Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 04 17 41 Date : 1 er février 2006 Commissaire : M e Christiane Constant X Demandeur c. MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE Organisme DÉCISION OBJET DU LITIGE DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS À DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS [1] Le 23 août 2004, le demandeur requiert du ministère de la Sécurité publique (l’« Organisme »), par l’intermédiaire de M e Denis Girard, l’accès à des documents contenus dans un dossier constitué par la Sûreté du Québec (la « SQ ») lorsqu’il a rencontré un de ses policiers les 9 et 29 octobre 2003. [2] Le 24 septembre 2004, M. André Marois, responsable de l’accès aux documents pour l’Organisme, transmet à M e Girard une copie élaguée du rapport rédigé par un policier de la SQ. Quant au reste des documents et des
04 17 41 Page : 2 renseignements masqués, l’Organisme invoque comme motifs de refus les articles 14, 28 (paragraphe 6°), 53, 54 et 88 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi sur l'accès »). Pour les documents émanant du ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (le « MRCI »), l’Organisme invite M e Girard à formuler une demande auprès de celui-ci, selon les termes de l’article 48 de la Loi sur l’accès. [3] Le 10 novembre 2004, au nom de son client, M e Girard formule une demande à la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») afin que soit révisée la décision de l’Organisme. L'AUDIENCE [4] Le 23 septembre 2005, l’audience se tient à Montréal en présence de M e Denis Girard et de M e Marie-Josée Bourgeault, du cabinet d’avocats Bernard, Roy (Justice-Québec), qui représente l’Organisme. LA PREUVE A) DE L’ORGANISME [5] Monsieur Marois déclare qu’il est responsable de l’accès aux documents pour l’Organisme et qu’il a pris connaissance de la demande d’accès formulée par M e Girard pour le demandeur. Il dépose, sous le sceau de la confidentialité, les documents en litige et déclare que le dossier détenu par la SQ contient deux séries de documents. La première série vise des documents que le MRCI a transmis à la SQ dans le cadre d’une enquête policière menée par celle-ci et concernant le demandeur. C’est le motif pour lequel l’Organisme invoque l’article 48 de la Loi sur l’accès, invitant celui-ci à s’adresser au MRCI. Une deuxième série de documents émanant de la SQ concerne également le demandeur. [6] Monsieur Marois affirme avoir transmis au demandeur cinq pages de documents sélectionnées à même le dossier. Il fournit les motifs pour lesquels l’Organisme refuse de lui remettre les autres documents. À son avis, les renseignements contenus dans les pages 84, 86, 116 à 125, 126 et 127 constituent une méthode d’enquête. Ceux-ci démontrent que l’enquêteur s’est servi de différentes sources confidentielles d’information afin de recueillir les 1 L.R.Q., c. A-2.1.
04 17 41 Page : 3 éléments nécessaires à son enquête. Ils doivent demeurer confidentiels au sens du paragraphe 3° de l’article 28 de la Loi sur l’accès. [7] Enfin, M. Marois ajoute que d’autres renseignements contenus dans les pages 128 à 143 émanent du Centre de renseignements policiers du Québec (le « CRPQ »). Ils sont inaccessibles au demandeur, car leur divulgation risque de révéler les composantes d’un système de communication destiné à l’usage d’une personne chargée notamment de réprimer le crime ou les infractions aux lois. Il précise que l’accès aux renseignements nominatifs apparaissant à la page 86 est également refusé au demandeur, car ceux-ci sont confidentiels selon les termes des articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès. Ces renseignements, accompagnés de commentaires, concernent le nom et les coordonnées d’une personne physique autre que le demandeur. B) CONTRE-INTERROGATOIRE PAR M E DENIS GIRARD [8] Monsieur Marois considère que le paragraphe 3° de l’article 28 de la Loi sur l’accès s’applique, en outre du paragraphe 6°, à certains renseignements refusés au demandeur. Il reconnaît cependant qu’il n’a pas mentionné cette restriction additionnelle à l’accès tant dans la réponse de l’Organisme que dans une autre lettre adressée à M e Girard. [9] Monsieur Marois ajoute que le MRCI a examiné l’état d’une situation concernant le demandeur pour laquelle il a demandé l’assistance de la SQ. Un enquêteur de celle-ci a rencontré le demandeur en présence d’une personne provenant du MRCI. De plus, il souligne que l’Organisme ne détient pas d’autres documents le concernant. LES ARGUMENTS A) DE L’ORGANISME [10] M e Bourgeault plaide l’application du premier alinéa de l’article 28 de la Loi sur l’accès, et ce, tel qu’il est ressorti du témoignage de M. Marois. Elle argue que cet article vise à protéger les mesures prises, entre autres, par un agent de la SQ dont le but est de prévenir, détecter, réprimer le crime ou les infractions aux lois. [11] Selon M e Bourgeault, la preuve démontre que les méthodes utilisées par l’enquêteur pour recueillir des renseignements concernant le demandeur ainsi que ceux émanant du CRPQ doivent demeurer confidentielles selon les termes des
04 17 41 Page : 4 paragraphes 3° et 6° de l’article 28 de la Loi sur l’accès, conformément à la décision Dufour c. Ministère de la Sécurité publique 2 . [12] De plus, M e Bourgeault plaide que les renseignements nominatifs concernant la personne physique autre que le demandeur sont confidentiels au sens des articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès. Il n’est pas démontré que cette personne ait consenti à la communication de ces renseignements en vertu de l’article 88 de cette loi. À cet effet, elle soulève l’affaire Segal c. Centre de services sociaux du Québec 3 , dans laquelle la Commission se prononce sur la notion de renseignement nominatif : En somme, identifier quelqu’un peut consister à le reconnaître par rapport à quelqu’un d’autre, par rapport aux différentes classes ou catégories d’individus. Bref, il s’agit de reconnaître sa nature. [13] Par ailleurs, en ce qui a trait aux documents concernant le demandeur qui sont détenus par le MRCI, M e Bourgeault souligne qu’il incombe à celui-ci de formuler une demande auprès de cet organisme selon les termes de l’article 48 de la Loi sur l’accès. Le cas échéant, il appartiendra à celui-ci de déterminer comment il traitera cette demande, tel qu’il est mentionné dans l’affaire Mathieu c. Ministère de l’Environnement et Hydro-Québec 4 . B) DU DEMANDEUR [14] M e Girard rappelle que le demandeur souhaite consulter, au bureau de la SQ, des documents contenus dans un dossier qui le concerne, conformément au principe d’accès prévu à la Loi sur l’accès. Il fait remarquer que l’Organisme invoque le paragraphe 3º de l’article 28 de la Loi sur l’accès pour la première fois à l’audience. L’Organisme aurait dû l’énoncer avant l’audience, de manière à ce qu’il soit en mesure de se préparer en conséquence. C) RÉPLIQUE DE L’ORGANISME [15] M e Bourgeault réplique que l’Organisme n’aurait pas autorisé la consultation sur place des documents en litige, ces derniers étant confidentiels. En ce qui a trait au paragraphe 3° de l’article 28 de la Loi sur l’accès invoqué pour la première fois à l’audience, elle souligne que cet article revêt un caractère public. Il peut donc être soulevé en tout temps par l’Organisme. 2 C.A.I. Québec, n o 96 02 05, 11 septembre 1996, c. Boissinot. 3 [1988] C.A.I. 315, 320. 4 [1992] C.A.I. 183.
04 17 41 Page : 5 DÉCISION [16] Le demandeur désire avoir accès aux documents le concernant; ceux-ci sont détenus par l’Organisme dans l’exercice de ses fonctions au sens de l’article 1 de la Loi sur l’accès. Il a formulé sa demande selon les termes de l’article 83 de cette loi : 1. La présente loi s'applique aux documents détenus par un organisme public dans l'exercice de ses fonctions, que leur conservation soit assurée par l'organisme public ou par un tiers. Elle s'applique quelle que soit la forme de ces documents: écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre. 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. Toutefois, un mineur de moins de quatorze ans n'a pas le droit d'être informé de l'existence ni de recevoir communication d'un renseignement nominatif de nature médicale ou sociale le concernant, contenu dans le dossier constitué par l'établissement de santé ou de services sociaux visé au deuxième alinéa de l'article 7. [17] Les documents en litige visent le MRCI et l’Organisme. La preuve démontre que ce dernier était fondé à inviter le demandeur à s’adresser au MRCI pour les documents détenus par ce dernier, selon les termes de l’article 48 de la Loi sur l’accès et conformément à la décision prise par la Commission notamment dans l’affaire Mathieu c. Ministère de l’Environnement et Hydro-Québec précitée 5 . Il reviendra alors au MRCI de décider, le cas échéant, de l’accessibilité ou non de ces documents : 48. Lorsqu'il est saisi d'une demande qui, à son avis, relève davantage de la compétence d'un autre organisme public ou qui est relative à un document produit par un autre organisme public ou pour son compte, le responsable doit, dans le délai prévu par le premier alinéa de l'article 47, indiquer au requérant le nom de l'organisme compétent et celui du responsable de l'accès aux documents de cet 5 Id.
04 17 41 Page : 6 organisme, et lui donner les renseignements prévus par l'article 45 ou par le deuxième alinéa de l'article 46, selon le cas. Lorsque la demande est écrite, ces indications doivent être communiquées par écrit. [18] Relativement à la présente cause, il est opportun de préciser que 24 pages de documents détenus par l’Organisme sont en litige. Afin de déterminer si l’article 28 de la Loi sur l’accès s’applique ici, l’Organisme a le fardeau de démontrer que l’enquête a été menée par une personne chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois en vertu du premier alinéa de cet article. Puisque ce dernier représente une exception au principe général du droit d’accès d’un citoyen à un document, une jurisprudence constante établie par la Commission et par les tribunaux supérieurs veut que cet article soit interprété de façon restrictive. Sur ce dernier point, on peut référer aux décisions Cassidy c. Québec (Ministère de la Sécurité publique) 6 et Québec (Procureur général) c. Beaulieu 7 . [19] Les renseignements contenus aux documents en litige ainsi que le témoignage de M. Marois démontrent clairement qu’une enquête policière a été menée par un agent de la SQ à l’égard du demandeur. Le premier alinéa de l’article 28 de la Loi sur l’accès trouve ici application. Étant donné le caractère d’ordre public que revêt cet article, je considère que l’Organisme peut invoquer, pour la première fois à l’audience, le paragraphe 3° comme motif de refus d’accès à des renseignements précis aux documents. [20] De plus, l’examen approfondi de ces documents me convainc que la divulgation des renseignements masqués risquerait effectivement de révéler, d’une part, une méthode d’enquête, soit une source confidentielle, que l’agent de la SQ a utilisée pour pouvoir obtenir certaines informations (paragraphe 3° de l’article 28). D’autre part, cette divulgation risquerait de révéler des composantes d’un système de communication (le CRPQ) destiné, entre autres, à l’usage des agents de la SQ : 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible: 6 [2004] C.A.I. 468, 473 et 475. 7 [1993] C.A.I. 1993, 315 (C.Q.)
04 17 41 Page : 7 1° d'entraver le déroulement d'une procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires; […] 3° de révéler une méthode d'enquête, une source confidentielle d'information, un programme ou un plan d'action destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois; […] 6° de révéler les composantes d'un système de communication destiné à l'usage d'une personne chargée d'assurer l'observation de la loi; […] [21] Par ailleurs, je comprends le souhait du demandeur qui, par l’intermédiaire de son avocat, désire consulter sur place les documents en litige durant les heures habituelles de travail au sens de l’article 10 de la Loi sur l’accès : 10. Le droit d'accès à un document s'exerce par consultation sur place pendant les heures habituelles de travail ou à distance. Le requérant peut également obtenir copie du document, à moins que sa reproduction ne nuise à sa conservation ou ne soulève des difficultés pratiques sérieuses en raison de sa forme. À la demande du requérant, un document informatisé doit être communiqué sous la forme d'une transcription écrite et intelligible. [22] Toutefois, puisque ces renseignements revêtent un caractère confidentiel, il aurait été impossible pour l’Organisme d’en donner accès au demandeur sans contrevenir aux articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion.
04 17 41 Page : 8 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. [23] Dans l’affaire Segal c. Centre de services sociaux du Québec précitée 8 et relativement aux deux articles ci-dessus mentionnés, la Commission a déterminé qu’un renseignement nominatif : • doit faire connaître quelque chose à quelqu’un; • doit avoir rapport avec une personne physique; • doit aussi permettre de distinguer cette personne par rapport à quelqu’un d’autre ou de reconnaître sa nature, c’est-à-dire l’identifier. [24] Dans le cas sous étude, la référence spécifique à une personne physique est masquée. De plus, les renseignements suivants sont nominatifs puisqu’ils concernent une personne physique : les nom et prénom de la personne qui n’est pas le demandeur, son adresse personnelle, son numéro de téléphone et des commentaires émis par le policier enquêteur à l’égard de cette personne. D’ailleurs, il n’a pas été démontré à l’audience que cette dernière ait consenti, au sens de l’article 88 de la Loi sur l’accès, à ce que ces renseignements personnels soient communiqués au demandeur, conformément, entre autres, aux décisions Blanchette c. Québec (Ministère de la Sécurité publique) 9 , X c. Agence nationale d’encadrement du secteur financier 10 , L’Assurance Royale c. Bureau du commissaire des incendies de la Ville de Québec 11 et Fleury c. Tribunal administratif du Québec 12 . [25] L’article 88 de la Loi sur l’accès stipule que : 88. Sauf dans le cas prévu par le paragraphe 4° de l'article 59, un organisme public doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement nominatif concernant une autre personne physique ou l'existence d'un tel renseignement, à moins que cette dernière n'y consente par écrit. 8 Précitée, note 3. 9 [2004] C.A.I. 190, 198. 10 [2004] C.A.I. 428, 430. 11 [1998] C.A.I. 215. 12 [2000] C.A.I. 94.
04 17 41 Page : 9 [26] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : PREND ACTE que l’Organisme a transmis au demandeur une copie expurgée de certains documents en litige; REJETTE, quant au reste, la demande de révision du demandeur; FERME le présent dossier. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Bernard, Roy (Justice-Québec) (M e Marie-Josée Bourgeault) Procureurs de l’Organisme M e Denis Girard Procureur du demandeur
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