Commission d'accès à l'information du Québec Dossier : 05 12 18 Date : 21 mars 2006 Commissaire : M e Hélène Grenier X Demandeur c. SOCIÉTÉ DE L’ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC Organisme DÉCISION OBJET DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D’ACCÈS [1] Le 15 juin 2005, le demandeur s’adresse à la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ) pour obtenir copie des « formulaires (questionnaires) utilisés pour produire » un rapport d’évaluation le concernant. [2] Le 21 juin 2005, le responsable de l’accès aux documents de la SAAQ refuse d’acquiescer à sa demande; il invoque l’article 40 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements
05 12 18 Page : 2 personnels 1 au soutien de son refus. Dans sa décision, le responsable précise que les documents demandés peuvent encore servir à d’autres épreuves ou examens. [3] Le 28 juin 2005, le demandeur soumet une demande de révision de cette décision à la Commission. PREUVE i) De l’organisme Témoignage de M me Candide Beaumont : [4] M me Candide Beaumont témoigne sous serment. Elle coordonne, pour la Fédération québécoise des centres de réadaptation pour personnes alcooliques et autres toxicomanes (la Fédération), le programme d’évaluation des conducteurs. [5] La Fédération regroupe les centres du réseau de la santé et des services sociaux qui ont pour mission de réadapter les personnes alcooliques ou toxicomanes; ce regroupement permet aux centres de réadaptation d’obtenir certains services. [6] Le 30 octobre 1997, la SAAQ et la Fédération ont conclu une entente concernant le « Programme d’évaluation du comportement des personnes relativement à la consommation d’alcool ou de drogue avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier » (O-1, en liasse). [7] La SAAQ s’était adressée à la Fédération pour savoir si l’expertise de celle-ci en matière d’alcoolisme et de toxicomanie lui permettait de procéder aux évaluations des conducteurs qui sont requises en vertu de la loi. La SAAQ et la Fédération ont, ensemble et à l’aide d’une recherche dont les coûts ont été assumés par la SAAQ, élaboré l’évaluation du comportement de ces personnes lorsqu’elles font partie de la clientèle des centres de réadaptation; elles se sont entendues (O-1, en liasse) sur l’application uniforme de cette évaluation partout au Québec. [8] Les « formulaires (questionnaires) » en litige, à savoir 4 tests, constituent l’évaluation visée par l’entente (O-1, en liasse). 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après « Loi sur l’accès ».
05 12 18 Page : 3 [9] La Fédération a une mission de réadaptation. Conséquemment, elle ne procéderait pas à l’évaluation des conducteurs si elle n’avait pas conclu d’entente avec la SAAQ (O-1, en liasse). [10] La SAAQ a toujours pris part à l’élaboration du processus d’évaluation ainsi qu’à la vérification et à la mise à jour de la compétence des évaluateurs (O-2). [11] L’évaluation visée par l’entente (O-1, en liasse) sert à dépister le risque de récidive chez les conducteurs; 15 % des personnes évaluées doivent faire l’objet d’une évaluation plus poussée. [12] En vertu de l’entente précitée, la SAAQ réfère automatiquement à la Fédération chacun des conducteurs dont l’évaluation est requise en vertu de l’article 76 du Code de la sécurité routière 2 ; la Fédération évalue le conducteur et elle soumet ses recommandations le concernant à la SAAQ. [13] La SAAQ détient les tests (en blanc) qui seront complétés lors de l’évaluation, par la Fédération, d’un conducteur visé par l’article 76 du Code de la sécurité routière. La Fédération détient les tests qui ont été complétés lors de cette évaluation et dont elle se sert pour formuler une recommandation concernant ce conducteur à la SAAQ. [14] Tel que le lui a prescrit la SAAQ, la Fédération refuse systématiquement de communiquer les tests qu’elle utilise pour évaluer les conducteurs parce qu’ils sont encore utilisés; ce refus s’appuie sur l’article 40 de la Loi sur l’accès. [15] Les tests en litige mesurent la consommation d’alcool ou de drogue, notamment les habitudes de consommation, en vue d’établir un « portrait » de consommation au cours de la dernière année et au cours de la vie de la personne évaluée ainsi que l’aptitude de cette personne à conduire un véhicule automobile. L’un des 4 tests a été spécifiquement élaboré pour établir, selon des facteurs scientifiques, le risque de récidive de la personne évaluée en fonction de sa consommation et de son comportement général ainsi que d’autres risques. [16] Les tests en litige ont été utilisés pour évaluer environ 20 000 personnes incluant le demandeur; ils seront utilisés pour évaluer de 12 000 à 15 000 autres personnes que la SAAQ a inscrites mais qui ne se sont pas encore manifestées auprès de la Fédération. 2 L.R.Q., c. C-24.2.
05 12 18 Page : 4 [17] Les tests en litige sont ceux qui sont toujours utilisés pour évaluer les personnes dont la conduite d’un véhicule automobile avec facultés affaiblies a été sanctionnée par les tribunaux. La divulgation de ces tests permettrait aux personnes inscrites par la SAAQ de fausser les résultats de leur évaluation. Contre-interrogatoire de M me Candide Beaumont : [18] Les évaluateurs, qui ont déjà des connaissances en matière d’alcoolisme et de toxicomanie, sont formés pour administrer les tests en litige aux conducteurs. Trois des questionnaires sont, dans 90 % des cas, administrés de façon informatique; ils peuvent, à la demande de la personne évaluée, être remplis de façon manuscrite. La personne évaluée est toujours en présence de l’évaluateur. [19] En février 2006, la Fédération transmettait à la SAAQ les tests complétés par le demandeur lors de son évaluation au printemps 2005; elle effectuait cette communication en raison de l’instruction de la demande de révision que le demandeur avait soumise à la Commission. N’eut été de cette demande, la Fédération n’aurait communiqué à la SAAQ que son rapport d’évaluation avec sa recommandation concernant le demandeur. À moins d’une demande spécifique de la SAAQ, les tests complétés par un conducteur lors de son évaluation par la Fédération ne sont généralement pas communiqués à la SAAQ; celle-ci ne reçoit que le rapport d’évaluation motivé qui appuie la recommandation qui en résulte, non pas les données brutes. [20] La personne qui a été évaluée reçoit une lettre lui indiquant que la recommandation qui la concerne est favorable ou, le cas échéant, une copie du rapport motivé et de la recommandation non favorable qui sont destinés à la SAAQ. Une recommandation défavorable préconise une évaluation plus poussée pour arriver à déterminer le risque de récidive. ii) Du demandeur [21] Le demandeur ne présente aucune preuve. ARGUMENTATION i) De l’organisme
05 12 18 Page : 5 [22] L’organisme détient les tests en blanc, c’est-à-dire les questionnaires sans les données brutes à évaluer. La Loi sur l’accès s’applique à ces tests détenus par la SAAQ dans l’exercice de ses fonctions. [23] La preuve démontre que la Fédération administre, au nom de la SAAQ et aux fins de la SAAQ, les tests d’évaluation de la SAAQ. [24] La preuve démontre que la SAAQ peut, à sa demande et en plus du rapport d’évaluation et de la recommandation qui lui sont nécessairement destinés, obtenir les données brutes résultant de l’évaluation d’une personne. [25] La preuve démontre que la Fédération refuse, conformément aux instructions de son mandant, la SAAQ, de communiquer les tests en litige en vertu de l’article 40 de la Loi sur l’accès. [26] La preuve démontre que les tests que la Fédération administre pour la SAAQ constituent une épreuve qui sert encore à l’évaluation comparative des aptitudes de milliers de personnes à conduire un véhicule automobile, ce, en lien avec leur consommation d’alcool ou de drogue. [27] L’épreuve comprend « tous les documents qui ont pour utilité première l’évaluation comparative des connaissances, des aptitudes ou de l’expérience d’une personne 3 ». [28] La preuve démontre que la divulgation des tests en litige nuirait à leur fiabilité et, conséquemment, à leur utilisation. ii) Du demandeur [29] Le demandeur conteste, devant le Tribunal administratif du Québec, la décision que la SAAQ a prise en fonction du rapport d’évaluation et de la recommandation que la Fédération a préparés le concernant. Aux fins de cette contestation, il demande accès aux tests qu’il a subis et dont les résultats appuient la recommandation de la Fédération voulant qu’il fasse l’objet d’une évaluation plus poussée. Sa demande inclut l’accès aux réponses qu’il a fournies au cours de l’administration de ces tests. [30] Seuls les questionnaires, qui incluent les réponses données par le demandeur, lui permettront de contester son évaluation. 3 Office des ressources humaines c. Matakias, [1990] C.A.I. 281 (C.Q.)
05 12 18 Page : 6 [31] La preuve démontre que la SAAQ détient, dans l’exercice de ses fonctions, tant les tests en blanc que les tests complétés lors de l’évaluation d’une personne. La preuve démontre que la Fédération conserve pour la SAAQ les tests complétés. [32] L’article 40 de la Loi sur l’accès ne peut empêcher une personne d’avoir accès à son propre dossier. [33] La SAAQ doit accepter de donner communication des tests pour permettre au demandeur de faire valoir ses prétentions devant le Tribunal administratif. iii) De l’organisme, en réplique [34] L’article 40 de la Loi sur l’accès s’applique; la contestation entreprise par le demandeur devant le Tribunal administratif n’a aucun effet sur l’application de cette restriction à l’accès. [35] L’article 40 de la Loi sur l’accès s’applique lorsque les conditions qui y sont prévues sont réunies et à la discrétion de l’organisme. APPRÉCIATION [36] Le responsable de l’accès aux documents de la SAAQ a appuyé son refus de communiquer les tests en litige sur l’article 40 de la Loi sur l’accès : 40. Un organisme public peut refuser de communiquer une épreuve destinée à l'évaluation comparative des connaissances, des aptitudes ou de l'expérience d'une personne, jusqu'au terme de l'utilisation de cette épreuve. [37] Pour les motifs ci-après exprimés, la Commission comprend que les tests en litige constituent une épreuve destinée à l’évaluation comparative des aptitudes des personnes visées à l’article 76 du Code de la sécurité routière à conduire un véhicule routier de façon sécuritaire. Ces personnes doivent, à l’aide de ces tests, réussir à établir que leur rapport à l’alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.
05 12 18 Page : 7 [38] Le Code de la sécurité routière confère d’abord à la SAAQ le pouvoir de délivrer des permis autorisant la conduite de véhicules routiers. Il prévoit aussi le but visé par les prescriptions relatives à ces permis : 61. La Société délivre les permis suivants autorisant la conduite de véhicules routiers: le permis d'apprenti-conducteur, le permis probatoire, le permis de conduire et le permis restreint. Le titulaire d'un permis n'est tenu de produire celui-ci qu'à la demande d'un agent de la paix ou de la Société et à des fins de sécurité routière uniquement. 60.1. Les prescriptions relatives aux permis d'apprenti-conducteur, permis probatoire, permis de conduire et permis restreint visent à s'assurer que l'autorisation de conduire n'est accordée qu'aux personnes qui possèdent les compétences et les attitudes de prudence nécessaires à la sécurité du public. [39] L’article 76 du Code de la sécurité routière concerne les personnes dont le permis de conduire a été révoqué ou dont le droit d’en obtenir un a été suspendu à la suite d’une déclaration de culpabilité pour une infraction visée à l’article 180 de ce Code. Il prévoit, en ce qui concerne les personnes particulièrement visées par le paragraphe 4° du premier alinéa de l’article 180, les conditions qui s’appliquent à l’obtention de leur nouveau permis, notamment la condition qui consiste à : b) établir à la satisfaction de la Société, au terme d'une évaluation sommaire faite par une personne dûment autorisée oeuvrant au sein d'un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes ou au sein d'un centre hospitalier offrant un service de réadaptation pour de telles personnes, que son rapport à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier de la classe demandée. En
05 12 18 Page : 8 cas d'échec, il doit être satisfait à cette exigence au moyen d'une évaluation complète; … Tout rapport d'évaluation doit être transmis à la Société dans le délai qu'elle indique. [40] J’ai pris connaissance des tests en litige; ces tests indiquent que le demandeur est une personne particulièrement visée par le paragraphe 4° du premier alinéa de l’article 180 du Code de la sécurité routière et qu’il a fait l’objet d’une évaluation. [41] Les personnes particulièrement visées par le paragraphe 4° du premier alinéa de l’article 180 du Code de la sécurité routière doivent donc établir, à la satisfaction de la SAAQ, que leur rapport à l’alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d’un véhicule routier; cette démonstration de leur compétence ou aptitude à conduire de façon sécuritaire doit, tel que le prescrit l’article 76, résulter d’une évaluation faite par une personne dûment autorisée par la SAAQ. [42] La preuve (O-2) démontre que la SAAQ a, dès 1996, activement pris part à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un programme d’évaluation des conducteurs visés à l’article 76 du Code de la sécurité routière. [43] La preuve démontre qu’en 1997, la SAAQ a conclu avec la Fédération une entente (O-1, en liasse) concernant le « Programme d’évaluation du comportement des personnes relativement à la consommation d’alcool ou de drogue avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier ». La preuve démontre que cette entente a été modifiée en 2002 (O-1, en liasse). [44] La preuve démontre que la SAAQ a toujours pris part à l’élaboration du processus d’évaluation ainsi qu’à la vérification et à la mise à jour de la compétence des évaluateurs (O-2). [45] La preuve démontre que la mise en œuvre de ce programme d’évaluation (O-1, en liasse) permet à la SAAQ de décider si elle émet un nouveau permis en s’appuyant sur un rapport d’évaluation qui établit le risque de récidive ou la compatibilité du comportement d’une personne relativement à sa consommation d’alcool ou de drogue avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.
05 12 18 Page : 9 [46] La preuve (O-1, en liasse) démontre que l’évaluation visée à l’article 76 du Code de la sécurité routière s’inscrit dans le cadre d’une demande d’un nouveau permis et qu’elle se dissocie du traitement et de la réadaptation de la personne concernée. La preuve démontre que la Fédération ne procéderait pas à cette évaluation si elle n’avait pas conclu l’entente précitée (O-1, en liasse) avec la SAAQ. [47] La preuve démontre que la SAAQ, qui est un organisme public, détient les tests (en blanc) destinés à l’évaluation comparative des aptitudes à conduire un véhicule routier de façon sécuritaire chez une personne visée à l’article 76 du Code de la sécurité routière. La preuve démontre que la Fédération conserve pour la SAAQ les tests complétés par une personne visée à l’article 76 du Code de la sécurité routière et destinés à l’évaluation comparative de ses aptitudes à conduire un véhicule routier de façon sécuritaire. [48] La preuve démontre enfin que l’utilisation de cette épreuve ou de ces tests, que la SAAQ refuse de communiquer, n’est pas à terme. [49] La preuve convainc la Commission que les conditions d’application de l’article 40, qui peut être invoqué à la discrétion de l’organisme, sont réunies et que le refus du responsable est en conséquence fondé. [50] La majorité des réponses fournies par le demandeur lors de son évaluation ne renseignent aucunement lorsque l’on fait abstraction des questions que la SAAQ refuse de communiquer et qui constituent la substance de l’épreuve. Les autres réponses renseignent d’elles-mêmes sur des questions que la SAAQ refuse de communiquer en vertu de l’article 40 précité. À cet égard, la décision du responsable aurait pu être complétée par l’ajout de l’article 87 et du 2 e alinéa de l’article 14 de la Loi sur l’accès : 87. Sauf dans le cas prévu à l'article 86.1, un organisme public peut refuser de confirmer l'existence ou de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant, dans la mesure où la communication de cette information révélerait un renseignement dont la communication doit ou peut être refusée en vertu de la section II du chapitre II. 14. Un organisme public ne peut refuser l'accès à un document pour le seul motif que ce document comporte certains
05 12 18 Page : 10 renseignements qu'il doit ou peut refuser de communiquer en vertu de la présente loi. Si une demande porte sur un document comportant de tels renseignements, l'organisme public peut en refuser l'accès si ces renseignements en forment la substance. Dans les autres cas, l'organisme public doit donner accès au document demandé après en avoir extrait uniquement les renseignements auxquels l'accès n'est pas autorisé. [51] Par ailleurs, le recours entrepris par le demandeur pour contester, devant le Tribunal administratif du Québec, le refus de la SAAQ de lui émettre un nouveau permis, est sans effet sur l’application de l’article 40 de la Loi sur l’accès à la demande d’accès. Il pourrait en être autrement si le Tribunal administratif ordonnait à la SAAQ de communiquer les tests en litige au demandeur ou au Tribunal exclusivement; pareil cas est régi au paragraphe 3° de l’article 171 de cette loi : 171. Malgré les articles 168 et 169, la présente loi n'a pas pour effet de restreindre: 1° l'exercice du droit d'accès d'une personne à un document résultant de l'application d'une autre loi ou d'une pratique établie avant le l er octobre 1982, à moins que l'exercice de ce droit ne porte atteinte à la protection des renseignements personnels; 2° la protection des renseignements personnels ni l'exercice du droit d'accès d'une personne à un renseignement nominatif la concernant, résultant de l'application d'une autre loi ou d'une pratique établie avant le ler octobre 1982; 2.1° la protection d'un renseignement contenu dans un dossier fiscal prévue à la section VIII du chapitre III de la Loi sur le ministère du Revenu (chapitre M-31) à l'égard d'une personne visée par cette section; 3° la communication de documents ou de renseignements exigés par le Protecteur du citoyen ou par assignation, mandat ou ordonnance d'une personne ou d'un organisme ayant le pouvoir de contraindre à leur communication.
05 12 18 Page : 11 [52] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE la demande HÉLÈNE GRENIER Commissaire M e Bruno-Gabriel Vargas Avocat du demandeur M e Annie Rousseau Avocate de l’organisme
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