Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 05 15 29 Date : Le 11 avril 2006 Commissaire : M e Diane Boissinot X Demanderesse c. MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES PARCS Organisme DÉCISION OBJET : DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS formulée en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Le 27 juin 2005, la demanderesse s’adresse à la responsable de l’accès de l’organisme (la Responsable) afin d’obtenir une copie des documents suivants : « Pourcentage d’aires protégées au Québec (décembre 2004) ainsi que la présentation PowerPoint concernant le registre des aires protégées (décembre 2004) ». [2] Le 8 juillet suivant, la Responsable répond ce qui suit : Les deux documents cités en rubrique ne peuvent vous être accessibles, et ce, en vertu des articles 14, 37 et 39 de la [Loi]. 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée la « Loi ».
05 15 29 Page 2 [3] Le 3 août 2005, la demanderesse requiert la Commission de réviser cette décision et une audience se tient en la ville de Québec, le 27 janvier 2006, audience au cours de laquelle les parties sont entièrement entendues. Le délibéré peut dès lors commencer. L’AUDIENCE A LA PREUVE i) De l’organisme Témoignage de monsieur Réal Carpentier [4] Monsieur Carpentier est chef d’équipe à la Direction du patrimoine écologique et des parcs de l’organisme. Il occupe également les fonctions de répondant au sein de cette direction concernant l’accès aux documents de l’organisme. Il a une bonne connaissance du contenu des documents demandés. [5] Dès qu’une demande est reçue par la Responsable, elle est transmise à la direction concernée. Le témoin a donc reçu la demande d’accès en cause et a tout de suite constaté qu’une demande identique avait été traitée au cours du mois de mars 2005. [6] Après s’être assuré qu’aucun fait nouveau ne risquait de modifier la décision précédemment rendue par la Responsable au sujet de cette demande identique, le témoin a transmis les documents en litige au Responsable. Cette dernière a maintenu la position antérieure de l’organisme quant à l’inaccessibilité de ces documents. [7] Le témoin affirme que les seuls documents en litige sont les suivants : 1 Un document de 5 pages intitulé « Pourcentage d’aires protégées au Québec » préparé par monsieur Léopold Gaudreau, de la Direction du patrimoine écologique et des parcs de l’organisme, le 13 décembre 2004, composé des trois chapitres suivants : 1. Contexte 2. Ce que nous apprend l’état actuel du registre et 3. Décisions à prendre. 2 Un document PowerPoint de douze pages intitulé « Le registre des aires protégées, Présenté au Comité directeur le 3 décembre 2004 ».
05 15 29 Page 3 [8] Le témoin ajoute qu’il a consulté son supérieur, monsieur Léopold Gaudreau, l’auteur du premier document en litige, au sujet de l’évolution du processus décisionnel concernant la confection du registre des aires protégées. Ce dernier lui a alors confirmé que ce processus était toujours en cours chez l’organisme. [9] Le témoin précise que le document PowerPoint en litige n’a fait l’objet que d’une seule présentation, savoir celle qui a eu lieu le 3 décembre 2004 au Comité directeur. Témoignage de monsieur Patrick Beauchesne [10] Monsieur Beauchesne est chef de service et remplace, par intérim, monsieur Léopold Gaudreau à la Direction du patrimoine écologique et des parcs de l’organisme. En effet, dit-il, monsieur Gaudreau occupe maintenant le poste de sous-ministre adjoint, Direction générale du développement durable. [11] Monsieur Beauchesne explique la démarche gouvernementale entreprise à la suite du Sommet mondial de la planète terre de Rio en 1992 et de la mise en œuvre des principes de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies, à l’issue desquelles la Loi sur la conservation du patrimoine naturel 2 a été adoptée en 2002. [12] Aux termes de l’article 5 de la LCPN, l’organisme a été chargé de tenir un registre des aires protégées du Québec, savoir un catalogue réunissant toutes les aires protégées du Québec, classifiées en six catégories, chacune des catégories étant assujettie à des critères de gestion spécifiques. Document 1 [13] Monsieur Beauchesne a eu connaissance des circonstances ayant entouré la rédaction du document 1 par monsieur Léopold Gaudreau. [14] Il déclare que monsieur Gaudreau a préparé ce texte à la demande d’un de ses amis, monsieur André Bouchard, professeur titulaire à l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal, alors que ce dernier siégeait à titre de membre commissaire à la Commission d’étude sur la gestion des forêts publiques québécoises (Commission Coulombe). 2 L.R.Q., c. C-61.01, ci-après appelée la « LCPN ».
05 15 29 Page 4 [15] Monsieur Bouchard s’était adressé à titre personnel à son ami Gaudreau afin que ce dernier lui prépare, également à titre personnel, un document susceptible de l’aider à lire certains mémoires que la Commission Coulombe recevait avec un éclairage environnemental en lien avec la notion d’aire protégée. [16] Le témoin Beauchesne affirme que ce document n’a pas été déposé à la Commission Coulombe et que rien de son contenu n’a été retenu par le commissaire Bouchard à l’occasion de sa participation aux travaux de cette Commission. Document 2 [17] Le témoin Beauchesne explique que ce document a été préparé par la Direction du patrimoine écologique et des parcs de l’organisme dans le cadre de ses travaux sur les aires protégées. [18] Il n’a été présenté qu’une seule fois, savoir, au Comité directeur sur les aires protégées. [19] Il explique que ce Comité, composé de quatre sous-ministres adjoints (dont monsieur Léopold Gaudreau) provenant de l’organisme et du ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) et d’un secrétaire, chapeaute l’ensemble des travaux relatifs à la stratégie québécoise sur les aires protégées. [20] Le témoin déclare agir à titre de secrétaire de ce Comité. [21] Il dit que la présentation PowerPoint au Comité est un document qui analyse les différents statuts d’aires protégées au Québec et qui propose des scénarios de travail et des pistes de solution. [22] Il affirme que le Comité n’a pas statué sur les suites à donner aux scénarios de travail et aux pistes de solutions proposés. Le processus décisionnel sur la confection, par l’organisme, du registre des aires protégées ne peut donc être terminé. [23] Monsieur Beauchesne désire témoigner ex parte et à huis clos afin d’expliquer le contenu des documents à la lumière du processus décisionnel. [24] La demanderesse accepte de bonne grâce cette façon de procéder, étant donné les motifs exposés par le témoin et la promesse faite par la Commission
05 15 29 Page 5 de faire reprendre publiquement toute partie de ce témoignage qui aurait pu être livrée en sa présence sans dévoiler les renseignements en litige. [25] Monsieur Beauchesne a ainsi témoigné directement sur le contenu des documents en litige. Aucune partie de ce témoignage ne peut être reprise en public, sauf peut-être les remarques suivantes : • Il s’agit de deux documents d’analyse en vue d’une prise de décision qui présentent, en substance, la même chose, mais sous des formes différentes; et • Le Comité directeur sur les aires protégées est un comité de nature administrative créé conjointement par les deux ministères impliqués. Ce comité n’est pas une entité instituée en vertu d’une loi. ii) De la demanderesse [26] La demanderesse ne présente aucun élément de preuve. B L’ARGUMENTATION i) De l’organisme [27] L’avocate de l’organisme prétend que preuve est faite que le processus décisionnel concernant l’établissement du registre des aires protégées conformément à l’article 5 de la LCPN n’est pas complété et qu’en conséquence, le registre ne peut être confectionné et tenu par l’organisme. [28] Les deux documents contiennent des avis donnés et des recommandations faites par des membres du personnel de l’organisme dans l’exercice de leurs fonctions depuis moins de dix ans dans le but d’influencer les décideurs. Ces avis et recommandations rencontrent les critères établis par la Cour du Québec dans l’affaire Deslauriers 3 pour l’application de l’article 37 de la Loi. [29] L’avocate de l’organisme plaide également que l’examen des deux documents et les témoignages convainquent qu’ils contiennent une analyse élaborée il y a moins de cinq années, à l’occasion de recommandations recherchées par des décideurs dans le but de prendre une décision. Les témoignages ont établi que cette décision n’est pas encore prise. L’avocate soutient donc que le processus décisionnel dont il est question à l’article 39 de la 3 Deslauriers c. Québec (Sous-ministre de la Santé et des services sociaux), [1991] C.A.I. 311 (C.Q.) 320, 321, 322.
05 15 29 Page 6 Loi est toujours en cours et que les autres conditions d’application de cette disposition sont réunies. [30] L’avocate de l’organisme prétend enfin que la substance des deux documents est composée tant d’éléments d’analyse que d’éléments de recommandations, lesquels s’imbriquent les uns dans les autres pour former ensemble des documents entièrement visés par les deux exceptions à la Loi invoquées par la Responsable dans sa décision sous examen, savoir les articles 37 et 39 de la Loi : 37. Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans, par un de ses membres, un membre de son personnel, un membre d'un autre organisme public ou un membre du personnel de cet autre organisme, dans l'exercice de leurs fonctions. Il peut également refuser de communiquer un avis ou une recommandation qui lui ont été faits, à sa demande, depuis moins de dix ans, par un consultant ou par un conseiller sur une matière de sa compétence. 39. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse produite à l'occasion d'une recommandation faite dans le cadre d'un processus décisionnel en cours, jusqu'à ce que la recommandation ait fait l'objet d'une décision ou, en l'absence de décision, qu'une période de cinq ans se soit écoulée depuis la date où l'analyse a été faite. [31] Ainsi, croit-il, la première phrase du deuxième alinéa de l’article 14 de la Loi doit recevoir application pour empêcher totalement la communication de ces documents : 14. Un organisme public ne peut refuser l'accès à un document pour le seul motif que ce document comporte certains renseignements qu'il doit ou peut refuser de communiquer en vertu de la présente loi.
05 15 29 Page 7 Si une demande porte sur un document comportant de tels renseignements, l'organisme public peut en refuser l'accès si ces renseignements en forment la substance. Dans les autres cas, l'organisme public doit donner accès au document demandé après en avoir extrait uniquement les renseignements auxquels l'accès n'est pas autorisé. (J’ai souligné.) ii) De la demanderesse [32] La demanderesse plaide que l’article 5 de la LCPN est clair et confère un caractère public aux informations contenues au registre des aires protégées du Québec tenu par le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs qui exerce depuis peu les fonctions du ministre de l'Environnement prévues à la LCPN 4 . 5. Le ministre tient un registre des différentes aires protégées. Y sont notamment précisés la superficie, la localisation, le ou les statuts de protection, le ministre, l'organisme gouvernemental ou la personne qui en est responsable, ainsi que le classement respectif de ces aires en tenant compte des différentes catégories reconnues par l'Union mondiale pour la nature (UICN). En outre, dans le cas d'une réserve naturelle, le registre contient l'indication du nom et de l'adresse de son propriétaire et, le cas échéant, le nom de l'organisme de conservation partie à l'entente, ainsi que la durée de la reconnaissance ou, le cas échéant, la mention que cette reconnaissance a un caractère perpétuel. Ces renseignements ont un caractère public. 4 Décret 173-2005 du 9 mars 2005, (2005) 137 G.O. 2, 1043.
05 15 29 Page 8 [33] Elle craint que le processus décisionnel relatif à la confection du registre soit instauré de façon permanente et qu’ainsi, le registre ne puisse être jamais accessible, niant en cela le droit du citoyen aux informations auxquelles le législateur a conféré un caractère public. [34] Elle rappelle que le régime d’accès prévu à la LCPN est plus généreux que celui prévu à la Loi sur l’accès et qu’en ce sens l’article 171, paragraphe 1° de la Loi devrait recevoir application ici : 171. Malgré les articles 168 et 169, la présente loi n'a pas pour effet de restreindre : 1° l'exercice du droit d'accès d'une personne à un document résultant de l'application d'une autre loi […], à moins que l'exercice de ce droit ne porte atteinte à la protection des renseignements personnels; 2° […] [35] Elle demande à la Commission de bien examiner si les documents contiennent des avis, des recommandations et des analyses et si ces éléments en forment bien la substance. DÉCISION [36] La preuve et l’examen des documents en litige démontrent qu’ils contiennent, en substance, des avis et recommandations visés par l’article 37 de la Loi ainsi qu’une analyse visée par l’article 39 de la Loi. [37] Par application de la partie plus haut soulignée de l’article 14 de la Loi, je suis d’avis que les deux documents pouvaient être totalement soustraits de l’accès. [38] Je souscris à tous les arguments formulés par l’avocate de l’organisme. [39] Je conclus de plus que le document 1 ayant été rédigé postérieurement au document 2 et reprenant, en substance, les mêmes avis et recommandations que ceux déjà formulés par les membres du personnel de l’organisme dans l’exercice de leurs fonctions, contient, en conséquence, des avis et des
05 15 29 Page 9 recommandations formulés par des membres du personnel de l’organisme dans l’exercice de leurs fonctions. [40] La Responsable était donc justifiée de refuser totalement l’accès aux documents demandés pour les motifs qu’elle a exprimés dans la réponse sous révision. [41] POUR CES MOTIFS, la Commission : REJETTE la demande de révision. DIANE BOISSINOT Commissaire Avocate de l’organisme : M e Mélanie Bertrand (Chamberland Gagnon – Justice Québec)
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