Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 04 19 78 Date : Le 27 octobre 2006 Commissaire : M e Christiane Constant X Demanderesse c. MINISTÈRE DE LA JUSTICE Organisme DÉCISION LE LITIGE DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS À DES RENSEIGNEMENTS NOMINATIFS, selon les termes de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la Loi sur l’accès). 1 L.R.Q., c. A-2-1.
04 19 78 Page : 2 [1] Le 25 novembre 2004, par l’intermédiaire de M e Frédérick-Hugo Lafortune du cabinet d’avocats Pepper & Associés, la demanderesse requiert de M e Andrée Giguère du bureau du Sous-ministre du ministère de la Justice (l’Organisme) une copie d’un rapport d’enquête rédigé à la suite d’une plainte de nature criminelle portée par sa cliente au nom de son fils mineur. [2] M e Lafortune ajoute que cette demande vise notamment « […] les rapports de police, les correspondances et als. » Le dossier comportant les documents recherchés serait en possession du substitut du procureur général du Québec. [3] Le 16 décembre 2004, l’Organisme, par l’intermédiaire de M. Pierre Dion, responsable de l’accès, refuse à la demanderesse l’accès aux documents en litige, indiquant que le 1 er paragraphe de l’article 119 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents 2 (la Lsjpa) confère une discrétion à l’Organisme de donner à la victime de l’infraction visée par le dossier accès aux renseignements contenus dans les dossiers qu’il détient. Il lui refuse également l’accès en vertu du 9 e paragraphe du 2 e alinéa de l’article 59 de la Loi sur l’accès, pour les motifs mentionnés dans la réponse. [4] Insatisfaite, la demanderesse sollicite l’intervention de la Commission d'accès à l'information (la Commission) afin que soit révisée la décision de l’Organisme. L’AUDIENCE [5] L’audience de la présente cause se tient à Montréal, le 3 octobre 2005, en présence de la demanderesse et de l’Organisme, celui-ci étant représenté par M e Marc J. Champagne du cabinet d’avocats Bernard, Roy (Justice-Québec). Précisions [6] M e Champagne précise qu’outre les motifs de refus d’accès invoqués par l’Organisme dans sa réponse, celui-ci invoque également l’article 48 de la Loi sur l’accès, tel qu’il sera démontré par M. Dion au cours de son témoignage. 2 L.R.C., 2002 c.1.
04 19 78 Page : 3 LA PREUVE A) DE L’ORGANISME Témoignage de M. Pierre Dion [7] Interrogé par M e Champagne, M. Dion déclare qu’il est responsable de l’accès au sein de l’Organisme depuis 1998. Il affirme avoir reçu la demande d’accès que M e Lafortune a fait parvenir à ce dernier au nom de la demanderesse. [8] Il indique qu’il a requis le dossier du bureau du substitut du procureur général et procédé à l’examen des documents qui s’y trouvent. Il a constaté que ce dossier a été constitué par des policiers ayant mené une enquête policière à la suite d’une infraction qui permettrait au substitut du procureur général d’entreprendre des recours de nature criminelle contre un ou des individus en vertu de la Lsjpa. [9] Il fait de plus remarquer que l’article 116 de la Lsjpa permet au substitut du procureur général de donner à la victime d’une infraction accès à son dossier. Celle-ci peut en faire la demande selon les termes de l’article 119 de cette loi. [10] Il ajoute par ailleurs que le dossier contient notamment un rapport d’événement et des documents émanant de divers corps policiers. Des renseignements réfèrent à l’identité d’individus visés au 9 e paragraphe du 2 e alinéa de l’article 59 de la Loi sur l’accès. Il a donc utilisé le pouvoir discrétionnaire conféré par le législateur à l’Organisme pour refuser à la demanderesse l’accès aux documents recherchés. [11] Il dépose, sous le sceau de la confidentialité, les documents en litige répartis en trois catégories, à savoir : a) le dossier comportant les documents du substitut du procureur général; b) le dossier d’enquête provenant de la Régie intermunicipale de police de la Rivière-du-Nord avec des documents émanant de divers autres organismes; c) le dossier comportant une opinion juridique relativement au cas impliquant le fils de la demanderesse. Il invoque, pour la première fois à l’audience, l’article 48 de la Loi sur l’accès comme motifs de refus aux documents mentionnés aux points a) et b).
04 19 78 Page : 4 [12] Quant à l’opinion juridique mentionnée au point c) ci-dessus mentionné, il invoque l’article 31 de la Loi sur l’accès. De plus, il précise que la majeure partie des documents et renseignements recueillis émanent de la Régie intermunicipale de police de la Rivière-du-Nord, en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants 3 . Cette dernière a été remplacée par la Lsjpa. Il souligne que l’infraction a été commise dans la municipalité de Saint-Hippolyte relevant de ce corps de police. Une vidéocassette contenant les déclarations du fils mineur de la demanderesse et d’autres individus a été enregistrée par ce corps de police. Une photocopie de la couverture de cette vidéocassette est également déposée sous le sceau de la confidentialité. [13] Il ajoute que d’autres documents proviennent de la Sûreté du Québec (la SQ), du Service de police de Longueuil, etc. Il réfère de plus à chaque document et indique la provenance ou l’auteur de celui-ci. Par exemple, dans le dossier d’enquête, l’on y trouve des documents émanant de l’Hôpital Sainte-Justine, du Centre universitaire de santé McGill, du Syndic du Collège des médecins, du Commissaire à la déontologie policière et de la Cour du Québec, district de Laval (chambre de la jeunesse). Quant aux documents émanant du Centre de psychologie Gouin, ils se trouveraient dans le dossier de cette Cour. Il indique de plus qu’un document portant l’en-tête de l’Armée du Salut contient des noms d’individus et des notes personnelles. Témoignage de la demanderesse [14] La demanderesse affirme que tous les documents décrits par M. Dion au cours de son témoignage sont en sa possession. Il lui manquerait cependant ceux émanant de l’Armée du Salut et du Service de police de Ville de LaSalle. Elle confirme que son fils a fait une déclaration à la Régie intermunicipale de police de la Rivière-du-Nord, par le biais d’une vidéocassette. Il relate les incidents qui se sont produits durant « son séjour au camp d’été du lac L’Achigan de l’Armée du Salut ». [15] Elle affirme également qu’elle a formulé une demande auprès de la SQ afin d’avoir accès à un sac de couchage, mais la réponse a été négative. [16] J’interviens pour informer la demanderesse qu’elle devrait formuler une demande de révision auprès de la Commission, puisque la présente cause ne vise pas la SQ. 3 L.R., 1985, c. Y-1.
04 19 78 Page : 5 [17] Elle se dit étonnée du volumineux dossier déposé à l’audience, puisqu’elle et son fils n’ont rencontré les policiers qu’à deux reprises seulement. [18] Par ailleurs, la demanderesse pose des questions à M. Dion visant plusieurs renseignements. Celui-ci répond séante tenante. LES ARGUMENTS Article 48 de la Loi sur l’accès [19] Résumant le témoignage de M. Dion, M e Champagne fait remarquer que celui-ci peut invoquer même tardivement l’article 48 de la Loi sur l’accès, ce dernier étant impératif, conformément, entre autres, à l’affaire Lévesque c. Commission scolaire Taillon 4 , lorsque la Cour du Québec indique : À cet égard, cependant, une jurisprudence bien établie de la Commission et de la Cour du Québec oblige la Commission à appliquer les dispositions de la loi possédant un caractère impératif, comme cela peut être le cas lorsqu’il s’agit de protéger des renseignements nominatifs (art. 53) ou des renseignements prévus aux articles 23, 24, 28 ou 48 de la loi. Article 31 de la Loi sur l’accès [20] M e Champagne réfère au témoignage de M. Dion eu égard à l’opinion juridique émise par le substitut du procureur général relativement aux événements impliquant le fils de la demanderesse. Il a utilisé son pouvoir discrétionnaire de ne pas porter d’accusation de nature criminelle contre un ou des individus. Il plaide que cette opinion juridique est visée par l’article 31 de la Loi sur l’accès. Il commente à cet effet l’affaire Québec (Ministère de la Sécurité publique) c. Joncas 5 , lorsque la Cour du Québec indique notamment : La Commission devrait même souligner d’office la restriction prévue l’article 31 de la Loi lorsqu’il est mis en preuve qu’une opinion juridique est considérée par l’organisme comme étant une opinion à caractère confidentiel. 4 [1993] C.A.I. 142. 5 J.E. 99-1653 (C.Q.).
04 19 78 Page : 6 La Loi sur l’accès [21] M e Champagne argue par ailleurs qu’en vertu de l’article 168 de la Loi sur l’accès, cette dernière a préséance sur les autres lois. Il fait remarquer cependant qu’il s’agit des lois québécoises. Il précise de plus qu’une loi québécoise ne peut pas avoir prépondérance sur une loi relevant de la compétence fédérale. [22] Il indique par ailleurs que, selon la preuve recueillie, le responsable de l’accès a décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire, selon les termes du 9e paragraphe du 2 e alinéa de l’article 59 de la Loi sur l’accès, de refuser de communiquer à la demanderesse, par exemple, l’identité d’un individu qui serait considéré comme suspect dans l’événement impliquant le fils de cette dernière. Cet article est conciliable, en partie, avec la Lsjpa, lorsque la Commission mentionne, dans la décision Boucher c. Lachenaie (Ville de) 6 : À chaque fois que la Loi sur l’accès oblige l’organisme à protéger ou à divulguer les renseignements qu’il détient dans le dossier en litige, elle le fait en application de dispositions inconciliables avec l’article 44.1 (5) L.J.C., qui octroie au corps de police l’entière discrétion de les rendre accessibles à la victime. Seul le paragraphe 9 du deuxième alinéa de l’article 59 est conciliable, en partie, avec cette disposition de la Loi sur les jeunes contrevenants. En effet, en principe, l’organisme peut, à sa discrétion, divulguer à une personne impliquée dans un événement ayant fait l’objet d’un rapport par un corps de police, comme par exemple la victime, les renseignements concernant l’identité de toute autre personne qui a été impliquée dans cet événement, comme par exemple, le suspect ou le complice. La Lsjpa [23] M e Champagne plaide que l’Organisme était fondé à invoquer la Lsjpa comme motif de refus aux documents recherchés par la demanderesse. À cet effet, il réfère à l’article 42 de la Loi sur les jeunes contrevenants qui prévoit un régime complet d’accès aux dossiers d’une personne mineure, tel qu’il est mentionné dans la décision V. c. Ville de Longueuil 7 . 6 [2000] 258, 262. 7 [1987] C.A.I. 115.
04 19 78 Page : 7 DÉCISION [24] Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’accès applicables à la présente cause sont les suivantes : Les articles 47 et 48 de la Loi sur l’accès 47. Le responsable doit, avec diligence et au plus tard dans les vingt jours qui suivent la date de la réception d'une demande: 4° informer le requérant que sa demande relève davantage de la compétence d'un autre organisme ou est relative à un document produit par un autre organisme ou pour son compte; 48. Lorsqu'il est saisi d'une demande qui, à son avis, relève davantage de la compétence d'un autre organisme public ou qui est relative à un document produit par un autre organisme public ou pour son compte, le responsable doit, dans le délai prévu par le premier alinéa de l'article 47, indiquer au requérant le nom de l'organisme compétent et celui du responsable de l'accès aux documents de cet organisme, et lui donner les renseignements prévus par l'article 45 ou par le deuxième alinéa de l'article 46, selon le cas. Lorsque la demande est écrite, ces indications doivent être communiquées par écrit. [25] Au 4 e paragraphe du 1 er alinéa de l’article 47 ci-dessus mentionné, le législateur exige du responsable de l’accès d’un organisme d’informer un demandeur d’accès qu’il ne détient pas le document recherché dans le délai légal qui y est prévu. Il doit de plus fournir à celui-ci le nom de l’Organisme et celui du responsable de l’accès afin que le demandeur puisse formuler sa demande, en vertu de l’article 48 ci-dessus mentionné. [26] Dans le cas sous étude, il est évident que le responsable de l’accès n’a pas fourni à la demanderesse, dans le délai légal requis, les noms des organismes et les coordonnées des responsables de l’accès auprès desquels elle peut formuler ses demandes. [27] Cependant, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence établie par la Cour du Québec et par la Commission exige que les restrictions à caractère impératif, notamment celles prévues à l’article 48 de la Loi sur l’accès, doivent être
04 19 78 Page : 8 respectées, conformément aux affaires English c. Centre hospitalier de l’Hôtel-Dieu de Gaspé 8 et Lévesque c. Commission scolaire Taillon 9 . [28] J’en arrive à la conclusion que le responsable de l’accès était fondé à invoquer même tardivement les dispositions législatives prévues à l’article 48 de la Loi sur l’accès. Il a alors invité la demanderesse à s’adresser notamment aux divers organismes et responsables de l’accès, dont les coordonnées sont inscrites dans la liste (pièce O-1 précitée) qu’il a produite à l’audience. L’article 31 de la Loi sur l’accès 31. Un organisme public peut refuser de communiquer une opinion juridique portant sur l'application du droit à un cas particulier ou sur la constitutionnalité ou la validité d'un texte législatif ou réglementaire, d'une version préliminaire ou d'un projet de texte législatif ou réglementaire. [29] Le substitut du procureur général, M e Sonia Paquet, émet trois opinions juridiques portant sur l’application du droit au cas particulier, eu égard aux incidents impliquant le fils de la demanderesse. Elle y fait ressortir des éléments précis et indique les motifs détaillés pour lesquels elle considère que des accusations de nature criminelle ne seront pas portées contre un ou des individus. [30] Je considère donc que l’article 31 de la Loi trouve application dans la cause sous étude. [31] Quant aux autres documents se trouvant dans le dossier du substitut du procureur général, ils représentent de la correspondance échangée entre des procureurs. Ils sont donc protégés par le secret professionnel en vertu de l’article 9 de la Charte des droits des droits et libertés de la personne 10 . [32] Le 9 e paragraphe du 2 e alinéa de l’article 59 de la Loi sur l’accès se lit comme suit : 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement personnel sans le consentement de la personne concernée. Toutefois, il peut communiquer un tel renseignement sans le consentement de cette personne, dans les cas et aux strictes conditions qui suivent: 8 [1991] C.A.I. 385. 9 Précitée, note 4. 10 L.R.Q., c. C-12.
04 19 78 Page : 9 […] 9° à une personne impliquée dans un événement ayant fait l'objet d'un rapport par un corps de police ou par une personne ou un organisme agissant en application d'une loi qui exige un rapport de même nature, lorsqu'il s'agit d'un renseignement sur l'identité de toute autre personne qui a été impliquée dans cet événement, sauf s'il s'agit d'un témoin, d'un dénonciateur ou d'une personne dont la santé ou la sécurité serait susceptible d'être mise en péril par la communication d'un tel renseignement. [33] L’Organisme a exercé son pouvoir discrétionnaire et a refusé de communiquer à la demanderesse les noms des personnes et d’un témoin ou d’un dénonciateur impliqués dans les incidents liés à son fils mineur, selon les termes du 9 e paragraphe du 2 e alinéa de l’article 59 de la Loi sur l’accès précité. La Commission ne peut donc pas se substituer à cette discrétion, laquelle est propre à l’Organisme, conformément, entre autres, à l’affaire Forte c. Ville de Montréal 11 . L’article 119(1) de la Lsjpa [34] La preuve démontre que le rapport d’enquête en litige est visé par l’article 119 (1) de la Lsjpa. Cette loi, qui prévoit un régime complet d’accès aux dossiers « […] tenus en application des articles 115 et 116 […] », décrit de façon exhaustive (de a à s) les personnes pouvant y avoir accès. [35] Bien que la Loi sur l’accès a prépondérance sur les autres lois, conformément à l’article 168, elle n’a pas d’effet à l’encontre d’une loi relevant du Parlement fédéral : 168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d'une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la présente loi. [36] Je considère qu’en vertu de l’article 119 (1) de la Lsjpa, le droit de la demanderesse pour avoir accès au rapport d’enquête est régi par cet article, de compétence fédérale. [37] Par ailleurs, je retiens du témoignage de la demanderesse que celle-ci affirme avoir en sa possession tous les documents décrits par M. Dion. Il lui manquerait cependant ceux émanant de l’Armée du Salut, de la SQ et du Service de police de Ville LaSalle. 11 [2005] C.A.I. 85.
04 19 78 Page : 10 [38] Sur ce point, il est opportun de rappeler que la présente demande ne vise pas ces organismes ou l’Armée du Salut. La Commission ne peut donc pas statuer sur l’accessibilité ou non des documents détenus par les organismes ci-dessus mentionnés. Elle ne peut non plus statuer sur une demande d’examen de mésentente à l’égard de l’Armée du salut. [39] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : DÉCLARE que l’Organisme était fondé à inviter la demanderesse à s’adresser aux organismes et aux entreprises (pièce O-1) dont les noms et coordonnées ont été mentionnés à l’audience par le responsable de l’accès; REJETTE la demande de révision de la demanderesse contre l’Organisme; FERME le présent dossier. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Bernard Roy (Justice-Québec) (M e Marc J. Champagne) Procureurs de l’Organisme
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