Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 03 03 72 Date : 31.03.2004 Commissaire : M e Christiane Constant M me X Demanderesse c. Centre de réadaptation en déficience intellectuelle Normand-Laramée Organisme public DÉCISION L’OBJET DU LITIGE LA DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D’ACCÈS [1] La demanderesse s’adresse, le 28 octobre 2002, à l’organisme afin d’avoir accès à son dossier personnel et au rapport relatif à une enquête administrative que celui-ci aurait effectuée à son sujet. [2] Le 17 janvier 2003, l’organisme lui communique une copie élaguée du rapport d’enquête, et lui refuse l’accès quant au reste du document, invoquant à cet effet les articles 54, 59 et 88 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi 1 L.R.Q. c. A-2.1
03 03 72 Page : 2 sur l’accès »); l’organisme informe la demanderesse qu’il lui avait déjà communiqué ledit document le 15 mai 2002. [3] Dans une lettre datée du 24 janvier, la demanderesse formule une demande de révision auprès de l’organisme qui la transmet à la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») qui elle, la reçoit le 4 mars 2003. L’AUDIENCE [4] L’audience est entendue par lien téléphonique le 17 février 2004, à laquelle participent la demanderesse ainsi que M me Adélia Guité pour l’organisme qui est représenté par M e Sophie Mercier. LA PREUVE A) De l’organisme [5] M e Mercier fait témoigner, sous serment, M me Adélia Guité qui déclare être responsable de l’accès depuis 1999. Elle indique que la demanderesse avait requis une première fois auprès de l’organisme l’accès au rapport, faisant suite à l’enquête administrative interne tenue à son égard; l’organisme avait répondu en lui faisant parvenir, le 15 mai 2002, copie du document élagué; les renseignements nominatifs ayant été préalablement extraits. [6] Elle a formulé une nouvelle demande, le 28 octobre 2002, requérant le même document qu’elle lui transmet, cette fois, le 17 janvier 2003. Intervention de la Commission [7] Cherchant à connaître les motifs pour lesquels l’organisme a répondu à la demande après l’expiration du délai légal de vingt ou de trente jours, tel que prévu à l’article 47 de la Loi sur l'accès, M me Guité estime que le document recherché a déjà été communiqué à la demanderesse, le 15 mai 2002, dans le cadre de la première demande d’accès. [8] À la demande de la soussignée, l’organisme s’engage à communiquer à la Commission, sous le sceau de la confidentialité, copie intégrale dudit rapport ainsi que la copie élaguée qu’il a transmise à la demanderesse.
03 03 72 Page : 3 Continuation de la preuve [9] M me Guité déclare que la demanderesse est une « personne intermédiaire » telle que reconnue par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Elle ajoute qu’en raison d’une plainte formulée par un tiers contre la demanderesse, M me Ginette Bisonnette, directrice générale et M. Claude Belley, directeur des services professionnels ont cru nécessaire de donner le mandat à M. Bernard Deschênes, afin de mener une enquête administrative interne et de faire la lumière sur les allégations indiquées à cette plainte. Celui-ci a travaillé en collaboration avec M e Scott Hugues, du cabinet d’avocats Monette, Barakett & Associés. [10] Selon M me Guité, M. Deschênes a rencontré des intervenants provenant des deux Centres de réadaptation L’Intégrale et Normand-Laramée, des employés et d’autres tiers; la plupart d’entre eux ont émis leurs commentaires personnels en regard de la demanderesse. Pour ces principaux motifs, M me Guité prétend que l’organisme ne peut pas fournir à celle-ci copie intégrale du rapport d’enquête, car sa divulgation lui permettrait d’identifier les personnes rencontrées. B) DÉPOSITION DE LA DEMANDERESSE [11] La demanderesse, qui témoigne sous serment, déclare qu’elle avait sous sa responsabilité quatre résidences, dont les Centres de réadaptation L’Intégrale, Normand-Laramée où demeuraient des usagers. [12] Elle prétend que de fausses allégations portées contre elle auprès de l’organisme ont nui à sa réputation. Malgré qu’elle demeure « toujours résidente » avec le centre de réadaptation Normand-Laramée, le nombre d’usagers dont elle avait la responsabilité a diminué, de laquelle s’ensuit une perte de revenus. Elle souhaite obtenir l’intégralité du rapport d’enquête de M. Deschênes afin de pouvoir connaître « le nom des personnes citées à l’enquête administrative. » L’ARGUMENTATION [13] M e Mercier, pour l’organisme, rappelle une partie de la déposition de M me Guité, selon laquelle dans le cadre d’une première demande d’accès, l’organisme avait déjà communiqué à la demanderesse une copie du rapport d’enquête élagué portant la signature de M. Deschênes; elle souhaite à nouveau obtenir le même document tel qu’indiqué dans la présente demande; de l’avis de l’avocate, les deux demandes sont identiques. [14] L’avocate argue que l’organisme ne peut pas répondre positivement à la demande telle que formulée par la demanderesse, étant tenu légalement d’extraire les renseignements nominatifs avant de communiquer à celle-ci le
03 03 72 Page : 4 document en litige. La divulgation de ces renseignements lui permettrait d’identifier les personnes physiques mentionnées à ce rapport au sens de l’article 54 de la Loi sur l’accès. L’avocate ajoute que la preuve n’a pas démontré que celles-ci avaient autorisé l’organisme à communiquer à la demanderesse les renseignements nominatifs les concernant selon les termes de l’article 88 de la Loi sur l’accès; l’organisme est donc tenu de préserver non seulement les noms, mais également les commentaires confidentiels de ces personnes. [15] De plus, l’avocate commente en ce sens ledit rapport : • En collaboration avec M e Hugues, M. Deschênes a rencontré trois groupes de personnes, à savoir des intervenants, des employés et des tiers. Les noms de ceux-ci ont été biffés du rapport d’enquête; • Les commentaires personnels émis par des employés de l’organisme à l’égard de la demanderesse ont également été biffés, afin d’éviter que celle-ci ne puisse les identifier au sens de l’article 54 de la Loi sur l’accès; • Les noms des intervenants qui travaillent au centre de réadaptation L’Intégrale ont été masqués, ainsi que l’opinion de ceux-ci, ce, conformément aux arrêts Bagnall c. Comité de la protection de la jeunesse [1986] C.A.I. 484 et Larivière c. Centre des services sociaux Laurentides-Lanaudière [1987] C.A.I. 185; • Les noms de tiers, dont l’un d’eux a porté plainte au Centre de réadaptation L’Intégrale contre la demanderesse, devraient demeurer confidentiels, afin d’éviter qu’ils ne puissent être identifiés, ce, conformément à la décision Sirois c. Ville Candiac [1987] C.A.I. 332. • Ce rapport contient de plus une analyse et des recommandations émises par M. Deschênes. [16] La demanderesse, pour sa part, réitère les mêmes motifs pour lesquels elle souhaite connaître les noms des personnes ayant participé à l’enquête administrative interne qui la concerne. LA DÉCISION [17] L’avocate de l’organisme a communiqué à la Commission, le 19 février 2004, copie intégrale du rapport d’enquête ainsi que le rapport élagué, date à laquelle a commencé le délibéré. [18] La preuve à l’audience porte uniquement sur la communication ou non à la demanderesse de l’intégralité du rapport d’enquête la concernant. Quant à l’accès
03 03 72 Page : 5 au dossier personnel requis dans la demande d’accès, ni l’une ni l’autre des parties n’ont soumis de preuve à cet effet. [19] La décision portera donc sur l’accessibilité ou non de l’intégralité du rapport d’enquête tel que préparé par M. Deschênes, dans le cadre d’un mandat que lui a confié la directrice générale et le directeur des services professionnels et de réadaptation, eu égard à certains évènements visant « les intervenants des ressources sous la responsabilité de » la demanderesse, tel qu’indiqué à ce document. La réponse de l’organisme [20] La demande ayant été formulée à l’organisme le 28 octobre 2002, celui-ci y a répondu, en faisant parvenir à la demanderesse une copie dudit rapport élagué le 17 janvier 2003, soit plus de soixante jours suivant cette demande. Il importe de préciser que l’article 47 de la Loi sur l’accès stipule notamment que le responsable de l’accès de l’organisme doit répondre dans les vingt jours de la réception de la demande. Il peut toutefois prolonger le délai d’une période ne dépassant pas dix jours, suivant les modalités prévues à cet article qui se lit comme suit : 47. Le responsable doit, avec diligence et au plus tard dans les vingt jours qui suivent la date de la réception d'une demande: 1° donner accès au document, lequel peut alors être accompagné d'informations sur les circonstances dans lesquelles il a été produit; 2° informer le requérant des conditions particulières auxquelles l'accès est soumis, le cas échéant; 3° informer le requérant que l'organisme ne détient pas le document demandé ou que l'accès ne peut lui y être donné en tout ou en partie; 4° informer le requérant que sa demande relève davantage de la compétence d'un autre organisme ou est relative à un document produit par un autre organisme ou pour son compte; 5° informer le requérant que l'existence des renseignements demandés ne peut être confirmée; ou 6° informer le requérant qu'il s'agit d'un document auquel le chapitre II de la présente
03 03 72 Page : 6 loi ne s'applique pas en vertu du deuxième alinéa de l'article 9. Si le traitement de la demande dans le délai prévu par le premier alinéa ne lui paraît pas possible sans nuire au déroulement normal des activités de l'organisme public, le responsable peut, avant l'expiration de ce délai, le prolonger d'une période n'excédant pas dix jours. Il doit alors en donner avis au requérant par courrier dans le délai prévu par le premier alinéa. [21] Cet article prévoit que le législateur exige d’un responsable de l’accès aux documents l’obligation de donner suite à une demande dans le délai imparti, ce, sans égard que le document en litige ait ou non déjà été transmis dans le cadre d’une demande antérieure. [22] Quoiqu’il en soit, ce document, de neuf pages, intitulé « Rapport d’enquête administrative suite au traitement de la plainte déposée contre M me (…) ressource-intermédiaire » contient des renseignements nominatifs et vise directement la demanderesse; celle-ci s’est prévalue de son droit d’accès à ce document qui la concerne au sens de l’article 83 de la Loi sur l’accès : 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. Toutefois, un mineur de moins de quatorze ans n'a pas le droit d'être informé de l'existence ni de recevoir communication d'un renseignement nominatif de nature médicale ou sociale le concernant, contenu dans le dossier constitué par l'établissement de santé ou de services sociaux visés au deuxième alinéa de l'article 7. [23] À cet égard, les auteurs Duplessis et Hétu précisent que « Ce droit fait partie des droits de la personnalité définis à l’article 3 du Code civil du Québec dont l’exercice est strictement réservé à son titulaire. Il est incessible. »
03 03 72 Page : 7 [24] Toutefois, pour pouvoir statuer sur l’accessibilité ou non de l’intégralité de ce document, il est opportun de l’examiner particulièrement en fonction des articles de la Loi tels qu’indiqués au Chapitre III de ladite loi, lesquels visent à garantir la protection des renseignements personnels. [25] Par ailleurs, il importe de signaler que l’article 53 de la Loi sur l’accès est une disposition d’ordre public, la Commission doit la soulever à tout moment, tel que stipulé à l’arrêt Pelletier c. C.U.M. [1990] C.A.I. 244 : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. [26] De plus, traitant de cet article, les auteurs Doray et Charette 2 indiquent, entre autres : (…) tout un chacun a en principe droit d’accès aux documents administratifs des organismes publics, mais seule la personne concernée peut prendre connaissances des renseignements qui se rapportent à elle, sous réserve des exceptions prévues à la loi. (…) [27] Dans le cas en l’espèce et tel qu’indiqué au rapport d’enquête par M. Deschênes, « l’ensemble des personnes du Centre de réadaptation L’Intégrale ont été rencontrées conjointement avec M e Éric Séguin, collègue de M e Hugues ». 2 Raymond DORAY et François CHARETTE, Accès à l’information : loi annotée, jurisprudence, analyse et commentaires, vol. 1, Cowansville, Éditions Y. Blais, 2001, p. III/53-4).
03 03 72 Page : 8 [28] Les sections élaguées du document en litige relatent des évènements précis reliés tantôt à des usagers sous la responsabilité de la demanderesse, tantôt à d’autres tiers, par exemple des intervenants, des employés, etc. Ce document, qui fait ressortir notamment des commentaires personnels émis par certains d’entre eux, contient également des recommandations formulées par l’enquêteur, faisant suite notamment à l’analyse des informations qu’il a obtenues dans le cadre de son enquête interne. [29] La soussignée est d’avis que la divulgation de ces renseignements permettrait d’identifier les personnes physiques mentionnées selon les termes de l’article 54 de la Loi sur l’accès : 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. [30] La preuve n’a pas démontré que celles-ci avaient consenti à la divulgation des renseignements nominatifs les concernant ou l’existence de tels renseignements au sens de l’article 88 de ladite loi, ce, conformément aux arrêts Mario Sweeney c. Ville de Gatineau, [2002], C.A.I. 44 et Ron Fortin c. Ministère du revenu du Québec [2002] C.A.I. 72. [31] De plus, tel que souligné par les auteurs Doray et Charette 3 « le droit d’une personne aux renseignements nominatifs qui la concernent s’arrête là où la vie privée des autres individus commence ». [32] Ainsi, après examen du document intégral et de sa copie élaguée, la soussignée considère que l’organisme était justifié de communiquer à la demanderesse une copie comme il l’a fait, en prenant soin d’extraire au préalable les renseignements nominatifs, ce, dans le respect des articles 53, 54 et 88 de la Loi sur l’accès. 3 Raymond DORAY et François CHARETTE, op. cit., note 1, p. III/88-1.
03 03 72 Page : 9 [33] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : CONSTATE que le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle Normand-Laramée a fait parvenir à la demanderesse une copie du rapport d’enquête élagué; REJETTE, quant au reste, la demande de révision contre l’organisme; FERME le présent dossier portant le n o 03 03 72. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Montréal, le 31 mars 2004 M e Sophie Mercier Procureure de l’organisme
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