Section juridictionnelle

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Commission daccès à linformation du Québec Dossier : 02 19 89 Date : 10 mai 2005 Commissaire : M e Christiane Constant X Demanderesse c. Ville de Montréal Organisme public DÉCISION LOBJET DU LITIGE LA DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 13 novembre 2002, la demanderesse formule comme suit une demande auprès de la Ville de Montréal (l « organisme ») : […] I am asking for access to the complete, unexpurgated property-evaluation database of the City of Montreal, including the names of the owner(s) of each property, the address of the property and all other related evaluation information. […]
02 19 89 Page : 2 [2] Le 2 décembre, par lentremise de M e Mario Gerbeau, responsable substitut de laccès aux documents, lorganisme sadresse à la Commission daccès à linformation (la « Commission »), afin dobtenir lautorisation de ne pas tenir compte de cette demande. Il invoque à cet effet le 2 e alinéa de larticle 126 de la Loi sur les documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi sur laccès »). LAUDIENCE [3] Laudience de la présente cause se tient à Montréal, le 7 octobre 2003, en présence de la demanderesse qui est représentée par M e Mark Bantey, de la firme davocats Gowling Lafleur Henderson. Lorganisme, pour sa part, est représenté par M e Philippe Berthelet, du cabinet davocats Charest, Séguin, Caron. LA PREUVE TÉMOIGNAGE DE LA DEMANDERESSE [4] La demanderesse affirme avoir formulé sa demande à titre de journaliste travaillant pour le journal The Gazette elle couvre les affaires municipales. À son avis, les documents recherchés ont un caractère public et devraient lui être accessibles. De plus, les citoyens ont le droit dêtre informés de la manière dont est géré largent détenu par lorganisme. Cest une question de principe. [5] La demanderesse fournit, en exemple, quau cours de lannée 1995, alors quelle travaillait pour un autre journal, elle a effectué une recherche « au Bureau Accès Montréal », afin de connaître lidentité des personnes ayant contribué au financement du parti municipal au pouvoir à cette époque. Elle a pu constater que plusieurs de ces personnes ne résidaient pas sur le territoire de la Ville de Montréal; elles nauraient donc pas contribuer au financement de ce parti municipal. Elle a écrit un article à ce sujet dans ce journal. [6] Interrogée par M e Bantey, la demanderesse précise que son objectif est dinformer le public sur les affaires municipales. Elle fournit, également en exemple, une autre recherche quelle avait effectuée, en utilisant ladresse ou le numéro de cadastre dun édifice à logements. Elle a pu identifier les propriétaires 1 L.R.Q., c. A-2.1.
02 19 89 Page : 3 de cet édifice à logements situé dans un secteur précis de la Ville de Montréal. Elle a été en mesure de savoir si ces propriétaires possédaient dautres propriétés immobilières (les pièces D-1 et D-2). [7] La demanderesse explique quelle na aucun intérêt à utiliser les renseignements recherchés à des fins commerciales et lucratives. LA PLAIDOIRIE DE LORGANISME [8] M e Berthelet plaide que le principe général de la Loi sur laccès est de donner à un citoyen accès à des documents détenus par un organisme public dans la mesure la loi le permet. Il précise cependant que la Commission a développé une jurisprudence selon laquelle il est important de connaître lusage que compte faire ce citoyen, en loccurrence la demanderesse, des renseignements contenus dans les documents quelle cherche à obtenir. Il réfère à cet effet au témoignage de celle-ci qui travaille à titre de journaliste pour le journal The Gazette, laquelle est une entreprise commerciale. [9] M e Berthelet argue que lorsque la demanderesse écrit un article dans le journal, elle contribue à la mission de cette entreprise dont les fins poursuivies sont de nature commerciale et lucrative, et ce, tel quil est ressorti, entre autres, dans les décisions Conseil scolaire de lÎle de Montréal c. Directron Média 2 et Lampron c. M.R.C. LÎle DOrléans 3 . À son avis, ces deux décisions déterminent les cas dapplication du deuxième alinéa de larticle 126 de la Loi sur laccès; la notion de commercialité a été établie. [10] De plus, M e Berthelet émet des commentaires en regard de la décision Ville de La Baie c. Residentex inc. 4 . Cette dernière cherchait à obtenir des renseignements répertoriés au rôle dévaluation de la Ville de La Baie. La Commission a alors statué que : […] Les renseignements personnels répertoriés au rôle dévaluation ont été recueillis et rassemblées à des fins précises et à celles-là seulement. [sic] 2 [1992] C.A.I. 24, 26. 3 [2000] C.A.I. 248, 250. 4 [1999] C.A.I. 433, 436, 437.
02 19 89 Page : 4 […] Faire commerce de ces renseignements personnels, cest à lévidence une activité qui ne sinscrit pas dans lobjectif recherché par le législateur lorsquil a voté la Loi sur laccès et lui a conféré le statut de législation prépondérante. Utiliser à des fins commerciales les renseignements personnels versés au rôle dévaluation, cest aller à lencontre de lobjectif et de la finalité à la base de la constitution de ce rôle dévaluation. Formulée dans plusieurs décisions, cette conclusion a été confirmée par la Cour du Québec, qui agit en tant que tribunal dappel des décisions de la Commission. […] [11] M e Berthelet souligne que la présente demande constitue un test par lequel lorganisme cherche à faire appliquer le deuxième alinéa de larticle 126 de la Loi sur laccès. La demanderesse ne devrait donc pas avoir accès aux documents recherchés. DE LA DEMANDERESSE [12] M e Bantey plaide que lobjectif recherché par la demanderesse est daccomplir, à titre de journaliste, sa mission sociale, dont le but unique est dinformer le public sur les affaires municipales. Il plaide également que les dispositions législatives contenues au deuxième alinéa de larticle 126 de la Loi sur laccès doivent être interprétées de façon restrictive. Les renseignements personnels convoités par la demanderesse sont au même effet que ceux contenus au rôle dévaluation; ils ne sont pas nominatifs. Ils revêtent plutôt un caractère public au sens de larticle 55 de la Loi sur laccès. La Loi sur la fiscalité municipale 5 sapplique également dans le cas sous étude. Lavocat cite à cet effet la cause Régie du bâtiment du Québec c. Ville de Beauport 6 , en appel dune décision de la Commission, la Cour du Québec a, entre autres, statué que : […] la Loi sur laccès ne peut être soulevée pour restreindre lexercice du droit [daccès], ceci en raison de larticle 171 paragraphe 1 : « à moins que lexercice de ce droit daccès ne porte atteinte à la protection des renseignement personnels ». (sic) 5 L.R.Q., c. F-2.1. 6 [1995] C.A.I. 448.
02 19 89 Page : 5 […] lexercice du droit daccès ne porte pas atteinte à la protection des renseignements personnels vu le caractère public des renseignements inscrits au rôle dévaluation (art. 73 de la Loi sur la fiscalité municipale). […] [13] M e Bantey indique que les fonctions de journaliste occupées par la demanderesse ne devraient pas lempêcher à obtenir les documents convoités. De plus, lavocat fait remarquer que lorganisme na fourni aucune preuve pour réfuter les prétentions de la demanderesse. Faisant référence à la décision Trottier c. Loto Québec 7 , M e Bantey souligne que la Commission a statué notamment que : […] Aucune preuve ne me permet de dire que la demande daccès est faite de mauvaise foi, en vue de nuire à autrui ou dune manière excessive et déraisonnable, ou encore quelle serait manifestement abusive ou non conforme à lobjet de dispositions de la Loi sur laccès en matière de protection des renseignements personnels. Lorganisme sen prend à la qualité de journaliste du demandeur pour soutenir que la finalité de la demande daccès « ne peut être que la diffusion au grand public par lentremise dun journal à grand tirage de renseignement personnels rattachés à la vie privée des personnes concernées ». Je ne puis retenir ce type dargument. Laccès à linformation mapparaît indissociable de la liberté de la presse. Si les renseignements recherchés sont accessibles, on ne saurait faire reproche à la presse den informer le public. Cest lessence même de la Loi sur laccès, qui sinsère parfaitement dans notre tradition démocratique. […] [14] Par ailleurs, commentant les affaires Lampron, dune part, et Ville de La Baie, dautre part, M e Bantey réplique que le but poursuivi par les demandeurs était de nature commerciale et lucrative. D le motif principal pour lequel la 7 [1996] C.A.I. 54, 59, C.Q. Montréal, n o 500-02-030983-964, 24 avril 1996, désistement.
02 19 89 Page : 6 Commission avait autorisé les villes à ne pas tenir compte des demandes daccès qui faisaient lobjet du litige. [15] Dans le cas sous étude et considérant le témoignage de la demanderesse, M e Bantey argue que la notion de commercialité nest pas établie, le deuxième alinéa de larticle 126 de la Loi sur laccès ne sapplique pas. Il signale que, dès que des renseignements personnels revêtent un caractère public en vertu de la loi, ils ne sont pas nominatifs. Conséquemment, larticle 55 de la Loi sur laccès devrait trouver application. LA DÉCISION [16] La demande est formulée comme suit : […] I am asking for access to the complete, unexpurgated property-evaluation database of the City of Montreal, including the names of the owner(s) of each property, the address of the property and all other related evaluation information. […] [17] La demanderesse sest prévalue de son droit fondamental, au sens de larticle 9 de la Loi sur laccès, afin davoir accès à des renseignements contenus dans des documents détenus par la Ville de Montréal qui est un organisme public selon les termes de larticle 1 de cette Loi, et ce, tel qu'il est indiqué, entre autres, à la décision Larivière c. Centre des services sociaux du Montréal-Métropolitain 8 . 1. La présente loi s'applique aux documents détenus par un organisme public dans l'exercice de ses fonctions, que leur conservation soit assurée par l'organisme public ou par un tiers. Elle s'applique quelle que soit la forme de ces documents: écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre. 8 [1987] C.A.I. 15.
02 19 89 Page : 7 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public. Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature. [18] Il est ressorti lors de la preuve que la demanderesse est une journaliste travaillant pour le journal de presse The Gazette et quelle écrit des articles dans ce journal relativement aux affaires municipales. Elle a clairement indiqué quelle na pas lintention dutiliser, à des fins commerciales et lucratives, les renseignements convoités. Seule la demanderesse a témoigné à laudience. [19] Lorganisme, pour sa part, cherche à obtenir auprès de la Commission une autorisation de ne pas tenir compte de la demande au motif que cette dernière ne serait pas conforme à lobjet des dispositions du deuxième alinéa de larticle 126 de la Loi sur laccès. 126. La Commission peut, sur demande, autoriser un organisme public à ne pas tenir compte de demandes manifestement abusives par leur nombre, leur caractère répétitif ou leur caractère systématique. Il en est de même lorsque, de l'avis de la Commission, ces demandes ne sont pas conformes à l'objet des dispositions de la présente loi sur la protection des renseignements personnels. Un membre de la Commission peut, au nom de celle-ci, exercer seul les pouvoirs que le présent article confère à la Commission. [20] Pour mieux saisir linterprétation à donner à des demandes qui « ne sont pas conformes à lobjet des dispositions de la Loi sur laccès », il importe de se référer à la décision Régie du bâtiment du Québec c. Ville de Beauport 9 précitée qui cite un extrait de discussions tenues en Commission parlementaire devant la Commission permanente des communications. Il y est indiqué que : […] recherchant lintention du législateur, le commissaire se reporte au moment de lexamen par la Commission permanente des communications, du deuxième alinéa de larticle 126 […] qui prévoyait le cas des demandes « non conformes à lobjet de la présente loi »; lun des députés, 9 [1995] C.A.I. 448, 453.
02 19 89 Page : 8 M. Richard French, sinterroge sur le sens précis de cette expression; le ministre des Communications de lépoque, M. Jean-François Bertrand, répond : Cela veut dire en pratique refuser carrément de contourner la présente loi pour tenter dutiliser des renseignements à des fins, par exemple, lucratives, obtenir des informations sur un certain nombre de personnes, ensuite utiliser ces informations et en faire un commerce quelconque. […] [21] Comme la souligné la commissaire Diane Boissinot, dans la décision Lampron précitée 10 : […] Il faut comprendre de la décision du juge Barbe quune demande daccès à des renseignements de nature publique nest pas contraire à lobjet des dispositions de la loi sur la protection des renseignements personnels en autant que les buts poursuivis par le demandeur daccès ne sont pas commerciaux ou lucratifs […]. [22] Il est établi à plusieurs reprises, par exemple dans les affaires Ville de Montréal c. Winters 11 et la Régie du bâtiment du Québec précitée 12 , que larticle 126 de la Loi sur laccès comporte une disposition exceptionnelle au principe du droit daccès; il doit donc recevoir une interprétation restrictive. [23] Par ailleurs, la soussignée a examiné les décisions pertinentes que les avocats de lune ou lautre des parties ont commentées lors de laudience de la présente cause. La soussignée constate que, par exemple, dans laffaire Residentex inc., celle-ci souhaitait mettre à la disposition des assureurs de personnes et des banques ou caisses populaires « un fichier informatisé, qui, pour chaque unité résidentielle de la ville, reprendrait les données du rôle dévaluation, ainsi que la photo » dune maison pour laquelle ils ont consenti un prêt hypothécaire. [24] Dans la décision Directron Média inc., il est ressorti que celle-ci voulait avoir accès au rôle dévaluation à des fins commerciales et lucratives. 10 Id., note 3. 11 [1991] R.J.Q. 2251, 2253 [C.Q.]. 12 Id., note 9.
02 19 89 Page : 9 [25] Pour les motifs indiqués dans les décisions ci-dessus mentionnées, la Commission a autorisé les organismes publics à ne pas tenir compte des demandes daccès, car le but recherché par les demandeurs était lobtention de renseignements personnels à des fins commerciales et lucratives. [26] Laffaire Association provinciale des constructeurs dhabitation du Québec c. Ville de Cap-Rouge 13 , pour sa part, indique quelle souhaitait avoir accès : […] à la liste de noms et dadresses dentrepreneurs de construction qui a obtenu mensuellement un permis de la Ville. […] [27] Dans le Conseil de développement économique de Forillon inc. c. Ministère de lagriculture, des pêcheries et de lalimentation 14 , le demandeur voulait obtenir […] la liste des entreprises agricoles de la MRC (nom, adresse, spécialisation des producteurs). […] [28] La cause Béton St-Marc inc. c. Corporation municipale St-Urbalde 15 fait ressortir que la partie demanderesse voulait avoir accès aux « renseignements concernant des permis de construction émis par lorganisme », tels le site de construction, la nature du projet et le coût des travaux, les noms et adresses des propriétaires et des entrepreneurs. [29] Par ailleurs, il importe de spécifier que, dans la décision Noël c. Ville de Montréal 16 , le législateur indique clairement à l'article 168, le caractère prépondérant de la présente loi régissant tant laccès aux documents détenus par les organismes publics que la protection des renseignements personnels : 168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d'une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la présente loi. 13 Association provinciale des constructeurs dhabitation du Québec c. Ville de Cap-Rouge, [1984-1986] 1 C.A.I. 323. 14 Conseil de développement économique de Forillon inc. c. Ministère de lagriculture, des pêcheries et de lalimentation, [1984-1986] 1 C.A.I. 420. 15 [1987] C.A.I. 209 à 212. 16 [2001] C.A.I. 15.
02 19 89 Page : 10 [30] Le législateur indique également que, malgré son caractère prépondérant, cette loi na pas pour effet de restreindre le droit daccès dune personne résultant de lapplication dune autre loi, à moins que ce droit ne porte atteinte à la protection des renseignements personnels au sens de larticle 171 de la Loi sur l'accès. 171. Malgré les articles 168 et 169, la présente loi n'a pas pour effet de restreindre: 1° l'exercice du droit d'accès d'une personne à un document résultant de l'application d'une autre loi ou d'une pratique établie avant le 1 er octobre 1982, à moins que l'exercice de ce droit ne porte atteinte à la protection des renseignements personnels; 2° la protection des renseignements personnels ni l'exercice du droit d'accès d'une personne à un renseignement nominatif la concernant, résultant de l'application d'une autre loi ou d'une pratique établie avant le 1 er octobre 1982; 2.1° la protection d'un renseignement contenu dans un dossier fiscal prévue à la section VIII du chapitre III de la Loi sur le ministère du Revenu (chapitre M-31) à l'égard d'une personne visée par cette section; 3° la communication de documents ou de renseignements exigés par le Protecteur du citoyen ou par assignation, mandat ou ordonnance d'une personne ou d'un organisme ayant le pouvoir de contraindre à leur communication. [31] De ce qui précède, la soussignée considère que lorganisme na pas démontré que la demande, telle que formulée par la demanderesse, nest pas conforme à lobjet des dispositions de la présente loi. Elle ne peut donc acquiescer à ladite demande. [32] Par ailleurs, les avocats des parties ont interprété, dans leur plaidoirie respective, les dispositions législatives de larticle 55 de la Loi sur laccès. La soussignée considère cependant que ce point devra être débattu lors de laudience de la présente cause qui sera entendue au mérite.
02 19 89 Page : 11 [33] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE la demande de lorganisme afin dêtre autorisé à ne pas tenir compte de la demande de la demanderesse. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire M e Mark Bantey GOWLING LAFLEUR HENDERSON Procureurs de la demanderesse M e Philippe Berthelet CHAREST, SÉGUIN, CARON Procureurs de la Ville de Montréal
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.