce Viens pour ne nommer que ceux-là. [2] N’ayant obtenu aucune réponse, le demandeur transmet à la Commission d’accès à l’information (la Commission) le 4 août 2005, une demande de révision dans laquelle il reprend les deux demandes précitées. [3] Une audience est tenue, à Montréal, le 17 octobre 2006 en présence des parties. LE CONTEXTE [4] Le demandeur a été à l’emploi de l’entreprise entre septembre 1994 et juillet 1996. Il a quitté volontairement ses fonctions au sein de l’entreprise pour poursuivre sa carrière au sein d’une autre agence de publicité, et a, depuis ce temps, continué à œuvrer dans ce domaine. [5] Dans la foulée des travaux de la « Commission Gomery » les relations entre les parties se sont détériorées au point où elles s’affrontent maintenant devant les tribunaux de droit commun. LA PREUVE i) De l’entreprise [6] La procureure de l’entreprise dépose, en début d’audience, une décision de cette Commission sous la signature du commissaire Michel Laporte, rendue le 6 avril 2005 dans le dossier 04 18 55 opposant les mêmes parties.
05 14 29 Page : 3 [7] Elle attire l’attention du soussigné sur l’objet de la demande indiqué au paragraphe 1 de cette décision, qui se lit comme suit : « Le 4 novembre 2004, le demandeur s’adresse à BCP ltée (« l’Entreprise ») pour obtenir une copie de son dossier d’employé et, plus spécifiquement, tout son dossier de nature médicale. Il ajoute qu’il veut de l’Entreprise la justification de « […] l’utilisation ou la communication des renseignements personnels me concernant notamment auprès des gens des médias et des représentants du parlement fédéral plus particulièrement pour la période de janvier à juin 2004. » (Le premier souligné est du soussigné.) [8] La procureure de l’entreprise réfère également au paragraphe 5 de la décision qui se lit comme suit : « À l’audience du 15 mars 2005, les parties reconnaissent que le demandeur a déjà reçu une copie de son dossier d’employé. Elles admettent alors que le seul objet demeurant en litige consiste à déterminer si l’Entreprise détient l’endos du formulaire daté du 27 juillet 1995, intitulé « Demande de prestations d’assurance salaire » (pièce E-1). Elles acceptent également le dépôt des documents suivants : » [9] On le constate, la « demande # 1 » dans la présente affaire est libellée de façon identique à celle du 4 novembre 2004, sauf que le demandeur réclame maintenant d’avoir accès aux originaux de tous les documents. [10] La procureure de l’entreprise dépose aussi à la Commission une copie de trois procédures engagées par le demandeur, devant la Cour supérieure, dans lesquelles il réclame des dommages-intérêts, notamment pour atteinte à sa réputation à l’encontre de 15 défendeurs différents. [11] Elle ajoute que sa cliente s’interroge sur les motivations du demandeur à réclamer de nouveau les documents faisant partie de son dossier médical puisqu’il admet lui-même, dans les procédures mentionnées précédemment, avoir reçu une copie de son dossier médical.
05 14 29 Page : 4 [12] Elle explique que la jurisprudence de la Commission a déterminé que l’employeur n’a pas l’obligation de donner accès aux originaux des documents de ses employés. Elle considère que le demandeur a déjà eu l’ensemble de la documentation réclamée sous forme de copies et que sa demande du 30 juin 2005 est répétitive et vexatoire. [13] Dans sa « demande # 2 », le demandeur veut obtenir la justification par l’entreprise de l’utilisation ou de la communication de renseignements personnels le concernant, à son procureur et à un membre du Service de police de la Ville de Montréal. [14] À l’encontre de cette demande, la procureure de l’entreprise invoque le paragraphe 2 de l’article 39 de la Loi sur le privé en expliquant que la réponse de sa cliente pourrait avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l’une ou l’autre des parties a un intérêt. [15] La lettre du demandeur du 30 juin 2005 contient également des reproches fondés sur des dispositions de la Loi sur le Barreau 2 et du Code de déontologie des avocats 3 . Ces reproches ne devraient pas, selon l’entreprise, être pris en compte par la Commission dans la présente décision, considérant que celle-ci n’a pas juridiction pour appliquer ces dispositions. ii) Du demandeur [16] Le demandeur admet être engagé dans des procédures judiciaires, non pas contre l’entreprise, mais contre son dirigeant, M. Yves Gougoux. Il reconnaît à l’audience avoir reçu copie de la totalité de son dossier d’employé. [17] Il maintient toutefois sa demande en précisant qu’il veut récupérer de façon définitive son dossier personnel auprès de son ex-employeur ajoutant qu’il en est même rendu à se demander si son dossier personnel n’aurait pas été communiqué à une autre entreprise liée à BCP Ltée, en l’occurrence la firme Publicis Canada inc. En effet, le demandeur dépose une lettre datée du 16 décembre 2004 portant l’en-tête de la firme Publicis et signée par M. Yves Gougoux en sa qualité de président du conseil et chef de la direction. Cette lettre, qui a été écrite dans le cadre d’un dossier opposant le demandeur à la firme Publicis Canada inc. (devant cette Commission), est rédigée comme suit : « Suite à votre lettre du 13 décembre 2004, vous trouverez en annexe des présentes, copie du dossier d’employé de 2 L.R.Q., c. B-1. 3 R.R.Q., c. B-1, R.1.
05 14 29 Page : 5 monsieur [A… R…], dont l’original demeurera dans nos filières. » [18] Selon le demandeur, cette lettre démontre que son dossier personnel semble se multiplier dans les entreprises liées à BCP Ltée et cela est un motif additionnel pour en obtenir communication. LA DÉCISION [19] On le comprend aisément, le contexte des querelles judiciaires impliquant les deux parties n’a pas facilité l’échange de documents ou de bons procédés entre celles-ci. Toutefois, la Commission le dit en tout respect, les droits reconnus aux individus et aux entreprises dans la Loi sur le privé ne devraient pas être utilisés pour d’autres fins que celles pour lesquelles ils ont été instaurés par le législateur. La Commission croit qu’il est important de préciser la portée et l’objet des dispositions de cette loi tant pour les personnes que pour les entreprises. Ainsi, les articles 1, 13 et 27 de cette loi précisent : 1. La présente loi a pour objet d'établir, pour l'exercice des droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil du Québec en matière de protection des renseignements personnels, des règles particulières à l'égard des renseignements personnels sur autrui qu'une personne recueille, détient, utilise ou communique à des tiers à l'occasion de l'exploitation d'une entreprise au sens de l'article 1525 du Code civil du Québec. Elle s'applique à ces renseignements quelle que soit la nature de leur support et quelle que soit la forme sous laquelle ils sont accessibles : écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre. La présente loi ne s'applique pas à la collecte, la détention, l'utilisation ou la communication de matériel journalistique, historique ou généalogique à une fin d'information légitime du public. 13. Nul ne peut communiquer à un tiers les renseignements personnels contenus dans un dossier qu'il détient sur autrui ni les utiliser à des fins non pertinentes à l'objet du dossier, à moins que la personne concernée n'y consente ou que la présente loi le prévoit. 27. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit, à la demande de la personne concernée, lui en confirmer l'existence et lui donner
05 14 29 Page : 6 communication des renseignements personnels la concernant. [20] Ainsi, toute personne peut détenir et conserver des renseignements personnels sur autrui à l’occasion de l’exploitation d’une entreprise. En contrepartie, chaque individu a le droit d’obtenir d’une entreprise la communication de son dossier et de tout renseignement personnel que l’entreprise détient à son sujet. Cette dernière doit les communiquer sur demande et s’assurer, sauf exception, qu’elle ne les communique pas à des tiers à des fins autres que celles permises par la loi. [21] La preuve a démontré que ce n’est pas la première fois que le demandeur exige de l’entreprise la communication de son dossier. Or, dans le dossier 04 18 55, la décision du commissaire Laporte du 10 mai 2005 indique : « À l’audience du 15 mars 2005, les parties reconnaissent que le demandeur a déjà reçu une copie de son dossier d’employé. […] ». [22] Il semble donc que la Commission s’apprête à statuer sur le même objet. [23] Le demandeur indique toutefois que la présente demande vise plutôt à obtenir les « ORIGINAUX » des documents. Or, ni la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 4 , ni la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 5 , ne prévoient la possibilité pour la personne intéressée d’obtenir les originaux des documents réclamés. [24] La Commission en a ainsi décidé dans l’affaire X c. Bélair Direct, compagnie d’assurance 6 dans laquelle elle avait à décider du droit d’un assuré de réclamer la communication des originaux détenus par son assureur : « La commission souligne toutefois que la Loi sur le secteur privé ne confère pas à une personne le droit de recevoir des documents originaux. La demande du 17 octobre 2001, en ce qu’elle visait la remise de l’original des factures, n’était pas, comme tel, recevable en vertu de cette loi : 4 L.R.Q., c. A-2.1. 5 Précitée. 6 [2002] C.A.I. 312.
05 14 29 Page : 7 33. L'accès aux renseignements personnels contenus dans un dossier est gratuit. Toutefois, des frais raisonnables peuvent être exigés du requérant pour la transcription, la reproduction ou la transmission de ces renseignements. La personne qui exploite une entreprise et qui entend exiger des frais en vertu du présent article doit informer le requérant du montant approximatif exigible, avant de procéder à la transcription, la reproduction ou la transmission de ces renseignements. La Commission comprend que la preuve démontre que le demandeur avait reçu copie des factures fournies par lui à l’entreprise; force est de constater que l’entreprise s’est ainsi conformée à son obligation de donner communication de ces renseignements. » [25] Réitérant sa demande afin d’obtenir les originaux des documents, le demandeur exprime le désir de faire expertiser le document intitulé « Demande de prestation d’assurance salaire » dans le cadre des procédures judiciaires qu’il a engagées en Cour supérieure. [26] La communication d’un document dans le cadre d’une procédure judiciaire peut être obtenue selon des exigences et des conditions prévues au Code de procédure civile 7 qui gouverne le déroulement de la procédure des instances devant les tribunaux judiciaires du Québec. [27] Le juge Jean-Pierre Sénécal a reconnu les juridictions complémentaires de la Commission d’accès et de la Cour supérieure en ces matières 8 : « Dans le cas où une entreprise du secteur privé refuse à une personne l’accès à son dossier ou une copie de celui-ci, ce sont les articles 42 et 43 de la Loi sur le secteur privé qui s’appliquent. Ils disposent que : 42. Toute personne intéressée peut soumettre à la Commission d’accès à 7 L.R.Q., c. C-25, art. 331.6. 8 Monette c. Westbury Canadienne Compagnie d’assurance-vie et Association d’assurances du Barreau Canadien, [1999] C.A.I. 550; Général accident compagnie d’assurance du Canada c. Danny Ferland et Commission d’accès à l’information, [1997] C.A.I. 446.
05 14 29 Page : 8 l’information une demande d’examen de mésentente relative à l’application d’une disposition législative portant sur l’accès ou la rectification d’un renseignement personnel ou sur l’application de l’article 25. 43. Lorsque la mésentente résulte du refus d’acquiescer à une demande ou d’une absence de réponse dans le délai accordé par la loi pour répondre, la personne concernée doit la soumettre à la Commission dans les 30 jours du refus de la demande ou de l’expiration du délai pour y répondre à moins que la Commission, pour un motif raisonnable, ne la relève du défaut de respecter ce délai. Cela dit, la Commission d’accès à l’information n’a pas un rôle exclusif. La Cour supérieure a tous les pouvoirs nécessaires à la bonne marche des procédures et de l’instance dans le cadre des règles de procédure prévues au Code de procédure civile, par exemple en matière d’interrogatoires, de subpoenas, de production de documents, etc. […] ». [28] Considérant ce qui précède, la Commission estime que la « demande # 1 » du demandeur a déjà fait l’objet d’une décision et que le demandeur a déjà obtenu la totalité de son dossier. Si la Commission devait plutôt considérer qu’il s’agit d’une nouvelle demande visant les « ORIGINAUX » des documents, cette demande doit également être refusée au demandeur. [29] En ce qui concerne la « demande # 2 », elle est libellée de façon similaire à celle qui avait été soumise au commissaire Laporte. Le demandeur ne réclame ni la communication d’un document détenu par l’entreprise, ni la confirmation de l’existence de renseignements personnels le concernant, ni la rectification de tels renseignements détenus par l’entreprise. Il réclame que l’on justifie la communication des renseignements personnels le concernant qui aurait été faite, sans son consentement, à des tiers. Or, la Commission n’a pas une telle juridiction, du moins pas dans le cadre d’une demande d’examen de mésentente dont la portée est limitée à ce qui est énoncé à l’article 42 de la Loi sur le privé.
05 14 29 Page : 9 [30] Loin de cautionner l’utilisation et la communication des renseignements personnels concernant le demandeur à des tiers, « si cela a été le cas », le soussigné n’a pas juridiction pour se pencher sur cet aspect de la demande. [31] Ajoutons que le demandeur n’a fait aucune preuve pour démontrer la communication des renseignements personnels le concernant. [32] Cette deuxième demande doit également être rejetée. [33] La procureure de l’entreprise a invoqué l’application de l’article 39 paragraphe 2 de la Loi sur le privé pour ne pas donner suite à cette demande de « justification » du demandeur. Cette disposition prévoit : 39. Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement : 1° de nuire à une enquête menée par son service de sécurité interne ayant pour objet de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions à la loi ou, pour son compte, par un service externe ayant le même objet ou une agence d'investigation ou de sécurité conformément à la Loi sur les agences d'investigation ou de sécurité (chapitre A-8); 2° d'avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l'une ou l'autre de ces personnes a un intérêt. [34] Le soussigné comprend mal la prétention de l’entreprise. Le demandeur lui reproche d’avoir communiqué à des tiers des renseignements personnels le concernant, alors qu’elle n’en a pas le droit. Le demandeur ne réclame pas la communication d’un renseignement personnel le concernant. De plus, cette disposition ne vise pas la situation présente puisque BCP Ltée est une personne morale qui n’est pas partie aux procédures judiciaires déposées par l’entreprise. Le paragraphe 2 de l’article 39 ne trouve donc pas application à la présente affaire. [35] La procureure de l’entreprise a également fait valoir que la demande d’examen de mésentente présentée par le demandeur était manifestement abusive ou frivole et faite de mauvaise foi. Elle demandait en conséquence à la Commission de refuser ou de cesser d’examiner cette affaire ou de lui donner l’autorisation de ne pas tenir compte de telles demandes, conformément aux articles 46 et 52 de la Loi sur le privé : 46. Une personne qui exploite une entreprise et détient des renseignements personnels sur autrui peut demander à
05 14 29 Page : 10 la Commission de l'autoriser à ne pas tenir compte de demandes manifestement abusives par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique ou de demandes qui, de l'avis de la Commission, ne sont pas conformes à l'objet de la présente loi. 52. La Commission peut refuser ou cesser d'examiner une affaire si elle a des motifs raisonnables de croire que la demande est frivole ou faite de mauvaise foi ou que son intervention n'est manifestement pas utile. [36] La Commission n’entend pas donner suite à cette demande parce que le but recherché par le demandeur était d’obtenir les « ORIGINAUX » des documents réclamés. [37] Le demandeur n’étant pas avocat, il pouvait difficilement connaître tous les moyens qui s’offraient à lui afin d’obtenir la communication d’un document. Pour ces mêmes raisons, la Commission ne considère pas que la demande était frivole ou faite de mauvaise foi. [38] Quoiqu’il en soit, la Commission conclut que le demandeur a déjà obtenu copie de son dossier d’employé et plus particulièrement des documents en rapport avec son dossier médical. Il ne peut obtenir la communication des documents originaux. Quant à l’utilisation ou la communication des renseignements personnels le concernant, aucune preuve n’a été faite et la Commission n’a pas juridiction pour statuer sur la justification réclamée par le demandeur. [39] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [40] REJETTE la demande d’examen de mésentente du demandeur. JEAN CHARTIER Commissaire M e Catherine Mandeville McCarthy Tétrault Procureure de l’entreprise
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.