Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 05 18 72 Date : Le 11 décembre 2006 Commissaire : M e Jean Chartier X Demandeur c. VILLE DE MONTRÉAL Organisme DÉCISION L'OBJET DEMANDE DE RÉVISION en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Le 2 septembre 2005, le demandeur présente une demande à l’organisme en vue d’obtenir des renseignements et des documents. Cette demande était libellée comme suit : « Suite à la fausse arrestation dont a été victime le soussigné dans la soirée du 11 octobre 2004, il est essentiel de connaître l’identité de celui qui avait la tête 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « Loi sur l’accès ».
05 18 72 Page : 2 rasée et qui prenait place à la place du passager dans le char de police, ainsi que de l’identité de celui qui chauffait ledit char de police. Il est essentiel de départager les deux identités. De plus, veuillez fournir : 1- copie de la directive de Duchesneau à l’effet qu’un flic du SPVM doit s’adresser à un citoyen à la deuxième personne du pluriel en tout temps 2- copie de la directive du SPVM à l’effet que lorsqu’un char de police circule à contresens de la circulation ou brûle un feu rouge, les gyrophares dudit char de police doivent être allumés 3- nom de la plaignante, ainsi que son adresse […]. » [2] Le 19 septembre 2005, l’organisme transmet un accusé réception de la demande et avise le demandeur d’un délai additionnel de dix (10) jours pour lui répondre, conformément à la Loi sur l’accès. [3] Le 30 septembre 2005, une réponse est transmise au demandeur par M. Jean-Guy Gagnon, responsable de l’accès à l’information au Service de police de l’organisme. Après avoir donné certaines réponses aux interrogations du demandeur, l’organisme l’avise qu’il refuse de lui fournir l’information réclamée au point (3) de sa demande (soit le nom et les coordonnées de la plaignante) au motif qu’il s’agit de renseignements nominatifs protégés par l’article 53 de la Loi sur l’accès. [4] Le 5 octobre 2005, le demandeur adresse à la Commission d’accès à l’information (la Commission) une demande de révision de la réponse de l’organisme. [5] Une audience a lieu à Montréal le 29 novembre 2006 et le demandeur indique maintenir sa demande seulement en ce qui concerne le point (3) de celle-ci. Il se désiste des deux autres demandes contenues dans la lettre du 2 septembre 2005. [6] La seule demande qui reste en litige est la suivante : 3- nom de la plaignante, ainsi que son adresse […].
05 18 72 Page : 3 LE CONTEXTE [7] Le demandeur raconte que le 11 octobre 2004, il a fait l’objet d’une arrestation dans un quartier résidentiel de la Ville de Montréal. Cette arrestation a été effectuée par deux policiers du Service de police de l’organisme, après une plainte d’une citoyenne qui aurait « vu quelqu’un rôder près de certaines automobiles […]. » Le demandeur a été arrêté sur la foi des indications de la plaignante qui avait signalé cette situation. Appelée sur les lieux, la plaignante aurait mentionné par la suite que le demandeur n’était pas la personne visée. Le demandeur n’a pas apprécié être l’objet d’une arrestation qu’il ne méritait pas. Il veut obtenir l’identité et les coordonnées de la plaignante dans le but de faire valoir ses droits devant d’autres instances. LA PREUVE i) De l'organisme [8] Le procureur de l’organisme soutient qu’il ne peut divulguer les renseignements réclamés compte tenu du caractère impératif de l’article 53 de la Loi sur l’accès. Les renseignements demandés sont des renseignements nominatifs puisqu’ils concernent une personne physique et permettent de l’identifier. Ils sont en conséquence confidentiels. [9] Questionné par le soussigné, le procureur de l’organisme soutient que l’article 59 de la Loi sur l’accès ne lui permettrait pas de divulguer ces renseignements même si un « rapport de police a été rempli suite aux événements racontés par le demandeur. » Selon le procureur, le paragraphe 9 du deuxième alinéa de l’article 59 de la Loi sur l’accès ne permet pas de révéler l’identité d’une personne impliquée dans un événement ayant fait l’objet d’un rapport de police s’il s’agit « d’un dénonciateur ». Or, la plaignante qui a alerté les policiers doit être considérée comme « un dénonciateur » au sens de la Loi sur l’accès. ii) Du demandeur [10] Selon le demandeur, l’organisme a toute la latitude pour lui communiquer les renseignements demandés. En effet, l’article 59 de la Loi sur l’accès comporte à son deuxième alinéa le texte suivant : 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée.
05 18 72 Page : 4 Toutefois, il peut communiquer un tel renseignement sans le consentement de cette personne, dans les cas et aux strictes conditions qui suivent : […]. (Les caractères gras sont du soussigné.) [11] Considérant que le législateur utilise le mot « peut », c’est qu’il a voulu laisser la « discrétion » à l’organisme de divulguer, dans certaines circonstances, ce genre de renseignements. S’appuyant sur la décision La Cité de Côte Saint-Luc c. Canada Iron Foundries Ltd 2 , le demandeur prétend que la Charte des droits et libertés de la personne 3 a préséance sur la Loi sur l’accès et qu’en vertu des articles 4 et 49 de cette Charte, il a le droit d’obtenir les renseignements demandés. Il assure à la Commission qu’il n’entretient « aucun dessein obscur ou aucun désir de vengeance » à l’endroit de la plaignante. Mais il tient à faire valoir ses droits devant d’autres instances. Il a donc besoin d’obtenir l’identité de cette personne qui l’aurait injustement dénoncé. LA DÉCISION [12] Le demandeur ayant réduit sa demande au point (3) de sa lettre du 2 septembre 2005, les seuls renseignements recherchés sont « le nom de la plaignante, ainsi que son adresse » qui l’aurait dénoncé auprès des autorités policières de l’organisme. [13] Ces renseignements sont, sans l’ombre d’un doute, des renseignements nominatifs tels que le précisent les articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès (tels qu’ils se lisaient à la date de la demande) : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants : 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une 2 [1970] C.A. 62. 3 L.R.Q., c. C-12.
05 18 72 Page : 5 ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. [14] Le demandeur ne réclame pas seulement le nom, il ajoute à sa demande l’adresse de la plaignante. L’article 56 de la Loi sur l’accès stipule : 56. Le nom d'une personne physique n'est pas un renseignement personnel, sauf lorsqu'il est mentionné avec un autre renseignement la concernant ou lorsque sa seule mention révélerait un renseignement nominatif concernant cette personne. [15] Or, puisqu’aucune preuve n’a été faite tendant à démontrer que la divulgation des renseignements demandés a été autorisée par la personne qu’ils concernent, ceux-ci sont en conséquence confidentiels. [16] Le demandeur prétend que l’organisme a un pouvoir « discrétionnaire » et que l’exercice judicieux de ce pouvoir lui permet ou lui impose d’accéder à sa demande. La décision qu’il nous produit « La Cité de Côte Saint-Luc c. Canada Iron Foundries Ltd » affirme que le mot « peut » comporte parfois, selon le contexte, un caractère impératif. Selon l’argument du demandeur, l’organisme aurait le devoir de communiquer les renseignements demandés. L’article 59 de la Loi sur l’accès stipule : 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. Toutefois, il peut communiquer un tel renseignement sans le consentement de cette personne, dans les cas et aux strictes conditions qui suivent : 1° au procureur de cet organisme si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi que cet organisme est chargé d'appliquer, ou au Procureur général si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi applicable au Québec; 2° au procureur de cet organisme, ou au Procureur général lorsqu'il agit comme procureur de cet organisme, si le renseignement est requis aux fins d'une procédure
05 18 72 Page : 6 judiciaire autre qu'une procédure visée dans le paragraphe 1 o ; 3° à une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi applicable au Québec; 4° à une personne à qui cette communication doit être faite en raison d'une situation d'urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne concernée; 5° à une personne qui est autorisée par la Commission d'accès à l'information, conformément à l'article 125, à utiliser ce renseignement à des fins d'étude, de recherche ou de statistique; 6° (paragraphe abrogé); 7° (paragraphe abrogé); 8° à une personne ou à un organisme, conformément aux articles 61, 67, 67.1, 67.2, 68 et 68.1; 9° à une personne impliquée dans un événement ayant fait l'objet d'un rapport par un corps de police, lorsqu'il s'agit d'un renseignement sur l'identité de toute autre personne qui a été impliquée dans cet événement, sauf s'il s'agit d'un témoin, d'un dénonciateur ou d'une personne dont la santé ou la sécurité serait susceptible d'être mise en péril par la communication d'un tel renseignement. (Les caractères gras sont du soussigné.) [17] La décision précitée de la Cour d’appel a été rendue dans un contexte différent et bien avant que la Loi sur l’accès ne soit adoptée. Même si la Commission donnait suite à l’argument soulevé par le demandeur, il n’en demeure pas moins que le paragraphe 9 du deuxième alinéa de l’article 59, par les mots « sauf s’il s’agit d’un témoin, d’un dénonciateur … », exclut que l’organisme communique ce renseignement dans ces cas. [18] Tel que le mentionne le procureur de l’organisme, le législateur a voulu protéger trois catégories de personnes impliquées dans un événement ayant fait l’objet d’un rapport par un corps de police. Considérant le texte de l’article 59, l’organisme n’avait ici aucune discrétion et devait refuser la communication des renseignements demandés.
05 18 72 Page : 7 [19] Finalement, le demandeur a fait valoir son droit à obtenir réparation pour les dommages qu’il a subis au cours des événements du 11 octobre 2004. Il a invoqué les articles 4 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne en précisant que ces dispositions avaient un caractère supralégislatif et prépondérant sur la Loi sur l’accès. Il importe de les citer : 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. [20] Bien que ces dispositions constatent le droit du demandeur à réclamer éventuellement une « juste réparation » pour les dommages qu’il dit avoir subis, elles sont tout à fait compatibles avec les articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès qui donnent aux renseignements demandés un caractère confidentiel 4 . [21] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [22] REJETTE la demande de révision du demandeur. JEAN CHARTIER Commissaire M e Paul Quézel Procureur de l'organisme 4 Suzanne McNamara c. Ville de Saint-Lambert, [1989] C.A.I. 354.
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