Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 03 14 87 Date : 4 juillet 2005 Commissaire : M e Christiane Constant X Demanderesse c. Commissaire à la déontologie policière Organisme public DÉCISION L’OBJET DU LITIGE LA DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 25 juin 2003, la demanderesse requiert du Commissaire à la déontologie policière, ci-après désigné « l’organisme »: […] A copy of the report of the conciliation meeting of March 28, 2003 made by Miss Anne Morissette which was submitted to the Commissioner in his investigation of file #03-0020. […]
03 14 87 Page : 2 [2] Le 3 juin suivant, par l’entremise de M e Christian Trudel, l’organisme refuse de communiquer à la demanderesse ledit document, invoquant à cet effet l’article 139 de la Loi sur la police 1 , l’article 37 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 2 (la « Loi sur l’accès ») et l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne 3 (la « Charte »). [3] Le 11 août 2003, la demanderesse cherche à obtenir auprès de la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») la révision de cette décision de l’organisme. L’AUDIENCE [4] Une audience se tient à Montréal, le 6 mai 2005, en présence de la demanderesse et du témoin de l’organisme, celui-ci étant représenté par M e Christian Reid. LA PREUVE A) DE L’ORGANISME TÉMOIGNAGE DE M me ANNE MORISSETTE [5] M e Christian Reid fait témoigner, sous serment, M me Anne Morissette. Celle-ci déclare qu’elle est détentrice d’une maîtrise en criminologie de l’Université de Montréal. De 1991 à 1997, elle a été membre du comité de déontologie policière de l’organisme composé alors de trois membres. Ce comité était chargé d’examiner le bien-fondé des plaintes des citoyens à l’encontre de la conduite d’un ou des policiers à leur égard. [6] La Loi sur la police ayant été modifiée au cours de l’année 1997, la conciliation entre les parties devient obligatoire. M me Morissette dit qu’elle occupe à partir de ce moment les fonctions de conciliatrice; un avocat est le président de l’organisme. 1 L.R.Q., c. P-13.1. 2 L.R.Q., c. A-2.1. 3 L.R.Q., c. C-12.
03 14 87 Page : 3 [7] M me Morissette spécifie qu’une plainte a été déposée par la demanderesse à l’encontre du sergent-détective M-A. P. Les parties sont convoquées à une séance de conciliation à laquelle est annexé un document d’information leur fournissant les renseignements nécessaires, entre autres, relativement au rôle du conciliateur, du processus de conciliation, du déroulement de la séance, et du règlement de la plainte, le cas échéant (pièce O-1). [8] Dans une lettre datée du 14 février 2003, le président de l’organisme informe la demanderesse que la plainte a été référée en conciliation et que M me Morissette a été désignée à titre de conciliatrice. Quelques minutes précédant la séance, elle rencontre le policier, soit M-A. P., qui prend connaissance à ce moment-là de l’objet de la plainte. Par la suite, elle rencontre la demanderesse afin de connaître la version des faits de celle-ci. Lors de la séance de conciliation, elle a rencontré les parties au cours de laquelle la demanderesse a posé très peu de questions au policier, celui-ci ayant refusé de continuer d’y répondre. À titre de conciliatrice, M me Morissette indique qu’elle ne peut pas obliger le policier, M-A. P., à continuer de répondre aux questions de la demanderesse car il nie les allégations tenues par celle-ci. [9] Constatant l’échec de cette conciliation, elle y met fin et prépare un rapport à l’attention du président de l’organisme, indiquant, entre autres, la position de chaque partie et elle émet des recommandations. M me Morissette signale être l’auteure des notes manuscrites inscrites dans ledit rapport qui comporte deux pages. Elle dépose confidentiellement ce document à l’audience. [10] M me Morissette précise que l’organisme a fait connaître à la demanderesse, le 24 avril 2003, les principaux éléments ressortis lors de la conciliation et la version de M-A. P. niant, entre autres, les allégations d’avoir agi de façon inappropriée à son égard (pièce O-2 en liasse). La demanderesse s’est prévalue, sans succès, de son droit de révision auprès de l’organisme à l’adresse mentionnée dans ledit rapport. M me Morissette ajoute qu’il appartient également à l’organisme de décider si un enquêteur sera assigné au dossier de plainte de la demanderesse. [11] M me Morissette souligne qu’elle n’a pas une copie du dossier de conciliation impliquant la demanderesse et M-A. P. Elle ajoute que l’organisme reçoit près de 1200 plaintes par année contre différents corps policiers de la province de Québec. Près de la moitié d’entre elles sont rejetées pour absence de compétence de l’organisme.
03 14 87 Page : 4 Clarifications recherchées par la demanderesse [12] M me Morissette réitère l’essentiel de son témoignage principal et précise que le rapport annuel publié par l’organisme contient les statistiques relativement au nombre de plaintes déposées et au nombre de celles qui y sont retenues. Précisions de la Commission [13] La demanderesse tente à plusieurs reprises de questionner M me Morissette ou de lui faire admettre certains éléments ressortis dans le cadre de la séance de conciliation, ce à quoi M e Reid s’objecte invoquant à cet effet les dispositions de l’article 164 de la Loi sur la police. Ces objections sont accordées à l’organisme. B) TÉMOIGNAGE DE LA DEMANDERESSE [14] La demanderesse affirme solennellement qu’elle était impliquée dans une situation de violence conjugale et a dû faire appel aux autorités policières. Elle a alors rencontré le sergent-détective M-A. P. qui aurait tenu des propos désobligeants à son égard. D’où le motif principal pour lequel elle a déposé une plainte auprès de l’organisme à l’encontre du comportement de M-A. P. LES ARGUMENTS DE L’ORGANISME [15] M e Reid fait un résumé du témoignage de M me Morissette ayant été la conciliatrice désignée par le président de l’organisme dans la plainte déposée par la demanderesse contre M-A. P. L’avocat fait ressortir particulièrement deux motifs de refus de l’organisme à communiquer à la demanderesse une copie du rapport de conciliation en litige fondé, d’une part, sur l’article 139 de la Loi sur la police, et d’autre part, sur l’article 37 de la Loi sur l’accès. [16] M e Reid plaide que tout le processus de conciliation a été respecté par l’organisme. Ce dernier a désigné M me Morissette pour agir à titre de conciliatrice dans le dossier de plainte de la demanderesse, selon les termes de l’article 154 de la Loi sur la police. Vu l’échec de la conciliation, un rapport préparé par M me Morissette a été remis à l’organisme selon les dispositions de l’article 158 de la Loi sur la police.
03 14 87 Page : 5 [17] De plus, M e Reid argue que selon les termes de l’article 139 de la Loi sur la police, le Commissaire, le commissaire adjoint, les membres de leur personnel, les enquêteurs et les conciliateurs en déontologie policière ne peuvent être contraints par un tribunal de divulguer ce qui leur a été dévoilé dans l’exercice de leurs fonctions. M me Morissette est l’une des personnes visées par cet article. M e Reid cite à cet effet la décision X c. Commissaire à la déontologie policière 4 . [18] Outre les articles déjà cités, M e Reid commente deux dispositions législatives comportant des restrictions. Il s’agit, d’une part, de l’article 158 de la Loi sur la police relativement à la production d’un rapport du conciliateur à l’organisme en cas d’échec de la conciliation. L’avocat réfère, d’autre part, à l’article 164 de cette loi, selon laquelle les réponses ou déclarations faites, entre autres, par une plaignante, en l’occurrence la demanderesse à un conciliateur, soit M me Morissette, dans le cadre d’une tentative de conciliation, ne peuvent être utilisées contre celle-ci dans des poursuites criminelles, civiles ou administratives. [19] Par ailleurs, M e Reid rappelle le témoignage de M me Morissette qui a émis des recommandations à l’organisme. Il réfère à cet effet à l’affaire Rimouski (Ville) c. Syndicat national des employés municipaux (manuels) de Rimouski 5 par lequel la Cour du Québec indique notamment que : […] L’intégrité du processus décisionnel dans les organismes publics, que le législateur a voulu protéger, exige que les dirigeants de ces organismes puissent, avant d’agir, bénéficier non seulement d’un éventail de recommandations, mais également d’un éventail d’avis critiques permettant d’évaluer le pour et le contre d’une mesure à prendre ou à ne pas prendre. Le législateur était manifestement conscient de cette réalité lorsqu’il a décrété que les avis et les recommandations destinés aux organismes publics, doivent demeurer confidentiels. […] Le secret des suggestions des fonctionnaires est donc d’une importance particulière, tant pour eux-mêmes que pour leurs supérieurs. […] 4 C.A.I. Montréal, n os 02 19 65 et 02 19 66, 15 janvier 2004, c. Constant. 5 C.Q. Québec, n o 200-02-018413-973, 11 septembre 1998, j. Sheehan.
03 14 87 Page : 6 DE LA DEMANDERESSE [20] La demanderesse, pour sa part, indique qu’elle doit obtenir une copie du rapport de conciliation, car elle est la personne concernée ayant déposé la plainte contre le sergent-détective M-A. P. qui a agi d’une façon inappropriée à son égard. De plus, elle indique que l’article 157 de la Loi sur la police est inapplicable à son cas, car les parties ne sont pas arrivées à une entente. Également, l’article 139 de cette loi ne s’applique pas dans la présente cause, car ce dernier traite d’enquête et non de conciliation. À cet effet, la demanderesse considère qu’elle se trouve dans la situation parallèle à celle commentée par un conseiller municipal de la Ville de Montréal dans un article paru dans « The Front » portant le titre « The police ethics whitewash » relativement au processus de conciliation de l’organisme : […] The new legislation’s main flaw, Montreal city councillor Marvin Rotrand says, is the greater emphasis it puts on conciliation. If a complainant doesn’t accept it, he points out, the case will be dropped. Nor will there be the same emphasis on sanctions against the police. An action that might have landed a police officer with a reprimand or a suspension before will now be dealt with in a more subjective, less punitive way. “With conciliation they’re going to be obliging a citizen to accept a simple apology as an adequate response.” […] Réplique de l’organisme [21] M e Reid réplique que l’article 139 de la Loi sur la police s’applique tant à la conciliation qu’en enquête. LA DÉCISION [22] Il est opportun de préciser que la présente audience vise la révision du refus de l’organisme de communiquer à la demanderesse une copie d’un rapport de conciliation à la suite d’une plainte déposée par celle-ci contre un sergent-détective, soit M-A. P. selon les dispositions législatives prévues à la Loi sur l’accès. Cette audience ne vise aucunement à refaire le processus de conciliation tel qu’il est indiqué dans la Loi sur la police. Ce n’est pas le forum approprié pour le faire.
03 14 87 Page : 7 [23] Ce document intitulé « Échec en conciliation » contient un résumé de la plainte de la demanderesse contre M-A. P., les faits recueillis par M me Morissette auprès de chacune des parties et leur position respective. M me Morissette fait une évaluation de cette situation et soumet à l’organisme une recommandation. La demanderesse cherche à obtenir ce document, étant insatisfaite de celui que lui a transmis le président de l’organisme (pièce O-2 précitée). [24] La preuve démontre que le document en litige concerne directement la demanderesse au sens de l’article 83 de la Loi sur l’accès. 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. Toutefois, un mineur de moins de quatorze ans n'a pas le droit d'être informé de l'existence ni de recevoir communication d'un renseignement nominatif de nature médicale ou sociale le concernant, contenu dans le dossier constitué par l'établissement de santé ou de services sociaux visé au deuxième alinéa de l'article 7. [25] Considérant la preuve recueillie, la soussignée considère que les articles 139 et 164 de la Loi sur la police sont pertinents à la présente cause. Ils prévoient que : 139. Sous réserve de l'article 61 du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1), le Commissaire, le commissaire adjoint, les membres de leur personnel, les enquêteurs et les conciliateurs en déontologie policière ne peuvent être contraints par un tribunal de divulguer ce qui leur a été révélé dans l'exercice de leurs fonctions à l'égard d'une plainte, ni de produire aucun document rédigé ou obtenu à cette occasion devant un tribunal. Toutefois, cette exemption ne s'applique pas aux enquêteurs devant le comité de déontologie. 164. Les réponses ou déclarations faites par le plaignant ou le policier dont la conduite fait l'objet de la plainte, dans le cadre d'une tentative de conciliation, ne peuvent être utilisées ni ne sont recevables en preuve dans des poursuites criminelles, civiles ou administratives, sauf dans le cas d'une audience devant le Comité de déontologie
03 14 87 Page : 8 policière portant sur l'allégation selon laquelle un policier a fait une déclaration ou une réponse qu'il savait fausse dans l'intention de tromper. [26] De plus, la preuve démontre que M me Morissette est l’une des personnes visées par ces deux articles, car elle occupe les fonctions de conciliatrice, elle a agi à ce titre auprès des parties dans le dossier de plainte de l’organisme. L’examen des faits recueillis l’amène à formuler une recommandation dans le rapport qu’elle a soumis à l’organisme. Son mandat à titre de conciliatrice prend fin à ce moment. L’article 37 de la Loi sur l’accès trouve application à ce document. [27] Dans l’affaire Deslauriers c. Québec (Sous-ministre de la Santé et des Services sociaux) 6 (…) commentée dans la cause Rimouski précitée 7 , la Cour du Québec indique, entre autres, que : […] Dans Deslauriers, la Cour du Québec prend la peine de souligner que le législateur a voulu assurer aux décideurs une liberté en regard des avis ou recommandations qui leur sont adressés, de les respecter ou non, tout en garantissant la plus libre expression d’opinion de ceux qui doivent émettre ces avis ou recommandations dans le cadre de leurs fonctions ou de leurs mandats. Plus loin, la Cour souligne que le test à suivre dans l’exercice visant à déterminer s’il s’agit d’un avis au sens de l’article 37 de la loi, consiste à se demander si les informations contenues dans le document en litige peuvent avoir une « incidence » sur une décision administrative ou politique. […] [28] De ce qui précède, la soussignée est convaincue que l’organisme était fondé de refuser de communiquer à la demanderesse une copie du rapport de conciliation, de deux pages, dont M me Morissette est l’auteure et qu’elle a soumise au président de l’organisme. Ce document intitulé « Échec en conciliation » est donc inaccessible à la demanderesse. 6 [1991] C.A.I. 311, 321 (C.Q.). 7 Id., note 5.
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