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Commission daccès à linformation du Québec Dossier : 05 02 44 Date : 8 mars 2006 Commissaire : M e Christiane Constant X Demandeur c. BUREAU D'ASSURANCE DU CANADA Entreprise DÉCISION OBJET DU LITIGE DEMANDE DEXAMEN DE MÉSENTENTE EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 8 novembre 2004, le demandeur requiert du Bureau d'assurance du Canada (lEntreprise) une copie des documents contenus dans son dossier personnel. [2] Le 5 janvier 2005, dans une lettre datée « Le 5 janvier 2004 » (sic), M e Carole Perron, directrice Indemnisation des accidents à la compagnie dassurances Aviva, informe le demandeur quelle a transmis à lEntreprise le rapport denquête relatif à lincendie survenu dans son immeuble le 22 août 2001 à Buckingham.
05 02 44 Page : 2 [3] Le 3 février 2005, en réponse à celle de M e Perron, M e Raymond Doray, du cabinet davocats Lavery, de Billy, transmet une lettre au demandeur linformant quil représente lEntreprise. Il signale que, dans la réponse que M me Lorraine Tapin lui a fait parvenir pour lEntreprise, celle-ci constatait que « selon le système informatique du BAC [Bureau dassurance du Canada], deux autres documents avaient été rédigés, mais quils avaient été détruits par erreur ». Par conséquent, Mme Tapin invitait le demandeur à sadresser à Aviva pour consulter ces documents. Le 5 janvier 2005, cette dernière a signalé au demandeur que le seul rapport denquête quelle détenait avait été transmis à lEntreprise. Celle-ci déplore la destruction par mégarde de ces deux documents. [4] Le 9 février 2005, le demandeur sadresse à la Commission daccès à linformation (la Commission) afin de faire examiner la mésentente entre les parties. Il précise quil a formulé une demande daccès auprès de Aviva et auprès de lEntreprise. Il ajoute quil a reçu certains documents. L'AUDIENCE [5] L'audience se tient à Gatineau le 9 septembre 2005 en présence du demandeur. Lentreprise est représentée par M e Sophie Dormeau du cabinet davocats Lavery, de Billy. [6] Par ailleurs, pour faire suite à une demande de M e Dormeau datée du 7 septembre 2005, jautorise lEntreprise à soumettre une preuve par affidavit, sous réserve de lobtention de renseignements additionnels qui seraient exigés de ma part éventuellement. LA PREUVE A) DE LENTREPRISE [7] M e Dormeau dépose en preuve un affidavit de M. Joey Ouellet, directeur pour le Québec de la Division des services denquête de lEntreprise (pièce E-1). Elle soumet également en preuve le document intitulé « LActe dassociation et les statuts » (lActe) du Service anti-crime des assureurs, daté du 12 juin 1984 (pièce E-2). Cette entité est le précurseur de lEntreprise. Plusieurs compagnies dassurances, dont le Groupe CGU (devenue par la suite Aviva), en sont membres. Elles sont tenues de respecter les instructions, directives et statuts qui sont consignés dans lActe. Cela inclut les procédures à suivre quant à la divulgation des rapports détenus par lEntreprise.
05 02 44 Page : 3 [8] Les renseignements paraissant à laffidavit de M. Ouellet peuvent se résumer ainsi : a. CGU est une compagnie dassurances ayant donné un mandat au BAC afin de mener une enquête à la suite dun incendie survenu dans un immeuble dont le demandeur était propriétaire; b. C.S. a été désigné pour mener cette enquête et a rédigé le rapport denquête; c. LEntreprise a communiqué ce rapport uniquement au Groupe CGU; d. Il ajoute que les assureurs requérant les services denquête de lEntreprise « sengagent à assurer la confidentialité des rapports que nous préparons à leur demande de manière à ce que soient notamment protégées les sources dinformation, les méthodes denquête et les enquêtes futures »; e. Au surplus, il indique que la divulgation du rapport en litige révèlerait des renseignements concernant des personnes physiques autres que le demandeur et que cette divulgation « ferait connaître des méthodes denquête ou pourrait nuire à des enquêtes en cours ou à venir ». B) TÉMOIGNAGE DU DEMANDEUR [9] Le demandeur modifie sa demande à laudience. Il précise que sa demande vise lobtention dune déclaration de 4 à 5 pages quil a signée à Buckingham le ou vers le 22 février 2002, en présence de C.S., enquêteur pour lEntreprise. Celui-ci a mené une enquête pour le compte dAviva à la suite dun incendie survenu le 22 août 2001 dans son immeuble, assuré par cette dernière. Une autre personne était cependant propriétaire du bar qui sy trouvait. [10] Le demandeur précise quil désire obtenir la déclaration portant sa signature. Il affirme quil ne peut concevoir que des documents puissent être détruits par erreur par Aviva. Il réitère sa demande. CONTRE-INTERROGATOIRE DU DEMANDEUR [11] Lors du contre-interrogatoire mené par M e Dormeau, le demandeur reconnaît que la compagnie dassurances Aviva lui a versé la prime inscrite dans sa police dassurances. Quant à la déclaration quil cherche à obtenir, Il fournit des détails, tels que le lieu et la date de sa rencontre avec lenquêteur de lEntreprise.
05 02 44 Page : 4 INTERVENTION [12] À ce sujet, jinterviens pour adresser des demandes aux deux parties et leur faire part des délais additionnels attribués. Je demande à M e Dormeau de faire le nécessaire afin de clarifier trois points et de me communiquer le résultat de ses recherches. Premièrement, si la déclaration existe, elle doit me la faire parvenir sous le sceau de la confidentialité. Deuxièmement, elle doit me faire savoir si la déclaration est inscrite ou non dans le système informatique de lEntreprise. Enfin, si ce nest pas le cas, elle doit vérifier si la déclaration est en possession de C.S, lenquêteur alors responsable de lenquête. Le demandeur pourra émettre ses observations écrites dans un délai additionnel équivalent à celui de lEntreprise. [13] Le demandeur poursuit son témoignage. Il affirme quil a soumis, à la suite de lincendie, une demande au bureau de lIndemnisation des victimes dactes criminels (lIVAC). Cette demande lui a été refusée en raison de renseignements erronés quaurait fournis C.S. à son égard. En raison de cet événement, il signale avoir connu des difficultés financières, et ce, malgré quil fût en affaires depuis trente ans. Il souhaite être en mesure de prendre connaissance des commentaires émis par les personnes rencontrées par lenquêteur de lEntreprise. Cela lui permettrait de faire rectifier, le cas échéant, les renseignements inexacts qui le concernent. Il mentionne cependant ne pas vouloir connaître lidentité de ces personnes. LES ARGUMENTS A) DE LENTREPRISE [14] M e Dormeau plaide que lEntreprise a refusé au demandeur laccès au rapport denquête en litige, en vertu des articles 39 et 40 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . Cest un document privilégié revêtant un caractère confidentiel et protégé par le secret professionnel, selon les termes de larticle 9 de la Charte des droits et libertés de la personne 2 (la Charte). [15] M e Dormeau fait remarquer que lEntreprise a pour mission notamment de recevoir des demandes denquête qui lui sont adressées par les compagnies dassurances qui en sont membres. Aviva en fait partie. Un enquêteur de lEntreprise, responsable de lenquête, a fait rapport à cette dernière. 1 L.R.Q., c. P-39.1. 2 L.R.Q., c. C-12.
05 02 44 Page : 5 [16] Selon M e Dormeau, tel quil est indiqué dans LActe dassociation et les statuts de lEntreprise, Aviva na pas le droit de communiquer à un demandeur une copie dun rapport denquête. Et ce, sous peine de subir une déchéance, tel quil est stipulé à sa clause 11.1 : Divulgation des procédures et rapports : Toutes les procédures concernant le Service, le conseil dadministration ou tout autre comité, ainsi que les votes pris au cours de toute réunion et tous les procès-verbaux, rapports et autre documents émis par le Service sont réputés être strictement confidentiels et les membres ordinaires ou participants ne peuvent les divulguer à toute personne, firme ou société qui nest pas membre ordinaire ou participant du Service. [17] M e Dormeau souligne que, lors de lenquête de lEntreprise, C.S. devait vérifier la nature de lincendie survenu dans un immeuble du demandeur. Lenquête visait à déterminer si celui-ci était dorigine criminel ou non. Elle plaide de plus que lEntreprise ne renonce pas à la confidentialité du rapport denquête quelle a rédigé pour Aviva. Cest un document privilégié qui doit demeurer confidentiel, et ce, conformément à laffaire Fortier Auto (Montréal) ltée c. Brizard 3 , lorsque la Cour dappel du Québec a décidé, entre autres, que : […] le rapport denquête dune agence dinvestigation ou dun expert en sinistre constitue un document à caractère confidentiel et privilégié qui na pas à être dévoilé à la partie adverse sauf si la partie a renoncé à sa confidentialité. Un tel rapport denquête, payé par la partie qui a jugé à propos den requérir un, lui appartient. Cest un outil qui lui sert dans la conduite de sa cause. La partie adverse ne peut, à laveuglette, demander que le contenu du document lui soit dévoilé. Dautant plus que de tels documents renferment bien souvent des informations confidentielles sur la valeur morale des déclarants ou encore soulèvent des soupçons sur des personnes visées par lenquête. [18] M e Dormeau commente de plus un texte de lauteur Jean-Claude Royer, selon lequel : Ainsi, sont parfois privilégiés les documents transmis directement à une partie par ses employés, des investigateurs ou une commission denquête. Dans larrêt 3 Fortier Auto (Montréal) ltée c. Brizard, REJB 2000-15774 (C.A.)
05 02 44 Page : 6 Prévoyance, (La) Cie dassurance c. Construction du Fleuve ltée, la Cour dappel a jugé privilégié un rapport denquête préparé pour une compagnie dassurance et transmis subséquemment à ses avocats. LE SECRET PROFESSIONNEL [19] M e Dormeau argue quun rapport denquête comme celui en litige est protégé par le secret professionnel au même titre que des renseignements confidentiels fournis par un client à son procureur dans le cadre de la relation avocat-client. Ainsi en a décidé, entre autres, la Cour du Québec dans laffaire Général Accident, compagnie dassurance du Canada c. Ferland 4 , lorsquelle indique que : Il ny a pas que les avocats qui puissent prétendre au secret professionnel, bien au contraire. Cette disposition de la charte protège plus généralement toutes les personnes qui se voient confier des renseignements confidentiels dans le cadre de leurs fonctions. En fait, il est reconnu depuis longtemps en jurisprudence que lexpert en sinistre bénéficie de cette protection pour les enquêtes quil mène pour le compte des compagnies dassurances. La compagnie dassurances a donc la responsabilité de sassurer quelle protège la confidentialité des renseignements ainsi reçus par lexpert en sinistre quelle avait mandaté pour enquêter dans une affaire. Le respect du secret professionnel est un droit fondamental qui ne doit pas être interprété comme une exception à un droit de se voir divulgué un dossier contenant des renseignements personnels. La protection que peut garantir larticle 9 de la charte au respect du secret professionnel lui donne un caractère prioritaire lorsquil vient en conflit avec un autre droit. COMPLÉMENT DE PREUVE [20] En ce qui a trait à lexistence ou non de la déclaration à laquelle réfère le demandeur dans son témoignage, M e Dormeau minforme quune vérification a été faite auprès de C.S. Celui-ci, qui nest plus à lemploi de lEntreprise, indique « que tous les dossiers denquête » dans lesquels il avait travaillé sont conservés au bureau de lEntreprise. Il ne détient aucun document concernant le demandeur. 4 [1997] C.A.I. 446, 448 (C.Q.)
05 02 44 Page : 7 [21] De plus, M e Dormeau me transmet un affidavit portant la signature de M. Joey Ouellet (pièce E-3), directeur de la Division des services denquête. Pour lessentiel, celui-ci affirme : a. quil a pris connaissance du dossier du demandeur pour lequel C.S. a été chargé par lEntreprise de mener une enquête à la suite dun incendie survenue dans limmeuble de celui-ci le 23 août 2001 (sic); b. quil constate quaucune déclaration signée par le demandeur le ou vers le 22 février 2002 ne sy trouve; c. que ce dernier document, sil existe, na ni été conservé dans les dossiers de lEntreprise ni entré dans le système informatique de celle-ci. DÉCISION [22] Après un échange de correspondance entre les parties et la Commission et après avoir accordé de part et dautre un délai additionnel, je reçois les derniers commentaires de lEntreprise le 27 janvier 2006. Ces commentaires ont été transmis au demandeur le 3 février suivant. [23] Considérant lamendement apporté par le demandeur à laudience, soit le désir d'obtenir une copie dune déclaration quil a signée, en présence dun enquêteur de lEntreprise, le ou vers le 22 février 2002; [24] Considérant que lEntreprise prétend que deux documents non identifiés ont été détruits par erreur dans son système informatique; [25] Considérant que lEntreprise na pas produit, sous le sceau de la confidentialité, cette déclaration à laudience; [26] Considérant les précisions apportées par le demandeur sur lendroit et la date cette déclaration aurait été prise par C.S., enquêteur de lEntreprise; [27] Considérant ces renseignements spécifiques, une vérification additionnelle a été faite par lEntreprise. [28] Vu la preuve documentaire sur ce point, force est de constater que lEntreprise ne détient pas la déclaration que le demandeur aurait signée le ou vers le 22 février 2002.
05 02 44 Page : 8 LE SECRET PROFESSIONNEL [29] Par ailleurs, pour faire suite à lamendement apporté par le demandeur, le rapport denquête le concernant nest plus en litige. [30] Néanmoins, si tel était le cas, il naurait pas pu y avoir accès en vertu de larticle 9 de la Charte. En effet, les cours supérieures ont statué que ce type de documents, tel un rapport dexpert en sinistres, est confidentiel et protégé par le secret professionnel. Aviva ne renonce pas à la règle de la confidentialité relative à ce document détenu par lEntreprise. [31] Dans laffaire Sécurité assurances générales c. Gravel 5 , la Cour du Québec a décidé notamment que : Le secret professionnel en tant que droit dexception au principe général de laccès aux documents concernant une personne mérite une attention particulière. Ainsi, bien quil puisse paraître profitable pour un individu davoir accès à des dossiers ou rapports confidentiels le concernant, il importe de se rappeler que ce droit fondamental a pour but également de protéger le client faisant affaire avec un professionnel, soit dans le présent cas la compagnie dassurance. Et pour que cette protection puisse jouer efficacement, le champ dapplication de ce droit doit être interprété de façon libérale. Cependant pour éviter tout abus, la limite de confidentialité des documents doit quant à elle recevoir une interprétation restrictive et se limiter aux renseignements révélés à lexpert et à toute conclusion ou tout commentaire découlant de ces renseignements. Dès lors, tout fait pour lequel lexpert est un témoin direct ne peut faire lobjet de cette protection de larticle 9 de la Charte. Pour ces motifs de faits et de droit plus haut analysés, nous soumettons quil faut retenir que : - lexpert en sinistre est une personne bénéficiant du respect du secret professionnel, en vertu de larticle 9 de la Charte des droits et libertés de la personne et selon les articles 199 et suivants du Règlement du Conseil des assurances sur les intermédiaires de marché en assurance de dommages. 5 Sécurité assurances générales c. Gravel, REJB 2000-19072 (C.Q.)
05 02 44 Page : 9 - les rapports confectionnés par lexpert en sinistre sont donc confidentiels, sauf en ce qui concerne tout fait pour lequel il nest quun témoin direct, donc tout fait nayant pas ce caractère confidentiel, parce que non révélé à lexpert. [32] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : PREND NOTE de lamendement apporté par le demandeur à laudience, voulant quil désire obtenir une copie de la déclaration quil a signée, en présence de C.S., enquêteur, le ou vers le 22 février 2002; CONSTATE linexistence de ladite déclaration; REJETTE quant au reste la demande; FERME le présent dossier. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Lavery, de Billy (M e Sophie Dormeau) Procureurs de lEntreprise
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