Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 04 10 09 Date : Le 13 octobre 2005 Commissaire : M e Diane Boissinot X Le demandeur c. ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL (OSM) L’entreprise DÉCISION L’OBJET : DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE EN MATIÈRE D’ACCÈS formulée en vertu de l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . [1] Le 4 mai 2004, le demandeur s’adresse à l’entreprise pour obtenir, entre autres, une copie des lettres de plainte que les collègues de sa section ont adressées à l’entreprise. Le demandeur ajoute qu’il formule cette demande afin de pouvoir se défendre de façon adéquate. [2] Le 14 mai suivant, l’entreprise refuse de lui communiquer ces documents au motif qu’ils sont visés par les articles 40 et 39, 2° de la Loi. 1 L.R.Q., c. P-39.1 ci après appelée « la Loi ».
04 10 09 Page : 2 [3] Le 11 juin 2004, l’avocate du demandeur formule une demande d’examen de mésentente au nom de son client. [4] Avant l’audition prévue pour le 30 mai 2005, les avocates des parties proposent à la soussignée que le présent dossier soit entendu par le moyen d’admissions et de représentations écrites et selon un échéancier approuvé par la Commission le 1 er juin 2005. [5] Le 27 mai 2005, la soussignée accède à la requête des parties aux conditions suivantes : […] Toutefois, la Commission ordonne à l’OSM de remettre sous pli confidentiel à la Commission, d’ici le 14 juin 2005, une copie de l’intégrale de tous les documents en litige afin de permettre à cette dernière de statuer sur leur accessibilité. La Commission ordonne aussi à l’OSM de faire parvenir, également d’ici le 14 juin 2005, à la Commission et à la partie adverse, une déclaration assermentée de la part d’une personne compétente de l’OSM attestant que ces documents représentent tous les documents faisant l’objet de la demande d’accès et sont une copie conforme de ceux détenus par l’OSM. Cette déclaration solennelle et les admissions seront déposées en preuve dans le dossier sous des cotes à être déterminées par la Commission. L’AUDIENCE A. LA PREUVE [6] Les parties déposent la liste conjointe des admissions qu’elles entendent présenter à la Commission. Cette liste porte la date du 6 juin 2005. Il convient de déposer en preuve cette liste sous la cote ED-1 et les pièces qui y sont annexées sous les cotes A-1 à A-9. [7] L’entreprise dépose la déclaration solennelle signée par monsieur Michael Carpenter, son directeur du personnel, le 8 juin 2005. Il convient de déposer cette déclaration solennelle sous la cote E-1. [8] Il appert du paragraphe 14 de cette liste ED-1 et de la déclaration solennelle E-1 que le litige se limite maintenant au refus de communiquer seulement deux lettres de plainte, soit celles émanant de chacun des deux collègues identifiés à ce paragraphe. [9] Il appert de cette liste d’admissions, de son annexe A-1 ainsi que du contenu de la déclaration E-1 que le demandeur connaît formellement depuis le
04 10 09 Page : 3 30 avril 2004 l’identité de tous ses collègues qui ont envoyé des lettres de plaintes à l’entreprise ainsi que la nature générale des agissements qu’on lui reproche et que ces lettres dénoncent. [10] Il ressort de la déclaration solennelle de monsieur Carpenter (E-1) que ce dernier a pris connaissance des plaintes entre les 22 et 25 avril 2004 et a rencontré le demandeur pour connaître sa version des faits avant le 30 avril 2004, date de sa suspension avec solde (ED-1, annexe A-1). [11] Il appert de la lettre du 30 avril 2004 adressée par l’entreprise au demandeur (annexe A-1 de la liste d’admissions ED-1) que celui-ci sait que les plaintes concernant ces agissements ont été déposées chez l’entreprise, que l’entreprise songe à lui imposer des mesures disciplinaires à la suite de la réception de ces plaintes, que l’entreprise a décidé d’enquêter sur le bien-fondé de ces plaintes, et qu’elle le suspend avec solde durant le déroulement de cette enquête. [12] Il ressort de la demande d’accès du 4 mai 2004 et du contenu de la lettre de l’avocate de l’association de musiciens représentant le demandeur (la Guilde des musiciens du Québec) datée du 12 mai 2004 (ED-1 annexes A-2 et A-4) que le demandeur manifeste clairement l’intention de se défendre concernant les mesures disciplinaires annoncées. [13] Le refus de l’entreprise de communiquer les plaintes est rédigé le 14 mai 2004 (ED-1, annexe A-3). Il est réitéré le 20 mai 2004 (ED-1 annexe A-5) dans la lettre adressée à l’avocate de la Guilde des musiciens du Québec qui, le 12 mai précédent, avait demandé les mêmes documents au nom du demandeur, un de ses membres. [14] Le paragraphe 13 de la liste d’admissions ED-1 ainsi que son annexe A-8 mentionnent que le demandeur a déposé, le 31 août 2004, un grief contestant la décision de l’entreprise du 23 juin précédent de le suspendre un certain temps à la suite des agissements reprochés. [15] Le paragraphe 16 de la liste d’admissions (ED-1) mentionne que la première séance de l’audition devant l’arbitre saisi de ce grief, André Sylvestre, est prévue pour le 29 juin suivant (2005). B. LES ARGUMENTS i) de l’entreprise
04 10 09 Page : 4 [16] L’avocate de l’entreprise plaide tout d’abord que sont réunies en l’espèce les trois conditions d’application du paragraphe 2° de l’article 39 telles qu’élaborées par la Commission dans l’affaire Pichette c. S.S.Q.-Vie 2 , savoir : 1) le document demandé doit contenir des renseignements personnels concernant le demandeur; 2) il doit y avoir une procédure judiciaire en cours ou de sérieux indices de l’imminence d’une telle procédure; et 3) la divulgation des renseignements contenus dans ce document doit présenter un risque vraisemblable d’effet sur une procédure judiciaire. [17] Aux pages 3 et 4 de sa plaidoirie écrite, citant la jurisprudence pertinente 3 , l’avocate de l’entreprise analyse la réunion de ces trois conditions comme suit : […] Premièrement, les lettres de plaintes en cause contiennent des renseignements concernant le demandeur. Ces lettres décrivent les comportements du demandeur qui lui sont reprochés, comportements qui sont la source de la suspension d’abord pour fins d’enquête et par la suite disciplinaire qui lui a été imposée. Deuxièmement, le demandeur a déposé, le 31 août 2004, une procédure de grief contestant sa suspension [ED-1, A-8]. Il y a donc une procédure judiciaire. Qui plus est, au moment où nous avons pour la première fois refusé de donner copie au demandeur des lettres de plaintes, il y avait de sérieux indices de l’imminence d’une telle procédure. Nous enquêtions sur le demandeur. Plusieurs plaintes concernant son comportement au travail nous avaient été remises. Le demandeur insistait fortement pour consulter les lettres en cause. Le 12 mai 2004, le demandeur nous fait parvenir une lettre de son avocate, demandant de nouveau de consulter les documents. En somme, nous avions tout lieu de croire que le demandeur allait intenter des procédures judiciaires, ce qu’il n’a d’ailleurs pas tardé à faire. Troisièmement, la divulgation du contenu des plaintes risquerait vraisemblablement d’avoir un effet sur cette procédure de grief. Les plaintes sont non seulement à la base de la première suspension du demandeur, pour fins d’enquête, mais aussi et surtout à la base de la seconde suspension du demandeur, sans solde cette fois. Le grief du demandeur conteste cette mesure disciplinaire. Les plaintes étant la source de la sanction contestée, il nous semble évident que la divulgation de ces 2 [1995] CAI 4, 7. 3 Bérubé c. Caisse populaire Desjardins de Baie-Comeau, [1994] CAI 298, 299, 300; Panneton c. Assurances générales des Caisses Desjardins, [2004] CAI 387; Leroux c. Shermag inc,. CAI n° 04 02 15, 22 mars 2005, c. Laporte.
04 10 09 Page : 5 documents présenterait un risque plus que vraisemblable d’effet sur la procédure judiciaire en cours. [18] L’avocate de l’entreprise présente ensuite sa position sur l’application de l’article 40 au cas qui nous occupe. ii) du demandeur [19] L’avocate du demandeur admet que la première condition d’application du paragraphe 2° de l’article 39 de la Loi est satisfaite. [20] Elle soutient toutefois que l’entreprise n’a pas établi que des procédures étaient imminentes au moment de la demande d’accès 4 puisqu’à cette date, « il existe une hypothèse qu’il n’y aura aucune mesure disciplinaire et donc encore moins de grief 5 ». [21] Elle soutient enfin que l’entreprise n’a pas établi, par une preuve concrète, que la divulgation des documents en litige ou de leur contenu engendrerait un « préjudice probable » sur la procédure 6 . [22] L’avocate du demandeur plaide ensuite que les conditions d’application de la restriction à l’accès prévue à l’article 40 de la Loi ne sont pas satisfaites en l’espèce et présente ses arguments au soutien de cette position. DÉCISION [23] Étant donné que j’arrive à la conclusion que le paragraphe 2° de l’article 39 de la Loi s’applique aux faits de la présente cause, il est inutile que j’analyse la preuve et l’argumentation concernant l’article 40 de la Loi et que je tranche la question de l’application de cette disposition aux présents faits. [24] J’ai examiné les documents en litige. Il s’agit de deux plaintes. L’une est dactylographiée, contient 4 pages et a été signée le 22 avril 2004. Elle est 4 Dufour c. Commission scolaire Beauport, [1986] CAI 194, 196, 197; Berthiaume c. Commission des écoles catholiques de Montréal, [1997] CAI 344, 346. 5 Voir page 5 de sa plaidoirie écrite. 6 John de Kuyper c. Société de vin International, [1992] CAI 351 CQ 360.
04 10 09 Page : 6 accompagnée d’un addenda dactylographié d’une page, signé le 23 avril 2004. L’autre est dactylographiée, tient sur une page et est signée le 25 avril 2004. [25] L’article 39 de la Loi se lit comme suit : 39. Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement: 1° de nuire à une enquête menée par son service de sécurité interne ayant pour objet de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions à la loi ou, pour son compte, par un service externe ayant le même objet ou une agence d'investigation ou de sécurité conformément à la Loi sur les agences d'investigation ou de sécurité (chapitre A-8); 2° d'avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l'une ou l'autre de ces personnes a un intérêt. [26] De toute évidence, ces documents contiennent, en substance, des renseignements personnels concernant le demandeur. Ce fait n’est pas contesté par le demandeur et répond à la première condition d’application du paragraphe 2° de l’article 39. [27] Je souscris entièrement aux arguments précités de l’avocate de l’entreprise sur l’application de ses deux autres conditions d’application et je les fais miens. [28] De plus, la preuve me convainc que pendant la période de traitement par l’entreprise de la demande d’accès du demandeur, ce dernier avait en sa possession une lettre de l’entreprise datée du 30 avril 2004 qui laissait clairement entendre que des mesures disciplinaires lui seraient vraisemblablement imposées dès l’enquête complétée. [29] Je suis convaincue que le demandeur a en tête ces mesures lorsqu’il fait sa demande d’accès le 4 mai suivant, en particulier, lorsqu’il justifie sa demande par les mots « […] so that I may properly defend myself ». [30] À mon avis, compte tenu du contexte, le demandeur avait déjà donné à l’entreprise de bonnes raisons de croire, le 4 mai 2004, que des procédures étaient imminentes.
04 10 09 Page : 7 [31] Je ne peux souscrire à la position de l’avocate du demandeur qui, à l’appui de sa prétention que l’entreprise aurait fait défaut d’établir un préjudice probable, cite le jugement de la Cour du Québec dans l’affaire John de Kuyper 7 . [32] En effet, cette jurisprudence n’est pas pertinente. Ce jugement ne traite pas de l’article 39 de la Loi mais bien du fardeau de preuve du tiers qui veut établir les conditions d’application de l’article 24 d’une autre loi, la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 8 où la notion de préjudice est bien présente. [33] Il n’y a aucune notion de préjudice qui découle du libellé de l’article 39 de la Loi. Seul un effet probable doit être considéré et cet effet probable ne doit pas nécessairement être néfaste. L’article 39 ne qualifie aucunement l’effet probable. [34] POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission REJETTE la demande d’examen de mésentente. DIANE BOISSINOT commissaire Avocate de l’entreprise : M e Marie-Hélène Jetté (Ogilvy Renault, avocats) Avocate du demandeur : M e Mylène Cyr 7 Op. cit. supra note 6. 8 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée la « Loi ».
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