Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 05 09 63 Date : Le 5 janvier 2006 Commissaire : M e Diane Boissinot X Demanderesse c. CENTRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE MANICOUAGAN Organisme DÉCISION OBJET : DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS formulée en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 . [1] Le 31 mars 2005, la demanderesse s’adresse à la responsable de l’accès de l’organisme (la Responsable) afin d’obtenir les documents qu’elle identifie de la façon suivante : Il s’agit des appréciations de stages ou de tous documents faits par mesdames Lise St-Laurent, Brenda Alix, Sylvie Turcotte et Renée Castonguay ou de toute autre personne concernant la période où j’ai effectué un programme d’initiation en médecine du 12 janvier au 19 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée la « Loi ».
05 09 63 Page 2 février 2005 inclusivement au centre hospitalier régional de Baie-Comeau. [2] Le 27 avril 2005, sans accuser réception de la demande, la Responsable avise la demanderesse qu’un délai supplémentaire de 10 jours lui sera nécessaire pour répondre à la demande d’accès formulée en vertu de l’article 83 de la Loi. [3] Le 4 mai 2005, la Responsable refuse l’accès en ces termes : Pour faire suite à votre demande du 31 mars 2005, nous regrettons de ne pouvoir y donner suite puisque votre dossier fait l’objet d’un litige et qu’en conséquence l’établissement n’a aucune obligation de transmettre ces informations sans subpoena. [4] Le 17 mai suivant, la demanderesse requiert que la Commission révise cette décision de la Responsable de son employeur. [5] Une audience se tient en la ville de Baie-Comeau le 20 octobre 2005 au cours de laquelle les parties sont entièrement entendues. Le délibéré peut donc commencer à cette date. L’AUDIENCE A. LA PREUVE Témoignage de la demanderesse [6] La demanderesse affirme avoir fait parvenir sa demande d’accès à l’attention de la Responsable par télécopieur le 31 mars 2005. Témoignage de madame Nathalie Castilloux, Responsable [7] Madame Castilloux est la Responsable de l’accès pour l’organisme nommée en vertu de l’article 8 de la Loi. [8] Elle n’a pas fait parvenir d’accusé de réception de la demande d’accès à la demanderesse. [9] Elle a tout de suite contacté le service des ressources humaines de l’organisme ainsi que le contentieux de l’Association des hôpitaux du Québec
05 09 63 Page 3 afin d’obtenir des informations et des conseils concernant la façon de traiter la demande d’accès ainsi que la réponse à formuler. [10] Les experts de l’Association des hôpitaux du Québec l’ont informée que le délai de réponse était de 20 jours auxquels pouvaient s’ajouter 10 autres jours supplémentaires, tous étant des « jours ouvrables par opposition à jours civils habituels » du calendrier. [11] Forte de cette opinion, elle estimait donc se situer à l’intérieur des délais impartis par la Loi lorsque, le 27 avril 2005, elle requiert un délai supplémentaire de 10 jours. [12] Les termes de la réponse du 4 mai 2005 lui ont été suggérés par le contentieux de l’Association des hôpitaux du Québec. [13] Elle dépose en liasse sous la cote O-1, les documents relatifs au congédiement administratif de la demanderesse du 25 février 2005 ainsi que, sous la cote O-2, le grief relatif à ce congédiement formulé par la demanderesse le 2 mars 2005. [14] La liasse O-1 contient les résultats globaux de l’évaluation de rendement pour la période du 12 janvier au 17 février 2005 ainsi que le programme d’initiation en médecine tel que proposé à la demanderesse pour cette période où les évaluatrices, connues de la demanderesse, sont mentionnées ou suffisamment identifiées. [15] Madame Castilloux déclare que les seuls documents en litige sont les suivants : i) Grille d’évaluation de quatre pages (précédée du programme d’initiation qui n’est pas en litige) sur laquelle sont annotés de façon manuscrite l’appréciation et les commentaires de l’infirmière évaluatrice pour la période du 22 janvier au 2 février 2005 suivie d’une fiche d’appréciation de rendement et d’attribution de cotes de deux pages dûment complétée par cette dernière. ii) Grille d’évaluation de quatre pages (précédée du programme d’initiation qui n’est pas en litige) sur laquelle sont annotés de façon manuscrite l’appréciation et les commentaires de l’infirmière évaluatrice pour la période du 6 au 8 février 2005 suivie d’une fiche d’appréciation de rendement et d’attribution de cotes de deux pages dûment complétée par cette dernière.
05 09 63 Page 4 iii) Grille d’évaluation de quatre pages (précédée du programme d’initiation qui n’est pas en litige) sur laquelle sont annotés de façon manuscrite l’appréciation et les commentaires de l’infirmière évaluatrice pour la période des 15 et 17 février 2005 suivie d’une appréciation de rendement de trois pages dûment complétée par cette dernière. iv) Compte rendu fait le 22 février 2005 de l’appréciation, par l’infirmière en poste, du travail effectué par la demanderesse dans la nuit du 9 février 2005 (deux pages). v) Appréciation de l’infirmière évaluatrice du rendement au travail de la demanderesse exécuté le 14 février 2005 (une page). [16] Madame Castilloux estime que le nom des personnes ayant procédé à l’évaluation du rendement joint à l’opinion que représente cette évaluation constitue un renseignement nominatif concernant ces personnes. B. L’ARGUMENTATION i) De l’organisme [17] L’avocate de l’organisme plaide que les jours formant les délais prévus à l’article 47 de la Loi sont des jours dits « ouvrables » (jours consacrés normalement au travail par opposition à un jour de congé, à un jour chômé ou à un jour férié) et non des jours dits « civils » (périodes de vingt-quatre heures, considérées de minuit à minuit, qui correspondent aux divisions d'un mois civil). [18] Elle prétend que le délai de 20 jours ouvrables à compter de la réception de la demande, le 31 mars 2005, expirait donc le 28 avril 2005. L’avis pour l’ajout de 10 jours supplémentaires, daté du 27 avril 2005, a donc été formulé à l’intérieur des délais requis par la Loi. Pour sa part, le délai de 10 jours se terminait donc le 12 mai 2005. Elle est d’avis que la réponse du 4 mai a donc été formulée à l’intérieur des délais impartis par la Loi. [19] L’avocate de l’organisme soutient que les documents en litige forment essentiellement une analyse 2 du rendement au travail de la demanderesse menant à un avis concrétisé par la cote obtenue pour chacun des critères 2 Tissus Chez Denise inc. c. Rouyn-Noranda (Ville de), [1990] CAI 48, 49, 50.
05 09 63 Page 5 d’évaluation dans les documents i), ii) et iii) et dans les résultats apparaissant à l’appréciation globale de rendement faisant partie de la liasse O-1. [20] Elle argue que les motifs du grief déposé sous la cote O-2 sont en étroite relation avec le contenu analytique des documents en litige et que la divulgation de ces analyses peut vraisemblablement avoir un effet sur la procédure judiciaire qu’est l’audition du grief devant un arbitre 3 . [21] Elle prétend que cette procédure judiciaire était en cours lors de la rédaction de la réponse sous révision puisque la demande d’accès du 31 mars 2005 est postérieure au dépôt du grief O-2 (3 mars 2005) 4 . [22] L’avocate de l’organisme est d’avis que les conditions d’application de l’article 32 de la Loi sont réunies et que l’organisme a eu raison de soulever cette exception à l’accès. [23] De façon subsidiaire, l’avocate de l’organisme plaide que les documents en litige constituent, en substance, des notes personnelles au sens du deuxième alinéa de l’article 9 de la Loi et que de ce fait, ces documents ne sont pas assujettis à la loi. [24] Enfin, l’avocate de l’organisme soutient que révéler l’identité de l’auteur de l’évaluation et le contenu cette évaluation, qui constitue une opinion de cet auteur, équivaut à révéler un renseignement nominatif sur l’auteur de l’évaluation. [25] Elle prétend que l’ensemble des évaluations est revêtu d’un caractère nominatif à l’égard de leurs auteurs et est protégé par les articles 53, 54 et 59, alinéa premier de la Loi. ii) De la demanderesse [26] La demanderesse rappelle l’importance pour elle d’avoir accès à ces documents qui la concernent directement et déclare s’en remettre à la décision de la Commission. 3 Dufour c. Commission scolaire Beauport, [1986] CAI 194, 196, 197. 4 Ib. Id.
05 09 63 Page 6 DÉCISION [27] La preuve démontre que les seuls documents en litige sont ceux énumérés plus haut au paragraphe [15]. MOYEN PRÉLIMINAIRE DE L’ORGANISME [28] L’argument subsidiaire proposé par l’avocate de l’organisme lors de l’audition est plutôt de la nature d’un moyen préliminaire. En effet, l’invocation du deuxième alinéa de l’article 9 de la Loi soulève la question de l’irrecevabilité de la demande puisque les renseignements recherchés feraient partie d’un document devant servir exclusivement à son auteur à titre de « notes personnelles » et, de ce fait, ces documents seraient exclus de l’application de la Loi : 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public. Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature. (J’ai souligné.) [29] La Commission a toujours accepté de discuter cet argument en irrecevabilité lorsque l’objet du débat concerne l’accès à des documents dits « administratifs », donc lorsque qu’il touche au droit à l’information des citoyens sur les activités de l’État. [30] Elle a toutefois refusé d’analyser ce moyen préliminaire lorsque l’enjeu de la révision porte sur l’accès à des renseignements nominatifs concernant le demandeur, donc lorsqu’il est susceptible de porter atteinte à son droit à la vie privée. [31] La présente demande de révision porte sur le refus de divulguer des renseignements nominatifs concernant le demandeur. [32] Je m’en tiendrai donc à la position traditionnelle de la Commission sur ce point malgré la jurisprudence contradictoire, quoique majoritairement en appui de la position unanime de la Commission, de la Cour du Québec à ce sujet.
05 09 63 Page 7 [33] Je rejette donc le moyen préliminaire de l’avocate de l’organisme. LES DÉLAIS DE L’ARTICLE 47 : JOURS OUVRABLES OU JOURS CIVILS ? [34] La Commission a constamment interprété cette disposition en calculant l’écoulement des délais prévus en considérant seulement les jours civils habituels de calendrier, et ce, sans faire de distinction entre les jours dits « ouvrables », « travaillés », « fériés » ou de « congés » et ceux qui ne le sont pas. [35] La Commission a toutefois toujours décidé que si le jour de tombée du délai était un jour non ouvrable, le délai devait se prolonger automatiquement jusqu’au premier jour ouvrable suivant. [36] En l’espèce, la preuve démontre que la demande ayant été reçue le jeudi 31 mars 2005, le délai de 20 jours se terminait le mercredi 20 avril 2005. [37] Contrairement aux stipulations du dernier alinéa de l’article 47, cité plus loin, l’organisme a toutefois tardivement demandé la prolongation du délai de réponse le 27 avril 2005. La prolongation du délai ne pouvant valablement s’opérer, le refus de communiquer les documents demandés, daté du 4 mai 2005, a été rédigé hors du délai de 20 jours prescrit au paragraphe 3° de l’article 47 cité plus loin. [38] Selon l’article 52 de la Loi, l’arrivée de ce terme de 20 jours sans qu’aucune réponse à la demande d’accès ne soit formulée équivaut, pour le demandeur, à un refus réputé de l’organisme de lui communiquer les documents demandés : 52. À défaut de donner suite à une demande d'accès dans les délais applicables, le responsable est réputé avoir refusé l'accès au document. Dans le cas d'une demande écrite, ce défaut donne ouverture au recours en révision prévu par la section I du chapitre V, comme s'il s'agissait d'un refus d'accès.
05 09 63 Page 8 FORCLUSION DE L’INVOCATION DU MOTIF FACULTATIF DE REFUS BASÉ SUR L’ARTICLE 32 DE LA LOI [39] On peut déduire du libellé de la réponse tardive du 4 mai 2005 que le motif de refus de l’organisme de communiquer les documents en litige est fondé sur l’article 32 de la Loi : 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. [40] L’article 32 de la Loi figure parmi les motifs de refus faisant exception au principe du droit à l’accès d’un citoyen aux renseignements nominatifs le concernant qu’un organisme détient, droit consacré par les articles 83 et 87 de cette même Loi : 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. Toutefois, un mineur de moins de quatorze ans n'a pas le droit d'être informé de l'existence ni de recevoir communication d'un renseignement nominatif de nature médicale ou sociale le concernant, contenu dans le dossier constitué par l'établissement de santé ou de services sociaux visé au deuxième alinéa de l'article 7. 87. Sauf dans le cas prévu à l'article 86.1, un organisme public peut refuser de confirmer l'existence ou de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant, dans la mesure où la communication de cette information révélerait un renseignement dont la communication doit ou peut être refusée en vertu de la section II du chapitre II.
05 09 63 Page 9 [41] En l’espèce, l’organisme n’est pas devant l’obligation de refuser l’accès comme il l’est lorsqu’il s’agit de documents ou de renseignements visés par les articles 28 ou 33, par exemple, où la forme impérative de rédaction est utilisée. [42] L’utilisation du mot « peut » dans le libellé de l’article 32 a pour effet de mettre l’organisme dans une situation telle où il pourrait choisir de divulguer les renseignements d’analyse demandés même si ceux-ci étaient susceptibles d’avoir un effet sur une procédure judiciaire. Il est en position d’entière faculté ou de totale discrétion de divulguer ou de ne pas divulguer ce que demandé. [43] L’organisme doit toutefois exercer cette faculté ou cette discrétion à l’intérieur du délai que la loi lui impartit aux termes de son article 47 : 47. Le responsable doit, avec diligence et au plus tard dans les vingt jours qui suivent la date de la réception d'une demande: 1° donner accès au document, lequel peut alors être accompagné d'informations sur les circonstances dans lesquelles il a été produit; 2° informer le requérant des conditions particulières auxquelles l'accès est soumis, le cas échéant; 3° informer le requérant que l'organisme ne détient pas le document demandé ou que l'accès ne peut lui y être donné en tout ou en partie; 4° informer le requérant que sa demande relève davantage de la compétence d'un autre organisme ou est relative à un document produit par un autre organisme ou pour son compte; 5° informer le requérant que l'existence des renseignements demandés ne peut être confirmée; ou 6° informer le requérant qu'il s'agit d'un document auquel le chapitre II de la présente loi ne s'applique pas en vertu du deuxième alinéa de l'article 9. Si le traitement de la demande dans le délai prévu par le premier alinéa ne lui paraît pas possible sans nuire au déroulement normal des activités de l'organisme public, le responsable peut, avant l'expiration de ce délai, le prolonger d'une période n'excédant
05 09 63 Page 10 pas dix jours. Il doit alors en donner avis au requérant par courrier dans le délai prévu par le premier alinéa. (J’ai souligné) [44] Cette obligation découle du libellé même de cet article 47 qui utilise le mot « doit » et non le mot « peut ». Elle découle également de la mise en œuvre du principe du droit à l’accès qui constitue l’objet même de la Loi. [45] Je suis d’avis qu’en laissant s’écouler le délai de réponse sans remplir les obligations auxquelles la Loi l’astreint, la Responsable renonçait à soulever le motif facultatif de refus qui s’offrait à elle depuis le début, son silence constituant un choix délibéré de ne plus soulever ce motif de refus. [46] L’économie de toute la Loi et son objet premier, qui est de permettre l’exercice du droit à l’accès, font en sorte que l’organisme est forclos de soulever les motifs facultatifs de refus en dehors des délais prévus à la Loi. [47] De plus, les règles habituelles d’interprétation des lois obligent le décideur à restreindre le champ d’application et la portée des dispositions d’exception comme l’article 32 de la Loi. [48] Permettre à un organisme de soulever cette exception au droit d’accès en tout temps, malgré la rédaction claire de l’article 47 de la Loi, en élargirait le champ d’application et la portée de façon indue. L’APPLICATION DES ARTICLES 53, 54 ET DE L’ALINÉA PREMIER DE L’ARTICLE 59 DE LA LOI [49] Je suis d’avis que l’identité et l’opinion des personnes qui ont procédé à l’évaluation du rendement de la demanderesse ne doivent pas être protégées par ces dispositions de la Loi. [50] En effet, la lecture des documents en litige, couplée à celle des documents déposés en liasse sous la cote O-1, établit que ces personnes font partie de l’une ou l’autre des catégories de personnes visées par les paragraphes 1° et 2° du deuxième alinéa de l’article 57 dont les nom et prénom sont revêtus d’un caractère public à titre de membres du personnel d’un organisme public.
05 09 63 Page 11 [51] De plus, le contenu des documents déposés sous la cote O-1 me convainc que ces personnes agissaient dans l’exécution de leurs fonctions, et non personnellement, lorsqu’elles ont rédigé ces opinions. [52] Leur opinion est également essentielle à la gestion du personnel de l’organisme. [53] POUR CES MOTIFS, la Commission ACCUEILLE en totalité la demande de révision ; et ORDONNE à l’organisme de remettre à la demanderesse tous les documents en litige DIANE BOISSINOT commissaire Avocate de l’organisme : M e Cynthia Labrie (Savard, Nadeau, avocats)
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