Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 05 02 18 Date : Le 30 novembre 2005 Commissaire : M e Diane Boissinot X Demanderesse c. CONSEIL DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE Organisme DÉCISION OBJET : DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE DE RECTIFICATION formulée en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Pour une mise en contexte, il convient de mentionner ce qui suit : Le 18 avril 2001, la demanderesse porte plainte chez l’organisme relativement au comportement d’une régisseure de la Régie du logement du Québec lors d’une séance de conciliation survenue au cours d’une audience formelle dont cette régisseure était saisie. Un comité de l’organisme enquête sur cette plainte portant le numéro de dossier 50 et, le 11 avril 2002, signe un rapport, lequel est publié dans sa version intégrale sur le site Internet de l’organisme. 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée la « Loi ».
05 02 18 Page 2 [2] Le 3 janvier 2005, la demanderesse requiert de l’organisme le retrait de toute publication du dossier numéro 50, incluant le retrait de la publication, sur son site Internet, du rapport de son comité d’enquête daté du 11 avril 2002. [3] La demanderesse prétend que le dossier numéro 50 et le rapport du comité d’enquête en cause contiennent, en tout ou en partie, la retranscription de la séance de conciliation faite par la régisseure visée par la plainte et que les renseignements la concernant qui se trouvent dans cette retranscription doivent, en raison de la nature même du processus de conciliation, être nécessairement revêtus d’un caractère confidentiel. [4] Le 13 janvier 2005, la plus haute autorité au sein de l’organisme au sens de l’article 8 de la Loi, son président, refuse d’accéder à la rectification demandée pour les motifs reproduits à l’extrait qui suit : Je dois malheureusement vous informer que le Conseil n’entend pas donner suite à vos demandes. En effet, c’est dans un souci de transparence du processus de justice administrative et en conformité avec les règles de droit applicables que le Conseil a décidé de publier les rapports de ses comités d’enquête dans son site Internet et à ses rapports annuels, et ce, depuis la création du Conseil. En effet, je dois vous préciser que selon la législation pertinente, les audiences et les décisions des comités d’enquête constitués par le Conseil sont publiques, sous réserve d’une ordonnance à l’effet contraire 2 . Ce principe de publicité des débats a pour effet de rendre public et accessible tout renseignement ou document obtenu lors d’une enquête d’un comité d’enquête constitué pour décider d’une plainte déontologique, sauf s’il est visé par une ordonnance de huis clos, de non-divulgation ou de non-publication. Or comme vous le savez, aucune ordonnance de cette nature n’a été rendue par le comité d’enquête dans le dossier vous impliquant. Les éléments ayant alors été introduits en preuve ont donc acquis un caractère public. Quant à l’audience ayant été tenue devant la Régie du logement le 11 décembre 2000 et dont des extraits sont reproduits au rapport d’enquête, elle revêt elle aussi un caractère public, n’ayant pas elle non plus fait l’objet d’une ordonnance de huis clos. 2 Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 23 et 56 et Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., ch. A-2.1, art. 53 (2). Voir aussi Southam inc. c. Mercier, [1990] R.J.Q. 437 (C.S.).
05 02 18 Page 3 [5] Non satisfaite de cette réponse, la demanderesse s’adresse à la Commission afin qu’elle révise le bien-fondé de celle-ci. [6] Une audience se tient aux bureaux de la Commission sis en la ville de Montréal, le 7 septembre 2005. L’AUDIENCE A. LA PREUVE i) Les admissions [7] La soussignée constate les admissions non contestées suivantes : • L’organisme reconnaît qu’il est assujetti à la Loi. Il reconnaît donc la compétence de la Commission de statuer sur la présente demande de révision en rectification. • L’organisme reconnaît que le texte du rapport en cause est publié intégralement sur son site Internet. • L’organisme admet que, conformément à l’article 186 de la Loi sur la justice administrative 3 , il agit par ses comités d’enquête lorsqu’il examine les plaintes jugées recevables en matière de déontologie et qu’en vertu de l’article 173 de cette même loi, ses séances sont publiques à moins que le huis clos soit décrété pour préserver l’ordre public. • L’organisme admet que l’instruction de cette enquête est publique et qu’elle se déroule selon un processus quasi judiciaire. • La demanderesse reconnaît qu’elle n’a jamais requis que le comité d’enquête entende à huis clos la preuve sur la séance de conciliation à la Régie du logement ni que les documents déposés à ce sujet devant lui soient frappés d’un interdit de publication, de diffusion ou de divulgation. 3 L.R.Q., c. J-3, ci-après appelée la « LJA ».
05 02 18 Page 4 ii) La preuve de la demanderesse [8] La demanderesse dépose sous la cote D-1 un texte résumant les faits en cause et sa position. Elle confirme sous serment la véracité des faits que contient ce texte. iii) La preuve de l’organisme [9] L’organisme dépose les documents suivants, et ce, sous les cotes ci-après indiquées : O-1 Le rapport en litige signé le 11 avril 2002 par un comité d’enquête de l’organisme. La soussignée frappe sur-le-champ ce document d’un interdit de publication, de divulgation et de diffusion par la Commission jusqu’à ordonnance contraire; O-2 Un diagramme du cheminement d’une plainte déposée chez l’organisme; O-3 Une copie du procès-verbal d’une séance de l’organisme tenue le 29 avril 1999 au cours de laquelle il a été résolu que l’examen des plaintes servant à décider de façon préalable de leur recevabilité se ferait à huis clos; O-4 Un tableau comparatif des dispositions législatives applicables à l’organisme et au Conseil de la magistrature du Québec. [10] M e Sophie Vaillancourt, adjointe au président de l’organisme, témoigne. [11] Elle remet à la demanderesse et à la Commission un cahier de législation et d’autorités, dans lequel se trouve, à l’onglet 5, une copie de ses Règles sur le traitement d’une plainte adoptées lors d’une de ses séances tenue le 4 mai 2000. [12] Elle souligne que l’article 27 de ces Règles prévoit ce qui suit : 27. L’audience d’un comité d’enquête est publique à moins que le huis clos ne soit prononcé afin de préserver l’ordre public. [13] Elle déclare qu’un dépliant contenant ces Règles est fourni aux plaignants avant l’examen de la plainte par le comité d’enquête et que la présente demanderesse a reçu ce document avant l’enquête en cause ici.
05 02 18 Page 5 [14] Il convient de déposer en preuve ce document sous la cote O-5. B. LES ARGUMENTS i) De l’organisme [15] L’organisme plaide que l’enquête en matière de déontologie en cause étant instruite publiquement selon un processus quasi judiciaire, le rapport qui en résulte est revêtu d’un caractère public. [16] C’est pourquoi ce rapport est publié intégralement sur le site Internet de l’organisme. [17] L’organisme soutient que l’examen sous huis clos de la preuve ou l’interdiction de publication, de diffusion ou de divulgation de cette preuve aurait pu être ordonné par le comité d’enquête si la demanderesse lui en avait fait la requête en temps opportun et s’il avait été convaincu du bien-fondé de cette requête. [18] Il rappelle qu’il est seul habilité à statuer sur l’opportunité d’accueillir ou de rejeter une telle requête au cours d’une enquête. [19] Ainsi protégée, cette preuve n’aurait bien sûr pu être révélée dans le texte du Rapport ni, en conséquence, faire l’objet d’une publication. [20] L’organisme plaide que la demanderesse, ayant fait défaut de lui formuler en temps opportun une telle requête, ne peut aujourd’hui, par le biais de la présente demande devant la Commission, obtenir de cette dernière les effets d’une ordonnance de huis clos ou d’interdit de publication qui est du ressort exclusif d’une autre entité juridictionnelle, l’organisme, qui a déjà décidé et qui, de ce fait, a perdu compétence. ii) De la demanderesse [21] La demanderesse plaide qu’elle a droit au retrait de la publication du rapport sur le site Internet de l’organisme. [22] Subsidiairement, elle plaide qu’à tout le moins, la Commission devrait ordonner à l’organisme de masquer ses nom et prénom partout où ils apparaissent dans la copie publiée du Rapport en litige.
05 02 18 Page 6 [23] Elle souligne que la Commission elle-même retire les nom et prénom des demandeurs des copies publiées sur son site Internet des décisions rendues dans l’exercice de ses fonctions d’adjudication. DÉCISION [24] Le caractère quasi judiciaire du processus d’enquête instruite par le comité d’enquête formé par l’organisme en vertu de l’article 186 de la LJA n’est pas contesté : 186. Le Conseil, s'il considère la plainte recevable ou si elle est portée par le ministre, en transmet copie au membre et, s'il y a lieu, au ministre. Le Conseil constitue un comité d'enquête, formé de trois membres, chargé de faire enquête sur la plainte et de statuer sur celle-ci au nom du Conseil. […] [25] Il est donc inutile que la soussignée analyse la qualification des actes posés par l’organisme dans l’exécution de ses pouvoirs d’enquête afin de savoir s’ils sont de nature administrative ou quasi judicaire. [26] Les articles 8.2 à 8.4 de la Loi sur la Régie du logement 4 attribuent à l’organisme la compétence d’enquêter sur la conduite des régisseurs de la Régie du logement du Québec en matière de déontologie : 8.2. Toute personne peut porter plainte au Conseil de la justice administrative contre un régisseur de la Régie, pour un manquement au Code de déontologie, à un devoir imposé par la présente loi ou aux prescriptions relatives aux conflits d'intérêts ou aux fonctions incompatibles. 8.3. La plainte doit être écrite et exposer sommairement les motifs sur lesquels elle s'appuie. 4 L.R.Q., c. R-8.1, ci-après appelée la « LRL ».
05 02 18 Page 7 Elle est transmise au siège du Conseil. 8.4 Le Conseil, lorsqu'il procède à l'examen d'une plainte formulée contre un régisseur, agit conformément aux dispositions des articles 184 à 192 de la Loi sur la justice administrative (chapitre J-3), compte tenu des adaptations nécessaires. […] [27] La demanderesse a voulu exercer le droit à la rectification prévu à l’article 89 de la Loi, puis a ensuite requis la Commission de réviser le refus de l’organisme de retirer de toutes ses publications le rapport d’enquête en litige : 89. Toute personne qui reçoit confirmation de l'existence dans un fichier d'un renseignement nominatif la concernant peut, s'il est inexact, incomplet ou équivoque, ou si sa collecte, sa communication ou sa conservation ne sont pas autorisées par la loi, exiger que le fichier soit rectifié. [28] À l’examen de la demande de rectification présentée à l’organisme et de la pièce D-1, la soussignée constate que la demanderesse ne requiert aucune rectification aux renseignements contenus dans ce document, ni la destruction de ce dernier. [29] Rien dans la preuve ne vient d’ailleurs établir que les renseignements nominatifs concernant la demanderesse et se trouvant dans le rapport en litige sont inexacts, incomplets ou équivoques ou que leur collecte ou leur communication n’est pas autorisée par la loi. [30] La communication ou la publication d’une décision d’un organisme public rendue dans l’exercice d’un processus quasi judiciaire est permise par la loi puisque ce processus, qui se termine par cette décision, se déroule publiquement. [31] Le Rapport en litige constitue la décision de l’organisme dans l’exécution de façon quasi judiciaire de son pouvoir d’enquête en matière de déontologie. [32] Ainsi, conformément à l’article 29.1 de la Loi, cette décision est publique :
05 02 18 Page 8 29.1 La décision rendue par un organisme public dans l'exercice de fonctions quasi judiciaires est publique. Toutefois, un organisme public doit refuser de communiquer un renseignement contenu dans cette décision lorsque celle-ci en interdit la communication, au motif qu'il a été obtenu alors que l'organisme siégeait à huis clos, ou que celui-ci a rendu à son sujet une ordonnance de non-publication, de non-divulgation ou de non-diffusion ou que sa communication révélerait un renseignement dont la confirmation de l'existence ou la communication doit être refusée en vertu de la présente loi. [33] Comme le mentionne le deuxième alinéa de cet article 29.1, seuls l’ordonnance de l’organisme interdisant la publication, la diffusion ou la divulgation d’un renseignement qu’elle a obtenu dans l’exercice de cette fonction et le fait que le renseignement ait été ainsi obtenu alors qu’il siégeait à huis clos peuvent faire échec à ce principe de publicité. [34] La preuve démontre que l’organisme n’a pas agi à huis clos dans le dossier d’enquête en cause ni n’a ordonné un interdit de publication, de diffusion ou de divulgation de quelque élément de preuve recueilli au cours de cette enquête. [35] La preuve démontre que la demanderesse connaissait la nature publique des débats entourant cette enquête instituée à la suite de sa plainte et qu’elle n’a jamais demandé au comité d’enquête de siéger à huis clos ou d’ordonner les interdits dont il est question plus haut. [36] Il en résulte que les renseignements personnels faisant partie du dossier d’enquête en question et qui la concernent ne sont pas confidentiels comme le stipule le paragraphe 2° de l’article 53 de la Loi : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale;
05 02 18 Page 9 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. [37] La présente demande, on l’a vu, ne vise pas à rectifier les renseignements nominatifs concernant la demanderesse au sens de l’article 89 de la Loi, mais recherche plutôt un remède à une contravention alléguée à la Loi par une divulgation, une publication ou une diffusion de ceux-ci qui serait non conforme à la Loi ou illégale. [38] Ainsi, la demanderesse veut obtenir de la Commission qu’elle ordonne à l’organisme de cesser de publier, en tout ou en partie, le rapport en litige. [39] La soussignée est d’avis que la demande adressée à la Commission est plutôt de la nature d’une plainte que d’une révision d’un refus du responsable de l’accès de rectifier. [40] Telle que rédigée, la demande de révision en matière de rectification n’est pas recevable puisque sans objet. [41] Pour ce qui est du remède recherché, la soussignée estime que seul l’organisme dans l’exercice indépendant de ses fonctions d’enquête menée publiquement était habilité à répondre aux préoccupations de la demanderesse, laquelle aurait par ailleurs omis de les transmettre à ce dernier en temps opportun. [42] De toute façon, la Commission n’a pas compétence pour réviser les décisions de l’organisme dans l’exercice de son pouvoir d’enquête en matière de déontologie ou pour enquêter sur sa façon de faire en cette matière. [43] De la même manière, la Commission n’a pas compétence pour ordonner à l’organisme l’anonymisation de ses décisions sur Internet. [44] La Commission peut toutefois comprendre l’inquiétude de la demanderesse devant la publication de ce rapport sur Internet, média de communication qui est ouvert à la consultation universelle et qui permet la
05 02 18 Page 10 recherche extensive au sens de l’article 24 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information 5 : 24. L'utilisation de fonctions de recherche extensive dans un document technologique qui contient des renseignements personnels et qui, pour une finalité particulière, est rendu public doit être restreinte à cette finalité. Pour ce faire, la personne responsable de l'accès à ce document doit voir à ce que soient mis en place les moyens technologiques appropriés. Elle peut en outre, eu égard aux critères élaborés en vertu du paragraphe 2° de l'article 69, fixer des conditions pour l'utilisation de ces fonctions de recherche. [45] Ainsi, la Commission, malgré la nature publique de ses audiences en matière de révision ou d’examen de mésentente ou en matière d’enquête tenue publiquement a convenu, depuis quelques années, de modifier sa façon de publier ses décisions sur son site Internet afin de prévenir les effets pervers et les abus que permet la recherche extensive au moyen des puissants moteurs de recherche disponibles sur Internet. [46] La Commission ne publie donc plus sur son site Internet le nom d’un demandeur ou d’un plaignant qui est une personne physique ni, à l’occasion, celui de ses proches et fait, lors de la publication de ses décisions, la mise en contexte préalable suivante : Depuis quelque temps, des demandeurs ou plaignants inquiets de voir leur nom sur une décision de la Commission affichée sur Internet s'adressent à cette dernière afin que l'on masque leur nom de manière à ne pas dévoiler leur identité. La proximité de l'information qu'offre Internet et les différents moteurs de recherche qui indexent les renseignements contenus sur des milliers de pages Web permettent une circulation accrue de renseignements et des recherches ayant souvent un but détourné. À la suite de ces diverses demandes et à l'instar de plusieurs organismes qui oeuvrent dans un même domaine ou comparable, la Commission a convenu de rendre anonymes ses décisions disponibles sur son site Internet, et ce, depuis le 1 er juin 2003. 5 L.R.Q., c. C-1.1.
05 02 18 Page 11 Il y a toutefois lieu de mentionner que les personnes physiques occupant une fonction dans un organisme public ou étant membre d'une corporation professionnelle agissant à ce titre, tout témoin expert ainsi que tout employé d'entreprise agissant à titre de témoin demeurent identifiés. [47] POUR CES MOTIFS, la Commission DÉCLARE irrecevable la demande de révision en matière de rectification, puisque sans objet; DÉCLARE qu’elle n’aurait pas, en l’espèce, la compétence d’enquêter sur la façon dont l’organisme exerce ses pouvoirs d’enquête; et ANNULE les ordonnances de non-publication, non-divulgation et de non-diffusion émises pendant l’audience. DIANE BOISSINOT commissaire Avocate de l’organisme : M e Sophie Vaillancourt
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