Dossier : 05 11 79 Date : 9 juin 2006 Commissaire : M e Jean Chartier X Demanderesse c. LE CAP, SERVICES PSYCHOLOGIQUES Entreprise DÉCISION L’OBJET DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . [1] En date du 16 juin 2005, la demanderesse s’adresse à la Commission d’accès à l’information (la Commission) pour lui demander de statuer sur une demande de correction qu’elle avait transmise à l’entreprise « Le Cap, services psychologiques » et qui, selon ses prétentions, serait demeurée sans réponse. [2] Dans sa demande originale du 13 mai 2005 transmise à l’entreprise, la demanderesse réclame que soient corrigés des éléments qu’elle affirme être inexacts et qui sont contenus dans un rapport d’expertise psychosociale. Ce rapport a été préparé par l’entreprise, à l’intention de l’honorable Rita Bédard, juge à la Cour supérieure chargée d’entendre le litige entre la demanderesse et 1 L.R.Q., c. P-39.1, ci-après appelée la « Loi sur le secteur privé ».
05 11 79 Page : 2 son ex-conjoint, litige relatif à la garde de leur enfant. Nous reviendrons sur chacune des corrections demandées. [3] Considérant l’absence apparente de réponse de la part de l’entreprise, la demanderesse a transmis une « demande de révision » à la Commission. Bien qu’elle n’en porte pas le nom exact, il n’est pas contesté par les parties que la Commission fait face à une demande d’examen de mésentente prévue à l’article 42 de la Loi sur le secteur privé et qui s’applique à la présente affaire conformément à son article 1 qui stipule : 1. La présente loi a pour objet d'établir, pour l'exercice des droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil du Québec en matière de protection des renseignements personnels, des règles particulières à l'égard des renseignements personnels sur autrui qu'une personne recueille, détient, utilise ou communique à des tiers à l'occasion de l'exploitation d'une entreprise au sens de l'article 1525 du Code civil du Québec. Elle s'applique à ces renseignements quelle que soit la nature de leur support et quelle que soit la forme sous laquelle ils sont accessibles: écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre. La présente loi ne s'applique pas à la collecte, la détention, l'utilisation ou la communication de matériel journalistique, historique ou généalogique à une fin d'information légitime du public. L’AUDIENCE [4] La demanderesse explique à la Commission que suite à ses demandes du 13 mai 2005 et du 16 juin 2005, elle n’a obtenu aucune réponse ni écrite, ni téléphonique de la part de l’entreprise. Selon elle, le document préparé par M me Marie-Claude Boulet, psychologue à l’emploi de l’entreprise, intitulé : « Rapport d’expertise psychosociale » et daté du 25 janvier 2005, aurait été produit au dossier de la Cour supérieure mais n’aurait pas été modifié conformément à sa demande. Elle réitère donc devant la Commission toutes et chacune de ses demandes ci-après analysées. [5] De son côté, l’entreprise fait entendre M me Marie-Claude Boulet, psychologue à son emploi à cette époque, qui a fait les démarches et la rédaction de ce rapport d’expertise psychosociale. Madame Boulet souligne
05 11 79 Page : 3 d’abord que malgré les prétentions de la demanderesse, elle a transmis la lettre reçue de la demanderesse à la juge Rita Bédard, à la Cour supérieure, accompagnée de la lettre rédigée à son intention et dans laquelle elle apportait ses commentaires relativement aux demandes de la demanderesse. Cette lettre, datée du 21 mars 2005, a été déposée sous la cote (O-1). Le témoin indique que cette lettre constitue la position de l’entreprise quant aux divers aspects de la demande et qu’elle maintient sa position explicitée dans la lettre (pièce O-1). [6] Procédant sur chacune des demandes de modification du rapport d’expertise psychosociale préparé par l’entreprise, la demanderesse réclame une première modification en ce qui concerne son âge, tel que relaté au rapport d’expertise psychosociale. À la page deux dudit rapport, à la section intitulée (ANTÉCÉDENTS FAMILIAUX) il est effectivement indiqué que : « Madame est âgée de 33 ans. » [sic] [7] Or, la demanderesse est née le 20 août 1979 et en janvier 2005, époque de la rédaction du rapport d’expertise psychosociale, elle avait vingt-cinq ans et non trente-trois. Elle demande en conséquence que le rapport soit corrigé pour indiquer son âge véritable. [8] Dans la lettre (pièce O-1) transmise à la Cour supérieure, l’entreprise mentionne au point 1 de cette lettre qu’il s’agit d’une erreur de sa part, constatant que la demanderesse a vingt-cinq ans et non trente-trois. [9] La seconde demande de correction de la demanderesse est relative à son rang dans sa famille. À la section dudit rapport intitulée (ANTÉCÉDENTS FAMILIAUX) il est indiqué : « Elle est la deuxième de trois enfants … ». [10] La demanderesse souligne qu’elle est l’aînée de deux enfants et que sa famille n’a jamais compté trois enfants, qu’elle n’a jamais fait une telle déclaration à la psychologue qui a rédigé le rapport et qu’il s’agit d’une erreur. [11] La représentante de l’entreprise souligne que l’information indiquée au rapport d’expertise psychosociale est conforme aux notes manuscrites qu’elle a prises en cours d’entrevue et que pour cette raison, elle ne croit pas qu’il y ait lieu de donner suite à la requête de la demanderesse sur cet aspect. [12] La troisième demande de correction de la demanderesse est libellée comme suit :
05 11 79 Page : 4 « Il est écrit : En avril 2004, la DPJ retire les trois enfants à la mère et la garde de […] est confiée au père. En juin 2004, l’Honorable Yvan Godin j.c.s, confie de façon intérimaire la garde de […] au père, de même que l’Honorable juge Daniel Perreault, j.c.Q, dans l’attente de la déclaration de protection. Il m’est préjudiciable qu’il ne soit pas noté que le DPJ s’est désisté du dossier de […]. Il n’est pas noté non plus que l’honorable juge Perreault a rejeté la requête du DPJ et que mes filles sont revenues à la maison. Et que dans les faits le seul jugement qui tient présentement est celui de l’honorable juge Rita Bédard. C’est une ordonnance de sauvegarde pour valoir jusqu’à jugement sur la requête. Le tribunal : Maintient, de façon intérimaire, la garde de l’enfant […] en faveur de monsieur; Accorde des droits d’accès élargis à madame ... ». (Les caractères gras sont reproduits tels quels.) [13] À ce sujet, la représentante de l’entreprise indique qu’il est noté à trois reprises dans le rapport d’expertise psychosociale que le dossier à la DPJ est fermé et que les filles de madame habitent maintenant avec elle. [14] La quatrième demande de correction de la demanderesse est énoncée comme suit : « Il est écrit : Elle admet que l’été passé elle a pris de la marijuana à tous les soirs. Je crois qu’il m’est préjudiciable de ne pas spécifier que j’ai consommé de la marijuana de façon régulière suite au retrait des enfants, car je ne dormais pas, je ne mangeais pas et je pleurais plus de 60 % du temps et que cette dure période a durée du 29 avril au 4 mai. Par la suite j’ai repris mon suivi avec mon intervenante de la Nacelle pour mettre fin à mon état dépressif. » (Les caractères gras sont reproduits tels quels.)
05 11 79 Page : 5 [15] Dans la lettre (pièce O-1) transmise à l’honorable Rita Bédard, la représentante de l’entreprise écrit qu’il est spécifié au rapport : « qu’elle a consommé de la marijuana à tous les soirs pour l’aider à dormir. Madame ne nous a pas parlé des autres éléments associés à sa consommation de drogues. » [16] Enfin, la dernière correction désirée par la demanderesse stipule : « Je désire que vous détruisiez les éléments inexacts suivants du rapport d’expertise psychosociale : Il est écrit : À partir de l’âge de 7 ans et sur une longue période de temps, elle est victime d’abus sexuel commis par un grand-oncle. Elle est ensuite placée en famille d’accueil. À l’âge de 7 ans j’ai été victime d’attouchement sexuel par un grand-oncle à une seule reprise. Je n’ai jamais été en famille d’accueil. De plus, je ne vois pas l’intérêt que le père de ma fille et tous les avocats soient au courant de ce fait et je trouve que cette information dépasse le secret professionnel. Je tiens à mentionner que je n’ai pas donné mon consentement pour que cette information circule. » (Les caractères gras sont reproduits tels quels.) [17] La représentante de l’entreprise explique que la demanderesse a signé un formulaire de consentement éclairé attestant qu’elle est d’accord pour participer à l’expertise et qu’elle renonce au secret professionnel. En ce qui concerne sa demande de rectification relative au geste commis par le grand-oncle et au placement en famille d’accueil, le témoin de la défenderesse atteste que ces informations ne sont que la reproduction de ses notes manuscrites prises en cours d’entrevue. Soutenant qu’elles sont conformes aux réponses données par la demanderesse, le témoin de l’entreprise croit qu’il n’y a pas lieu de donner suite à cette demande de correction de la demanderesse.
05 11 79 Page : 6 DÉCISION [18] En plus de l’article 1 de la Loi sur le secteur privé précité, les dispositions législatives pertinentes à l’étude de la présente affaire sont les suivantes : l’article 40 du Code civil du Québec et les articles 5, 53 et 55 de la Loi sur le secteur privé. 40. Toute personne peut faire corriger, dans un dossier qui la concerne, des renseignements inexacts, incomplets ou équivoques; elle peut aussi faire supprimer un renseignement périmé ou non justifié par l'objet du dossier, ou formuler par écrit des commentaires et les verser au dossier. La rectification est notifiée, sans délai, à toute personne qui a reçu les renseignements dans les six mois précédents et, le cas échéant, à la personne de qui elle les tient. Il en est de même de la demande de rectification, si elle est contestée. 5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d'y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier. Ces renseignements doivent être recueillis par des moyens licites. 53. En cas de mésentente relative à une demande de rectification, la personne qui détient le dossier doit prouver qu'il n'a pas à être rectifié, à moins que le renseignement en cause ne lui ait été communiqué par la personne concernée ou avec l'accord de celle-ci. 55. La Commission a tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa compétence; elle peut rendre toute ordonnance qu'elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider de toute question de fait ou de droit. Elle peut notamment ordonner à une personne exploitant une entreprise de donner communication ou de rectifier un renseignement personnel ou de s'abstenir de le faire.
05 11 79 Page : 7 [19] On constate à la lecture de ces dispositions que le législateur a voulu accorder à « toute personne » le droit de faire corriger dans un dossier qui la concerne des renseignements inexacts, incomplets ou équivoques, et de même accorder à la Commission d’accès à l’information le pouvoir d’ordonner à une personne exploitant une entreprise de rectifier un renseignement personnel. [20] Dans un tel cas, c’est à la demanderesse d’apporter la preuve que le compte rendu des propos qu’elle aurait tenus est inexact 2 . [21] Quoiqu’il en soit du droit reconnu à toute personne de faire corriger dans un dossier qui la concerne des renseignements inexacts ou incomplets, la Commission a reconnu dans des décisions antérieures que le droit à la rectification ne s’applique qu’aux faits précis et vérifiables. Les dispositions précitées n’autorisent pas la Commission à modifier une expertise d’un professionnel : « Il est reconnu que le droit à la rectification ne s’applique qu’aux faits précis et vérifiables. Il n’autorise pas la Commission à modifier une expertise comprenant les commentaires, observations, opinions et diagnostics d’un professionnel … 3 ». [22] Appliqué à la présente affaire, il apparaît évident à la Commission que la première et la deuxième demande de rectification de la demanderesse doivent être accueillies et que les corrections doivent être apportées au rapport d’expertise psychosociale rédigé par la défenderesse en ce qui concerne l’âge de cette dernière au moment où le rapport d’expertise a été produit et en ce qui concerne son rang dans sa famille. [23] Ces renseignements concernent des faits précis et vérifiables qui ne peuvent être mis en doute et qu’il est important de corriger dans un document aussi important qu’un rapport d’expertise psychosociale. [24] Quant à la demande de correction de la demanderesse relative au désistement de la DPJ dans le dossier de sa fille […] et au fait qu’elle assume la garde de ses deux autres filles, la Commission considère qu’il a été prouvé par le témoignage de la psychologue qui a rédigé le rapport que les faits sont correctement décrits. D’ailleurs, la mention à l’effet que ses filles sont revenues à la maison est répétée à plusieurs reprises dans le rapport. 2 L.V. c. Ministère du Travail du Québec, [1990] C.A.I. 318. 3 Guy Bilodeau c. D r Benoît Goulet, [2004] C.A.I. 366.
05 11 79 Page : 8 [25] Quant aux précisions que voudrait voir apporter la demanderesse relativement à sa consommation de marijuana, il semble que ces précisions et ces nuances viennent de la demanderesse. Le commentaire retenu et indiqué au rapport nous apparaît tout à fait en lien avec l’exercice des compétences professionnelles de l’auteure du rapport. En pareille situation, la Commission a maintes fois décidé que si les inscriptions sont de nature subjective et qu’elles sont le résultat d’une analyse, d’une impression, ou d’une appréciation, les incsriptions ne peuvent être modifées 4 . [26] Enfin, la dernière demande de correction vise à préciser que la demanderesse aurait été victime d’attouchement sexuel à une seule reprise, qu’elle n’aurait jamais été en famille d’accueil et qu’on aurait dû requérir son consentement avant que ce genre d’information ne soit mentionnée dans le texte du rapport d’expertise psychosociale. [27] Encore une fois, la représentante de l’entreprise indique que ces faits ont été consignés à son rapport suivant les informations et les notes manuscrites prises en cour d’entrevue, et ce, suite aux réponses de la demanderesse à ces sujets. [28] En ce qui concerne la modification relative à la fréquence des abus sexuels dont la demanderesse aurait été victime et à son placement en famille d’accueil, la Commission considère que la demanderesse s’est déchargée de son fardeau de preuve et qu’elle a fait la démonstration qu’il s’agit là de faits précis et vérifiables. Il apparaît peu concevable que la professionnelle qui a rédigé le rapport d’expertise psychosociale ait pu se tromper sur des faits aussi importants. Questionnée par la Commission pendant l’audience, la représentante de l’entreprise nous mentionne qu’elle n’a fait aucune vérification de façon à s’assurer du placement en famille d’accueil dont elle fait une affirmation si catégorique. De même, elle n’a pas fait de vérifications plus appronfondies sur la fréquence des abus sexuels dont aurait été victime la demanderesse. Vérifications qu’elle aurait pu faire auprès de la mère de cette dernière ou dans les dossiers judiciaires, le cas échéant, ou tout simplement en s’assurant de l’exactitude de tels renseignements auprès de la demanderesse. [29] Dans son témoignage, la demanderesse affirme avec insistance qu’elle n’a jamais été placée en famille d’accueil à aucun moment de sa vie et que l’abus sexuel dont elle aurait fait mention à l’auteure du rapport d’expertise psychosociale serait limité à une seule fois. 4 Dupuis c. L’Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme, [1999] C.A.I. 346.
05 11 79 Page : 9 [30] Ces événements ne nous apparaissent pas de la nature de l’opinion, ils nous apparaissent plutôt comme des faits précis, vérifiables et dont la demanderesse est venue réitérer la précision devant la Commission. [31] Enfin, en ce qui concerne le secret professionnel et la demande relative à la mention des abus sexuels, la psychologue a témoigné que la demanderesse a signé un formulaire de consentement éclairé attestant qu’elle est d’accord pour participer à l’expertise et qu’elle renonce au secret professionnel. Cette affirmation n’a pas été contredite par la partie demanderesse et en conséquence la Commission ne peut en ordonner que la rectification. [32] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE en partie la demande de rectification de la demanderesse; PREND ACTE que la représentante de l’entreprise accepte de rectifier l’âge de la demanderesse pour inscrire au rapport « 25 ans »; ORDONNE à l’entreprise de corriger le rapport d’expertise psychosociale produit le 25 janvier 2005 pour y apporter les correctifs suivants : À la page deux, pour indiquer que la demanderesse « est l’aînée de deux enfants »; Pour retrancher à la même page deux, les mots : « et sur une longue période de temps » pour y préciser plutôt qu’elle a été victime d’un seul abus sexuel; Modifier le même paragraphe pour y retrancher les mots « elle est ensuite placée en famille d’accueil »; ORDONNE à l’entreprise de procéder à ces modifications dans les trente (30) jours et de transmettre à la demanderesse ainsi qu’à l’honorable Rita Bédard, juge à la Cour supérieure, un rapport d’expertise psychosociale modifié conformément à la présente décision; REJETTE quant au reste la demande de rectification. JEAN CHARTIER Commissaire
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.