04 07 16 Page : 2 OBJET DU LITIGE DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 22 février 2004, les demandeurs requièrent conjointement de la Ville de Montréal (l’« Organisme ») l’accès aux documents suivants : • Tout document relatif au processus d’étude des demandes de subvention à la rénovation, aux responsabilités respectives des divers employés impliqués dans ce processus et aux critères utilisés pour déterminer l’admissibilité à une subvention et décider de son octroi. • Tout document relatif à notre réclamation présentée le 2 septembre 2003 au Bureau des réclamations, y compris tout document relatif aux communications entre les employés de la Ville et entre ces employés et le cabinet Yves Luc Perreault inc., et tout document relatif à l’enquête effectuée par Yves Luc Perreault. • Tout document relatif à notre demande de subvention pour la rénovation du 2042-48 […] postérieur au 27 mai 2003. [2] Le 18 mars 2004, par l’intermédiaire de M e Jacqueline Leduc, notamment greffière et responsable de l’accès aux documents, l’Organisme transmet un accusé de réception aux demandeurs. Le 7 avril suivant, il leur transmet une copie du règlement 03-013, intitulé « Règlement sur la subvention à la rénovation et à la démolition-reconstruction résidentielles ». Quant au reste des documents, l’Organisme invoque comme motifs de refus les articles 9 (deuxième paragraphe), 32 et 37 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi sur l’accès »). [3] Le 26 avril 2004, les demandeurs sollicitent conjointement l’intervention de la Commission d’accès à l’information (la « Commission ») afin que soit révisée la décision de l’Organisme. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
04 07 16 Page : 3 L’AUDIENCE [4] L’audience a été remise une fois sur requête des demandeurs. Le 2 novembre 2005, elle se tient à Montréal en présence de l’un des demandeurs, soit Y. Pour sa part, l’Organisme est représenté par M e Philippe Berthelet du cabinet d’avocats Charest, Séguin, Caron. MISE EN CONTEXTE [5] M e Berthelet précise à l’audience qu’il a remis à Y des documents concernant le troisième point de sa demande. Celui-ci s’en déclare satisfait. [6] M e Berthelet fait remarquer que les demandeurs, à la suite d’un incident concernant un immeuble leur appartenant, ont fait parvenir à l’Organisme une mise en demeure lui réclamant une certaine somme d’argent. L’Organisme a nié toute responsabilité relativement à cette affaire. Cette mise en demeure a été traitée par le Bureau des réclamations de la Ville à l’aide des services d’une firme d’experts en sinistres. Les demandeurs ont alors intenté un recours contre l’Organisme devant la Cour du Québec (Division des petites créances). La décision de la Cour a été rendue au mois de juin 2005 en faveur de l’Organisme. Cette décision (non cotée) est produite à l’audience. LA PREUVE A) DE L’ORGANISME [7] M e Berthelet fait témoigner M. André Lapointe. Celui-ci affirme solennellement qu’il est responsable du Bureau des réclamations de l’Organisme depuis 1987. Il traite annuellement près de 5000 réclamations. En 2005 cependant, il en a traité près de 10 000. M. Lapointe indique qu’il est de plus responsable du personnel de bureau, du personnel de soutien et des analystes. Il ajoute que les réclamations des citoyens visent des dommages matériels et physiques et qu’elles sont, pour la plupart, acheminées à des experts en sinistres. Ceux-ci ont pour mandat, entre autres, d’effectuer des enquêtes, de soumettre des rapports d’enquête dans lesquels ils émettent, notamment, des opinions et formulent des recommandations à l’Organisme. Ce dernier fait affaire avec une dizaine de firmes d’experts en sinistres.
04 07 16 Page : 4 [8] Monsieur Lapointe précise que, dans le cas présent, l’Organisme avait retenu les services professionnels de la firme d’experts en sinistres Yves Luc Perreault afin de mener une enquête relative à un immeuble des demandeurs. Ceux-ci ont préalablement réclamé de l’Organisme une certaine somme d’argent à titre de dommages. Pour cette raison, l’Organisme a confié un mandat d’enquête à la firme d’experts en sinistres Yves Luc Perreault. L’enquête étant terminée, l’expert de la firme lui a transmis les trois rapports qu’il produit, sous le sceau de la confidentialité, à l’audience. [9] Monsieur Lapointe souligne que les enquêtes sont toujours faites de façon confidentielle, car elles contiennent, entre autres, des éléments recueillis par l’expert, des stratégies d’enquête, des opinions et des recommandations faites à l’Organisme. [10] Enfin, M. Lapointe déclare par ailleurs que l’Organisme ne détient pas de politique relative au processus d’octroi des contrats à des firmes d’experts en sinistres. CLARIFICATIONS RECHERCHÉES PAR LE DEMANDEUR [11] Monsieur Lapointe signale qu’il n’existe pas de document administratif décrivant le mandat octroyé à une firme d’experts en sinistres et le rôle que celle-ci est appelée à jouer dans des circonstances comme celles concernant l’immeuble des demandeurs. Il ne possède pas non plus de « politique de médiation » concernant les experts en sinistres. B) DU DEMANDEUR [12] Le demandeur, Y, reconnaît solennellement que l’Organisme lui a remis des documents visant le troisième point de sa demande conjointe. Il ajoute que lorsque X, la demanderesse, et lui-même ont rencontré M. Yves Luc Perreault, expert en sinistres, celui-ci s’est présenté comme étant un médiateur. Ils lui ont alors fourni tous les renseignements qu’il leur a demandés puisque, ce faisant, les parties devaient en arriver à une entente. Le demandeur indique qu’il désire avoir accès à la politique de médiation de l’Organisme. [13] Par ailleurs, le demandeur s’est dit étonné d’apprendre dans une lettre datée du 26 janvier 2004 que leur adressait M. Perreault, que celui-ci a été embauché par l’Organisme « afin d’enquêter sur les circonstances entourant la perte » que lui-même et X prétendent avoir subie. Il maintient que cet expert s’était plutôt présenté à eux comme médiateur.
04 07 16 Page : 5 C) CONTRE-INTERROGATOIRE DU DEMANDEUR [14] Contre-interrogé par M e Berthelet, le demandeur reconnaît que la lettre datée du 26 janvier 2004 que lui a fait parvenir l’expert ne fait pas mention de médiation ou d’entente entre les parties. Il reconnaît également que cet expert ne lui a pas remis une carte professionnelle le décrivant comme médiateur non plus. LES ARGUMENTS [15] M e Berthelet fait remarquer que le demandeur mentionne, pour la première fois à l’audience, qu’une médiation est intervenue entre lui-même, X et M. Perreault. Celui-ci ne lui a remis aucun document précisant qu’il agissait à titre de médiateur. Il s’est plutôt présenté comme chargé de mener une enquête relativement à une réclamation formulée par les demandeurs auprès de l’Organisme. [16] M e Berthelet fait également un résumé du témoignage de M. Lapointe quant aux motifs de l’embauche de l’expert en sinistres Yves Luc Perreault par l’Organisme. De plus, les documents, tels que recherchés dans les deux autres points de la demande, sont inexistants. [17] Se référant au premier rapport (daté du 30 septembre 2003), M e Berthelet plaide que les renseignements fournis par les demandeurs à l’expert en sinistres leur sont accessibles, et ce, conformément à la décision Sécurité assurances générales c. Gravel 2 . Dans cette dernière, la Cour du Québec se prononce à cet effet : […] à notre avis, seuls les faits que l’expert en sinistres a lui-même constatés de même que le propre témoignage des intimés peuvent être portés à leur connaissance. Tout autre élément ayant été révélé à l’expert de même que toute opinion ou conclusion faite par celui-ci sur la base de ces éléments révélés ne peuvent être divulgués aux intimés, puisqu’il s’agit de communications privilégiées couvertes par le secret professionnel, tel que stipulé à l’article 9 de la charte. 2 [2000] C.A.I. 408 (C.Q.).
04 07 16 Page : 6 [18] M e Berthelet plaide cependant que l’examen des éléments recueillis par l’expert dans le cadre de son enquête de même que ses opinions et ses avis doivent demeurer confidentiels, ces derniers éléments étant protégés par le secret professionnel selon les termes de l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne 3 (la « Charte »). M e Berthelet argue que, si l’Organisme avait renoncé à la confidentialité de ces renseignements, les demandeurs auraient pu y avoir accès. Or il refuse de le faire. Ces renseignements revêtent donc un caractère confidentiel. À cet effet, il s’appuie sur une décision rendue par la Cour du Québec dans l’affaire Service anti-crime des assureurs c. Ménard 4 , laquelle réfère à la cause Fortier Auto (Montréal) ltée c. Brizard 5 . Dans cette décision, la Cour d’appel du Québec déclare notamment : À mon avis, le rapport d’enquête d’une agence d’investigation ou d’un expert en sinistre constitue un document à caractère confidentiel et privilégié qui n’a pas à être dévoilé à la partie adverse sauf si la partie a renoncé à la confidentialité. Un tel rapport d’enquête, payé par la partie qui a jugé à propos d’en requérir un, lui appartient. C’est un outil qui lui sert dans la conduite de sa cause. La partie adverse ne peut, à l’aveuglette, demander que le contenu du document lui soit dévoilé. [19] M e Berthelet argue de plus que les trois rapports n’appartiennent pas à l’expert en sinistres, simple détenteur d’un mandat. Ils appartiennent plutôt à l’Organisme, détenteur du secret professionnel et mandataire, puisqu’il a engagé cet expert afin de mener une enquête en regard de la réclamation des demandeurs. Conformément à la décision Service anti-crime précitée, la Cour du Québec soulève également ce qui suit : […] Le rapport d’expertise a été confectionné par l’organisme à qui Desjardins avait confié le mandat de faire enquête, soit Service anti-crime. Ce rapport appartient à Desjardins, qui est détentrice du secret professionnel, et qui seule peut libérer son mandataire de ce secret. Il n’a pas été démontré que Desjardins avait libéré Service anti-crime de son obligation au secret professionnel. Le rapport d’enquête est donc un document confidentiel protégé par le secret professionnel de l’article 9 de la charte. Aussi, la décision de Service anti-crime de refuser de divulguer son rapport d’enquête était bien fondée. […] 3 L.R.Q., c. C-12. 4 [2004] C.A.I. 630, 644 et 645. 5 J.E. 2000-177 et R.E.J.B. 2000-15774 (C.A.).
04 07 16 Page : 7 [20] Par ailleurs, M e Berthelet fait remarquer que la responsable de l’accès aux documents était fondée de refuser de communiquer aux demandeurs l’analyse effectuée par l’expert en sinistres, M. Perreault, car ils allaient entreprendre un recours judiciaire contre l’Organisme. Un jugement est rendu par la Cour du Québec (Division des petites créances) en faveur de l’Organisme. DÉCISION [21] La demanderesse, X, est absente à l’audience alors que l’autre demandeur, Y, est présent. Ce dernier reconnaît à l’audience que l’Organisme lui a remis des documents concernant le troisième point de sa demande. Il lui a remis également d’autres documents. Par l’entremise de son procureur, l’Organisme consent à communiquer aux demandeurs les faits relatés dans les rapports rédigés par l’expert en sinistres. [22] Il reste maintenant à statuer sur les deux premiers points de la demande : • Tout document relatif au processus d’étude des demandes de subvention à la rénovation, aux responsabilités respectives des divers employés impliqués dans ce processus et aux critères utilisés pour déterminer l’admissibilité à une subvention et décider de son action. • Tout document relatif à notre réclamation présentée le 2 septembre 2003 au Bureau des réclamations, y compris tout document relatif aux communications entre les employés de la Ville et entre ces employés et le cabinet Yves Luc Perreault inc., et tout document relatif à l’enquête effectuée par Yves Luc Perreault. [23] La preuve démontre que l’Organisme ne détient pas les documents tels que décrits par les demandeurs. [24] Les trois rapports recherchés par les demandeurs datent respectivement du 30 septembre 2003, du 18 décembre 2003 et du 26 janvier 2004 et comprennent des annexes. Ces rapports ont été rédigés par la firme Yves Luc Perreault, Cabinet d’expertise en règlement de sinistres. [25] J’ai examiné ces trois rapports en litige, préparés par M. Perreault dans le cadre de la rénovation d’un immeuble dont les demandeurs sont propriétaires.
04 07 16 Page : 8 [26] À l’audience, le demandeur ne nie pas avoir réclamé une somme d’argent à titre de dommages à l’Organisme. Cette réclamation a été suivie d’un recours judiciaire contre l’Organisme devant la Cour du Québec (dossier n o 500-32-081044-044). Précisons qu’un jugement a été rendu le 8 juin 2005 en faveur de l’Organisme (pièce non cotée). i) Premier rapport de l’expert (30 septembre 2003) [27] Comme l’a indiqué M e Berthelet, les éléments factuels inscrits dans le premier rapport de l’expert (9 pages), tels que définis à l’audience, peuvent être accessibles au demandeur, et ce, conformément à la décision Sécurité assurances générales précitée 6 . ii) Deuxième rapport de l’expert (18 décembre 2003) [28] Le raisonnement exposé ci-dessus s’applique également au deuxième rapport (9 pages). iii) Troisième rapport de l’expert (26 janvier 2004) [29] Il en va de même pour le troisième rapport (2 pages). [30] Toutefois, les avis, les opinions ainsi que les recommandations émis par l’expert en sinistres sont inaccessibles aux demandeurs, en vertu de l’article 37 (deuxième paragraphe) de la Loi sur l’accès qui stipule : 37. Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans, par un de ses membres, un membre de son personnel, un membre d'un autre organisme public ou un membre du personnel de cet autre organisme, dans l'exercice de leurs fonctions. Il peut également refuser de communiquer un avis ou une recommandation qui lui ont été faits, à sa demande, depuis moins de dix ans, par un consultant ou par un conseiller sur une matière de sa compétence. [31] Je retiens que l’Organisme consent de plus à communiquer aux demandeurs tout document émanant de ceux-ci ou qui leur ont été adressés. 6 Précitée, note 2.
04 07 16 Page : 9 [32] Par ailleurs, je considère que l’Organisme était fondé, au moment de la réponse, de refuser de communiquer aux demandeurs les analyses contenues dans les rapports selon les termes de l’article 32 de la Loi sur l’accès. Il est clairement établi que leur divulgation risquerait vraisemblablement d’avoir un effet sur une procédure judiciaire : 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. [33] En effet, la preuve démontre que les demandeurs avaient fait parvenir à l’Organisme une mise en demeure lui réclamant une certaine somme d’argent. Cette mise en demeure, datée du 2 septembre 2003, est annexée au premier rapport. [34] Par ailleurs, conformément à la décision Service anti-crime des assureurs précitée 7 , je suis d’avis que l’article 9 de la Charte s’applique à l’Organisme, détenteur du secret professionnel et client de l’expert en sinistres chargé de mener une enquête relativement à la réclamation soumise par les demandeurs : 9. Chacun a droit au respect du secret professionnel. Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel. [35] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE partiellement la demande de révision des demandeurs contre I’Organisme; CONSTATE que l’Organisme a communiqué aux demandeurs des documents et qu’il consent, à l’audience, à leur en transmettre d’autres; 7 Précitée, note 4.
04 07 16 Page : 10 PREND ACTE que l’Organisme fera parvenir aux demandeurs des extraits de renseignements contenus dans les trois rapports rédigés par Yves Luc Perreault, cabinet d’expertise en règlement de sinistres; REJETTE, quant au reste, la présente demande; FERME le présent dossier. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Charest, Séguin, Caron (M e Philippe Berthelet) Procureurs de l’Organisme
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