Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 05 02 91 Date : 15 mars 2006 Commissaire : M e Christiane Constant X Demandeur c. LES ALIMENTS CARGILL LIMITÉE Entreprise DÉCISION OBJET DU LITIGE DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE EN MATIÈRE D’ACCÈS À DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS [1] Le 21 janvier 2005, le demandeur requiert de M me Jihan El Shamey, généraliste en ressources humaines des Aliments Cargill (l'Entreprise), une copie d’un rapport d’enquête ayant été rédigé au sujet d’une plainte pour harcèlement sexuel portée contre lui. [2] Le 31 janvier 2005, par l’intermédiaire de M me El Shamey, l’Entreprise avise le demandeur de son refus à lui donner accès au document recherché. [3] Le 28 février 2005, le demandeur sollicite l’intervention de la Commission d'accès à l'information (la Commission) afin que soit examinée cette mésentente.
05 02 91 Page : 2 L’AUDIENCE [4] L’audience se tient à Montréal le 22 février 2006 en présence du demandeur et de deux témoins de l’Entreprise, soit M. Gaby Jodoin et M me Jihan El Shamey. Le demandeur est représenté par M e Michelle Milos du cabinet d’avocats Milos Demers. LA PREUVE A) DE L’ENTREPRISE I) TÉMOIGNAGE DE M. GABY JODOIN [5] M. Jodoin affirme qu’il est directeur des ressources humaines pour l’Entreprise, laquelle compte 650 employés. Il est membre de l’Ordre des conseillers en relations de travail du Québec (l’Ordre). En tant que tel, il se doit de respecter le secret professionnel. L’Entreprise s’occupe de la coupe de viande d’animaux comestibles pour deux marchés d’alimentation. [6] M. Jodoin déclare qu’une plainte pour harcèlement sexuel a été déposée contre le demandeur au mois d’octobre 2003 par une employée de l’Entreprise. À la demande de l’ancien directeur des ressources humaines de celle-ci, les services d’une firme d’investigation externe ont été retenus pour mener une enquête en regard de cette plainte. C’est ainsi que deux enquêteurs de cette firme ont recueilli et consigné les propos de certains employés. Ils ont par la suite rédigé un rapport d’enquête et l’ont soumis à l’Entreprise. [7] D’après M. Jodoin, ce rapport expose les faits énoncés par les employés rencontrés relativement à cette affaire. Il mentionne qu’il ne contient « ni de recommandations ni de conclusion ». Il estime que l’Entreprise refuse d’en fournir une copie au demandeur, car elle n’a pas obtenu l’autorisation des employés cités dans le rapport. [8] Enfin, M. Jodoin précise que le rapport en litige n’est pas en sa possession. Il s’engage cependant à le faire parvenir à la Commission sous le sceau de la confidentialité dans un délai de quinze jours. II) CONTRE-INTERROGATOIRE DE M. GABY JODOIN [9] En contre-interrogatoire, M. Jodoin précise que l’Ordre dont il est membre est régi par le Code des professions 1 et est soumis au secret professionnel. Il réitère l’essentiel de son témoignage et ajoute que, vu l’absence d’autorisation 1 L.R.Q., c. C-26.
05 02 91 Page : 3 des personnes rencontrées par les enquêteurs, les commentaires personnels des employés devraient demeurer inaccessibles au demandeur. III) TÉMOIGNAGE DE M ME JIHAN EL SHAMEY [10] M me El Shamey déclare qu’elle est « généraliste en ressources humaines » au sein de l’Entreprise. Elle a pris connaissance du rapport d’enquête daté du 27 octobre 2003. Elle affirme de plus que le rapport est conservé dans son bureau et gardé « dans une filière spéciale à clefs » dans laquelle se trouvent différentes plaintes. Trois personnes y ont accès, soit M. Jodoin, le contrôleur qui s’occupe de la sécurité au sein de l’Entreprise et elle-même. IV) CONTRE-INTERROGATOIRE DE M ME JIHAN EL SHAMEY [11] M me El Shamey confirme le témoignage de M. Jodoin. Elle mentionne que la firme externe ayant rédigé le rapport est connue sous le nom de « D.L. Investigation ». Elle ajoute que cinq témoins, incluant elle-même, ont été rencontrés par les enquêteurs de cette firme. Elle affirme que ces témoins ne consentent pas à la communication des commentaires personnels qu’ils ont émis à l’endroit du demandeur. À son avis, la divulgation de ce document, sans leur consentement, pourrait leur porter préjudice. [12] Par ailleurs, M me El Shamey signale que l’accès au rapport est refusé au demandeur parce qu’il contient des renseignements confidentiels. La réponse de l’Entreprise en fait d’ailleurs mention (pièce D-1). B) TÉMOIGNAGE DU DEMANDEUR [13] Le demandeur déclare qu’il travaille pour l’Entreprise et qu’il est membre d’un syndicat. Il affirme avoir autorisé le conseiller syndical à formuler, auprès de son employeur, une demande d’accès au rapport d’enquête dont il est l’objet. Vu le refus de l’Entreprise, il a lui-même déposé auprès de celle-ci une demande d’accès écrite (pièce D-2). Il souhaite connaître le contenu de ce document le concernant. En raison de la plainte déposée contre lui, il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire. L’Entreprise a par la suite retiré cette mesure. [14] Le demandeur affirme que les agissements de l’Entreprise représentent un acte discriminatoire à son égard. À cet effet, il a déposé contre cette dernière une plainte pour discrimination basée sur la race devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Il identifie les témoins rencontrés lors de l’enquête et le poste occupé par chacun d’eux. Il précise de plus qu’il connaît les allégations portées par chacun des témoins à son égard. Ces renseignements sont contenus dans un document que lui a fait parvenir la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (pièce D-3).
05 02 91 Page : 4 LES ARGUMENTS DE M E MILOS [15] À l’audience, M e Milos résume le témoignage de chacun des témoins. Elle plaide que les renseignements contenus dans le rapport en litige concernent le demandeur et sont personnels au sens de l’article 2 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 2 (la Loi sur le privé). Il doit y avoir accès en vertu de l’article 27 de cette loi, et ce, conformément à l’affaire Chaîné c. Revere, Compagnie d’assurance-vie 3 qui expose les circonstances permettant à un demandeur l’accès à un rapport d’enquête. [16] En ce qui a trait aux restrictions législatives prévues aux articles 37 à 40 de la Loi sur le privé, M e Milos signale que l’Entreprise ne s’en est pas prévalue pour refuser au demandeur l’accès audit document. [17] Par ailleurs, M e Milos argue que l’Entreprise doit notifier son refus en vertu de l’article 34 de la Loi sur le privé. Elle prétend que le motif de refus invoqué dans sa réponse adressée au demandeur est insuffisant (pièce D-1). [18] De plus, M e Milos argue que, comme membre de l’Ordre, M. Jodoin ne peut pas seulement invoquer le secret professionnel. Il doit également démontrer de quelle manière il s’applique dans la présente cause. Or, il ne l’a pas fait. DÉCISION [19] En vertu des articles 42 et 2 de la Loi sur le privé, le demandeur cherche à obtenir une copie d’un rapport d’enquête contenant des renseignements personnels le concernant : 42. Toute personne intéressée peut soumettre à la Commission d'accès à l'information une demande d'examen de mésentente relative à l'application d'une disposition législative portant sur l'accès ou la rectification d'un renseignement personnel ou sur l'application de l'article 25. 2. Est un renseignement personnel, tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l'identifier. 2 L.R.Q., c. P-39.1. 3 C.A.I. Québec, n o 97 00 44, 28 mai 1998, c. Comeau.
05 02 91 Page : 5 [20] Ce rapport intitulé « Cargill Les aliments Chambly - Harcèlement sexuel - Enquête » fait suite à une plainte pour harcèlement sexuel dont il a fait l’objet au travail. Ce rapport en litige est daté du 27 octobre 2003 et est signé par trois personnes. Il comporte quatre pages et six annexes. Le corps du rapport, composé de douze sections, couvre les aspects suivants : 1. Introduction; 2. Résumé des faits; 3. Mandat confié à la firme d’investigation; 4. Enquête menée par les enquêteurs P.R. et P.L.; 5. Rencontre avec la plaignante; 6. Rencontre avec le témoin W; 7. Rencontre avec le témoin X; 8. Rencontre avec le témoin Y; 9. Rencontre avec le témoin Z (Première rencontre); 10. Rencontre avec le demandeur; 11. Rencontre avec le témoin Z (Deuxième rencontre); 12. Conclusion. [21] De plus, ce rapport est truffé de renseignements personnels tels que l’adresse personnelle de chaque témoin, incluant celle du demandeur, leur description physionomique et leur numéro de téléphone respectifs ainsi que la catégorie des fonctions qu’ils occupent au sein de l’Entreprise. Je suis convaincue que la divulgation de renseignements aussi précis permettrait d’identifier les témoins en question. [22] Le demandeur pourra toutefois avoir, tel que suit, un accès partiel au rapport : a) Les sections 1, 4, 10 et 12 lui sont totalement accessibles (accès total); b) La section 2 lui est accessible à l’exception des noms des personnes qui y figurent (accès partiel); c) Les sections 3, 5, 6, 7, 8, 9 et 11, de même que les annexes, lui sont totalement inaccessibles (accès refusé intégralement). [23] Par ailleurs, la preuve démontre que les témoins rencontrés dans cette affaire ne consentent pas à ce que l’Entreprise transmette au demandeur les commentaires personnels qu’ils ont communiqués aux enquêteurs de la firme d’investigation. Toutes les annexes demeurent donc inaccessibles. En vertu de la Loi sur le privé, le fait que certains commentaires sont déjà connus du demandeur (pièce D-3) ne donne pas à celui-ci un accès automatique. D’ailleurs, un des témoins de l’Entreprise, M me El Shamey, a clairement démontré, entre autres, que la divulgation des renseignements personnels les concernant leur causerait un préjudice. En ce sens, l’article 40 de la Loi sur le privé stipule que :
05 02 91 Page : 6 40. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement personnel la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement personnel sur un tiers ou l'existence d'un tel renseignement et que cette divulgation serait susceptible de nuire sérieusement à ce tiers, à moins que ce dernier ne consente à sa communication ou qu'il ne s'agisse d'un cas d'urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne concernée. [24] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE partiellement la demande d’examen de mésentente formulée par le demandeur contre l’Entreprise; ORDONNE à l’Entreprise de communiquer au demandeur une copie élaguée du rapport d’enquête dont il a fait l’objet, à l’exception des sections et des renseignements personnels énumérés dans les points b) et c) du paragraphe 22 de la présente décision; FERME le présent dossier. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Milos Demers (M e Michelle Milos) Procureurs du demandeur
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