Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 06 01 75 Date : Le 19 décembre 2006 Commissaire : M e Jean Chartier X Demandeur c. CENTRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE CHICOUTIMI Organisme DÉCISION L’OBJET DEMANDE DE RÉVISION en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Le 16 décembre 2005, le demandeur fait une demande à l’organisme en vue d’obtenir le : « Résumé dossier naissance + hospitalisation » pour 2004-2005 de son enfant. 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « Loi sur l’accès ».
06 01 75 Page : 2 [2] Le 12 janvier 2006, le D r Bernard Parent, responsable de l’accès à l’information, avise le demandeur du refus de l’organisme de transmettre le dossier médical de l’enfant puisque certains attributs de l’autorité parentale ont été retirés aux parents en ce qui concerne les soins de santé de l’enfant. [3] Le 22 janvier 2006, le demandeur fait une demande de révision à la Commission d’accès à l’information (la Commission) afin d’obtenir communication du dossier de son enfant. [4] Une audience est tenue au palais de justice de Chicoutimi, le 31 octobre 2006, en présence des parties. LA PREUVE i) De l'organisme [5] Monsieur Yves Légaré, archiviste au Centre jeunesse Saguenay-Lac-Saint-Jean dépose trois jugements de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, rendus respectivement le 25 août 2005, le 8 novembre 2005 et le 2 décembre 2005. [6] Dans la première de ces décisions, dont le dispositif a été maintenu et prolongé dans les décisions subséquentes, l’honorable juge Gagnon, de la Cour du Québec, déclare que la sécurité et le développement de l’enfant sont compromis, confie l’enfant à une tierce personne pour une durée de six mois et dans l’un des dispositifs de cette décision écrit : « RETIRE aux parents l’exercice de l’autorité parentale concernant les soins de santé de l’enfant et les confie au Directeur de la protection de la jeunesse. » [7] Par la suite, M me Ghislaine Richard, archiviste au sein de l’organisme, témoigne avoir reçu et traité la demande d’accès du 16 décembre 2005. Elle a obtenu copie du dossier et elle a constaté que l’enfant faisait l’objet d’une ordonnance de la Chambre de la jeunesse. Elle a signalé cette situation au responsable de l’accès du Centre de Santé et de Services sociaux qui a transmis la réponse du 12 janvier 2006, précitée. [8] Le témoin a procédé à une photocopie de l’ensemble du dossier médical de l’enfant qu’elle dépose à la Commission, sous le sceau de la confidentialité. Ce
06 01 75 Page : 3 dépôt est autorisé en vertu de l’article 20 des Règles de preuve et de procédure de la Commission 2 qui stipule : 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. ii) Du demandeur [9] Le demandeur reconnaît les trois ordonnances rendues par la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec. Les droits relatifs à l’exercice de l’autorité parentale concernant les soins de santé de son enfant ont été confiés au Directeur de la protection de la jeunesse. Il mentionne toutefois que ces ordonnances ne lui retirent qu’une partie de l’autorité parentale qui vise très précisément et limitativement les « soins de santé de l’enfant ». Il convient donc ne pas disposer de l’autorité parentale pour prendre une décision ou imposer à l’organisme une décision relative aux soins de santé de son enfant mais il prétend qu’on ne peut s’appuyer sur ces ordonnances pour motiver le refus de lui communiquer une copie du dossier de son enfant. LA DÉCISION [10] Le 16 décembre 2005, le demandeur, père de l’enfant, fait une demande à l’organisme afin d’obtenir le dossier médical de son enfant, depuis sa naissance jusqu’à ce jour. [11] L’organisme appuie son refus sur l’article 21 de la Loi sur les Services de santé et les Services sociaux 3 (LSSSS), qui prévoit que le droit d’accès au dossier médical d’un usager mineur est réservé au titulaire de l’autorité parentale. [12] Or, la preuve a démontré, par le dépôt de trois jugements de la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec, que le tribunal « a retiré aux parents l’exercice de l’autorité parentale concernant les soins de santé de l’enfant confié au Directeur de la protection de la jeunesse. » 2 L.R.Q., c. A-2.1, r. 2. 3 L.R.Q., c. S-4.2.
06 01 75 Page : 4 [13] S’appuyant sur ces décisions, l’organisme applique l’article 21 de la LSSSS et refuse l’accès au dossier médical de l’enfant. Pour l’organisme, le retrait de l’un des attributs de l’autorité parentale équivaut à la perte de l’autorité parentale dépouillant le parent de la condition prévue à l’article 21 pour pouvoir obtenir le dossier médical. [14] Le demandeur prétend quant à lui ne pas être « déchu totalement » de l’autorité parentale. Il ne prétend pas prendre des décisions sur la santé ou sur les soins nécessaires à son enfant mais il désire obtenir une copie du dossier médical. [15] En d’autres termes, la demande d’accès au dossier médical de son enfant n’est pas une manifestation de l’exercice de l’autorité parentale « concernant les soins de santé de l’enfant », elle est plutôt une manifestation des autres attributs de l’autorité parentale dont il n’a pas été dépossédé par les jugements de la Chambre de la jeunesse. [16] L’article 21 de la Loi sur les Services de santé et les Services sociaux stipule : 21. Le titulaire de l'autorité parentale a droit d'accès au dossier d'un usager mineur. Toutefois, un établissement doit refuser au titulaire de l'autorité parentale l'accès au dossier d'un usager mineur dans les cas suivants : 1° l'usager est âgé de moins de 14 ans et il a fait l'objet d'une intervention au sens de l'article 2.3 de la Loi sur la protection de la jeunesse ( chapitre P-34.1) ou il est visé par une décision prise en vertu de cette loi et l'établissement, après avoir consulté le directeur de la protection de la jeunesse, détermine que la communication du dossier de l'usager au titulaire de l'autorité parentale cause ou pourrait causer un préjudice à la santé de cet usager; 2° l'usager est âgé de 14 ans et plus et, après avoir été consulté par l'établissement, refuse que le titulaire de l'autorité parentale reçoive communication de son dossier et l'établissement détermine que la communication du dossier de l'usager au titulaire de l'autorité parentale cause ou pourrait causer un préjudice à la santé de cet usager. (Les caractères gras sont du soussigné.)
06 01 75 Page : 5 [17] L’autorité parentale peut être retirée complètement ou partiellement à un parent, tel que le prévoit l’article 606 du Code civil du Québec 4 : 606. La déchéance de l'autorité parentale peut être prononcée par le tribunal, à la demande de tout intéressé, à l'égard des père et mère, de l'un d'eux ou du tiers à qui elle aurait été attribuée, si des motifs graves et l'intérêt de l'enfant justifient une telle mesure. Si la situation ne requiert pas l'application d'une telle mesure, mais requiert néanmoins une intervention, le tribunal peut plutôt prononcer le retrait d'un attribut de l'autorité parentale ou de son exercice. Il peut aussi être saisi directement d'une demande de retrait. (Les caractères gras sont du soussigné.) [18] Par ailleurs, l’article 91 de la Loi sur la protection de la jeunesse 5 (LPJ) permet en certaines circonstances, à la Cour du Québec, de se prononcer sur certains droits de l’autorité parentale : « Le tribunal peut, en outre : a) ordonner qu'une personne s'assure que l'enfant et ses parents respectent les conditions qui leur sont imposées et fasse rapport périodiquement au directeur; b) retirer aux parents l'exercice de certains droits de l'autorité parentale; c) recommander que des mesures soient prises en vue de faire nommer un tuteur à l'enfant; d) faire toute autre recommandation qu'il estime dans l'intérêt de l'enfant. (Les caractères gras sont du soussigné.) 4 L.Q., 1991, c. 64. 5 L.R.Q., c. P-34.1.
06 01 75 Page : 6 [19] Dans son jugement du 25 août 2005, rendu dans le dossier concernant l’enfant du demandeur, l’honorable juge Bernard Gagnon, de la Cour du Québec, déclare : « Il est conséquemment important que soient retirés aux parents certains attributs de l’autorité parentale. RETIRE aux parents l’exercice de l’autorité parentale concernant les soins de santé de l’enfant et les confie au Directeur de la protection de la jeunesse; […] (Les caractères gras sont du soussigné.) [20] Suite à la perte de l’exercice de l’autorité parentale concernant les soins de santé de son enfant, le demandeur demeure-t-il titulaire de l’autorité parentale en ce qui concerne les droits qu’il ne s’est pas vu retirer ? Pour l’organisme, la perte de l’un des attributs ou de l’exercice de l’un des droits de l’autorité parentale entraîne la perte du titre de « titulaire de l’autorité parentale » et la perte du droit d’accès au dossier de l’enfant. [21] En tout respect pour l’opinion contraire, la Commission croit que si le législateur a voulu que « l’autorité parentale » soit « divisible », l’interprétation donnée à l’article 21 de la LSSSS doit en tenir compte. [22] Dans une autre affaire dont il était saisi devant la Chambre de la jeunesse, le juge Gagnon précise le sens de l’article 91 de la LPJ 6 : « De la combinaison de ces deux articles, [articles 76.1 et 91 de la L.P.J.] on doit plutôt comprendre que, dans l’exercice de sa juridiction, le tribunal a le pouvoir d’ordonner que les soins de santé requis soient administrés à l’enfant et que, pour atteindre cette fin, il peut retirer aux parents l’exercice de l’autorité parentale quant aux soins médicaux. » [23] La Commission a examiné avec attention la décision rendue par la Cour suprême 7 soumise par l’organisme. Il ne nous semble pas que cette décision appuie la position de l’organisme. Bien qu’elle affirme que le titulaire de l’autorité parentale peut voir l’exercice de ses attributs réduits par une décision judiciaire, la 6 X (dans la situation de), J.E. 2006-1901, paragraphe 25. 7 C. (G.) c. V.-F. (T.), [1987] 2 R.C.S. 244.
06 01 75 Page : 7 Cour suprême ne dit pas que cela emporte la déchéance de l’autorité parentale ». La Cour écrit : « Ce principe a clairement été exposé dans le rapport sur le Code civil du Québec qui a mené à l’adoption, en 1977, des articles relatifs à la déchéance totale ou partielle de l’autorité parentale : Dans ce cas [i.e. le retrait partiel d’un droit], le parent se voit enlever certains des droits qui découlent de l’autorité parentale et dont il a fait mauvais usage. » [24] Le demandeur n’a pas fait l’objet d’une « déchéance » de l’autorité parentale. Il s’est vu retirer l’exercice de l’autorité parentale concernant les soins de santé de l’enfant. Ainsi, il ne saurait être question qu’il puisse imposer son consentement ou son refus préalable à des soins de santé pour son enfant; du moins tant que prévaudront les ordonnances de l’honorable juge Gagnon. La Commission considère toutefois que le demandeur, à la date où il a fait sa demande d’accès, soit le 16 décembre 2005, était titulaire des autres droits relatifs à l’autorité parentale. Le demandeur réclame le droit d’obtenir accès à l’information contenue dans le dossier médical de son enfant. Ce droit ne lui a pas été retiré. [25] En conséquence, le droit d’accès au dossier médical de l’enfant mineur ne pourra être restreint que conformément aux conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 de l’article 21 de la LSSSS (précité au paragraphe 16). [26] Or, seul le paragraphe 1 de cette disposition pourrait trouver application puisqu’il vise l’usager âgé de moins de 14 ans ayant fait l’objet d’une intervention au sens de l’article 2.3 de la Loi sur la protection de la jeunesse ou visé par une décision prise en vertu de cette loi. Il est précisé que l’établissement doit refuser l’accès au dossier de l’enfant mineur si, après avoir consulté le Directeur de la protection de la jeunesse, il détermine que la communication du dossier de l’usager cause ou pourrait causer un préjudice à la santé de cet usager. [27] À l’audience, la procureure de l’organisme a fait valoir l’argument relatif à la perte de l’autorité parentale. Aucune preuve n’a été faite qui pourrait entraîner l’application du paragraphe 1 de l’article 21 de la LSSSS. Par conséquent, le demandeur a droit à la communication du dossier médical de l’enfant pour les années 2004 et 2005 mentionnées dans sa demande d’accès. [28] Le demandeur pourra-t-il recevoir la copie intégrale du dossier médical de l’enfant ou seulement certains extraits ?
06 01 75 Page : 8 [29] L’article 18 de la LSSSS stipule : 18. Un usager n'a pas le droit d'être informé de l'existence ni de recevoir communication d'un renseignement le concernant et contenu dans son dossier qui a été fourni à son sujet par un tiers et dont l'information de l'existence ou la communication permettrait d'identifier le tiers, à moins que ce dernier n'ait consenti par écrit à ce que ce renseignement et sa provenance soient révélés à l'usager. Le premier alinéa ne s'applique pas lorsque le renseignement a été fourni par un professionnel de la santé ou des services sociaux ou par un employé d'un établissement dans l'exercice de leurs fonctions. Aux fins du présent alinéa, un stagiaire, y compris un résident en médecine, est assimilé à un professionnel de la santé ou des services sociaux. (Les soulignés sont du soussigné.) [30] Le contenu du dossier médical incluant tous les renseignements fournis par un professionnel de la santé ou des services sociaux dans l’exercice de ses fonctions doit être communiqué au demandeur. [31] La Commission a constaté que certains extraits avaient été soulignés avec un marqueur de façon à identifier les renseignements qui visent des tiers qui n’ont pas donné leur consentement. Ces renseignements doivent être retirés de la documentation. [32] D’autres extraits décrivent les rencontres des parents avec les employés de l’organisme ou avec les intervenants du Centre jeunesse Saguenay-Lac-Saint-Jean. Tous ces extraits doivent être communiqués au demandeur.
06 01 75 Page : 9 [33] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [34] ACCUEILLE partiellement la demande de révision du demandeur; [35] ORDONNE à l’organisme de communiquer au demandeur, dans les trente (30) jours de la réception de la présente décision, une copie du dossier médical de l’enfant du demandeur, après en avoir extrait les passages ou les pages décrits ci-après : • les passages surlignés des pages 8, 9, 10 et du verso de la page 11; • les passages surlignés du recto et du verso des pages 12 et 15; • les passages surlignés du verso de la page 16; • les passages surlignés de la page 22; • les passages surlignés du verso de la page 84; • les passages surlignés du verso de la page 101; • la version intégrale de la page 105; • la version intégrale d’une page non incluse dans le dossier numéroté et contenant des notes manuscrites du 11 juin 2004. JEAN CHARTIER Commissaire M e Chantal Lavallée Cain Lamarre Casgrain Wells Procureure de l'organisme
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