Commission d'accès à l'information du Québec Dossier : 03 17 78 Date : 2 mai 2005 Commissaire : M e Hélène Grenier X Demanderesse c. MINISTÈRE DE LA JUSTICE Organisme DÉCISION OBJET DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 6 octobre 2003, la demanderesse s’adresse au responsable de l’accès aux documents du ministère de la Justice pour obtenir « the briefing notes (cahier de charge) of the Minister of Justice, Marc Bellemare, from his department ». Elle ajoute : « As a journalist, I intend to disseminate this information, to promote the free and vigorous debate of important issues.». [2] Le 8 octobre 2003, le responsable refuse d’acquiescer à cette demande. Il appuie sa décision sur l’article 34 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 ; de façon subsidiaire, il invoque les articles 14,19, 21, 28, 31, 32, 37, 38, 39, 53, 54 1 L.R.Q., c. A-2.1.
03 17 78 Page : 2 et 59 de cette loi de même que l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12). [3] Le 10 octobre suivant, la demanderesse requiert la révision de ce refus. PREUVE i) de l’organisme [4] L’avocat du ministère mentionne que son client renonce aux motifs de refus subsidiairement invoqués par le responsable; il précise que l’article 34 de la Loi sur l’accès demeure la seule restriction sur laquelle la décision du responsable s’appuie. [5] L’avocat fait entendre M. Pierre Dion qui témoigne sous serment à titre de responsable de l’accès aux documents et de la protection des renseignements personnels du ministère de la Justice. Témoignage de M. Pierre Dion : [6] M. Dion exerce sa fonction de responsable depuis plus de 6 ans. Il a reçu la demande d’accès le 7 octobre 2003 et il a pu y donner suite dès le lendemain puisqu’il avait déjà traité une demande d’accès aux mêmes documents. [7] M. Dion affirme que les documents en litige sont : • un cahier ministériel (« notes de briefing » ou « briefing book ») de 67 pages (format 8½ x 11), préparé pour le nouveau ministre de la Justice lors de son entrée en fonction; • les fiches d’actualité, dites « fiches de briefing pour le ministre » (plus de 165 fiches, sur format 8½ x 14), qui sont annexées au cahier ministériel, auxquelles ce cahier réfère et qui sont considérées en faire partie intégrante. A) Le cahier ministériel (O-1, confidentiel) : [8] Le cahier ministériel est produit en vue et à cause de l’entrée en fonction d’un nouveau ministre de la Justice. Le cahier ministériel en litige a été préparé parce qu’il y a eu élection en avril 2003, parce que celle-ci a donné lieu à un changement de gouvernement et, conséquemment, à l’entrée en fonction d’un nouveau ministre; ce cahier est daté d’avril 2003.
03 17 78 Page : 3 [9] Le cahier ministériel est produit pour les fins exclusives du nouveau ministre; son directeur de cabinet en reçoit une copie en cette qualité. [10] Le cahier ministériel est un document synthèse se rapportant aux dossiers les plus « chauds » ou les plus importants du ministère et dont le nouveau ministre doit prendre connaissance sans délai. Ce cahier lui est remis au moment de son entrée en fonction; il sert à l’informer et lui permet de décider des actions qui doivent être prises à très court terme, notamment dans des dossiers législatifs ou judiciaires. [11] Le bureau du sous-ministre de la Justice prépare le cahier ministériel de façon très confidentielle. La préparation du cahier débute avec la tenue d’une réunion à laquelle participent le sous-ministre en titre, le directeur de son bureau de même que ses conseillers; une structure de documents ainsi qu’un plan de travail sont alors préparés afin que le directeur et les conseillers du sous-ministre procèdent à la collecte des renseignements qui serviront à la confection du cahier ministériel. La collecte de ces renseignements est confidentielle et elle est effectuée auprès de la personne qui, dans chacune des directions générales du ministère de la Justice, est responsable d’un dossier majeur retenu pour la préparation du cahier ministériel; cette personne rédige un court texte qui sera intégré dans ce cahier après avoir, au besoin, été modifié par le bureau du sous-ministre qui, pour sa part, ne rend aucun compte des modifications apportées auprès de quiconque. La préparation du cahier ministériel dure de 2 à 3 jours. [12] Le cahier ministériel n’est pas mis à jour; il n’est préparé que pour l’entrée en fonction d’un nouveau ministre. Le bureau du sous-ministre ne produit que 4 exemplaires d’un même cahier ministériel. Le sous-ministre en remet un au ministre; un exemplaire est réservé au directeur du cabinet du ministre. Le sous-ministre en conserve un exemplaire pour lui-même et en dépose un autre dans les archives du bureau du sous-ministre conformément au calendrier de conservation des documents du ministère. Aucune copie de ce cahier n’est autrement préparée. Le cahier ministériel ne circule jamais à l’intérieur du ministère, pas même chez les sous-ministres associés ou dans les directions générales. [13] M. Dion a informé le cabinet du ministre de la demande d’accès au cahier ministériel; le refus de rendre accessibles les renseignements qui constituent ce document a été clairement exprimé.
03 17 78 Page : 4 B) Les fiches d’actualité (O-2, confidentiel) : [14] Les fiches d’actualité (ou fiches du ministre) font partie du cahier ministériel qui y réfère dans sa table des matières. M. Dion a donc jugé que ces fiches étaient aussi visées par la demande d’accès. Celles-ci portent sur des sujets dont l’importance est variable et elles sont préparées ou mises à jour de façon ponctuelle ou continuelle, pour les fins exclusives du ministre, dans les circonstances suivantes : • au début de chaque session parlementaire; • lors de la nomination du nouveau ministre; • à la demande expresse du ministre; • à la demande d’une direction générale qui, pour sa part, souhaite porter un dossier à l’attention du ministre. [15] La mise à jour effectuée au début de chaque session parlementaire vise à préparer le ministre et son cabinet à l’exercice des fonctions parlementaires du ministre. Cette mise à jour est particulièrement utile lors de la période de questions, des commissions parlementaires, des rencontres avec des groupes d’intérêts et de l’étude des crédits; elle l’est aussi lorsque le ministre répond à des élus ainsi qu’aux journalistes. Les fiches sont essentielles à l’exercice des fonctions du ministre; elles lui permettent de prendre connaissance de plusieurs centaines de sujets différents dont il a la responsabilité à titre de dirigeant du ministère ou de Procureur général. [16] La préparation, la mise en forme ainsi que la coordination du contenu des fiches d’actualité relèvent d’un seul conseiller du bureau du sous-ministre; à partir d’une table des matières soumise, pour chaque direction générale, à l’adjoint exécutif de chaque sous-ministre associé, le conseiller coordonne le nombre de fiches, les sujets visés par celles-ci ainsi que le calendrier de leur réalisation. Le contenu des fiches, nécessairement rédigées par la direction générale concernée, est souvent modifié par le conseiller. Les sous-ministres associés ne voient que les fiches qui concernent la direction générale dont ils sont responsables; ils ne voient jamais les fiches qui portent sur des sujets qui relèvent de leurs collègues. Les fiches sont produites en 8 à 10 copies; une copie est attribuée au sous-ministre en titre alors qu’une autre est archivée à son bureau; les autres exemplaires sont remis au ministre ainsi qu’au personnel de son cabinet.
03 17 78 Page : 5 [17] Les fiches d’actualité (O-2, confidentiel) font l’objet de mises à jour. Les versions antérieures des fiches sont détruites au fur et à mesure des mises à jour. Les fiches d’actualité ont été mises à jour depuis la date de la demande d’accès; 6 mises à jour ont été effectuées depuis avril 2003. Le cahier des fiches réunissait 146 fiches d’actualité en avril 2003 et 165 lors de la 4 e mise à jour en mai 2004; les (165) fiches détenues en mai 2004 n’abordaient que 92 des 146 sujets traités en avril 2003, ce, compte tenu des changements survenus dans l’actualité et de l’intérêt pour certains sujets. Les versions antérieures des fiches ne sont pas conservées parce qu’elles sont écrasées informatiquement. Aucune version antérieure des fiches d’actualité n’est conservée nulle part; le ministère détient toujours un cahier des fiches qui est à jour, les fiches d’actualité étant évolutives. [18] Les fiches d’actualité présentent, par sujet, un état de situation ou de problématique, une analyse et, le cas échéant, une ou des recommandations relatives à la position que le ministre devrait tenir en chambre ou fournir à des groupes d’intérêts ou à des journalistes. Ces fiches sont réservées au ministre et au personnel de son cabinet; elles peuvent référer à des renseignements d’ordre légal, vu les responsabilités du ministre. [19] M. Dion a informé le cabinet du ministre de la demande d’accès aux fiches d’actualité; le refus de rendre ces renseignements accessibles a été clairement exprimé. Contre-interrogatoire de M. Dion [20] La position traditionnelle du ministère relative à l’accès aux cahiers ministériels ainsi qu’aux fiches d’actualité en est une de refus. [21] M. Dion est responsable de l’accès depuis 6 ans; il n’a jamais donné accès à ces documents. M. Dion fait partie du personnel du ministère depuis environ 17 ans; à sa connaissance, ces documents n’ont jamais été divulgués. [22] Les fiches d’actualité sont évolutives. Le cahier des fiches préparées en 2003 n’équivaut pas à celui qui est actuellement à jour; certains sujets ne sont plus abordés parce qu’ils ne sont plus d’actualité alors que d’autres ont été mis à jour ou sont nouveaux. [23] À la connaissance de M. Dion, le ministère a reçu 3 demandes d’accès aux cahiers ministériels et fiches d’actualité depuis avril 2003.
03 17 78 Page : 6 [24] Le ministre connaissait le contenu du cahier ministériel ainsi que les fiches d’actualité à la date de la demande d’accès. ii) de la demanderesse [25] La demanderesse témoigne sous serment. À sa connaissance, des documents du cabinet de ministres des gouvernements du Canada ou du Québec ont été communiqués en réponse à des demandes d’accès lorsque leur contenu avait été divulgué préalablement à ces demandes. À son avis, les documents en litige contiendraient vraisemblablement des renseignements qui ont déjà été divulgués et qui, à ce titre, devraient lui être communiqués; elle aurait souhaité que les renseignements déjà rendus publics lui soient communiqués afin de les divulguer largement dans l’intérêt du public et de susciter des débats. [26] En contre-interrogatoire, la demanderesse précise avoir adressé des demandes d’accès aux « briefing notes » de ministres fédéraux, de ministres du Québec et d’autres provinces; elle affirme avoir obtenu pareils renseignements du ministère de la Sécurité publique et du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, notamment. ARGUMENTATION i) de l’organisme [27] La Commission a récemment décidé que l’article 34 de la Loi sur l’accès s’appliquait aux documents visés par la demande 2 . [28] La Cour suprême du Canada a pour sa part décidé 3 que l’article 34 de la Loi sur l’accès instaure un régime distinct parallèle à la procédure générale de demande d’accès prévue à l’article 9 de la même loi. [29] La nature ou le contenu d’un document ne sont pas déterminants pour considérer l’application de l’article 34 de la Loi sur l’accès. Le rattachement 4 de ce document à l’une ou l’autre des personnes visées par cet article est par ailleurs déterminant à cet effet. Ainsi, tant que le document en est un du cabinet 2 Kaminski c. Justice dossier CAI 03 10 64, 20 juillet 2004. 3 Macdonell c. Québec REJB 2002-35134. 4 Québec c. Bayle [1991] CAI 306; Macdonell c. Québec REJB 2002-35134.
03 17 78 Page : 7 ou du bureau de l’une des personnes nommées à l’article 34, seule cette personne a discrétion pour le rendre accessible ou non. [30] La preuve démontre que les documents en litige sont rattachés au cabinet du ministre; la preuve démontre également que la circulation de ces documents, préparés pour le ministre et ses proches collaborateurs ou interlocuteurs directs, est extrêmement restreinte 5 . [31] La preuve démontre que ces documents ne sont pas distribués pour des fins administratives 6 et qu’ils sont préparés aux fins exclusives de l’exercice des fonctions du ministre. [32] L’article 34 précité s’applique à tous les documents visés par la demande d’accès; la demande de révision doit être rejetée. ii) de la demanderesse [33] Certains ministères fédéraux ou provinciaux ont déjà partiellement ou totalement acquiescé à des demandes d’accès à des documents du cabinet de leur ministre respectif. [34] Le responsable de l’accès du ministère de la Justice aurait pu discuter du contenu des documents en litige et donner accès aux renseignements qui avaient déjà été divulgués au lieu de refuser la totalité de la demande d’accès du 6 octobre 2003. Il aurait pu respecter l’esprit de la Loi sur l’accès qui favorise, sous réserve de la protection des renseignements personnels, l’accès aux documents des organismes publics de même que les débats publics concernant ces organismes. [35] La Loi sur l’accès ne met pas les ministres à l’abri des débats publics concernant des dossiers importants ou sensibles. DÉCISION [36] La restriction à l’accès invoquée au soutien du refus du responsable est prévue par l’article 34 de la Loi sur l’accès : 5 Komulainen c. Québec [1995] CAI 179; Ruest c. Québec [1997] CAI 203. 6 Université Laval c. Albert [1990] CAI 438.
03 17 78 Page : 8 34. Un document du bureau d'un membre de l'Assemblée nationale ou un document produit pour le compte de ce membre par les services de l'Assemblée n'est pas accessible à moins que le membre ne le juge opportun. Il en est de même d'un document du cabinet du président de l'Assemblée, d'un membre de celle-ci visé dans le premier alinéa de l'article 124.1 de la Loi sur l'Assemblée nationale (chapitre A-23.1) ou d'un ministre visé dans l'article 11.5 de la Loi sur l'exécutif (chapitre E-18), ainsi que d'un document du cabinet ou du bureau d'un membre d'un organisme municipal ou scolaire. [37] Le 2 e alinéa de l’article 34 prévoit que les documents du cabinet d’un ministre ne sont pas accessibles à moins que le ministre ne le juge opportun. Il s’agit, comme l’a précisé la Cour suprême du Canada 7 , d’un régime d’accès distinct parallèle à celui prévu par l’article 9 de la Loi sur l’accès. Ainsi, les documents du cabinet du ministre de la Justice ne sont pas accessibles à moins que le ministre de la Justice ne le juge opportun. [38] La preuve démontre que la demande d’accès du 6 octobre 2003 vise l’obtention de documents qui ont été produits pour les fins exclusives du ministre de la Justice qui les a reçus à ce titre pour exercer les divers aspects de ses fonctions, celles de Procureur général et de premier dirigeant du ministère notamment. La preuve convainc la Commission que les documents en litige, qui n’ont pas été préparés pour être utilisés par le personnel du ministère, sont des documents du cabinet du ministre de la Justice. [39] La preuve démontre spécifiquement que les documents en litige ont été préparés et traités de manière confidentielle parce qu’ils étaient réservés au ministre de la Justice. Aucune preuve ne démontre par ailleurs que le ministre de la Justice ait jugé opportun de les rendre accessibles. [40] Le cahier ministériel en litige date du mois d’avril 2003. Son contenu synthétisé visait à informer le nouveau ministre et à le préparer à l’exercice immédiat de ses fonctions à ce titre dans des dossiers importants; il comprend des positions ministérielles. Ce cahier ministériel réfère aussi aux fiches 7 Macdonell c. Québec REJB 2002-35134.
03 17 78 Page : 9 d’actualité qui étaient alors élaborées en rapport avec les fonctions du ministre et il en présente la liste (table des matières des cahiers d’actualité); cette liste porte sur des dossiers qui étaient d’actualité et qui relevaient des fonctions du ministre en vertu de la loi. [41] Conformément à la preuve qui a été présentée, les fiches d’actualité sont préparées pour fournir au ministre de l’organisme des renseignements qui sont à la fois nécessaires, succincts et à jour sur chacun des dossiers qui relèvent de l’exercice de ses fonctions; de toute évidence, ces renseignements précis sont ceux auxquels le ministre doit, en cette qualité, pouvoir référer en tout temps, au besoin. Les fiches d’actualité ou fiches du ministre sont structurées conformément aux explications données par M. Dion; elles peuvent, selon le dossier, variablement comprendre un historique, un état de situation, une problématique, une position ministérielle, une piste de solution, un avis ou une recommandation. Elles portent la date de leur dernière mise à jour. [42] En adoptant l’article 34, le législateur québécois a, entre autres, choisi d’attribuer à un ministre, en l’occurrence au ministre de la Justice, toute la discrétion l’habilitant à rendre accessibles, dans la mesure voulue par lui, les documents de son cabinet, documents qui, sans le consentement du ministre, ne sont pas accessibles. La Commission ne peut faire obstacle à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire; le responsable de l’accès du ministère non plus. [43] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE la demande de révision. HÉLÈNE GRENIER Commissaire M e Alain Loubier Avocat du ministère
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