Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 03 01 43 Date : Le 7 juillet 2005 Commissaire : M e Diane Boissinot X Demandeur c. CAISSE DE DÉPÔT ET PLACEMENT DU QUÉBEC (CDPQ) et SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE CAMONT INC. (SIC) Organismes DÉCISION L’OBJET DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D’ACCÈS formulée en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Le 17 décembre 2002, le demandeur s’adresse à l’organisme CDPQ pour obtenir copie d’une série de documents, notamment : 1° copie des documents constatant les dépenses ventilées des frais de l’inauguration du siège social à 1 L.R.Q., c. A-2.1 ci après appelée « la Loi ».
03 01 43 Page : 2 Québec et leurs pièces justificatives, 2° copie des rapports mensuels des dépenses du président de CDPQ, monsieur Jean-Claude Scraire, de 1999 jusqu’à son départ et 3° copie des procès-verbaux des assemblées du conseil d’administration de CDPQ tenues les 23 mars et 9 août 2000. [2] Le 23 décembre 2002, la responsable de l’accès de CDPQ se prévaut du délai de réponse supplémentaire de dix jours prévu par l’article 47 de la Loi. [3] Le 16 janvier 2003, la Responsable de l’accès de CDPQ (la Responsable) répond au demandeur, tant pour CDPQ que pour une de ses filiales à 100%. À ce titre, elle remet certains des documents et informations demandés, mais refuse l’accès aux autres au motif qu’ils sont visés par les articles 21, 22, 23, 24, 27, 35, 37, 38, 39 et 53 de la Loi. [4] Le 23 janvier 2003, le demandeur requiert la Commission d’accès à l’information de réviser cette décision de la Responsable. [5] Une audience en révision se tient en la ville de Montréal les 18 février et 1 er mars 2004 et le 21 mars 2005. L’AUDIENCE A. L’ÉTENDUE DU LITIGE [6] La tenue d’une conférence préparatoire, le 1 er mars 2004, était devenue nécessaire compte tenu de la complexité de ce dossier et d’autres dossiers connexes au présent dossier impliquant les mêmes parties devant la Commission et de leur gestion par celle-ci. Cette nécessité s’est fait sentir notamment lorsqu’il est apparu que certains documents visés par la présente demande d’accès du 17 décembre 2002 pouvaient être détenus par SIC, filiale à 100% de CDPQ et que la question de savoir si le processus du traitement de la demande d’accès par la filiale elle-même et non par CDPQ, au nom de cette dernière, devait être tranchée. [7] À la suite de cette conférence, un processus de traitement de la partie de la demande s’adressant à SIC s’est enclenché. Une décision refusant en partie l’accès au demandeur a été émise, laquelle décision a, par la suite, fait l’objet d’une demande de révision par le demandeur. L’étude de cette demande de révision de la décision de SIC s’est faite conjointement avec celle impliquant CDPQ. [8] Au cours de l’audience, à la suite de nombreux pourparlers entre les parties et de la remise de plusieurs documents au demandeur, de consentement, le litige entre le demandeur et SIC s’est finalement réglé hors cour et celui entre le demandeur et CDPQ a été réduit au refus de communiquer la plus grande partie
03 01 43 Page : 3 des deux procès-verbaux des assemblées du conseil d’administration de CDPQ tenues les 23 mars et 9 août 2000. B. LA PREUVE i) de CDPQ témoignage de madame Ginette Depelteau [9] Madame Depelteau est la Responsable de l’accès de CDPQ et a traité la demande d’accès en cause. [10] Elle déclare que la partie résolutoire des procès-verbaux a été remise au demandeur comme en font foi les documents déposés en liasse sous la cote O-2, savoir : copie de la réponse sous révision qu’elle a adressée le 16 janvier 2003 au demandeur accompagnée des extraits conformes des résolutions visant une transaction importante concernant Quebecor adoptées par les membres du conseil d’administration de CDPQ lors de ses réunions des 23 mars 2000 et du 9 août 2000. [11] Le demandeur intervient pour admettre qu’il a bien reçu ces deux extraits et pour déclarer qu’il maintient sa demande de révision concernant les parties de ces extraits des procès-verbaux qui ne lui ont pas été divulguées. [12] Tel qu’en font foi les extraits des procès-verbaux O-2, madame Depelteau occupe également les postes de vice-présidente et de secrétaire générale de CDPQ. [13] Madame Depelteau déclare que la résolution du 9 août 2000 remplace celle du 23 mars 2000. [14] Elle dépose sous le sceau de la confidentialité, entre les mains de la Commission, ces deux procès-verbaux dans leur intégralité. Celui du 23 mars 2000 contient 3 pages et celui du 9 août 2000 contient 2 pages. [15] Elle est d’avis que les parties non dévoilées de ces procès-verbaux contiennent, en substance, les mémoires de délibérations des membres présents du conseil d’administration de CDPQ. [16] Elle est aussi d’avis que le contenu de ces délibérations est hautement stratégique et que cette stratégie transparaît des propositions soumises aux membres, des discussions qui s’ensuivent et des opinions émises par les membres telles que relatées.
03 01 43 Page : 4 [17] Elle estime que les décideurs qui participent à ces discussions et à l’élaboration de ces stratégies doivent pouvoir exercer leur fonction de décideur à l’abri de toute pression indue et en toute liberté. [18] Elle témoigne qu’à titre de secrétaire générale de CDPQ, elle assiste en principe aux réunions de son conseil d’administration et rédige les procès-verbaux de ces réunions. [19] Elle déclare qu’elle ne dévoile jamais les noms des membres présents à une réunion spécifique, ni le fait que les décisions s’y prennent à l’unanimité ou à la majorité, ni la répartition des votes ou des abstentions parmi les membres présents. [20] Elle estime que si le nom d’une personne et sa fonction à titre de membre du conseil d’administration de CDPQ sont des informations à caractère public, la manière dont ce membre exerce sa fonction au conseil d’administration n’est pas une information à caractère public. [21] Ainsi, le témoin dit que le fait que ce membre soit présent ou absent lors d’une réunion du conseil d’administration ou s’absente au cours de celle-ci, le fait qu’il s’abstienne de voter sur des propositions, qu’il vote sur celles-ci avec la majorité ou qu’il exprime sa dissidence, le fait qu’il participe à la réunion par télécommunication, etc., toutes ces indications sont des renseignements qui informent sur la façon dont il exerce sa fonction et, conséquemment, sont des renseignements nominatifs le concernant. [22] En réponse à la question de savoir quel effet aurait la divulgation des parties délibératives des procès-verbaux de CDPQ, madame Depelteau affirme que cela équivaudrait à rendre publiques les réunions du conseil d’administration à l’encontre de toutes les règles du milieu des affaires dans lequel CDPQ évolue. [23] Elle ajoute que cette situation ferait fuir beaucoup de partenaires d’affaires privés de CDPQ. La crédibilité de CDPQ dans le monde des affaires et des finances s’en trouverait sensiblement diminuée. Son rendement annuel en souffrirait, et ce, à l’encontre des intérêts des déposants et des citoyens du Québec. [24] Elle pense également qu’il serait difficile de trouver des membres qui accepteraient de siéger au conseil d’administration dans ces conditions, conditions qui restreignent grandement la discussion franche et libre, essentielle à toute bonne et saine gestion.
03 01 43 Page : 5 [25] Madame Depelteau dit que les décisions des 23 mars et 9 août 2000 sont d’ordre financier. Ce sont des décisions typiques de CDPQ. Il s’agit ici d’une décision d’investissement. [26] Plusieurs des informations se trouvant dans la partie non divulguée des procès-verbaux proviennent des partenaires financiers de CDPQ et de Quebecor, informations que ces derniers considèrent confidentielles et dont la divulgation pourrait avoir un effet négatif sur leur compétitivité. [27] Elle rappelle que, dans les milieux financiers, industriels et commerciaux, parmi tous les documents servant à sceller un accord par un contrat, jamais les procès-verbaux autorisant ces accords ne sont fournis dans leur intégralité. Seul l’énoncé de la décision est transmis. Témoignage de monsieur Guy Morneau [28] Monsieur Morneau occupe le poste de président de la Régie des rentes du Québec. À ce titre, il occupe le siège de vice-président du conseil d’administration de CDPQ. Il siège à ce conseil depuis cinq ans et demi. [29] Il estime que la fonction d’administrateur d’un conseil d’administration est très encadrée et que les délibérations au sein du processus de décision sont d’ordre privé. Le décideur doit pouvoir s’exprimer librement au cours des délibérations avant que la décision finale ne soit prise. Selon le témoin, les administrateurs ne servent en réalité qu’à une seule chose : prendre une décision après discussion. [30] Monsieur Morneau est d’avis que la présence ou l’absence ou l’abstention d’un administrateur lors d’une de ces discussions ou du vote qui s’ensuit peut révéler son opinion ou sa position sur la question débattue et fait partie de la manière de l’exprimer, et parfois presque tout autant que la dissidence pure et simple. [31] Le témoin est convaincu que la divulgation des éléments des délibérations précédant une décision risque d’anéantir toute volonté de franchise ou de liberté chez le décideur et de rendre la fonction d’administrateur impossible à exercer. [32] Il est d’avis que beaucoup d’entre eux abandonneraient leurs activités au sein de conseils d’administration. [33] La recherche d’un consensus au sein d’un conseil d’administration est très courante. Malgré tout, les désaccords sont fréquents. Pour sa part, dans cet
03 01 43 Page : 6 exercice, il apprécie la souplesse et la liberté d’expression et la mise au rancart de la langue de bois est bienvenue. [34] Il estime que de savoir la position d’un administrateur n’est pas pertinente puisque seule la décision finale lie l’organisation. [35] À partir de ce moment, le témoin Morneau demande de pouvoir témoigner ex parte et à huis clos. En effet, il désire faire connaître et expliquer à la Commission les informations financières et les scénarios d’affaires qui sont présentés aux administrateurs pour réflexion et discussion et qui forment le cœur du texte des délibérations en litige. [36] Le demandeur ne s’oppose pas à la demande du témoin et quitte la salle d’audience pour permettre au témoin de s’exprimer librement et complètement sur le contenu des délibérations en litige et sur leurs aspects financiers très particuliers et hautement stratégiques pour CDPQ et ses partenaires. [37] Cette partie du témoignage ex parte et à huis clos est résumé très succinctement au demandeur dès son retour en salle. ii) du demandeur [38] Le demandeur ne présente aucun élément de preuve. C. LES ARGUMENTS i) de CDPQ [39] L’argument principal de CDPQ est basé sur l’application de l’article 35 de la Loi : 35. Un organisme public peut refuser de communiquer les mémoires de délibérations d'une séance de son conseil d'administration ou, selon le cas, de ses membres dans l'exercice de leurs fonctions, jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze ans de leur date. [40] L’avocat de CDPQ plaide que, dans un procès-verbal d’une réunion d’un conseil d’administration des membres, ce qui n’est pas résolutoire fait forcément partie des délibérations.
03 01 43 Page : 7 [41] Il prétend que les faits bruts sont intimement liés aux propositions faites aux administrateurs, aux stratégies envisagées ou aux scénarios possibles, aux questionnements en résultant, aux discussions et aux opinions entourant ces propositions, scénarios et stratégies et que cette interaction entre les faits et les questionnements et discussions forme un tout appelé « délibérations ». [42] Il argue que tenter de séparer les faits bruts des discussions ne peut se faire sans enlever tout sens aux mots « mémoires de délibération » de l’article 35 précité. L’article 14 de la Loi prévoyant la retenue d’un document entier lorsque sa substance est constituée de renseignements non accessibles doit pouvoir trouver application ici pour l’ensemble de la partie délibérative des procès-verbaux en litige. [43] Il souligne la pertinence des objectifs poursuivis par le législateur lorsque ce dernier a édicté l’article 35 de la Loi, savoir la protection de l’intégrité du processus décisionnel des organismes publics, protection dont la nécessité a été confirmée par les témoignages de madame Depelteau et de monsieur Morneau 2 . [44] L’avocat de CDPQ soutient que l’opinion d’un des membres du conseil d’administration d’un organisme n’engage en rien ce dernier. Seule la décision de l’assemblée lie l’organisme et est publique. Cette opinion d’un membre est par ailleurs un renseignement nominatif concernant ce membre. [45] Il estime que ce renseignement ne doit pas être révélé, conformément aux prescriptions des articles 53, 54 et du premier alinéa de l’article 59 de la Loi. [46] Il réfère la Commission aux témoignages de madame Depelteau et de monsieur Morneau sur les renseignements faisant habituellement partie d’un procès-verbal de réunion et qui, d’après ces derniers, révèlent l’opinion individuelle des membres et la manière dont ils exercent leur fonction. [47] Il rappelle qu’en plus d’une dissidence ou d’une opinion spécifique notée par le secrétaire d’une assemblée, ces témoignages établissent que des indications d’absence ou d’abstention ou d’exclusion volontaire d’un membre lors de la discussion d’un sujet à l’ordre du jour, par exemple, peuvent parfois révéler la position ou les sentiments de ce membre par rapport à ce sujet, donc la manière dont il exerce sa fonction 3 . [48] L’avocat de l’organisme plaide enfin que les témoignages ont établi que plusieurs faits relatés ou scénarios prévus ou stratégies proposées dans la partie 2 Charrette c. Centre hospitalier Jeffery Hall, [1988] CAI 170, 172, 173. 3 Laforest c.Caisse de dépôt et placement du Québec, [2004] CAI 31, 38, 39; Marois c. Société des alcools du Québec, [2003] CAI 163, 165.
03 01 43 Page : 8 délibérative des procès-verbaux en litige révèlent des renseignements visés par les articles 21, 22, 27, 37, 38 et 39 de la Loi 4 . ii) du demandeur [49] Le demander prétend que l’article 35 de la Loi doit s’interpréter de façon restrictive, comme toutes les exceptions à l’accès prévues à la Loi; il rappelle que le principe est l’accès aux documents des organismes publics. [50] Il estime que certaines informations consignées au procès-verbal des assemblées d’un organisme, comme, par exemple, le lieu où se déroule la réunion, les personnes présentes à la réunion, la façon de participer à la réunion, permettent beaucoup de comprendre comment fonctionne cet organisme. DÉCISION [51] J’ai examiné les parties qui restent en litige des procès-verbaux des assemblées du conseil d’administration de CDPQ tenues les 23 mars et 9 août 2000. [52] Je souscris entièrement aux arguments de l’avocat de CDPQ qui prétend que la substance des parties restant en litige de ces procès-verbaux est composée de renseignements nominatifs sur les membres du conseil d’administration de CDPQ ou de renseignements constituant des mémoires de délibérations de ces membres agissant en assemblée décisionnelle. [53] Je fais miens ces arguments et suis d’avis que la preuve présentée établit leur véracité et leur justesse. [54] Conformément à l’interdiction prévue au premier alinéa de l’article 59 de la Loi, la Responsable était donc fondée d’invoquer ses articles 35 (précité), 53 et 54 pour refuser la communication de ces parties des procès-verbaux demandés : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants : 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 4 Marois c. Société des alcools du Québec, voir supra note 3, page 167, 168.
03 01 43 Page : 9 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. […] [55] La partie ci-après soulignée de l’article 14 de la Loi permet de retenir la totalité des renseignements en litige : 14. Un organisme public ne peut refuser l'accès à un document pour le seul motif que ce document comporte certains renseignements qu'il doit ou peut refuser de communiquer en vertu de la présente loi. Si une demande porte sur un document comportant de tels renseignements, l'organisme public peut en refuser l'accès si ces renseignements en forment la substance. Dans les autres cas, l'organisme public doit donner accès au document demandé après en avoir extrait uniquement les renseignements auxquels l'accès n'est pas autorisé. [56] L’application des articles 14, 35, 53 et 54 et le premier alinéa de l’article 59 de la Loi suffit à disposer du litige. Il est donc inutile que je me prononce sur l’applicabilité des autres articles de la Loi invoqués par la Responsable au soutien de son refus de communiquer des parties des procès-verbaux demandés autres que leur partie résolutoire ou décisionnelle.
03 01 43 Page : 10 [57] POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission CONSTATE LE RÈGLEMENT HORS COUR de la demande de révision de la décision de SIC; et REJETTE la demande de révision de la décision de la Responsable de CDPQ. DIANE BOISSINOT Commissaire Avocat des organismes : M e Karl Delwaide (Fasken Martineau, avocats)
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