Commission d'accès à l'information du Québec Dossier : 04 05 27 Date : Le 13 juin 2005 Commissaire : M e Michel Laporte DÉCISION L'OBJET DEMANDE DE RÉVISION [1] Le 6 février 2004, la demanderesse s’adresse au Centre local de services communautaires René-Cassin (le « CLSC ») en ces termes pour obtenir : « […] la liste des contrats, y compris les taux horaires consentis, ainsi que le nombre d’heures par semaine, aussi bien que les montants bruts, et le ou les programmes gouvernementaux agences suivantes sont inscrites et payées par le CLSC René-Cassin. Cette X Demanderesse c. CENTRE LOCAL DE SERVICES COMMUNAUTAIRES RENÉ-CASSIN Organisme sous lesquels les requête concerne plus
04 05 27 Page : 2 spécifiquement l’agence Paraide internationale et la compagnie Clean Sweepers/Coup de balai. […] […] copie du dernier rapport annuel (le plus récent) du CLSC René-Cassin, ainsi que séparément une copie récente des Membres qui forment et qui siègent au Conseil d’administration […]. [2] Le 10 mars 2004, le CLSC informe la demanderesse qu’elle recevra sous peu le rapport annuel et la liste des membres du conseil d’administration. Il l’avise de son refus de lui fournir les contrats conclus avec une personne n’étant pas visée par le 3 e paragraphe de l’article 57 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi »). [3] Le 25 mars 2004, le procureur de la demanderesse sollicite l’intervention de la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») pour qu’elle révise cette décision du CLSC. [4] Le 11 avril 2005, une audience se tient à Montréal et, le 18 mai suivant, la Commission reçoit du CLSC des informations supplémentaires en lien avec la demande. L'AUDIENCE A) LE LITIGE [5] Le seul objet du litige est de déterminer si le 3 e paragraphe de l’article 57 de la Loi ne s’applique qu'aux personnes physiques. B) LA PREUVE Du CLSC M. Kevin Hayes [6] M. Hayes, coordonnateur des services professionnels et responsable de l’accès, remet à la Commission, sous pli confidentiel, les documents en litige. Il s’agit de quatre contrats visant les entreprises Corporation Coup de balai, Paraide 1 L.R.Q., c. A-2.1.
04 05 27 Page : 3 International inc., Services de santé Alternacare inc. et Groupe Santé Brunet. Il assure que le CLSC ne détient pas d’autres documents pouvant répondre à la demande d’accès. [7] M. Hayes affirme que le CLSC ne possède pas une liste compilant le nombre d’heures par semaine, les montants bruts et les programmes gouvernementaux pour lesquels les agences sont inscrites et payées par le CLSC. [8] Interrogé par le procureur de la demanderesse, M e Clermont Bélanger, M. Hayes confirme l’existence des rapports annuels et financiers ayant un caractère public. Il précise que le rapport financier, déposé au ministère de la Santé et des Services sociaux, réfère aux coûts globaux défrayés par le CLSC à diverses agences, mais ne permet pas de répondre spécifiquement à la demande d’accès. La Commission [9] M. Hayes s’engage à faire parvenir à la demanderesse, dans les 15 jours, les extraits du rapport financier traitant des agences. Le CLSC [10] Le procureur du CLSC, M e Alain Klotz, fait parvenir au procureur de la demanderesse, M e Clermont Bélanger, et à la Commission, le 18 mai 2005, les informations supplémentaires concernant le nombre d’heures et les montants versés aux agences visées par la demande (pièce O-1). C) LES ARGUMENTS i) Du CLSC [11] M e Klotz plaide que le juge Simon Brossard de la Cour du Québec, dans l’affaire Cogénération Kingsey c. Burcombe 2 , a mis fin à une longue saga en interprétant le mot « personne », au 3 e paragraphe de l’article 57 de la Loi, comme signifiant exclusivement une personne physique : 57. Les renseignements suivants ont un caractère public: 1 o le nom, le titre, la fonction, la classification, le traitement, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail d'un membre d'un organisme public, de son conseil 2 [1996] C.A.I. 420.
04 05 27 Page : 4 d'administration ou de son personnel de direction et, dans le cas d'un ministère, d'un sous-ministre, de ses adjoints et de son personnel d'encadrement; 2 o le nom, le titre, la fonction, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail et la classification, y compris l'échelle de traitement rattachée à cette classification, d'un membre du personnel d'un organisme public; 3 o un renseignement concernant une personne en sa qualité de partie à un contrat de service conclu avec un organisme public, ainsi que les conditions de ce contrat; 4 o le nom et l'adresse d'une personne qui bénéficie d'un avantage économique conféré par un organisme public en vertu d'un pouvoir discrétionnaire et tout renseignement sur la nature de cet avantage. […] [12] M. le juge Brossard a retenu, soutient M e Klotz, que les situations décrites au chapitre III de la Loi réfèrent à des personnes physiques et non à des personnes morales. Il avance que la codification proposée au Projet de loi 86 3 renforce cette interprétation. Il y est proposé de remplacer l’expression « renseignement nominatif » par « renseignement personnel ». [13] M e Klotz fait valoir que le mot « personne », dans le sens courant du terme, désigne une personne physique 4 . [14] M e Klotz établit une distinction entre les décisions rendues dans l’affaire Cogénération Kingsey c. Burcombe 5 , portant sur le 4 e paragraphe de l’article 57 de la Loi, et l’affaire Tremblay c. Société générale de financement du Québec 6 , discutant du 3 e paragraphe du même article. Il soutient que la décision de M me la juge Brigitte Gouin, dans l’affaire Tremblay, est l’équivalent d’un obiter dictum, ne permettant pas de renverser la décision prise dans l’affaire Cogénération Kingsey. Il ajoute que la décision de M me la juge Gouin n’autorise pas la mise à l’écart de l’autre décision, n’ayant pas développé assez d’arguments pour la justifier. Il propose la stabilité de la décision Cogénération Kingsey. 3 Loi modifiant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et d'autres dispositions législatives, Projet de loi 86, 1 re session, 37 e législature (Québec). 4 Dictionnaire Le Petit Larousse illustré, 2002, Personne : 1. Être humain; individu. […] 2. Individu considéré en lui-même. […] Personne morale : groupement d'individus auquel la loi reconnaît une personnalité juridique distincte de celle de ses membres […]; Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 2 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1990, p. 243. 5 Précitée, note 2. 6 C.Q. Montréal, n o 500-02-102368-029, 24 mai 2004, j. Gouin.
04 05 27 Page : 5 ii) De la demanderesse [15] M e Bélanger fait valoir que la Loi vise l’accès aux documents détenus par un organisme public pour assurer la transparence de ses actions. Elle doit donc s’interpréter raisonnablement et simplement en fonction de sa finalité. [16] M e Bélanger soumet que la Cour du Québec, dans l’affaire Tremblay c. Société générale de financement du Québec 7 , a décidé récemment, selon une interprétation de nature raisonnable, que le mot « personne » signifie à la fois personne physique et morale. Il y a donc eu renversement de l’interprétation énoncée dans l’affaire Cogénération Kingsey c. Burcombe 8 . Il signale que la Cour supérieure a maintenu cette dernière interprétation en rejetant la requête en évocation soumise par la Société générale de financement du Québec à l’encontre de la décision rendue par M me la juge Gouin 9 . [17] M e Bélanger signale qu’il ne s’agit pas ici de dévoiler le secret d’une entreprise, mais de connaître, en toute transparence, les services fournis par les agences au CLSC et les coûts engendrés par ceux-ci. Il faut que le citoyen, dit-il, puisse vérifier si les montants payés et les services d’une agence en particulier sont de même nature pour les autres agences. M e Alain Koltz [18] M e Koltz réplique qu’une requête en révision judiciaire n’est pas de la même nature qu’un appel. La Cour supérieure, dit-il, ne s’est pas prononcée sur l’article 57 de la Loi, mais plutôt sur la norme de contrôle applicable lui permettant ou non d’intervenir. DÉCISION [19] J’ai examiné les documents en litige. Il s’agit de quatre documents intitulés « Protocole d’entente », s’appliquant à la Corporation Coup de balai, et « Entente de services CLSC/Agences de placement de services d’aides », pour les entreprises Paraide International inc., Services de santé Alternacare inc. et Groupe Santé Brunet, celles-ci étant les quatre agences visées par la demande d’accès. Nous y trouvons les clauses suivantes : 7 Id. 8 Précitée, note 2. 9 Société générale de financement du Québec c. Gouin, C.S. Montréal, n o 500-17-021318-046, 15 décembre 2004, j. Larouche.
04 05 27 Page : 6 Pour l'entreprise Corporation Coup de balai • l’objet de l’entente; • la nature des services; • les principes directeurs; • les responsabilités des parties; • le territoire et la gestion de l’entente; • l’annexe intitulée « Exemples de Clientèles qui pourraient être référée par le CLSC – Personnes de moins de 65 ans »; • le formulaire de référence. Pour les entreprises Paraide International inc., Service de santé Alternacare inc. et Groupe Santé Brunet • la responsabilité de l’agence privée; • la responsabilité du CLSC; • la lettre de l’entreprise; • le relevé du registraire des entreprises (Système CIDREQ). [20] Le 3 e paragraphe de l’article 57 énonce qu’un « renseignement concernant une personne en sa qualité de partie à un contrat de service conclu avec un organisme public, ainsi que les conditions de ce contrat » ont un caractère public. [21] M e Klotz argue que, depuis l’affaire Cogénération Kingsey c. Burcombe 10 , le 3 e paragraphe l’article 57 de la Loi vise seulement les personnes physiques et non les personnes morales. [22] La Commission a majoritairement donné un caractère public aux renseignements des personnes physiques et morales visées par l’article 57 de la Loi 11 , avant la décision rendue dans l’affaire Cogénération Kingsey c. Burcombe 12 . Cependant, la décision dans l’affaire Société générale de financement du Québec c. Gouin 13 , tant à la Cour du Québec qu’à la Cour supérieure, est venue rétablir le courant jurisprudentiel de la Commission. Ainsi, M. le juge Claude Larouche de la Cour supérieure, dans cette affaire 14 , relève que : 10 Précitée, note 2. 11 Belzile c. Centre hospitalier Douglas, [1988] C.A.I. 277. 12 Précitée, note 2. 13 Précitées, notes 6 et 9. 14 Précitée, note 9, par. 88, 90 et 93.
04 05 27 Page : 7 La Cour du Québec émet au surplus l’opinion que le mot «personne» que l’on retrouve à l’article 57 n’est pas limité seulement aux personnes physiques. Référant à la cause de Kingsey, l’honorable Gouin complète en indiquant que selon l’article 61, par. 16 de la Loi d’interprétation, le mot «personne» comprend les personnes morales à moins que la Loi ou les circonstances ne s’y opposent, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. […] Se faisant critique, la juge Gouin avance que si l’on suit le raisonnement de la décision Cogénération Kingsey, les conséquences seraient que les subventions accordées à une personne physique sont publiques (ex. les bourses d’étudiants) alors que celles accordées à une personne morale ne le seraient pas si on invoquait les articles 23 et 24 de la Loi. Elle écrit, avec raison, que le Tribunal ne peut soutenir une telle conclusion. […] Aussi, croyons-nous, tel que le plaide le mis en cause Tremblay pour Radio-Canada, que l’honorable Gouin était justifiée de ne pas suivre une jurisprudence isolée qui limitait l’application de l’article 57 de la Loi sur l'accès uniquement aux personnes physiques. [23] Je partage les propos de M. le juge Larouche et suis d’avis qu’il faut donner plein effet à l’article 57 de la Loi. Les renseignements concernant une personne, qu’elle soit physique ou morale, partie à un contrat de service avec le CLCS, et les conditions de ce contrat ont un caractère public. Peu importe le statut de cette personne, il ne devrait pas être possible de soulever les restrictions énoncées aux articles 18 à 41 de la Loi. [24] Il importe de rappeler qu’il s’agit de permettre l’accès à des contrats aux fins de rendre plus transparente l’administration publique. Le prix à payer pour une entreprise transigeant avec un organisme public est de se soumettre à cette règle de transparence inscrite à l’article 9 de la Loi : 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public. Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature.
04 05 27 Page : 8 [25] L’analyse des quatre documents en litige me convainc donc de leur accessibilité en vertu du 3 e paragraphe de l’article 57 de la Loi. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [26] ACCUEILLE la demande de révision de la demanderesse; [27] CONSTATE que la demanderesse a reçu tous les documents détenus par le CLSC en lien avec sa demande, sauf ceux en litige; [28] ORDONNE au CLSC de communiquer à la demanderesse les documents en litige. MICHEL LAPORTE Commissaire Bélanger, Hébert & Associés (M e Clermont Bélanger) Procureurs de la demanderesse Klotz & Pano (M e Alain Klotz) Procureurs de l'organisme
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