Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 04 04 60 Date : Le 13 avril 2005 Commissaire : M e Diane Boissinot [X] et [Y] Demandeurs c. ING ASSURANCE Entreprise DÉCISION L’OBJET DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE EN MATIÈRE D’ACCÈS formulée en vertu de l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 . [1] Le 26 janvier 2004, les demandeurs s’adressent à l’entreprise pour qu’elle leur communique une copie du dossier complet ainsi que le rapport d’ingénieur relativement à la réclamation de l’indemnité prévue à la police numéro 944 5430 à la suite des dommages survenus le 4 août 2003 à la propriété de l’assuré [X] sise à Sainte-Marie-de-Beauce. 1 L.R.Q., c. P-39.1, ci après appelée « la Loi ».
04 04 60 Page : 2 [2] Le 23 février suivant, le représentant de l’entreprise, monsieur Denis Lévesque, refuse de communiquer les documents demandés. Il invoque le paragraphe 2° de l’article 39 de la Loi pour justifier ce refus : 39. Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement : […] 2° d'avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l'une ou l'autre de ces personnes a un intérêt. [3] Le 4 mars 2004, les demandeurs s’adressent à la Commission d’accès à l’information (la Commission) et formulent une demande conjointe d’examen de mésentente. Ils allèguent qu’ils n’ont entrepris aucune procédure judiciaire et qu’ils n’ont pas mandaté d’avocat dans ce dossier. [4] Une audience se tient en la ville de Québec le 10 décembre 2004 et se termine par la production, le 17 janvier 2005, sous pli confidentiel entre les mains de la Commission, du dossier complet visé par la demande d’examen de mésentente. [5] Le délibéré peut commencer le 18 janvier 2005. L’AUDIENCE A. LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES D’ACCÈS ET D’EXAMEN DE MÉSENTENTE ET LE CONSENTEMENT RÉCIPROQUE DES CODEMANDEURS. [6] Le demandeur [Y] est le seul des deux demandeurs présent à l’audience. [7] Interrogé par la soussignée, ce dernier déclare qu’au moment du sinistre, soit le 4 août 2003, il avait signé une offre d’achat de l’immeuble assuré appartenant à son père, [X]. La transaction fut complétée après le sinistre par une vente de la propriété assurée en sa faveur. [8] Il déclare qu’il a toujours payé les primes relatives au contrat d’assurance en cause ici.
04 04 60 Page : 3 [9] Une procuration en sa faveur signée par son père le 15 mars 2004 a été déposée au dossier de la Commission. Cette procuration l’autorise à agir au nom de son père pour tout ce qui concerne le sinistre du mois d’août 2003 survenu à la propriété assurée aux termes de la police d’assurance en cause. [10] Monsieur [Y] déclare être subrogé aux droits de son père. L’examen des documents en litige tend à démontrer que l’entreprise considère, à l’occasion, que monsieur [Y] est l’assuré. [11] Il ajoute que la police d’assurance 944-5430 a cessé d’être en vigueur le 18 décembre 2003. [12] Étant donné les circonstances, la soussignée est d’avis que les demandes d’accès et d’examen de mésentente, respectivement datées des 26 janvier 2004 et 4 mars 2004, ont été formulées conformément aux articles 27, 30 et 42 de la Loi par les personnes qui sont autorisées par la Loi pour ce faire : 27. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit, à la demande de la personne concernée, lui en confirmer l'existence et lui donner communication des renseignements personnels la concernant. 30. Une demande d'accès ou de rectification ne peut être considérée que si elle est faite par écrit par une personne justifiant de son identité à titre de personne concernée, à titre de représentant, d'héritier, de successeur de cette dernière, d'administrateur de la succession, de bénéficiaire d'une assurance-vie ou comme titulaire de l'autorité parentale. 42. Toute personne intéressée peut soumettre à la Commission d'accès à l'information une demande d'examen de mésentente relative à l'application d'une disposition législative portant sur l'accès ou la rectification d'un renseignement personnel ou sur l'application de l'article 25. [13] La soussignée est également d’avis que le fait que la demande d’examen de mésentente ait été signée conjointement par les deux demandeurs constitue un consentement réciproque valable à ce que chacun puisse prendre connaissance des renseignements personnels concernant l’autre.
04 04 60 Page : 4 B. LE LITIGE [14] Copie de la totalité du dossier que détient l’entreprise concernant la réclamation d’une indemnité à la suite de l’allégation de dommages causés par l’eau à la propriété assurée, le 4 août 2003 est remise, sous pli confidentiel, à la Commission, le 17 janvier 2005, afin de se conformer à l’ordonnance rendue par la soussignée à ce sujet lors de la séance du 10 décembre 2004. Cette copie comprend le rapport de l’ingénieur expert déjà remis à la séance du 10 décembre 2004. [15] Cet envoi du 17 janvier est accompagné d’un tableau indiquant, au regard de chaque page ou groupe de pages, la nature du document et les commentaires de l’avocate de l’entreprise quant aux motifs invoqués au soutien de leur confidentialité ou de leur non-accessibilité. [16] L’avocate demande que la confidentialité de ce tableau soit préservée. [17] La soussignée est toutefois d’avis, d’une part, que ce tableau ne contient aucun renseignement dévoilant le contenu des documents en litige et, d’autre part, que les indications qu’il contient sont très utiles à l’identification adéquate des documents en litige, à la détermination de leur nature et à la bonne compréhension de la plaidoirie de l’entreprise et de la présente décision. [18] Pour toutes ces raisons, il convient donc de déposer, sous la cote E-1, le tableau de trois pages décrivant les trois blocs de documents. [19] Il s’agit donc du BLOC 1 contenant 67 feuillets dûment paginés 1 à 67, du BLOC 2 contenant 49 feuillets dûment paginés 1 à 49 et du BLOC 3 contenant 35 feuillets paginés 1 à 35. [20] Dans le Bloc 1, les feuillets 1 à 23 et 34 constituent des documents qui ont manifestement été déposés au dossier en cause postérieurement à la demande d’accès datée du 26 janvier 2004. Ces documents ne peuvent donc être en litige. [21] Dans ce BLOC 1, restent donc en litige les renseignements apparaissant aux feuillets 24 à 67, moins le feuillet 34. [22] Les feuillets des BLOCS 2 et 3 se trouvaient tous au dossier avant la demande d’accès du 26 janvier 2004 et sont donc tous en litige.
04 04 60 Page : 5 C. LA PREUVE i) de l’entreprise Témoignage de madame Lucie Roy [23] Madame Roy est enquêteuse-régleuse à l’emploi de l’entreprise. Elle travaille sur le terrain et enquête sur les réclamations d’indemnité reçues des assurés après un sinistre. Si son enquête démontre que la réclamation est fondée, elle s’assure du paiement de l’indemnité à l’assuré. [24] Son dossier ne contient aucun des renseignements recueillis lors de la souscription de la police ou antérieurement à la réclamation. [25] Son rôle s’est limité à piloter le dossier de réclamation en cause, c’est-à-dire à prendre connaissance de la réclamation de l’indemnité d’assurance reçue le 5 août 2003, à recueillir, le 8 août suivant, la déclaration de monsieur [Y] au sujet du sinistre, à consulter d’autres documents fournis par l’assuré et à prendre conseil auprès de personnes-ressources. [26] Elle n’a reçu aucune déclaration du père de monsieur [Y], [X]. [27] Le témoin déclare qu’elle a noté au dossier, au fil des événements et des conversations qu’elle a tenues avec monsieur [Y], les événements suivants qui constituent, selon elle, des indices qu’une procédure judiciaire au sens de l’article 39 (2°) précité était imminente : • Le 17 septembre 2003, il lui demande une lettre de l’entreprise attestant le refus de payer l’indemnité réclamée, lettre qu’il remettrait à son avocat; • Le 15 octobre 2003, il réitère la même demande; • L’entreprise décide de mandater un expert pour examiner la responsabilité de l’entreprise, évaluer les dommages à la propriété assurée et en faire rapport; • Le 26 janvier 2004, il s’impatiente et lui dit que « ça va barder en cour ». [28] En réponse aux questions de la soussignée, le témoin Roy déclare n’avoir pas répondu à ces demandes faites les 17 septembre et 15 octobre 2003. [29] Madame Roy ajoute que l’entreprise ne communique que verbalement la décision de ne pas payer l’indemnité réclamée. Elle affirme qu’il n’est pas dans les
04 04 60 Page : 6 habitudes de l’entreprise de confirmer par écrit au réclamant la décision de ne pas payer l’indemnité qu’il réclame. ii) des demandeurs Témoignage de monsieur [Y]. [30] Outre les faits plus haut relatés au chapitre A sur la recevabilité des demandes d’accès et d’examen de mésentente, le témoin veut donner sa version de ses échanges verbaux avec madame Lucie Roy et expliquer ses intentions à cet égard. [31] Il confirme qu’il a mentionné à madame Roy qu’il allait consulter un avocat, mais que cette consultation allait se limiter à savoir si le refus de l’entreprise de motiver par écrit le rejet de sa réclamation était bien fondé. [32] Il estime que sa demande d’une motivation écrite du refus de payer était plus que raisonnable. Les atermoiements de l’entreprise à ce sujet ont eu le don de l’impatienter. [33] Il rappelle que jusqu’à ce que l’entreprise ait pris connaissance du rapport d’expertise de l’ingénieur qu’elle avait mandaté, elle a modifié verbalement trois ou quatre fois les motifs sur lesquels était basé le refus de verser l’indemnité réclamée. [34] Il ajoute que la raison de son appel au Bureau d’Assurance du Canada (BAC) était pour savoir comment il devait s’y prendre pour obtenir de l’entreprise les motifs écrits du refus de payer l’indemnité. [35] Il affirme ne pas avoir mandaté d’avocat pour représenter les demandeurs dans le dossier de réclamation de l’indemnité d’assurance jusqu’à ce jour. [36] Le témoin déclare qu’il veut connaître toutes les raisons qui justifient le refus de l’assureur de payer l’indemnité. [37] Il estime que le contrat d’assurance est une entente qui oblige l’assuré à payer une prime à l’assureur et l’assureur à payer l’indemnité en cas de réclamation. Il estime qu’aux termes du contrat d’assurance liant les deux parties, l’assuré est en droit de savoir les raisons qui motivent le non-paiement de l’indemnité prévue.
04 04 60 Page : 7 D. LES REPRÉSENTATIONS i) de l’entreprise [38] L’avocate de l’entreprise plaide que la preuve démontre que les renseignements contenus aux documents en litige sont intimement liés aux faits de la procédure judiciaire annoncée avant la demande d’accès, laquelle procédure était imminente au moment du refus de communiquer. [39] Elle soutient donc que les conditions d’application de l’article 39 paragraphe 2° de la Loi sont réunies et que l’entreprise est fondée de refuser de communiquer les documents demandés en vertu de ce paragraphe, comme elle l’a fait le 23 février 2004. [40] L'avocate est d'avis que le dossier ne contient aucun renseignement personnel concernant l'assuré monsieur [X]. Les seules déclarations au dossier sont celles d'[Y], qui n'est pas assuré au moment de la demande d'accès. [41] Sauf pour ce qui est des déclarations d’[Y] et de certaines notes qui rendent compte de ses appels et de ses conversations avec les membres du personnel de l’entreprise, lesquelles contiennent, de toute évidence, des renseignements personnels le concernant, l'avocate de l'entreprise est d'avis que le dossier est composé de renseignements qui ne sont pas personnels car il s'agit d'opinions ou de mémos internes, d'opinions d'experts ou de rapports d'experts qui traitent d'une propriété 2 et non d'une personne physique. [42] Elle en conclut donc qu’aucun renseignement ne doit être remis puisque les renseignements personnels que contient le dossier concernent une personne autre que l'assuré [X], c’est-à-dire [Y], renseignements dont elle doit protéger la confidentialité et que tous les autres renseignements concernent un immeuble et, de ce fait, ne sont pas des renseignements personnels. [43] Elle est convaincue que ces renseignements personnels que l'entreprise détient ne doivent pas être remis à monsieur [Y], d'une part, parce qu'il n'était pas assuré et qu'il est un tiers par rapport au contrat. Ils ne doivent pas, d'autre part, être remis à l’assuré [X], parce qu'ils ne le concernent pas. [44] Subsidiairement, si la Commission décidait que les renseignements concernant un immeuble sont des renseignements personnels, l'avocate de 2 Malenfant c. Ville de Rivière-du-Loup, C.S. Kamouraska, Rivière-du-Loup, 250-09-000021-949, 13 janvier 1995, Juge Benoît Morin.
04 04 60 Page : 8 l'entreprise prétend alors que ces renseignements sont protégés par application de l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne 3 . [45] En effet, plaide-t-elle, selon une certaine jurisprudence 4 , les dossiers d'enquêtes montés par des experts ou enquêteurs en sinistre ou des estimateurs de dommages sont couverts par le secret professionnel. [46] Elle argue que la simple lecture du dossier sous examen indique qu'il est substantiellement constitué de documents préparés par ou pour des enquêteurs ou fournis à ceux-ci par les demandeurs à la requête de ces enquêteurs. [47] À son avis, ces documents sont couverts par le secret professionnel. ii) des demandeurs [48] Les demandeurs sont d’avis qu'il n'y a pas preuve de procédure judiciaire imminente. La preuve est plutôt venue établir le contraire. L'article 39, paragraphe 2°, ne peut s'appliquer en l'espèce. [49] Les demandeurs estiment être en droit de savoir la raison pour laquelle l'entreprise refuse de remplir sa part du contrat, c'est-à-dire payer l'indemnité prévue en cas de sinistre. [50] Il est convaincu que ces renseignements se trouvent dans les documents en litige. DÉCISION L'APPLICATION DU PARAGRAPHE 2° DE L'ARTICLE 39 [51] La Commission est d’avis que le refus administratif d’un assureur de payer l’indemnité prévue au contrat et réclamée par l’assuré, ne donne pas nécessairement ouverture, chaque fois, à une situation permettant d’invoquer quasi 3 L.R.Q., c. C-12, ci-après appelée la « Charte ». 4 La Prévoyance, compagnie d’assurance c. Construction du Fleuve ltée, [1982] C.A., 532; Gerling global Cie d’assurance générale c. Sanguinet express inc., [1989] R.D.J. 93; Général accident, compagnie d’assurance du Canada c. Ferland, C.Q. Québec 200-02-012943-967, 12 novembre 1997, Juge François Godbout, pages 3 à 5.
04 04 60 Page : 9 automatiquement le deuxième paragraphe de l’article 39 de la Loi, qu’il convient de citer à nouveau : 39. Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement : 1° […] 2° d'avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l'une ou l'autre de ces personnes a un intérêt. [52] La Commission estime qu’il est normal qu’un assuré manifeste à cette occasion ses intentions de consulter un avocat. La Commission n’interprète pas cette simple manifestation verbale comme constituant un motif valable pour prétendre avec succès que des procédures judiciaires sont imminentes et probables, un des critères d’application de l’article 39 (2°) développés par la jurisprudence 5 . [53] Dans l’affaire SSQ Vie c. Nadeau 6 , la Cour du Québec a statué que cette question doit toujours être examinée à la lumière de l’ensemble des circonstances d’un cas : Encore faut-il que l’on soit en présence de procédures prises ou que l’on s’apprête de prendre. Pour déterminer si l’on est en présence de procédures que l’on s’apprête de prendre, une mise en demeure peut constituer un indice valable, mais rien dans la Loi ne l’exige comme condition essentielle. Certaines procédures peuvent être présentées sans mise en demeure et de toute manière, il est plus approprié d’examiner l’ensemble des circonstances de chaque cas, que la seule présence ou non d’une mise en demeure. [54] De surcroît, la preuve démontre que depuis l’arrivée du sinistre, et plus particulièrement depuis le jour où cette disposition de la Loi a été invoquée par l’entreprise, soit depuis le 23 février 2004, jusqu’au jour de l’audience en décembre 2004, les demandeurs n’ont intenté aucune procédure contre l’entreprise ni même 5 Pichette c. SSQ Vie, [1995] CAI 4, 8; St-Onge c. Office du crédit agricole su Québec, [1987] CAI 302, 312; Lapierre c. Ville de Longueuil, [1990] CAI 462, 463; Nobel c. Ville de Mont-Royal, [1986] CAI 284, 287; 6 REJB 2000-22675, Cour du Québec Québec n° 200-02-023728-001, Michael Sheehan, J.C.Q., par. 18.
04 04 60 Page : 10 mandaté un avocat pour les conseiller dans cette affaire de réclamation d’assurance. [55] La Commission est d’avis que cette condition d’application du paragraphe 2° de l’article 39 de la Loi n’est pas satisfaite. Cette disposition ne peut donc trouver application en l’espèce. LES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS [56] Les renseignements personnels concernant l'un des demandeurs sont accessibles à l'autre, étant donné le consentement réciproque implicite qu'annonce leur demande d'examen de mésentente commune. [57] Toutes les déclarations d'[Y] ainsi que tous les comptes rendus des conversations téléphoniques ou d'entrevues avec ce dernier et tous les mémos et suivis de dossier les constatant ou y référant sont accessibles aux demandeurs puisqu'ils contiennent des renseignements personnels concernant l'un ou l'autre de ces derniers. [58] À l’occasion, les déclarations d’[Y] ou les documents fournis par ce dernier contiennent des renseignements personnels concernant des tiers qui sont vraisemblablement connus des demandeurs. Ces renseignements sont accessibles aux demandeurs. [59] L'entreprise a distingué tous ces renseignements personnels décrits aux deux derniers paragraphes de ceux concernant l'immeuble assuré et conclut que les renseignements concernant l'immeuble assuré ne sont pas des renseignements personnels au sens de l'article 2 de la Loi : 2. Est un renseignement personnel, tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l'identifier. [60] La soussignée ne peut plus être en accord avec cette interprétation de la Loi. Par sa décision dans l'affaire Boucher c. Assurances générales des Caisses Desjardins 7 , la soussignée a réévalué l'impact du jugement de la Cour supérieure dans l'affaire Malenfant 8 de la façon suivante : 7 [1999] CAI 52, 56. 8 Op. cit. supra note 2.
04 04 60 Page : 11 Une relecture, dans son contexte, du jugement dans l’affaire Malenfant s’impose. Dans cette cause, la Cour supérieure agissait dans un contexte de résolution d’un problème de procédure civile, savoir, la radiation de certains allégués contenus dans une défense à la suite d’une requête présentée en vertu du second alinéa de l’article 168 du Code de procédure civile. La Cour supérieure ne siégeait pas alors dans une affaire où elle avait à se pencher sur une question de droit dont la solution aurait un effet déterminant sur l’interprétation de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé précitée et sur son champ d’application. Dans les circonstances, il n’est pas déraisonnable de penser que la Cour supérieure, décidant sur cette requête, n’avait pas l’intention, en donnant l’interprétation qu’elle a donnée des mots « renseignements personnels », dont la protection est l’objet même de la Loi, de délimiter définitivement l’étendue de la compétence de la Commission. Il est, par conséquent, permis de distinguer les cas semblables à celui sous examen de celui de l’affaire Malenfant et de ne pas appliquer la notion de « renseignements personnels » y développée par la Cour supérieure au cas en l’espèce. Dans le cas qui nous occupe, un dossier est ouvert par l’entreprise au nom du demandeur, signataire du contrat d’assurance. Ce contrat n’est valide ou ne demeure en vigueur qu’en autant que le demandeur a ou conserve un intérêt assurable dans les biens assurés et qu’il paie la prime d’assurance. La personne du demandeur, son lien juridique avec l’objet assuré et ses agissements sont des éléments étroitement liés à la constitution du dossier et à son maintien en vigueur. Dans ce contexte, il est difficile d’affirmer que les renseignements concernant le bien assuré ne concernent en rien la personne du demandeur et ne permettent aucunement de l’identifier. En accord avec une certaine jurisprudence concernant des cas similaires 9 , et malgré une autre jurisprudence 10 proposant une approche plutôt contraire, je suis d’avis que les renseignements concernant les biens assurés se trouvant au rapport d’évaluation et à ses annexes sont tous et chacun des renseignements qui, à divers degrés et à certains égards, 9 Personnelle-vie (La) corp. d’assurances c. Cour du Québec, [1997] CAI 473 (C.S.) 473, 474; Lacoste, Justine c. Ministère de l’Environnement du Québec et al, CAI 97 10 31, le 26 mars 1998, commissaire Hélène Grenier; St-Michel-Piper c. Société d’habitation du Québec, [1997] CAI 119, 120, 121; Ménard c. Régie d’assurance-dépôt du Québec, [1997] CAI 155, 159, 160; Trépanier, Clermont c. Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux, CAI Montréal, 97 04 57, le 4 août 1997, commissaire Michel Laporte; Cadieux c. Trust Prêt et Revenu, [1995] CAI 330, 332; Brault c. Corp. d’Urgence santé de la région de Montréal, CAI 94 09 17, le 25 octobre 1995, commissaire Pierre Cyr. 10 Boucher c. Paroisse de St-Pierre, [1997] CAI 176, 177, 178; Association provinciale des constructeurs d'habitation du Québec c. Ville de Cap-Rouge (1984-1986) 1 C.A.I. 323; Béton St-Marc Inc. c. Corp. municipale St-Ubalde [1987] C.A.I. 209; Communications Southam Ltée c. Ville St-Laurent (1988) C.A.I. 119.
04 04 60 Page : 12 concernent le demandeur et permettent de l’identifier, ce qui est suffisant pour répondre aux exigences de l’article 2 de la Loi et assujettir l’entreprise détentrice des documents en litige aux obligations découlant de cette Loi. [61] La soussignée est d'avis que tous les renseignements au dossier en litige concernant l'immeuble sont des renseignements intimement liés aux demandeurs et ne doivent leur présence dans ce dossier qu'en raison de leur lien avec ces derniers. [62] En l'espèce, ces renseignements relatifs à l'immeuble concernent les demandeurs et permettent de les identifier. Ils sont donc accessibles aux demandeurs. LE SECRET PROFESSIONNEL [63] L’article 9 de la Charte se lit comme suit : 9. Chacun a droit au respect du secret professionnel. Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel. L’avocat [64] La preuve et l'examen des documents en litige convainquent la soussignée que l'entreprise n'a jamais mandaté un avocat pour la représenter dans le dossier de réclamation de l'indemnité à la suite du sinistre en cause. [65] Il n'y a pas ici de secret professionnel de l'avocat en faveur de l'entreprise. [66] La soussignée est d'avis que les renseignements cueillis par les enquêteurs à l'emploi de l'entreprise n'ont donc pas pu être communiqués à un avocat qui représente cette dernière et ainsi, n’ont donc pas pu se retrouver englobés dans le
04 04 60 Page : 13 secret professionnel que doit l’avocat à son client à titre de confidences que ce dernier lui aurait révélées en raison de sa profession d’avocat. L’enquêteur-régleur ou l’expert en sinistre [67] Dans un contexte d’enquête, sans qu’un avocat ne soit mandaté pour représenter l’entreprise, la soussignée est d’avis que les documents d'enquête ne sont pas visés par le secret professionnel au sens général de l'article 9 de la Charte. [68] Les renseignements contenus aux documents préparés par ou pour des enquêteurs, évaluateurs ou experts en sinistre ou fournis à ceux-ci par les demandeurs, à la requête des enquêteurs, évaluateurs ou experts en sinistre, ne sont pas des renseignements qui sont confiés à des personnes tenues « par la loi » au secret professionnel, ni à des prêtres ou autres ministres du culte. [69] Malgré une certaine jurisprudence qui consacre aux experts en sinistre, aux évaluateurs ou aux enquêteurs à l’emploi des assureurs ou mandatés par ces derniers le statut de professionnels au sens de l’article 9 de la Charte et qui, à partir de ce postulat, protège les renseignements que ces personnes cueillent dans leur démarche ou dans l’exercice de leur mandat, la soussignée persiste à croire le contraire comme l’a indiqué la juge Michèle Pauzé dans son jugement dans l’affaire Paul Revere, compagnie d’assurance-vie c. Chaîné 11 : […] la Commission n’a pas erré en droit ni excédé sa compétence en décrétant que le secret professionnel auquel est tenu l’enquêteur privé n’est pas de la nature du secret professionnel tel que consacré par l’article 9 de la Charte. [70] Certes, ces personnes sont tenues à la discrétion, mais cette obligation ne vaut pas à l’encontre de la personne concernée au premier chef par le dossier ouvert à son nom et par les renseignements recueillis à son sujet par ces personnes dans le traitement de ce dossier. [71] Comme le rappelle le juge Jean-Louis Baudouin dans un jugement de la Cour d’appel du Québec dans Dubois c. Le directeur de la protection de la jeunesse 12 , il faut distinguer les obligations résultant de la notion de « confidentialité » de celles résultant du « secret professionnel » : […] 11 [2002] CAI 394, 400. 12 Martin Dubois c. Le directeur de la protection de la jeunesse et al, C.A. Québec 200-09-001292-975, le 4 mai 1998, les juges Michaud, Baudouin et Zerbisias.
04 04 60 Page : 14 Par contre, le raisonnement du D.P.J. [Directeur de la protection de la jeunesse] à l’appui de son refus de permettre à l’appelant [le père de l’enfant sous protection] d’utiliser les renseignements au dossier ne me paraît pas juste en droit. Il plaide, en effet, l’analogie avec le secret professionnel et prétend qu’il est le détenteur du « secret professionnel » de l’enfant et, donc, que ni lui, ni un autre ne peut le transgresser sans en être explicitement relevé. […] Avec respect, il me paraît confondre deux notions, proches l’une de l’autre mais pourtant distinctes en droit, soit le secret professionnel et la confidentialité. Si le premier contient toujours, par nature, la seconde, l’inverse n’est pas vrai, en ce sens que l’obligation de confidentialité n’est pas exclusivement tributaire de l’existence d’un secret professionnel. Elle peut, en effet, exister en dehors de ce strict contexte. Le secret professionnel s’incarne seulement dans une relation professionnelle (avocat-client, médecin-patient, etc.) qui est totalement absente en l’espèce. Le D.P.J. ne peut donc prétendre détenir le secret professionnel de personne. Par contre, il reste évidemment tenu à une obligation de confidentialité que lui impose la loi à l’égard de tous. Le problème n’en est donc pas un de protection d’un prétendu secret professionnel, mais plutôt de préservation de la confidentialité des renseignements à l’égard des tiers. Il me paraîtrait donc nettement contraire à la loi, telle qu’elle est rédigée, et à la justice même d’empêcher les personnes qui ont, par ailleurs, légalement accès au dossier du D.P.J. de se baser sur celui-ci pour faire valoir leurs droits et leurs points de vue respectifs. […] (Les inscriptions entre crochets et les soulignés sont de la soussignée.) [72] L’accès aux renseignements personnels que ces personnes recueillent, dans les circonstances du cas qui nous occupe ici, est assujetti à la Loi. [73] La soussignée est d’avis que les demandeurs, en leur qualité de personnes physiques détenant ou en voie de détenir l’intérêt assurable sur les biens assurés et en leur qualité de codemandeurs en examen de mésentente, ont donc légalement droit aux renseignements personnels contenus au dossier de réclamation d’assurance. [74] L’entreprise ne peut opposer ni le secret professionnel de l’enquêteur-régleur, ni celui de l’expert en sinistre, ni l’obligation de ces derniers à la confidentialité, à l’encontre du droit d’accès de ces personnes à ces renseignements personnels qui les concernent.
04 04 60 Page : 15 L’ingénieur [75] La preuve et l’examen des renseignements en litige révèlent toutefois que, dans le cadre de l’étude de la réclamation d’indemnité en cause, l’entreprise a confié un mandat à l’ingénieur Léo Lavertu, membre de l’ordre professionnel des ingénieurs, afin d’obtenir son opinion professionnelle sur certains points déterminés dans le mandat qui sont en relation avec le sinistre et les dommages en cause. [76] Les renseignements contenus dans le mandat et dans le rapport de l’ingénieur Lavertu ainsi que dans les notes au dossier qui y réfèrent sont couverts par le secret professionnel au sens de l’article 9 de la Charte et rien dans la preuve ne laisse supposer que l’entreprise, en faveur de laquelle ce secret existe, y ait renoncé. [77] Les renseignements contenus au mandat, au rapport et aux notes y référant constituent, en substance, des confidences échangées entre une personne et son client, l’entreprise, en raison de la profession d’ingénieur de cette personne qui est, par la loi 13 , tenue au secret du contenu de ces échanges et confidences. [78] Sont couverts par le secret professionnel de l’ingénieur les renseignements personnels se trouvant : • Bloc 1, aux lignes 7 à 17 du texte manuscrit du feuillet 40 et aux feuillets 52 et 53 (analyses du rapport de l’ingénieur); • Bloc 1, aux feuillets 44 à 51 (Rapport de l’ingénieur et photos); • Bloc 1, au feuillet 55 et aux lignes 12 à 17 inclusivement du feuillet 62 (mandat à l’ingénieur). RENSEIGNEMENTS CONCERNANT LES EMPLOYÉS ET LES MANDATAIRES DE L’ENTREPRISE [79] Par application des articles 311 et 312 du Code civil du Québec 14 , la soussignée est d’avis que l’entreprise étant une personne morale, cette dernière ne peut agir, au dossier en cause ici, que par des personnes physiques qui la représentent, employés ou mandataires, et qui sont désignés ou présentés comme tels par ses dirigeants : 13 Loi sur les ingénieurs, L.R.Q., c. I-9; Code de déontologie des ingénieurs, L.R.Q., C-9 r.3, art. 3.06.01 et 3.06.02; Code des professions, L.R.Q., c. C-26, art. 1, 60.4 et 87 (3°). 14 L.Q., 1991, c. 64, ci-après appelée le « Code civil ».
04 04 60 Page : 16 311. Les personnes morales agissent par leurs organes, tels le conseil d'administration et l'assemblée des membres. 312. La personne morale est représentée par ses dirigeants, qui l'obligent dans la mesure des pouvoirs que la loi, l'acte constitutif ou les règlements leur confèrent. [80] Les renseignements concernant les personnes physiques qui apparaissent être à l’emploi de l’entreprise ou qui apparaissent être ses mandataires ou qui apparaissent être autorisés par ses dirigeants, ne sont pas des renseignements personnels au sens de l’article 2 de la Loi, mais bien des renseignements qui concernent une personne morale agissant par des personnes physiques dans l’exercice de leur travail ou de leur activité exécutée pour et au nom de cette personne morale : 2. Est un renseignement personnel, tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l'identifier. [81] Les renseignements concernant ces personnes physiques qui sont reliés à l’exécution de l’emploi ou de l’activité en question ne sont pas des renseignements personnels au sens de la Loi que l’entreprise doit protéger. [82] Tous les renseignements qui concernent ces personnes physiques oeuvrant dans le dossier de réclamation d’assurance des demandeurs leur sont accessibles. [83] La soussignée n’a pas repéré, dans les documents en litige, de renseignements personnels concernant des tierces personnes physiques. [84] POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission ACCUEILLE, en partie, la demande d’examen de mésentente; DÉCLARE non accessibles aux demandeurs les renseignements couverts par le secret professionnel de l’ingénieur et se trouvant au Bloc 1 des documents en litige aux endroits suivants : • aux lignes 7 à 17 du texte manuscrit du feuillet 40 et aux feuillets 52 et 53 (analyses du rapport de l’ingénieur); • aux feuillets 44 à 51 (intégral du rapport de l’ingénieur et photos);
04 04 60 Page : 17 • au feuillet 55 et aux lignes 12 à 17 inclusivement du feuillet 62 (mandat à l’ingénieur); et ORDONNE à l’entreprise de remettre aux demandeurs la totalité des autres renseignements en litige se trouvant aux blocs 1, 2 et 3, ceux-ci ne contenant, en substance, que des renseignements personnels auxquels ils ont droit d’accès. DIANE BOISSINOT commissaire Avocate de l’entreprise : M e Sylvie Boucher (Grondin, Poudrier, Bernier, avocats)
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