Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 04 10 29 Date : Le 20 juin 2005 Commissaire : M e Diane Boissinot X Demanderesse c. ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC Organisme DÉCISION OBJET : DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS formulée en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Le 13 mai 2004, la demanderesse veut obtenir de l’organisme copie du rapport préparé par M e Marie-France Chabot, du cabinet-conseil Consensus, à la suite de l’enquête que celle-ci a tenue aux fins de faire la lumière sur la plainte qu’elle avait déposée. Elle formule cette demande en vertu des articles 83 et suivants de la Loi. [2] Le 26 mai suivant, monsieur René Chrétien, le responsable de l’accès de l’organisme (le Responsable) refuse de communiquer le rapport demandé en vertu des articles 32, 37, 39, 54, 59, 62, 86.1 et 88 de la Loi. 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée la « Loi ».
04 10 29 Page : 2 [3] Le 9 juin 2004, la demanderesse prie la Commission d’accès à l’information (la Commission) de réviser cette décision du Responsable. [4] Une audience se tient en la ville de Québec le 7 mars 2005, conjointement avec celle concernant une autre demanderesse en révision dans le dossier numéro 04 10 31 puisqu’il s’agit du même document en litige, du même organisme et que toutes les parties dans les deux dossiers y ont consenti. [5] Les deux demanderesses consentent d’ailleurs expressément à ce que les renseignements personnels et nominatifs concernant chacune d’elles qui seraient révélés à l’occasion de la présente audition le soient en présence de l’autre. L'AUDIENCE A. LE LITIGE [6] L’organisme dépose, sous pli confidentiel, une copie du document en litige, savoir, le rapport confidentiel (le Rapport) présenté par M e Marie-France Chabot de la firme Consensus, cabinet conseil en résolution de conflits, relativement à une enquête sur des plaintes portées contre [une personne identifiée] à monsieur François Côté, rapport préparé le 13 avril 2004, complété le 29 avril 2004 et signé le 30 avril 2004, contenant 18 pages de texte réparties de la façon suivante : • Page de présentation (page 1); • Analyse de la preuve relative aux plaintes… (page 2); • A. Cadre d’analyse juridique pour la plainte de [la demanderesse dans le dossier de la Commission numéro 04 10 31] (pages 3 et 4); • B. Contexte préalable aux faits ayant eu lieu en milieu de travail [concernant la demanderesse dans le dossier 04 10 31 de la Commission] (pages 4 in fine et 5); • C. Analyse des allégations [de la demanderesse dans le dossier 04 10 31 de la Commission] à la lumière de l’ensemble des témoignages (pages 5 in fine à 13); • D. Analyse globale et conclusions quant à la plainte de [la demanderesse dans le dossier 04 10 31 de la Commission] (pages 13 in fine à 16); • E. Autres éléments pertinents (page16 in fine);
04 10 29 Page : 3 • Analyse de la plainte de [la présente demanderesse]; • A. Allégations et analyse des faits recueillis (page 17 au début); • B. Analyse globale et conclusion quant à la plainte de [la présente demanderesse] (page 17 in fine); • Considérations préliminaires en 5 points (18 au début); • Je recommande en 7 points (page 18 in fine). [7] Ce texte de 18 pages est suivi des engagements à la confidentialité des témoins rencontrés. Ces engagements ne font pas l’objet de la demande d’accès puisqu’ils ne font pas partie du Rapport proprement dit. Ces engagements ne sont pas en litige et la présente décision ne les vise aucunement. [8] L’avocat de l’organisme annonce que ce dernier n’invoque plus les articles 37, 39, 62 et 86.1 de la Loi à l’appui du refus de communiquer le document demandé. L’organisme maintient toutefois les motifs de refus basés sur les articles 32, 54, 59 et 88 de la Loi. B. LA PREUVE i) de l’organisme Témoignage de monsieur René Chrétien, responsable de l’accès de l’organisme [9] L’avocate de l’organisme demande que le témoignage de monsieur Chrétien soit entendu ex parte et à huis clos aux fins de présenter la preuve nécessaire à établir l’existence des conditions d’application de l’article 32 de la Loi, le tout conformément à l’article 20 des Règles de preuve et de procédure de la Commission d’accès à l’information 2 et de l’article 141 de la Loi : 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. 2 Décret 2058-84 du 19/9/84, (1984) 116 G.O. II, 4648.
04 10 29 Page : 4 141. La Commission a tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa juridiction; elle peut rendre toute ordonnance qu'elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider de toute question de fait ou de droit. Elle peut notamment ordonner à un organisme public de donner communication d'un document ou d'une partie de document, de s'abstenir de le faire, de rectifier, compléter, clarifier, mettre à jour ou effacer tout renseignement nominatif ou de cesser un usage ou une communication de renseignements nominatifs. [10] J’ai accueilli la requête de l’avocate de l’organisme. [11] Monsieur Chrétien est le Responsable. Il témoigne ex parte et à huis clos afin de tenter d’établir les faits au soutien de l’application de l’article 32. [12] Il dépose ce faisant, sous les cotes O-1 à O-6, les documents à l’appui de son témoignage, requérant que les documents O-5 et O-6 soient frappés d’un interdit total de publication, de diffusion et de divulgation par la Commission et ce, même à l’égard de la demanderesse. [13] La Commission accède à cette requête et frappe ces deux documents O-5 et O-6 d’un tel interdit. [14] Aux fins de l’application des articles 53, 54 et 88 de la Loi, le témoin Chrétien décrit le milieu très fermé où se sont passés les événements en cause. Il ajoute que tous les acteurs se connaissent très bien et ont presque tous été interrogés par l’auteur du Rapport. [15] Il fait remarquer que le Rapport contient la version des faits tant des collègues de travail de la demanderesse que de la personne visée par la plainte et de la demanderesse (plaignante) elle-même. [16] La version des tiers et celle de la personne visée par la plainte constituent des renseignements nominatifs les concernant. [17] Le témoin reconnaît que les recommandations finales du Rapport ont été communiquées à la demanderesse.
04 10 29 Page : 5 ii) de la demanderesse Témoignage de la demanderesse [18] La demanderesse fait état de son besoin de savoir le contenu de ce Rapport. Elle veut comprendre l’épreuve qu’elle a vécue, retirer de ce Rapport tous les bienfaits qu’elle en attend et tourner enfin la page sur cet épisode difficile de sa vie personnelle. [19] La demanderesse affirme à cet égard qu’un gestionnaire avait promis que copie du Rapport lui serait remise. C. LES REPRÉSENTATIONS i) de l’organisme [20] L’avocate de l’organisme plaide que lors de la décision de refuser l’accès à la copie de ce Rapport, rien ne laissait voir que la demanderesse s’adressait au Responsable conjointement avec une autre demanderesse. Il y avait bien une autre demande d’accès au même document provenant d’une autre plaignante, mais elles ont été adressées au Responsable séparément. Ce dernier a donc répondu séparément à ces demandes, tentant de protéger les renseignements nominatifs concernant les tierces personnes physiques. [21] Elle rappelle que l’application des articles 53, 54 et 88 de la Loi a été examinée et la décision fut prise par le Responsable dans ce contexte bien particulier. [22] Si le contexte est aujourd’hui changé en ce qu’il appert que chacune des demanderesses consent à ce que soient communiqués à l’autre les renseignements nominatifs qui la concernent, cette situation n’existait pas au moment de la décision dont la révision est demandée, remarque-t-elle. [23] L’avocate est donc d’avis que la Commission ne doit pas tenir compte de la situation actuelle de consentement réciproque dans l’appréciation de la présente demande de révision. [24] Elle ajoute que le fait qu’une autre personne au sein de l’organisme ait promis la communication du Rapport ne peut lier le Responsable. Outre la plus haute autorité de l’organisme, elle prétend que le Responsable est la seule personne qui peut lier l’organisme en matière d’accès à l’information.
04 10 29 Page : 6 [25] Elle soutient qu’en substance, les renseignements contenus dans ce rapport concernent autant les tierces personnes physiques que la demanderesse, que ces renseignements sont imbriqués intimement les uns aux autres et qu’il est impossible, sans enlever tout sens logique au texte, d’isoler seulement ceux auxquels la demanderesse aurait droit. [26] Pour ce qui est de l’article 32, l’avocate de l’organisme plaide que le Rapport en litige est de la nature d’une analyse et que, lors de la rédaction du refus de communiquer sous révision, la preuve révèle qu’il y avait imminence de procédure judiciaire. [27] Elle ajoute que la preuve entendue ex parte et à huis clos établit que les éléments de cette analyse risquaient vraisemblablement d’avoir un effet sur cette procédure judiciaire. ii) de la demanderesse [28] La demanderesse fait valoir que tous les renseignements en litige devraient lui être remis puisque les événements étudiés la concernent personnellement, qu’elle connaît la plupart des faits relatifs à sa plainte et que la conclusion finale lui a été communiquée. [29] Elle prétend donc que la divulgation du Rapport ne lui apprendrait rien qu’elle ne sache déjà au sens de l’article 88 de la Loi. DÉCISION [30] L’organisme n’a conservé que les motifs de refus fondés sur l’application des articles 14, 53, 54, 88 et 32 de la Loi. [31] J’ai examiné le Rapport en litige. [32] Toute la partie de ce Rapport traitant spécifiquement de la plainte de la demanderesse en révision au dossier 04 10 31, soit les pages 3 à 16 inclusivement, ne concerne en rien la présente demanderesse. Cette partie ne contient, en substance, que des renseignements nominatifs concernant des tierces personnes physiques.
04 10 29 Page : 7 [33] À l’époque de la décision sous révision, le Responsable n’avait à sa disposition aucun élément pouvant lui permettre de conclure que les tierces personnes physiques concernées par les renseignements se trouvant dans les pages 3 à 16 de même que ceux se trouvant dans les autres pages du Rapport avaient consenti à leur divulgation. [34] Ces pages 3 à 16 sont donc totalement inaccessibles à la demanderesse. [35] Restent les pages suivantes : • Page de présentation (page 1); • Analyse de la preuve relative aux plaintes… (page 2); • Analyse de la plainte de [la présente demanderesse] (page 17); Allégations et analyse des faits recueillis (page 17 au début); B. Analyse globale et conclusion quant à la plainte de [la présente demanderesse] (page 17 in fine); • Considérations préliminaires en 5 points (page 18 au début); • Je recommande en 7 points (page 18 in fine). [36] La page de présentation (page 1) peut être remise en totalité à la demanderesse à l’exception du titre apparaissant au haut de page puisqu’il y est question du contenu de l’autre plainte étudiée par l’auteur du Rapport, ce qui constitue un renseignement nominatif concernant la personne qui fait l’objet de la plainte. [37] Le contenu de la page 2 contient, en substance, des renseignements nominatifs concernant uniquement des tierces personnes physiques. Cette page ne peut être remise à la demanderesse en vertu du premier membre du deuxième alinéa de l’article 14 de la Loi : 14. Un organisme public ne peut refuser l'accès à un document pour le seul motif que ce document comporte certains renseignements qu'il doit ou peut refuser de communiquer en vertu de la présente loi. Si une demande porte sur un document comportant de tels
04 10 29 Page : 8 renseignements, l'organisme public peut en refuser l'accès si ces renseignements en forment la substance. Dans les autres cas, l'organisme public doit donner accès au document demandé après en avoir extrait uniquement les renseignements auxquels l'accès n'est pas autorisé. (J’ai souligné) [38] La page 17 concerne la plainte de la demanderesse. C’est la seule page du Rapport qui est toute entière dédiée à l’analyse de cette plainte. [39] Sauf ce qui est écrit en italique sous l’allégation 5, qui est la version des faits d’un tiers, donc qui est de caractère nominatif quant à ce tiers, tout le texte à partir du début de cette page 17 jusqu’au paragraphe commençant par le mot « Seule… » contient l’énumération des 6 allégations de la plainte de la demanderesse. La demanderesse étant la seule source de ces allégations, elle les connaît donc manifestement. Sauf la partie en italique, toute cette partie de la page 17 est accessible à la demanderesse. Cette énumération ne constitue pas une analyse au sens de l’article 32, mais la série des faits allégués qui ont provoqué l’analyse. L’article 32, qui ne vise que des analyses, ne peut donc s’appliquer à cette portion du Rapport : 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. [40] Le paragraphe de la page 17 débutant par le mot « Seule… » contient la version des faits de certaines tierces personnes physiques. Rien dans la preuve n’indique que ces versions sont connues de la demanderesse, comme la version en italique dont il est question au paragraphe précédent. Révéler ces versions équivaudrait donc à révéler des renseignements nominatifs concernant d’autres personnes physiques au sens de l’article 88 de la Loi. Ce paragraphe est inaccessible à la demanderesse : 88. Sauf dans le cas prévu par le paragraphe 4 o de l'article 59, un organisme public doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement nominatif concernant une
04 10 29 Page : 9 autre personne physique ou l'existence d'un tel renseignement, à moins que cette dernière n'y consente par écrit. [41] Le texte sous le titre « B. Analyse globale et conclusion quant à la plainte de [la présente demanderesse] », à la fin de la page 17, constitue en entier la conclusion de l’analyse qui précède. Ce texte ne contient aucune analyse malgré le titre qui le chapeaute. L’article 32, précité, ne peut donc s’appliquer à cette portion du Rapport. [42] Le titre B et le texte sous ce titre à la fin de la page 17 concernent la demanderesse seule et lui est accessible. [43] Le texte sous le titre Considérations préliminaires au début de la page 18 contient des renseignements nominatifs concernant, et la demanderesse, et des tierces personnes physiques. À l’examen du texte de ces points 1) à 5), il est impossible d’extraire les renseignements qui concernent seulement la demanderesse. Cette opération enlèverait tout sens à ce qui resterait accessible à cette dernière. Les points 1) à 5) sous ce titre sont donc inaccessibles à la demanderesse en application de l’article 88 (précité) de la Loi. [44] Le texte sous le titre « Je recommande », c'est-à-dire les recommandations finales 1) à 7) à la fin de la page 18, a été communiqué verbalement à la demanderesse à la fin du processus d’enquête. Ce texte n’est pas une analyse au sens de l’article 32, mais bien les recommandations découlant de cette analyse. Il contient aussi quelques renseignements nominatifs concernant des tierces personnes physiques que la demanderesse connaît, de toute évidence. Cette partie du Rapport doit être remise à la demanderesse. [45] En dernier lieu, je dois souscrire à la prétention de l'avocate de l'organisme que la promesse de divulgation du document en litige faite à la demanderesse par une autre personne que le Responsable n'engage en rien l'organisme en matière d'accès à un document. Cette autre personne n'a pas compétence pour statuer sur l'accessibilité d'un document détenu par un organisme.
04 10 29 Page : 10 [46] POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission ACCUEILLE en partie la demande de révision; FRAPPE les documents O-5 et O-6 d’un interdit total de publication, de diffusion et de divulgation par la Commission et ce, même à l’égard de la demanderesse; ORDONNE à l’organisme de communiquer à la demanderesse les parties suivantes du Rapport : • La page 1, à l’exception du titre apparaissant au haut de page; • sauf ce qui est écrit en italique sous l’allégation 5, tout le texte à partir du début de la page 17 jusqu’au paragraphe débutant par « Seule… »; • le titre B et le texte sous ce titre B à la fin de la page 17; • le titre « Je recommande » et les recommandations finales 1) à 7) à la fin de la page 18; et REJETTE la demande de révision quant au reste. DIANE BOISSINOT commissaire Avocate de l’organisme : M e Lyne Desharnais Chamberland, Gagnon, avocats (Justice-Québec)
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