Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 04 04 73 Date : Le 20 février 2006 Commissaire : M e Jacques Saint-Laurent X Demandeur c. Ministère de la Sécurité publique Organisme DÉCISION L’OBJET DEMANDE DE RÉVISION, formulée en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Le 16 février 2004, le demandeur s’adresse au ministère de la Sécurité publique pour obtenir, concernant l’établissement de détention de Rivière-des-Prairies, «le nom ou les noms du détenu ou des détenus avec leur numéro de matricule qui était au secteur P-1 le 31 mai 2002 vers 21 h 30.» 1 L.R.Q. c. A-2.1 ci-après appelée «la Loi sur l’accès»
04 04 73 Page : 2 [2] Le 17 février 2004, le responsable de la gestion des dossiers de l’établissement de détention de Rivière-des-Prairies informe le demandeur qu’il ne peut répondre à la demande, vu la Loi sur l’accès. [3] Le 4 mars 2004, le responsable de l’accès informe le demandeur que les renseignements personnels sur les autres détenus ne peuvent lui être communiqués, tenant compte des articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès. [4] Le 15 mars 2004, le demandeur présente une demande de révision de la décision du responsable de l’accès. [5] Le 11 mars 2005, les parties sont convoquées à une audience qui se tient le 12 mai 2005 à Montréal. Le demandeur participe seul à l’audience. L’organisme est représenté par Me Marie-Josée Bourgeault. Elle est accompagnée du responsable de l’accès, M. André Marois. LA PREUVE i) de l’organisme [6] La procureure de l’organisme fait entendre le responsable de l’accès. [7] Le témoin explique au demandeur et à la Commission que l’établissement de détention doit conserver des renseignements personnels relatifs à la gestion de l’incarcération des personnes concernées. Les renseignements informatiques sont conservés dans un système connu sous le nom de «DACOR». [8] Le témoin précise qu’en plus des données conservées de façon informatique, les établissements de détention utilisent un dossier physique pour chaque individu. Le dossier physique est généralement composé d’un dossier administratif, d’un dossier social et, pour les établissements de détention concernés, d’un dossier médical. [9] Le responsable de l’accès précise que, pour obtenir les renseignements demandés par le demandeur, il faut interroger le système informatique DACOR. Cette recherche permet l’impression d’une liste de personnes pour une date et un lieu donnés. [10] L’organisme produit, à titre confidentiel, un document de trois (3) pages correspondant à des extraits d’une liste informatique. La procureure de l’organisme informe la Commission de son intention de présenter une preuve ex parte concernant la dernière page de ce document.
04 04 73 Page : 3 [11] Avant de procéder à l’audition ex parte, le témoin fait une présentation générale du document. [12] Il appert que la liste informatique produite sous pli confidentiel permet notamment de connaître, pour chacune des personnes concernées, le nom, le prénom, la date de naissance, le numéro de dossier unique, le lieu de détention (secteur et cellule), le statut de prévenu ou de détenu, la date d’une libération probable et d’autres informations particulières concernant notamment les cas d’absence temporaire. [13] La preuve ex parte permet de comprendre que le système informatique DACOR peut produire une liste de personnes présentes dans l’un ou l’autre des secteurs, à une période précise. En connaissant le secteur concerné, il est possible de reconstituer la liste des personnes présentes. ii) du demandeur [14] Dans le cadre de son témoignage, le demandeur explique à la Commission qu’il souhaite connaître le nom de la personne qui était avec lui dans le secteur P-1, le 31 mai 2002 vers 21 h 30. [15] Pour se défendre des accusations de voies de fait portées contre lui, le demandeur cherche à retracer un témoin qui aurait été présent dans l’établissement de détention à ce moment-là. Il prétend connaître le nom de famille du témoin en question. [16] Le demandeur produit trois (3) documents : Premièrement, il soumet une décision de la Commission d’accès à l’information du 29 mars 1996, dossier 95 17 81, concernant une demande de révision qu’il avait présentée, à l’époque, contre la Ville de la Prairie. Cette décision est identifiée sous la cote D-1. Elle vise à appuyer les arguments du demandeur quant à son droit à l’accès. Deuxièmement, un document est identifié sous la cote D-2. Il s’agit d’un document informatique qui semble provenir du système DACOR, intitulé «Compte rendu du comité de discipline». Il porte la date du 3 juin 2002. Troisièmement, un document est identifié sous la cote D-3. Il s’agit d’une lettre que le demandeur a adressée à un enquêteur de la Sûreté du Québec et à une enquêtrice du Protecteur du citoyen, le 26 juin 2002, concernant les événements survenus le 31 mai 2002 à l’établissement de détention de Rivière-des-Prairies.
04 04 73 Page : 4 ARGUMENTS i) de l’organisme [17] L’organisme comprend que le demandeur souhaite exercer ses droits à l’égard des faits survenus le 31 mai 2002. De son côté, le responsable de l’accès doit appliquer les dispositions relatives à la protection des renseignements personnels. [18] S’appuyant sur les articles 53, 54 et 56 de la Loi sur l’accès, l’organisme en est venu à la conclusion que les différents renseignements fournis par le système DACOR, en relation avec une personne détenue, constituent un ensemble de renseignements nominatifs qui doivent être gardés confidentiels. 2 [19] La procureure de l’organisme souligne également que les renseignements personnels dont il s’agit sont des renseignements personnels qui concernent des tiers. S’appuyant sur les décisions de Balmet Canada inc. c. Hôpital du Haut-Richelieu 3 , Fédération de protection de l’environnement du Canton d’Orford c. Orford 4 et Nadeau c. Ville de Laval 5 , la procureure soumet que ces documents doivent demeurer confidentiels. ii) du demandeur [20] Au départ, le demandeur affirme qu’il a un droit d’accès aux renseignements demandés pour pouvoir se défendre dans le cadre d’un procès criminel. [21] Par ailleurs, le demandeur soumet à l’organisme que le tiers concerné pourrait consentir à la communication des renseignements personnels le concernant. Il laisse entendre que l’organisme devrait prendre des mesures pour obtenir ce consentement. 2 DORAY, Raymond, CHARRETTE, François, Accès à l’information, vol. 1, Éditions Yvon Blais, section III, 53-1 à 54-11. Segal c. Centre de services sociaux de Québec, [1988] CAI 315. 3 [1991] CAI 230. 4 [1992] CAI 308. 5 [2002] CAI 54.
04 04 73 Page : 5 DÉCISION [22] La Commission a pris connaissance du document soumis à titre confidentiel par l’organisme. Il s’agit de déterminer dans quelle mesure les renseignements faisant partie de la liste informatique provenant du système DACOR peuvent être communiqués en vertu de la Loi sur l’accès. [23] La liste informatique comprend le nom et le prénom d’une personne, sa date de naissance, le numéro de dossier unique, le lieu de détention (secteur et cellule), son statut à titre de prévenu ou de détenu, la date probable de sa libération et d’autres circonstances ponctuelles concernant la détention, notamment le fait qu’elle est en absence temporaire. [24] S’agissant de renseignements qui concernent des personnes physiques, les dispositions pertinentes de la Loi sur l’accès sont les articles 53, 54 et 56 : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants : 1˚ leur divulgation est autorisée par la personne qu’ils concernent; si cette personne est mineure, l’autorisation peut également être donnée par le titulaire de l’autorité parentale; 2˚ ils portent sur un renseignement obtenu dans l’exercice d’une fonction d’adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l’organisme les a obtenus alors qu’il siégeait à huis-clos ou s’ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l’identifier. 56. Le nom d’une personne physique n’est pas un renseignement nominatif, sauf lorsqu’il est mentionné avec un autre renseignement la concernant ou lorsque sa seule mention révélerait un renseignement nominatif concernant cette personne. [25] L’analyse des renseignements énumérés précédemment et la législation précitée confirment que les renseignements dont on demande l’accès sont nominatifs. Par exemple, un nom, un prénom et une date de naissance sont des renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l’identifier.
04 04 73 Page : 6 [26] Puisqu’ils sont reliés à une personne physique, le numéro de dossier unique de l’établissement de détention, le statut de prévenu ou de détenu et la date de libération probable sont également, selon moi, des renseignements nominatifs. [27] La Loi sur l’accès établit un régime de protection rigoureux pour les renseignements nominatifs. Sauf de rares exceptions, on ne peut pas déroger au principe fondamental de l’article 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels. Bien sûr, la personne concernée peut autoriser la divulgation des renseignements nominatifs qui la concernent. [28] Outre cette autorisation, les articles 59 et 59.1 de la Loi sur l’accès prévoient des situations exceptionnelles où il pourrait être possible de communiquer un renseignement nominatif, sans le consentement de la personne concernée. Par contre, les faits à l’origine de la présente demande de révision ne correspondent pas aux exceptions décrites dans ces articles : 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. Toutefois, il peut communiquer un tel renseignement sans le consentement de cette personne, dans le cas et aux strictes conditions qui suivent : 1˚ au procureur de cet organisme si le renseignement est requis aux fins d’une poursuite pour infraction à une loi que cet organisme est chargé d’appliquer, ou au Procureur général si le renseignement est requis aux fins d’une poursuite pour infraction à une loi applicable au Québec; 2˚ au procureur de cet organisme, ou au Procureur général lorsqu’il agit comme procureur de cet organisme, si le renseignement est requis aux fins d’une procédure judiciaire autre qu’une procédure visée dans le paragraphe 1˚; 3˚ à une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, si le renseignement est requis aux fins d’une poursuite pour infraction à un loi applicable au Québec; 4˚ à une personne à qui cette communication doit être faite en raison d’une situation d’urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne concernée;
04 04 73 Page : 7 5˚ à une personne qui est autorisée par la Commission d’accès à l’information, conformément à l’article 125, à utiliser ce renseignement à des fins d’étude, de recherche ou de statistique; 6˚ (paragraphe abrogé); 7˚ (paragraphe abrogé); 8˚ à une personne ou à un organisme, conformément aux articles 61, 67, 67.1, 67.2, 68 et 68.1; 9˚ à une personne impliquée dans un événement ayant fait l’objet d’un rapport par un corps de police, lorsqu’il s’agit d’un renseignement sur l’identité de toute autre personne qui a été impliquée dans cet événement, sauf s’il s’agit d’un témoin, d’un dénonciateur ou d’une personne dont la santé ou la sécurité serait susceptible d’être mise en péril par la communication d’un tel renseignement. 59.1 Outre les cas prévus à l’article 59, un organisme public peut également communiquer un renseignement nominatif, sans le consentement des personnes concernées, en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide, lorsqu’il existe un motif raisonnable de croire qu’un danger imminent de mort ou de blessures graves menace une personne ou un groupe de personnes identifiable. Les renseignements peuvent alors être communiqués à la ou aux personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou à toute personne susceptible de leur porter secours. La personne ayant la plus haute autorité au sein de l’organisme public doit, par directive, établir les conditions et les modalités suivant lesquelles les renseignements peuvent être communiqués par le personnel de l’organisme. Le personnel est tenu de se conformer à cette directive. [29] Puisque aucune des exceptions prévues aux articles 59 et 59.1 de la Loi sur l’accès ne s’appliquent, le demandeur soumet que le Ministère de la Sécurité publique devrait se charger d’obtenir le consentement de la personne dont il recherche l’identité.
04 04 73 Page : 8 [30] Cette question a déjà fait l’objet d’une étude par la Cour du Québec 6 qui en est venue à la conclusion qu’il appartient au demandeur de solliciter et, le cas échéant, de faire la preuve du consentement du tiers à la communication de ses renseignements personnels. L’organisme public n’a pas à effectuer une démarche auprès du tiers dont le consentement est requis. [31] Ainsi, les arguments soulevés par le demandeur ne peuvent pas être retenus. [32] J’en arrive à la conclusion que les renseignements demandés «le nom ou les noms du détenu ou des détenus avec leur numéro de matricule qui était au secteur P-1 le 31 mai 2002, vers 21 h 30» sont des renseignements nominatifs protégés par l’article 53 de la Loi sur l’accès. POUR CES MOTIFS, la Commission : REJETTE la demande de révision présentée par le demandeur le 15 mars 2004. M e Jacques Saint-Laurent Président M e Marie-Josée Bourgeault Procureure de l’organisme 6 Paquet c. Ministère de la Justice du Québec, [2002] CAI 449 (C.Q.).
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.