Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 05 15 51 Date : 27 octobre 2006 Commissaire : M e Jean Chartier DÉCISION L'OBJET DEMANDE DE RÉVISION en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels [1] Le 12 août 2005, la demanderesse transmet à l’organisme une demande d’accès dont l’objet est le suivant : 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « Loi sur l’accès ». X Demanderesse c. MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES PARCS Organisme FERME MARQUIS S.E.N.C. Tierce partie 1 .
05 15 51 Page : 2 « Suite à notre récente conversation téléphonique, je demande l’accès à l’information sur les détails de l’avis de projet déposé par la Ferme Marquis Senc. en regard à la modification en droit d’exploitation. » [2] Ayant eu l’occasion, lors d’une conversation téléphonique, de faire préciser la demande, l’organisme, par sa répondante régionale de l’accès aux documents en accuse réception le 16 août 2005, en précisant à la demanderesse la nature des documents requis : 1. Un avis de projet daté du 31 juillet 2002, 3 pages. 2. Un bilan de phospore – Avis de projet daté du 31 juillet 2002, 5 pages. [3] L’organisme répond à la demanderesse qu’il lui faut consulter le tiers afin d’obtenir ses commentaires et savoir s’il s’objecte à la communication des documents réclamés. [4] À la même date, soit le 16 août 2005, la répondante régionale de l’organisme en matière d’accès aux documents, écrit à la tierce partie en vue de l’aviser de la demande des deux documents précités. [5] Le 19 août 2005, le représentant de la tierce partie répond à l’organisme et exprime son consentement à ce que certains renseignements contenus au document intitulé « Avis de projet » soient communiqués à la demanderesse mais il s’objecte à la communication du document intitulé « Bilan de phosphore – Avis de projet ». [6] Le 22 août 2005, l’organisme avisait la demanderesse de la réponse du tiers en joignant à l’envoi, une copie du document intitulé « Avis de projet » dont certains renseignements étaient biffés et en avisant la demanderesse du refus de la communication du deuxième document intitulé « Bilan de phosphore – Avis de projet ». L’organisme avise cette dernière de ses recours devant la Commission d’accès à l’information (la Commission). [7] Le 29 août 2005, la demanderesse transmet une demande de révision à la Commission. L’AUDIENCE LA PREUVE i) De l'organisme
05 15 51 Page : 3 [8] La procureure de l’organisme fait entendre L.J.M., agronome et copropriétaire de la tierce partie. Le témoin déclare qu’il exploite depuis 1975 un élevage de bovins dont la production est destinée à la viande de boucherie. Le témoin explique qu’en vertu des règles régissant cette industrie, telles qu’édictées par l’organisme, les déjections animales doivent être entreposées par les propriétaires d’exploitations agricoles de façon à ne pas contaminer ou autrement affecter l’environnement. Le témoin explique en outre que le fumier produit par les animaux faisant partie de son élevage est notamment composé de phosphore, polluant dont la dispersion dans l’environnement fait l’objet de normes, de règles et de contrôle de la part de l’organisme auprès des producteurs agricoles. [9] Les quantités de phosphore à éliminer, l’épandage de celui-ci sur les terres agricoles dont elle est propriétaire ou locataire, le nombre de têtes de bétail sont quelques-unes des informations contenues sur ces documents produits par les exploitants agricoles et que recherche la demanderesse. [10] Le témoin indique connaître la demanderesse depuis 1974. La résidence de la mère de la demanderesse est voisine de la tierce partie. Il explique avoir toujours eu d’excellentes relations avec celle-ci jusqu’en 2002, année au cours de laquelle les relations se sont détériorées. À cette époque, le témoin a été sollicité par un voisin dont la citerne servant à entreposer les déjections animales d’un élevage de porcs était endommagée. [11] Le témoin a alors accepté de recevoir du lisier de porc dans sa citerne pour une période d’approximativement trois semaines, de façon à laisser le temps au voisin de réparer ses équipements. [12] Durant cette période, il est vrai que des odeurs désagréables ont pu être dégagées et être source de désagréments pour la demanderesse. Selon le témoin, cette dernière a, depuis cette date, fait preuve « d’acharnement » envers les représentants de la tierce partie. [13] Le témoin a ensuite poursuivi son témoignage « ex parte » tel que le permet l’article 20 des Règles de preuve et de procédure 2 de la Commission qui stipule : 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. 2 L.R.Q., c. A-2.1, r.2.
05 15 51 Page : 4 [14] Le témoin a alors déposé le document intitulé « Bilan de phosphore – Avis de projet » soumis par son entreprise en date du 31 juillet 2002. Ce dernier explique à la Commission qu’il ne consent pas à ce que les sections 2.3, 2.4, 2.5, 2.6, 3.1, 3.3, 3.4, 5, 7.1, 7.3, 7.4, 8 et 9 soient divulguées à la demanderesse pour les motifs suivants. Il explique qu’à titre de propriétaire d’une exploitation agricole, faisant l’élevage de bovins, les déjections animales récupérées doivent être éliminées. La façon habituelle pour un producteur agricole de se débarrasser de ces déjections animales est d’en faire l’épandage sur les terres qu’il possède ou dont il fait la location; étant entendu que cet épandage doit être autorisé. L’organisme s’assure que chacune des exploitations agricoles qui reçoit cet épandage n’en reçoit que la capacité qu’elle est capable d’absorber. [15] En conséquence, l’exploitation agricole qu’il dirige doit parfois procéder à la location de terres auprès des propriétaires environnants. Cette location se fait contre rémunération et selon les lois du marché. Cela signifie que certaines informations contenues au bilan de phosphore, si elles étaient connues, pourraient avoir une influence sur la loi de l’offre et de la demande et faire grimper les prix de location de terres de la région. Selon le témoin, considérant que la capacité d’épandage de son exploitation agricole est limitée et qu’elle peut différer selon l’étendue des terres qu’il possède ou dont il fait la location, les renseignements requis par la demanderesse s’ils devaient être communiqués, pourraient avoir un effet sur la rentabilité de son entreprise. [16] L’organisme fait également témoigner M. Nicolas Lehoux, coordonnateur au secteur agricole à l’emploi de l’organisme. Il reconnaît le document intitulé « Bilan de phosphore – Avis de projet » de la tierce partie. Il en explique le contenu de même que les annotations et indique qu’il est à sa connaissance que les agriculteurs louent, pour certains sur une base annuelle, des terres auprès des propriétaires voisins en vue de les utiliser pour faire de l’épandage. Selon ce dernier, certains locateurs profitent de cette situation en exigeant plus d’argent lorsqu’ils sont informés d’un besoin plus pressant ou plus urgent de l’exploitant agricole qui les sollicite. [17] L’organisme fait entendre Y. M., le fils de L.J.M. et copropriétaire de la tierce partie. Ce dernier indique connaître également la demanderesse et sa famille. Il décrit une rencontre s’étant déroulée entre lui et la demanderesse le 2 août 2006, au cours de laquelle cette dernière aurait tenu des propos forts désagréables à son endroit et l’aurait menacé. Ce dernier témoignage aura eu bien peu de pertinence en ce qui concerne l’examen de la présente affaire, sauf pour convaincre la Commission du mauvais état des relations entre les parties.
05 15 51 Page : 5 ii) De la demanderesse [18] La demanderesse, qui a requis d’être présente à l’audience par lien téléphonique souligne à la Commission qu’elle n’a pas de connaissance particulière dans le domaine agricole. Bien que reconnaissant avoir tenu les propos ci-haut relatés par Y. M., elle prétend que les relations se sont envenimées entre les parties suite à une « fraude » dont la tierce partie aurait été l’auteure aux dépens de sa mère et qui n’a aucun rapport avec la présente demande d’accès. [19] Contre-interrogée par la procureure de l’organisme, la demanderesse termine son témoignage de façon abrupte en mettant un terme à la communication. Le soussigné communique alors avec cette dernière de façon à reprendre l’audience mais n’obtient aucune réponse. Les parties ont été autorisées à faire part de leurs prétentions par écrit dans les semaines qui ont suivi. iii) Représentations écrites des parties [20] Selon l’organisme, la preuve démontre que la demanderesse ne porte aucun intérêt réel aux documents dont elle a demandé la communication et ses démarches ne visent qu’à causer des problèmes à la tierce partie. Sa demande est frivole et faite de mauvaise foi. La Commission devrait en conséquence cesser d’examiner cette affaire conformément à ce que prévoit l’article 137.2 de la Loi sur l’accès. [21] Si la Commission ne considère pas la demande frivole, l’organisme prétend que la divulgation des renseignements demandés risquerait de procurer un avantage appréciable à une autre personne ou de nuire de façon substantielle à la compétitivité de la tierce partie, sans son consentement. [22] Selon l’organisme, les intentions qui animent la demanderesse lui font croire qu’elle utilisera ces renseignements pour nuire aux activités de celle-ci et il lui sera alors facile de le faire en communiquant les renseignements obtenus à des compétiteurs. [23] La demanderesse souligne qu’elle a subi les inconvénients causés par les odeurs durant tout un été et non durant trois semaines comme le prétend la tierce partie. Elle soutient que sa demande n’a rien de frivole et qu’elle désire l’information sur l’état exact de la situation environnementale qui pourrait être créée par les quantités de phosphore libérées dans l’environnement par la tierce partie.
05 15 51 Page : 6 LA DÉCISION A. LA DEMANDE EST-ELLE FRIVOLE ET FAITE DE MAUVAISE FOI ? [24] La preuve de l’organisme a fait longuement état des mauvaises relations qui existent actuellement entre la demanderesse et les représentants de la tierce partie. La demanderesse quant à elle soutient réclamer la communication des documents demandés tant à titre de citoyenne concernée par les questions de protection environnementale qu’à titre de voisine de l’exploitation agricole de la tierce partie. [25] Quelle que soit l’importance des désagréments que dit subir la demanderesse, la Commission n’a aucune juridiction pour s’immiscer dans le règlement de ces querelles. Cette preuve secondaire qui démontre les mauvaises relations entre les parties est-elle suffisante pour convaincre la Commission que la demande est frivole ou faite de mauvaise foi ? L’article 137.2 de la Loi sur l’accès stipule : 137.2. La Commission peut refuser ou cesser d'examiner une affaire si elle a des motifs raisonnables de croire que la demande est frivole ou faite de mauvaise foi ou que son intervention n'est manifestement pas utile. [26] Qu’en est-il du sens qu’il faut donner au terme frivole ? Le dictionnaire Le Petit Larousse illustré définit le mot « frivole » comme « Qui a peu de sérieux ou d’importance ». Considérant les désagréments subis par la demanderesse et admis par la tierce partie, la demande n’apparaît pas « sans importance ». La tierce partie craint également l’usage que pourrait faire la demanderesse de ces documents. [27] Or, dans une affaire où un organisme prétendait que la demande était abusive et de mauvaise foi, la Commission écrit 3 : « […] Il n’y a donc pas lieu de prendre en compte l’utilisation éventuelle des documents. Si une telle utilisation s’avérait malicieuse, la question pourrait alors être portée devant un tribunal compétent. C’est la nature d’un document qui en détermine l’accessibilité, dans le respect des renseignements nominatifs et des autres dispositions impératives de la Loi sur l’accès. » 3 Gilles Lemieux c. Commission scolaire catholique de Sherbrooke, [1996] C.A.I. 240.
05 15 51 Page : 7 [28] Considérant les faits mis en preuve dans la présente affaire, le soussigné n’est pas convaincu que la demande d’accès présentée par la demanderesse est frivole. Bien qu’elle ait pu commettre des excès de langage dans ses relations avec la tierce partie, la Commission considère que la demanderesse avait un intérêt sérieux à faire une telle demande. De même, l’usage qu’elle pourrait faire des documents réclamés ne doit pas être considéré par la Commission. B. LES RENSEIGNEMENTS DEMANDÉS SONT-ILS ACCESSIBLES ? [29] La preuve de l’organisme constituée des témoignages de L.J.M. et de M. Nicolas Lehoux démontre que la divulgation des renseignements contenus dans les documents réclamés pourrait avoir pour effet de procurer un avantage aux exploitations agricoles environnantes, compétiteurs de la tierce partie et ainsi nuire de façon substantielle à la compétitivité de la tierce partie. [30] L’article 24 de la Loi sur l’accès stipule : 24. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement fourni par un tiers lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver une négociation en vue de la conclusion d'un contrat, de causer une perte à ce tiers, de procurer un avantage appréciable à une autre personne ou de nuire de façon substantielle à la compétitivité de ce tiers, sans son consentement. [31] Le soussigné considère que la divulgation des renseignements contenus dans les documents pourrait faire en sorte que les besoins de la tierce partie soient connus des propriétaires des terres agricoles environnantes qui pourraient ainsi moduler en conséquence le prix de location ou de vente de ces terrains, au détriment de la compétitivité de la tierce partie. [32] Même le représentant de l’organisme, coordonnateur au secteur agricole, qui n’a aucun intérêt personnel dans la présente affaire, confirme les dires du représentant de la tierce partie en ce qui concerne la concurrence entre les divers propriétaires de terres agricoles quant au prix exigé pour permettre l’épandage des déjections animales. En conséquence, l’organisme ne peut communiquer ces renseignements. [33] Le soussigné a pu examiner les deux documents réclamés par la demanderesse, soit un document de deux pages intitulé « Avis de projet » et un document de cinq pages intitulé « Bilan de phosphore – Avis de projet ». Sur chacun de ces documents, l’organisme a surligné les renseignements qu’il consent à transmettre.
05 15 51 Page : 8 [34] Quant au premier document intitulé « Avis de projet », le représentant de la tierce partie a fait part de son consentement à transmettre les trois pages du document à la demanderesse. Cette transmission devait être faite dans les dix (10) jours de l’audience et la Commission en ordonnera la transmission, si ce n’est déjà fait. [35] En ce qui concerne le deuxième document intitulé « Bilan de phosphore – Avis de projet », l’organisme consent à communiquer les renseignements contenus à la page 1 ainsi qu’à la section 2.2 de la page 2 de ce document et s’objecte quant au surplus. Après analyse, la Commission considère que les autres sections contiennent des renseignements que l’organisme ne peut communiquer conformément à l’article 24 de la Loi sur l’accès sans le consentement de la tierce partie. Ce consentement a été valablement refusé. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : PREND ACTE du consentement de la tierce partie de communiquer intégralement le document intitulé « Avis de projet » et portant l’estampille de l’organisme en date du 1 er août 2002; ORDONNE à l’organisme de transmettre à la demanderesse le document intitulé « Avis de projet » du 1 er août 2002 et la page 1 de 5 ainsi que la section 2.2 de la page 2 de 5 du document intitulé « Bilan de phosphore – Avis de projet » portant l’estampille de l’organisme en date du 1 er août 2002, dans les trente jours de la date de réception de la présente décision; REJETTE la demande de révision de la demanderesse pour le reste. JEAN CHARTIER Commissaire M e Isabelle Demers Chamberland Gagnon (Justice-Québec) Procureure de l'organisme
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