Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 05 11 81 Date : Le 3 avril 2006 Commissaire : M e Diane Boissinot X Demandeur c. LA TUQUE (VILLE DE) Organisme DÉCISION OBJET : DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS formulée en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Le 9 mai 2005, le demandeur écrit au responsable de l’accès de l’organisme (le Responsable) afin d’obtenir une copie du Rapport Racicot sur la direction générale de l’organisme. [2] Le 24 mai suivant, le Responsable refuse de lui communiquer le document demandé en ces termes : 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée la « Loi ».
05 11 81 Page 2 […] nous ne pouvons vous remettre copie du rapport d’enquête produit par M e Jean-Félix Racicot selon l’article 32 de la [Loi] et en respect de la résolution n o 2005-04-117 adoptée le 18 avril 2005 par le Conseil de Ville de La Tuque fixant une clause de confidentialité de trois (3) ans. Donc, ce document ne sera accessible qu’à compter du 18 avril 2008 à moins d’une décision contraire de la Commission d’accès à l’information. [3] Le 20 juin 2005, le demandeur requiert la Commission de réviser cette décision. [4] À cette fin, les parties sont entendues complètement en la Ville de Trois-Rivières, le 25 janvier 2006, date à laquelle le délibéré peut commencer. L’AUDIENCE A. LA PREUVE [5] De consentement avec la partie demanderesse, l’avocat de l’organisme dépose, sous les cotes ci-après indiquées, les documents suivants : O-1 Extrait du procès-verbal de l’assemblée spéciale du Conseil municipal de l’organisme tenue le 20 septembre 2004 concernant la suspension du directeur général, monsieur Daniel Prince; O-2 Extrait du procès-verbal de l’assemblée spéciale du Conseil municipal de l’organisme tenue le 20 septembre 2004 concernant l’octroi du mandat d’enquête administrative (dossier de suspension du directeur général); O-3 Extrait du procès-verbal de l’assemblée régulière du Conseil municipal de l’organisme tenue le 18 avril 2005 reproduisant la résolution numéro 2005-04-117 et ses « attendus » (Finalisation / dossier suspension du directeur général, monsieur Daniel Prince); O-4 Extrait du procès-verbal de l’assemblée spéciale du Conseil municipal de l’organisme tenue le 9 mai 2005 concernant la terminaison du contrat du directeur général; O-5 Copie de l’entente du 9 mai 2005 signée entre l’organisme (tous les membres du conseil de ville), monsieur Daniel Prince et deux membres de sa famille, concernant la terminaison du lien d’emploi de Monsieur Prince; O-6 Communiqué de presse du 9 mai 2005 émis conjointement par l’organisme et monsieur Daniel Prince;
05 11 81 Page 3 O-8 Extrait du procès-verbal de l’assemblée régulière du Conseil municipal de l’organisme tenue le 16 janvier 2006 reproduisant la résolution numéro 2006-01-010 et ses « attendus ». Publication / Rapport M e Racicot (Dossier monsieur Daniel Prince); O-10 Refus exprès de monsieur Daniel Prince à ce que soient divulgués les renseignements le concernant contenus dans le Rapport Racicot en litige; O-11 Liste des nom, prénom et fonctions ou employeur des personnes physiques mentionnées au Rapport Racicot en litige (faisant l’objet de l’interdit de publication émis séance tenante et repris dans le dispositif de la présente décision). Témoignage de monsieur Yves Tousignant [6] Le témoin occupe le poste de Responsable. Il déclare avoir traité la demande d’accès en cause. [7] Il affirme toutefois qu’il a rédigé la décision sous examen sans avoir pu consulter le document en litige, lequel était conservé dans la voûte de l’institution financière avec laquelle l’organisme fait affaire. [8] Ce n’est que tout récemment, durant la semaine précédant l’audition de la présente demande de révision, qu’il a pu consulter le document en litige. Documents en litige [9] Le témoin Tousignant dépose, sous scellé confidentiel, entre les mains de la Commission, le Rapport Racicot en litige ainsi que ses 23 annexes. [10] Le Rapport en litige proprement dit, intitulé « Rapport d’enquête présenté au Conseil municipal de la Ville de La Tuque », a été préparé le 19 janvier 2005 par M e Jean-Félix Racicot (31 pages); il est accompagné de 23 annexes. [11] L’ensemble « rapport et annexes » se présente comme suit : 1 Table des matières (page 1); 2 Introduction adressée au maire et aux membres du conseil de la Ville de La Tuque, le 19 janvier 2005 (pages 2 et 3); 3 Analyse (pages 4 à 27 inclusivement);
05 11 81 Page 4 4 Conclusion et recommandations (pages 28 et 29); 5 Liste des 23 annexes (pages 30 et 31); 6 Annexe 1 à Annexe 23. [12] Outre son consentement au dépôt de la preuve documentaire de l’organisme, le demandeur ne propose lui-même aucun élément de preuve. B. L’ARGUMENTATION i) De l’organisme Renseignements nominatifs en substance [13] L’avocat de l’organisme plaide que le document en litige et ses annexes contiennent, en substance, des renseignements nominatifs concernant des tierces personnes physiques, dont les noms apparaissent à la liste (déposée sous la cote O-11). [14] En effet, il est impossible de lire et de comprendre ce rapport et ses annexes en l’absence des noms de toutes ces personnes. Sans les noms, le rapport est inintelligible. [15] Il soutient donc que par l’application conjuguée des articles 53, 54 et 59 alinéa premier de la Loi, dispositions d’application impérative, et de son article 14, il est interdit à l’organisme de divulguer la totalité du rapport en litige et de ses annexes. Analyse visée par l’article 32 Avis et recommandations visés par l’article 37 [16] L’avocat de l’organisme plaide que le document en litige est visé par ces dispositions. L’ensemble forme une analyse dont la divulgation risquerait d’avoir un effet sur une procédure judiciaire imminente et est composé d’avis et de recommandations formulés par un consultant à la demande de l’organisme depuis moins de dix années.
05 11 81 Page 5 ii) Du demandeur Les renseignements visés sont revêtus d’un caractère public [17] L’avocat du demandeur admet que les renseignements nominatifs doivent rester confidentiels. [18] Il prétend toutefois que cette protection ne s’étend pas aux renseignements d’identité, de fonction ou d’opinion des personnes qui sont membres d’un organisme public. [19] En effet, il soutient que ces derniers renseignements sont revêtus d’un caractère public en vertu des paragraphes 1° et 2° de l’article 57 et de l’article 55 de la Loi. [20] Il estime que les renseignements concernant ces fonctionnaires, leurs identité, opinions et fonctions, sont revêtus d’un caractère public et ils doivent être, en conséquence, accessibles. [21] Il argue que le rapport et ses annexes concernant vraisemblablement, et en majorité, des fonctionnaires, les renseignements les concernant qui sont ainsi accessibles doivent nécessairement en former la substance. [22] Le document en litige serait donc accessible en entier, en application de l’article 14 de la Loi, puisqu’il serait alors composé, en substance de renseignements à caractère public. L’application de l’article 32 de la Loi [23] L’avocat du demandeur prétend qu’il n’y avait aucune possibilité de procédure judiciaire à l’époque où le Responsable a rédigé la réponse sous examen le 24 mai 2005 puisque l’entente intervenue entre l’organisme et monsieur Daniel Prince et certains membres de sa famille, signée le 9 mai 2005, préalablement à cette réponse, contenait une quittance et avait valeur de transaction au sens du Code civil (clause 10 de l’entente O-5). [24] De plus, rien dans la preuve ne laisse supposer que des procédures judiciaires émanant de tierces personnes ou émanant de monsieur Prince contre des tierces personnes étaient imminentes lors de la rédaction de la réponse sous examen.
05 11 81 Page 6 Le retard du motif facultatif de refus basé sur l’article 37 de la Loi [25] L’avocat du demandeur plaide que le Responsable n’a jamais invoqué ce motif de refus dans la réponse sous révision. [26] Il soutient que l’organisme est forclos de soulever ce motif facultatif de refus si tardivement, savoir au cours de la présente audience. L’article 47 de la Loi lui impartit de le faire dans les vingt jours suivant la réception de la demande d’accès. DÉCISION L’application de l’article 32 [27] L’article 32 de la Loi se lit : 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. [28] La preuve me convainc que lors de la rédaction de la réponse sous examen, le 24 mai 2005, il n’y avait pas imminence de procédure judiciaire. En effet, les parties intéressées venaient de renoncer à toute poursuite en consentant, quelques jours avant, soit le 9 mai 2005, à la clause 10 de l’entente de règlement O-5, laquelle clause se lit comme suit : Article 10 – Quittance et transaction Par les présentes, les parties se donnent mutuellement quittance pour toute somme qui pourrait être réclamée de l’une des parties par l’autre, directement et indirectement, en rapport avec les faits ayant fait l’objet de l’enquête administrative et les faits ayant conduit à la terminaison du contrat d’emploi de l’employé. À cette fin, les parties renoncent à toute poursuite ou réclamation en dommages intérêts ou autre, la présente convention liant les parties, les membres du Conseil municipal, les officiers de la ville ainsi que la conjointe et le fils de l’employé, leurs héritiers successeurs et ayants droit. La présente convention constitue une transaction au sens du Code civil du Québec.
05 11 81 Page 7 [29] Il faut se rappeler que la jurisprudence dominante 2 préconise que la Commission, exerçant sa compétence en révision, fasse cet examen en considérant les circonstances existant à l’époque où la décision du Responsable est rendue. [30] Une des conditions permettant l’application de cette disposition n’étant dès lors pas satisfaite, l’organisme n’était pas justifié de refuser l’accès au document en litige pour ce motif. [31] La compétence de la Commission, faut-il le rappeler, s’exerce ici en révision de la décision du Responsable. La Commission ne fait pas un examen de novo. L’application de l’article 37 de la Loi [32] Cette disposition se lit ainsi : 37. Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans, par un de ses membres, un membre de son personnel, un membre d'un autre organisme public ou un membre du personnel de cet autre organisme, dans l'exercice de leurs fonctions. Il peut également refuser de communiquer un avis ou une recommandation qui lui ont été faits, à sa demande, depuis moins de dix ans, par un consultant ou par un conseiller sur une matière de sa compétence. [33] Cette exception à la Loi est d’application facultative. [34] Cette disposition n’a pas été invoquée par le Responsable dans la réponse sous examen. [35] Elle est invoquée par l’avocat de l’organisme lors de l’audition de la présente demande. 2 Lire à ce sujet : Raymond DORAY et François CHARRETTE, Accès à l’information, Loi annotée – Jurisprudence Analyse et commentaires, vol. 1, Cowansville, Éditions Y. Blais, art. 32, paragraphe 32D/1 et suivants.
05 11 81 Page 8 [36] Je suis d’avis que cette disposition, d’application facultative, ne peut plus être invoquée par l’organisme dès que les délais de réponse prévus à l’article 47 de la Loi sont expirés, et ce, pour les raisons et motifs qui suivent. [37] Selon la jurisprudence de la Cour du Québec dans l’affaire Québec (ministère de la Justice) c. Schulze 3 , il est établi que la Commission a la discrétion pour autoriser des nouveaux motifs de refus, mais […] qu’elle doit exercer judicieusement cette discrétion eu égard aux circonstances dans chacun des dossiers […] [38] En l’espèce, l’organisme n’a apporté aucune preuve qui tende à établir des circonstances exceptionnelles qui auraient pu justifier le retard en cause. [39] En l’absence de circonstances exceptionnelles ayant empêché l’organisme de répondre dans les délais impartis par la Loi, l’organisme ne peut donc invoquer le motif facultatif de refus basé sur l’article 37 de la Loi . [40] La Commission peut, sans pour autant refuser d’exercer sa compétence ni l’excéder, si les circonstances le permettent, déclarer qu’un organisme public ne peut invoquer des motifs facultatifs de refus pour les raisons qui suivent. Je rappelle que cette position de la Commission a été confirmée, à l’occasion, par la Cour du Québec qui n’a pas encore atteint l’unanimité sur cette question 4 . [41] Ce qui suit est une autre façon d’exprimer les raisons qui motivent certains commissaires, dont je fais partie, de continuer à déclarer qu’un organisme public ne peut invoquer hors délai des motifs facultatifs de refus basés sur des faits qui existaient pourtant lors de l’examen de la demande, et ce, sans que des circonstances exceptionnelles ne le justifient. [42] L’objet du chapitre II de la Loi est de consacrer et de mettre en œuvre le droit fondamental d’accès aux documents d’un organisme public à toute personne qui le demande. 3 [2000] CAI 413 (C.Q.) 415. 4 Lire aussi Paul Revere , compagnie d’assurance-vie c. Chaîné, [2002] CAI 394 (C.Q.); Société de développement industriel du Québec c. Construction du St-Laurent ltée [1998] CAI 495 (C.Q.) 499; Conseil des assurances de personnes c. Dubord, [1997] CAI 434 (C.Q.) 436; Procureur général du Québec c. Bernier [1991] C.A.I. 378 (C.Q.); English c. Centre hospitalier de l’Hôtel-Dieu de Gaspé, [1991] CAI 385 (C.Q.) 386; Office du crédit agricole du Québec c. Butt, [1988] C.A.I. 104 (C.P.); Office du crédit agricole du Québec c. Talbot, [1989] C.A.I. 157 (C.Q.); Collège Dawson c. Beaudin, [1989] C.A.I. 94 (C.Q.).
05 11 81 Page 9 [43] Comme l’exprime mon collègue, le commissaire Michel Laporte, dans Noël c. Régie des installations olympiques 5 : Le droit à la communication prévu à l’article 9 de la loi est un droit fondamental, impératif et ayant un caractère prépondérant aux termes de l’article 168 de la loi : 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public. […] 168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d'une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la présente loi. [44] Ce droit statutaire fondamental, impératif et prépondérant est toutefois sujet à des exceptions dont certaines sont d’application obligatoire et d’autres d’application facultative. [45] Ainsi, les organismes doivent refuser l’accès à certains documents administratifs (lire, par exemple, les articles 23, 24, 28, 29, 29.1 al. 2, 33, 34). À l’occasion, ils peuvent en refuser l’accès en exerçant une discrétion qui leur est totale (lire les articles 21, 22, 27, 30, 31, 32, 35, 36, 37, 38, 39, 40 et 41). [46] Le terme « doit » est d’ailleurs utilisé par le législateur pour les exceptions à l’accès à caractère impératif et le terme « peut » l’est pour les exceptions à caractère facultatif. [47] Le droit d’accès est un droit fondamental qui n’est certes pas absolu, mais qui crée en principe une obligation tout autant fondamentale, pour l’organisme, de livrer copie des documents demandés. [48] Lorsque le Responsable étudie une demande d’accès, il est, a priori, en position d’exécutant d’une obligation impérative de communiquer le document. [49] Lorsqu’il se tait, ne répond pas ou refuse l’accès, avec ou, malgré l’article 50 de la Loi, sans motif, à l’intérieur du délai imparti par l’article 47 (précité), il crée un événement donnant ouverture à l’intervention de la Commission, en 5 [2001] CAI 376, 387.
05 11 81 Page 10 révision, en vertu de l’article 135 de la Loi. En cas de silence de l’organisme, la loi le considère comme un refus réputé (et non présumé). Cet événement est décrit à l’article 52 de la Loi : 50. Le responsable doit motiver tout refus de donner communication d'un renseignement et indiquer la disposition de la loi sur laquelle ce refus s'appuie. 52. À défaut de donner suite à une demande d'accès dans les délais applicables, le responsable est réputé avoir refusé l'accès au document. Dans le cas d'une demande écrite, ce défaut donne ouverture au recours en révision prévu par la section I du chapitre V, comme s'il s'agissait d'un refus d'accès. 135. Une personne dont la demande écrite a été refusée en tout ou en partie par le responsable de l'accès aux documents ou de la protection des renseignements personnels peut demander à la Commission de réviser cette décision. Une personne qui a fait une demande en vertu de la présente loi peut demander à la Commission de réviser toute décision du responsable sur le délai de traitement de la demande, sur le mode d'accès à un document ou à un renseignement, sur l'application de l'article 9 ou sur les frais exigibles. Ces demandes doivent être faites dans les trente jours qui suivent la date de la décision ou de l'expiration du délai accordé par la présente loi au responsable pour répondre à une demande. La Commission peut toutefois, pour un motif raisonnable, relever le requérant du défaut de respecter ce délai. [50] Lorsque le demandeur exerce le recours prévu à l’article 135 de la section 1 du chapitre V, il demande en fait à la Commission de réviser, entre autres, la décision de l’organisme sur le refus d’exécuter l’obligation de communiquer ce qui a été demandé ou sur le délai de traitement de cette demande.
05 11 81 Page 11 [51] En exerçant sa juridiction en matière de révision, la Commission ne doit pas interpréter la Loi strictement comme le ferait un juriste dans une cause de droit civil pur. Elle interprète un statut qui a la particularité d’être une loi générale prépondérante et d’ordre public. [52] L’organisme n’est pas à proprement parler en « défense » comme on l’entend habituellement devant un tribunal de droit civil, où la forclusion des droits d’un défendeur dans une poursuite en justice est, avec raison, déclarée avec grande circonspection et prudence. [53] L’organisme doit simplement convaincre la Commission du bien-fondé de sa décision de ne pas communiquer un document auquel le demandeur a un droit fondamental d’accès ou de celle de ne pas respecter les délais de traitement de sa demande, par exemple. [54] L’obligation de convaincre du bien-fondé de sa décision ne fait pas de l’organisme un « défendeur » comme dans une action civile. [55] Il est primordial de rappeler ici, suivant en cela les enseignements de la Cour d’appel 6 , que la Commission exerce sa compétence en révision d’une décision d’un responsable de l’accès en appréciant le bien-fondé de cette décision sur la base des faits existant au moment de l’examen qu’en a fait le responsable. [56] Lorsque le refus de communiquer est réputé et que le silence de l’organisme s’accompagne d’une non communication, contrairement à ce que la Loi exige de lui en principe, le demandeur peut se prévaloir de l’ouverture à la révision que la Loi lui accorde. L’organisme doit toutefois voir à ce que les restrictions impératives à la communication ou les interdictions formelles de communiquer soient soulevées devant la Commission, que ces restrictions ou interdictions soient prévues à la Loi ou ailleurs, par exemple à l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne 7 . [57] La Commission doit d’ailleurs soulever d’office la discussion sur ces restrictions impératives ou ces interdictions. 6 Fraternité des chauffeurs d’autobus. Opérateurs de métro et employés des services connexes au transport de la CTCUM c. Tremblay, (1981) CA 157; Fraternité des policiers-pompiers de La Pocatière c. Ville de La Pocatière, CAI n° 87 04 27 Montréal, le 25 août 1988, commissaire Thérèse Giroux; Cinq-Mars c. CARRA, [1986] CAI 187; J. c. Commission scolaire Jacques-Cartier, (1984-86) 1 CAI 82; Dufour c. Commission scolaire Beauport, [1986] CAI 194. 7 L.R.Q., c. C-12, ci-après appelé la « Charte ».
05 11 81 Page 12 [58] Permettre à l’organisme de soulever tardivement des motifs facultatifs de refus, qu’il était possible de soulever lors de la préparation de la réponse sous révision, ouvre finalement la porte à l’invocation par l’organisme public, en tout temps, même durant l’audience, d’un nombre supplémentaire significatif de ces restrictions à l’accès, modifiant par le fait même la décision sous révision. [59] Cette façon de faire serait difficilement conciliable avec l’exercice de la compétence de la Commission en révision. Le rôle de la Commission en révision se verrait alors transformé en examen de novo. Ce faisant, la Commission outrepasserait sa compétence, comme je l’ai souligné plus haut. [60] Dans ces conditions, l’exercice du droit d’accès fondamental, impératif et prépondérant du demandeur deviendrait presque dérisoire alors que l’obligation impérative de communication qui échoit à l’organisme serait atténuée de façon importante, malgré l’utilisation des mots « doit, avec diligence et au plus tard » de l’article 47. [61] Le droit à l’accès, dans les délais que vise l’esprit de la Loi, s’en trouverait vraisemblablement limité de façon substantielle. [62] L’énoncé « La procédure doit faire apparaître le droit dont elle n’est que la servante » trouve tout son sens en l’espèce lorsque l’objet premier et essentiel du chapitre II de la Loi est vraiment considéré, savoir, le droit fondamental, impératif et prépondérant de toute personne à se voir communiquer les documents des organismes publics exprimé à son article 9 (précité). [63] En effet, l’objet premier et essentiel de ce chapitre II ne vise pas le respect du droit d’un organisme public à invoquer les exceptions à ce principe hors du délai statutaire et obligatoire. Étirer le délai statutaire ou en faire fi produirait l’effet contraire visé par cet énoncé : le droit d’accès risquerait plutôt de disparaître. [64] Il est à noter que lorsque le législateur a voulu qu’un délai ne soit pas interprété de façon restrictive, il n’a pas hésité à prévoir la possibilité, pour le retardataire, de soulever des motifs raisonnables pour ne pas les avoir respectés, comme il l’a fait par exemple à l’article 135 in fine. [65] Il ressort de ce qui précède qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles empêchant l’organisme public de le faire en temps opportun, il est raisonnable de déclarer que ce dernier ne peut invoquer tardivement des motifs facultatifs de refus, motifs que ce dernier avait d’abord choisi, en toute connaissance de cause, de ne pas invoquer.
05 11 81 Page 13 [66] Cette interprétation de la Loi est propre à sauvegarder les droits du demandeur. [67] En conséquence, le Responsable ne pouvait pas invoquer l’article 37 de la Loi hors délai, comme il l’a fait, sans soulever et établir l’existence de circonstances exceptionnelles qui l’ont amené à le faire. L’application des articles 53, 54, 55, 57 alinéa premier, 1° et 2°, et 59 alinéa premier de la Loi conjointement avec l’article 14 de la Loi [68] Ces dispositions se lisent : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 55. Un renseignement personnel qui a un caractère public en vertu de la loi n'est pas nominatif. 57. Les renseignements suivants ont un caractère public: 1° le nom, le titre, la fonction, la classification, le traitement, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail d'un membre d'un organisme public, de son conseil d'administration ou de son personnel
05 11 81 Page 14 de direction et, dans le cas d'un ministère, d'un sous-ministre, de ses adjoints et de son personnel d'encadrement; 2° le nom, le titre, la fonction, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail et la classification, y compris l'échelle de traitement rattachée à cette classification, d'un membre du personnel d'un organisme public; 3° […] 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. […] 14. Un organisme public ne peut refuser l'accès à un document pour le seul motif que ce document comporte certains renseignements qu'il doit ou peut refuser de communiquer en vertu de la présente loi. Si une demande porte sur un document comportant de tels renseignements, l'organisme public peut en refuser l'accès si ces renseignements en forment la substance. Dans les autres cas, l'organisme public doit donner accès au document demandé après en avoir extrait uniquement les renseignements auxquels l'accès n'est pas autorisé. [69] L’organisme a plaidé que la substance du document en litige est composée de renseignements nominatifs visés par les articles 53, 54 et 59 alinéa premier, et que de ce fait, il fallait conclure à leur totale confidentialité. [70] Le demandeur a soutenu, au contraire, que la substance de son contenu devait vraisemblablement être composée de renseignements qui sont revêtus d’un caractère public en vertu des paragraphes 1° et 2° du premier alinéa de l’article 57 ainsi que de l’article 55, et que de ce fait, il devait être accessible en totalité.
05 11 81 Page 15 [71] La preuve établit que ce rapport a été préparé à la suite d’une enquête administrative sur la conduite du directeur général de l’organisme dans le but que puissent être formulées des recommandations au conseil de ville quant au maintien de son lien d’emploi avec l’organisme et quant à la prise de différentes décisions par ce conseil. [72] De toute évidence les personnes rencontrées par l’enquêteur, M e Racicot, l’ont été sur une base volontaire, hors de l’exécution de leurs fonctions, afin de savoir si la conduite du directeur général de l’organisme était conforme aux règles d’éthique auxquelles il était soumis. [73] Le processus d’enquête choisi n’est pas de nature quasi judiciaire ni publique, mais bien administrative et privée. [74] Les personnes rencontrées par M e Racicot ont répondu aux questions de ce dernier dans un contexte que l’on pourrait qualifier de « confidentiel » ou « privé » et non dans le cadre de l’exercice de leur « fonction » au sens des paragraphes 1° et 2° de l’article 57 de la Loi. [75] La jurisprudence des dernières années considère que les déclarations ou opinions des autres membres du personnel d’organismes publics émises au cours d’une telle enquête administrative de nature disciplinaire sont des renseignements nominatifs qui concernent autant la personne sur laquelle on enquête 8 que la personne qui les émet 9 . De toute évidence, il en est de même pour ce qui est des renseignements formant les déclarations faites par la personne sur laquelle on mène l’enquête. [76] Conséquemment, je suis d’avis que la position de l’avocat du demandeur ne peut être retenue ici. [77] Les renseignements recueillis des déclarants et des témoins par l’enquêteur Racicot dans le cadre de son enquête de nature disciplinaire et administrative sont des renseignements nominatifs concernant tant les déclarants et les témoins que les personnes physiques faisant l’objet des déclarations et des témoignages. [78] Après examen du document en litige, ci-haut décrit aux paragraphes [9], [10] et [11], je suis d’avis que les 31 pages du rapport proprement dit contiennent, en substance, de tels renseignements nominatifs. 8 Université de Montréal c. Lamontagne, [1998] C.A.I. 467 (C.Q.) 469, 470. 9 Montréal (Ville de) c. Chevalier, [1998] C.A.I. 501 (C.Q.) 505.
05 11 81 Page 16 [79] Il en est de même des annexes 1, 10 à 21 inclusivement, et 23. [80] En application de la partie soulignée de l’article 14 précité, les 31 pages du rapport proprement dit ainsi que les annexes 1, 10 à 21 inclusivement et 23 sont totalement inaccessibles au demandeur. [81] La décision du Responsable est donc en partie fondée. [82] Par ailleurs, je suis d’avis que les annexes 2 à 9 inclusivement et 22 ne contiennent aucun renseignement nominatif ou autre renseignement que l’organisme doit protéger ou que la Commission doit protéger d’office. [83] Ces annexes 2 à 9 inclusivement et 22 sont accessibles au demandeur et le Responsable n’a pas eu raison de refuser au demandeur l’accès à ces annexes. [84] POUR CES MOTIFS, la Commission INTERDIT DE PUBLIER, DIFFUSER OU DIVULGUER la liste déposée en preuve sous la cote O-11; ACCUEILLE en partie la demande de révision; ORDONNE à l’organisme de communiquer au demandeur les annexes 2 à 9 inclusivement et 22; et REJETTE, quant au reste, la demande de révision. DIANE BOISSINOT Commissaire Avocat du demandeur : M e Marc-André Blanchard (Gowling, Lafleur Henderson, avocats) Avocat de l’organisme : M e André Lemay (Tremblay Bois Mignault Lemay, avocats)
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