Commission d'accès à l'information du Québec Dossier : 04 19 06 Date : Le 22 mars 2006 Commissaire : M e Michel Laporte X Demandeur c. MINISTÈRE DES RELATIONS AVEC LES CITOYENS ET DE L’IMMIGRATION Organisme DÉCISION L'ÉTAT DU DOSSIER [1] Le procureur du demandeur, M e Denis Girard, obtient du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (le « MRCI »), le 18 juillet 2003, une copie de l’entente de partenariat conclue avec le ministère de la Sécurité publique (le « Ministère ») et la Sûreté du Québec (la « S.Q. ») (« l’Entente »), masquée de renseignements révélant une méthode d'enquête, une source confidentielle d'information et un programme ou un plan d'action destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, selon les termes du 3 e paragraphe de l’article 28 de la Loi sur l'accès aux documents des
04 19 06 Page : 2 organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi ») : 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible: […] 3° de révéler une méthode d'enquête, une source confidentielle d'information, un programme ou un plan d'action destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois; […] [2] Le MRCI ajoute le 2 e alinéa de l’article 29 de la Loi comme motif de restriction lors de l’audience tenue le 11 octobre 2005 : 29. Un organisme public doit refuser de communiquer un renseignement portant sur une méthode ou une arme susceptible d'être utilisée pour commettre un crime ou une infraction à une loi. Il doit aussi refuser de communiquer un renseignement dont la divulgation aurait pour effet de réduire l'efficacité d'un dispositif de sécurité destiné à la protection d'un bien ou d'une personne. [3] M e Girard maintient sa requête pour obtenir l’intégralité de cette Entente et, en conséquence, veut que la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») révise cette décision du MRCI. La Commission accorde un délai à M e Girard pour se préparer adéquatement, compte tenu du nouveau motif de restriction soulevé le 11 octobre 2005. [4] L’audience se poursuit donc le 3 février 2006. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
04 19 06 Page : 3 L'AUDIENCE A) LA PREUVE Du MRCI M. Gilles Deschamps [5] M. Deschamps, adjoint au responsable de l’accès, remet à la Commission, sous pli confidentiel, une copie intégrale de l’Entente. Il mentionne que les seuls renseignements n’ayant pas été remis au demandeur sont les suivants : • la dernière ligne après le mot « MRCI », au 2 e paragraphe de la page 2; • la ligne après le mot « sous-ministre », à la fin de la première phrase du paragraphe a) de la page 3; • les paragraphes b) et c) de la page 3. [6] M. Deschamps souligne avoir consulté les représentants des deux autres organismes impliqués à cette Entente tripartite, le Ministère et la S.Q. Il a retenu que la communication des renseignements en litige est de nature soit à prévenir le crime, soit à nuire à la poursuite d’une enquête ou à révéler une méthode d’enquête, soit à réduire l’efficacité d’un dispositif de sécurité. Il a donc refusé l’accès aux renseignements demeurant en litige pour ces motifs. [7] Interrogé par M e Girard, M. Deschamps atteste que les commentaires obtenus du Ministère et du procureur du MRCI l’ont convaincu de l’application du 2 e alinéa de l‘article 29 de la Loi concernant les renseignements en litige. [8] M. Deschamps invoque la sécurité nationale pour justifier ce refus. Il reconnaît que le terme « sécurité nationale » n’apparaît pas à la Loi. [9] Interrogé par la Commission, M. Deschamps confirme que cette Entente de collaboration est signée par les hauts dirigeants des trois organismes impliqués, ayant pour objet de : • Vérifier l’authenticité, la validité et la véracité de renseignements et de documents officiels présentés au MRCI; • Vérifier l’habilitation sécuritaire de certains employés et intervenants occupant des postes spécifiques au MRCI;
04 19 06 Page : 4 • Enquêter, prévenir et préparer les poursuites liées aux infractions criminelles et pénales prévues à la Loi sur l’immigration au Québec 2 , notamment dans le cas de l’authenticité, de la validité et de la véracité des documents ainsi que des renseignements; • Assister le Directeur de l’état civil dans la réalisation de ses mandats. M. André Marois [10] M. Marois, responsable de l’accès au Ministère, atteste que ce dernier est l’un des signataires de l’Entente et qu’il a discuté de la présente demande d’accès avec M. Deschamps. Il l’a également soumise à la S.Q. Il signale que cette dernière est un corps de police faisant des enquêtes sur le territoire du Québec. À ce titre, l’Entente constitue pour la S.Q. une opération policière et un service de niveau 6 prévus à l’Annexe G de la Loi sur la police 3 : VI. Le niveau 6 comprend, en sus des services énumérés au niveau 5, les services suivants : ENQUÊTES • Phénomènes criminels hors du commun • Meurtre et agression commis par des prédateurs • Coordination policière de la lutte au crime organisé • Crime touchant les revenus de l'État, sa sécurité ou son intégrité • Incendies en série sur une base interrégionale • Vol de véhicules ayant des ramifications interrégionales, provinciales et hors province • Corruption de fonctionnaires judiciaire, gouvernemental ou municipal • Malversation • Fraude ayant des ramifications interrégionales, provinciales et hors province • Transaction mobilière frauduleuse • Crime à l'intérieur des établissements de détention provinciaux et fédéraux • Cybersurveillance • Entraide judiciaire internationale 2 L.R.Q., c. I-0.2. 3 L.R.Q., c. P-13.1.
04 19 06 Page : 5 MESURES D'URGENCE • Coordination du rétablissement et du maintien de l'ordre lors de situations d'urgence ou de désordre social d'envergure provinciale SERVICES DE SOUTIEN • Protection des personnalités internationales • Protection de l'Assemblée nationale • Enquête et renseignement de sécurité d'État • Atteinte à la sécurité et à l'intégrité des réseaux informatiques du gouvernement • Coordination SALVAC • Béhaviorisme ou profileur criminel • Identité judiciaire spécialisée • Banque centrale d'empreintes digitales • Liaison avec Interpol • Gestion du CRPQ • Unité d'urgence permanente [11] M. Marois souligne que les enquêtes et les renseignements se rapportant à la sécurité d’État sont prévus à l’Annexe G de la Loi sur la police. C’est ainsi qu’est intervenue la S.Q à l’Entente, et ce, aux fins de répondre aux demandes d’assistance du MRCI et de structurer le bureau d’enquêtes. [12] M. Marois indique que le mandat du MRCI concernant l’immigration comprend notamment celui de vérifier le niveau de sécurité des personnes y travaillant et de faire enquête. [13] M. Marois fait valoir que la S.Q. croit que la communication des renseignements en litige peut compromettre un dispositif de sécurité ou dévoiler une méthode d’enquête. Il a alors avisé M. Deschamps, le 8 novembre 2004, de cette position de la S.Q., laquelle est endossée par le Ministère. [14] M. Marois explique que la S.Q. doit veiller à la sécurité des organismes publics et, selon la nature du phénomène criminel, se donner des cibles d’intervention. Elle aidera donc des organismes à s’organiser en cette matière. Il prétend que la communication des renseignements en litige dévoilerait les cibles et les objectifs identifiés par la S.Q. Il est d’avis que les informations en litige sont des indications sur le plan d’action et sur la façon dont la S.Q. entend s’acquitter de son mandat pour contrer la criminalité.
04 19 06 Page : 6 [15] Interrogé par la Commission, M. Marois fait valoir que l’Entente n’est pas un rapport d’enquête, mais une façon de connaître comment chaque organisme déploiera sa collaboration pour atteindre les divers objectifs. M. Younès Mihoubi [16] M. Mihoubi, directeur de l’évaluation, de la vérification interne et de la sécurité au MRCI, expose que son emploi consiste à supporter celui-ci dans la gestion quotidienne de ses opérations, particulièrement sur la conformité des règles administratives, budgétaires et légales. À la suite des événements survenus à New York en septembre 2001, mentionne-t-il, les ministères ont été conviés à revoir leur façon de faire pour optimiser la sécurité. C’est dans ce contexte qu’est intervenue l’Entente. Il a donc été mis en place, depuis 2003, un service d’enquête (le « Service »), selon les termes de l’article 12.1 de la Loi sur l’immigration au Québec : 12.1. Le ministre ou toute personne qu’il désigne comme enquêteur ou vérificateur peut enquêter en vue d'assurer l'application de la présente loi et des règlements ou en vue de prévenir, de détecter ou de réprimer les infractions prévues par celle-ci. M. Michel Forget [17] M. Forget, policier, responsable de la Division ouest à la S.Q., Service des enquêtes sur les crimes économiques, raconte qu’il travaille avec plusieurs ministères et organismes privés, notamment pour assurer la sécurité de l’État et contrer les crimes économiques, la corruption de fonctionnaires et la contrefaçon de documents. [18] M. Forget assure que le Service sous sa responsabilité est directement concerné dans la conduite d’enquêtes au MRCI et dans sa façon de l’exercer. Preuve ex parte [19] Une audience ex parte se tient conformément à l’article 20 des Règles de preuve de la Commission 4 : 4 Règles de preuve et de procédure de la Commission d'accès à l'information, décret 2058-84.
04 19 06 Page : 7 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. [20] Au retour, la Commission fait part au demandeur que MM. Mihoubi et Forget ont établi un lien entre les objectifs de l’Entente et les renseignements en litige pour en justifier le refus d’accès. B) LES ARGUMENTS i) Du MRCI [21] La procureure du MRCI, M e Dominique Legault, invoque le 3 e paragraphe de l’article 28 de la Loi. [22] M e Legault soumet que l’Entente lie la S.Q. et le Service dirigé par M. Forget. Elle consiste à contrer la criminalité, selon les termes de l’Annexe G de la Loi sur la police et de l’article 12 de la Loi sur l’immigration au Québec, s'agissant de l’un des outils pour prévenir ou réprimer le crime, tel que prévu au 3 e paragraphe de l’article 28 de la Loi. [23] M e Legault invoque également le 2 e alinéa de l’article 29 de la Loi. Elle est d’avis que la communication des renseignements en litige réduirait l’efficacité d’un dispositif de sécurité en divulguant les moyens spécifiques pour y parvenir. ii) Du demandeur [24] M e Girard reproche au MRCI de n’avoir soulevé l’article 29 de la Loi que lors de la séance du 11 octobre 2005. Il considère que cet article ne trouve pas application en la présente. [25] M e Girard plaide également l’inapplication de l’article 28 de la Loi, les renseignements en litige n’étant pas de ceux obtenus par une personne chargée de réprimer le crime au sens du 1 er alinéa de l’article 28 de la Loi.
04 19 06 Page : 8 DÉCISION L'article 28 de la Loi [26] La commissaire Pestieau, dans l’affaire T. c. Ministère de l’Habitation et de la Protection du consommateur 5 , s’appuyant sur la jurisprudence américaine 6 , a bien établi la distinction entre des actions visées par l’article 28 de la Loi et celles ne l’étant pas, de nature administrative. Essentiellement, elle applique le test d’intensité spécifique pour déterminer si les activités sont celles d’une enquête sur la commission d’actes illégaux particuliers par des individus spécifiques donnant ouverture à l’application de l’article 28 de la Loi. [27] Du cas sous étude, la preuve démontre que l’Entente est un document de « partenariat » déterminant en termes généraux les responsabilités des trois organismes publics concernés. Elle est signée par les sous-ministres du MRCI et du Ministère et le directeur général de la S.Q. Il ne s’agit pas d’un rapport d’enquête ni d’un document de même nature répondant aux exigences du test d’intensité spécifique. La restriction de l’article 28 de la Loi n’est donc pas retenue. L'article 29 de la Loi [28] Le 2 e alinéa de l’article 29 de la Loi permet à un organisme public de soustraire à l’accès les renseignements pouvant réduire l’efficacité d’un dispositif de sécurité. Ainsi, il a été décidé de refuser les : • informations pour accéder à un édifice, aux équipements et aux délais de réactions, parce que pouvant donner des indications sur la vulnérabilité d’un système de sécurité 7 ; • mesures de sécurité mises en place pour recevoir les détenus à qui il faut assurer une protection spéciale 8 ; • renseignements fournis par Bell Canada sécurisant les télécommunications à la Régie de l'assurance maladie du Québec 9 ; 5 [1984-86] 1 C.A.I., 90. 6 Id., 94. 7 Fédération des employées et employés de services publics inc. (CSN) c. Société des traversiers du Québec, [1998] C.A.I. 164. 8 Union des agents de la paix en institutions pénales c. Québec (Ministère de la Sécurité publique), [1989] C.A.I. 184. 9 Gestion Infopharm inc. c. Régie de l'assurance maladie du Québec, [2002] C.A.I. 102.
04 19 06 Page : 9 • plans de communication opérationnelle d’un plan de mesure d’urgence 10 ; • renseignements spécifiques portant sur les tests balistiques sur des vestes pare-balles 11 . [29] Toutefois, la Commission a autorisé l’accès : • au document informant du montant versé pour honorer les contrats de délateurs 12 ; • aux tâches prévues au plan d’urgence pour chaque responsable 13 ; • au rapport d’incendie 14 ; • aux informations de nature générale 15 . [30] J’ai examiné attentivement les renseignements demeurant en litige. La dernière ligne après le mot « MRCI », au 2 e paragraphe de la page 2, est une information qui n’a rien de significatif, particulièrement si nous examinons la description des activités déjà énumérées à l’Annexe G de la Loi sur la police. En ce sens, la preuve ne m’a pas convaincu que nous sommes en présence de renseignements permettant de conclure que la communication de ceux-ci réduirait l’efficacité d’un dispositif de sécurité. [31] En ce qui concerne les autres renseignements se trouvant à la page 3, je suis d’avis qu’il s’agit d’informations générales purement administratives ne dévoilant aucun dispositif spécifique de sécurité ni ne permettant d’en connaître la teneur ou l’ampleur. J’en arrive donc à la conclusion que ces renseignements sont également accessibles au demandeur. 10 Nolin c. Hydro-Québec, [1989] C.A.I. 268; Centre de micro-informatique appliquée du Plateau inc. c. Montréal (Ville de), [1992] C.A.I. 257; Roslin c. Hydro-Québec, [1999] C.A.I. 159. 11 Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec c. Québec (Ministère de la Sécurité publique), [2004] C.A.I. 274. 12 Marceau c. Québec (Ministère de la Sécurité publique), [1999] C.A.I. 366. 13 Nolin c. Hydro-Québec, précitée, note 10. 14 Compagnie d’assurance du Québec c. Chicoutimi (Ville de), [1987] C.A.I. 84; Pinsonnault c. Trois-Rivières (Ville de), [1992] C.A.I. 79. 15 Nolin c. Hydro-Québec, précitée, note 10.
04 19 06 Page : 10 POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [32] ACCUEILLE la demande de révision du demandeur; [33] ORDONNE au MRCI de communiquer les renseignements demeurant en litige. MICHEL LAPORTE Commissaire M e Denis Girard Procureur du demandeur Bernard, Roy (Justice-Québec) (M e Dominique Legault) Procureurs de l'organisme
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