Commission d’accès à l’information du Québec Dossier : 03 08 25 Date : 20040220 Commissaire : M e Christiane Constant M. A et M. B Demandeurs c. Courtage à escompte Banque Nationale inc. Entreprise DÉCISION L'OBJET DU LITIGE LA DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Dans une lettre adressée à M. Pierre Desroches, ombudsman au sein de l’entreprise (l’« Ombudsman »), les demandeurs requièrent conjointement, le 17 mars 2003, les renseignements suivants : copie des enregistrements, « des échanges téléphoniques enregistrés depuis le 15 octobre 2002 dans le dossier des évènements qui met en cause : mon épouse et moi, ainsi que le service de Courtage à escompte Banque Nationale, ses employés; M. Michel Fortin, Madame Lise Aubut et Vous-même en qualité
03 08 25 Page : 2 d’ombudsman de la Banque Nationale. Celles-ci nous permettront d’en estimer et d’évaluer à notre convenance la teneur pour ensuite prendre en toute liberté la/les disposition(s) qui s’impose(nt)» [2] Le 3 avril 2003, l’entreprise répond aux demandeurs, qu’elle leur permettrait d’écouter les enregistrements téléphoniques de leur conversation avec M. Michel Fortin, à leur demande, mais qu’elle refuse cependant de leur fournir une copie de ces enregistrements. [3] Insatisfaits de cette réponse, les demandeurs soumettent conjointement, le 12 mai suivant, à la Commission d'accès à l'information (la « Commission »), une demande afin d’examiner cette mésentente. L'AUDIENCE [4] L'audience de ce dossier se tient, le 24 novembre 2003, dans la Ville de Gatineau, en présence des demandeurs et du témoin de l’entreprise. LA PREUVE A) DE L’ENTREPRISE [5] M e Nancy Pelletier, avocate pour l’entreprise, fait témoigner, sous serment, M me Lise Aubut. Celle-ci déclare qu’elle est directrice du Service de médiation et conseillère en gestion des plaintes et des processus. Dans le cadre de ses fonctions, elle procède à l’analyse et au suivi d’un dossier d’accès, et ce, jusqu’à sa fermeture. [6] Elle indique que, l’un des demandeurs, M. A, a communiqué avec M. Fortin afin de procéder à l’acquisition d’actions de Nortel pour un montant de 5000 $ à prélever au compte de l’autre demandeur, M me B, tel qu’il est indiqué à une lettre datée du 3 novembre 2002 qu’ils lui ont fait parvenir (pièce E-1) et selon laquelle, M. Fortin aurait refusé de « passer la transaction ». Elle précise que M. A détient une procuration émanant de M me B, lui permettant d’agir et d’effectuer des transactions en son nom. [7] M me Aubut ajoute que l’entreprise n’a pas refusé aux demandeurs l’accès aux conversations téléphoniques, et ce, tel qu’il est indiqué par l’Ombudsman dans la réponse qu’il a adressée à M. A, le 25 novembre (pièce E-2) et par laquelle il rappelle qu’après avoir effectué certaines vérifications nécessaires au compte de M me B, M. Fortin aurait requis auprès du demandeur, en quatre
03 08 25 Page : 3 occasions, s’il désirait toujours procéder à l’acquisition des actions en question, celui-ci aurait répondu par la négative également à quatre reprises. [8] Devant ce refus, M me Aubut signale que M. Fortin ne pouvait donc pas effectuer ladite transaction. Elle précise toutefois que l’entreprise a par la suite acheté « en fonds de marché monétaire » dans le compte enregistré de M me B pour un montant de 5000 $, et ce, tel qu’il a été requis précédemment par M. A. [9] Selon M me Aubut, les demandeurs se disent insatisfaits du service que leur a fourni l’employé de l’entreprise; M. A a alors entrepris des démarches auprès de l’Ombudsman, le 17 mars 2003, afin d’obtenir une copie des enregistrements des entretiens téléphoniques tenus avec M. Fortin, et ce, rétroactivement au 15 octobre 2002 (pièce E-3). [10] Elle signale que, le 3 avril 2003, l’Ombudsman répond aux demandeurs qu’ils pourront écouter les enregistrements téléphoniques, sans pouvoir cependant obtenir une copie de la cassette (pièce E-4). [11] Elle ajoute que les conversations téléphoniques entre les clients et les employés de l’entreprise sont enregistrées de façon continue par une autre filiale de la Banque Nationale. [12] Dans le cas sous étude, M me Aubut souligne qu’elle a proposé tout d’abord à M. A d’acheter une copie de la cassette; elle s’est par la suite ravisée et lui a acheminé une version élaguée (pièce E-5), dont seuls « les silences », tels les « mises en attente pour fins d’économie de ruban » auraient été extraits, périodes pendant lesquelles M. Fortin parlait à sa supérieure immédiate, M me Véronique Longchamp; M. A en ayant préalablement été avisé. [13] De l’avis de M me Aubut, l’entreprise ne peut pas communiquer aux demandeurs certains renseignements car ils ne les concernent pas. Elle dépose, sous le sceau de la confidentialité, une cassette contenant l’intégralité des conversations téléphoniques enregistrées impliquant M. A et les représentants de l’entreprise cités dans la présente cause, ainsi qu’une copie élaguée qui a été transmise aux demandeurs avant l’audience. CLARIFICATION RECHERCHÉE PAR LE DEMANDEUR, M. A [14] M me Aubut indique qu’elle avait offert à M. A copie de la cassette le 19 novembre 2002. Elle affirme que l’entreprise lui en avait initialement refusé l’accès parce qu’elle ne savait pas qu’elle était obligée de le faire, d’une part. Elle ne voulait pas lui en fournir une copie, d’autre part, parce qu’elle est convaincue que les demandeurs intenteront des recours judiciaires contre l’entreprise.
03 08 25 Page : 4 [15] Elle réfère à cet effet à une lettre des demandeurs datée du 17 mars 2003 (pièce E-3 précitée) où ils indiquent notamment que « Celles-ci nous permettront d’en estimer et d’évaluer à notre convenance la teneur pour ensuite prendre en toute liberté la/les disposition(s) qui s’impose(nt). » [16] De plus, elle précise que les coupures se trouvant à cette cassette représentent des « mises en garde seulement » et réaffirme que l’entreprise procède à l’enregistrement des conversations téléphoniques tenues entre ses employés et ses clients. B) DU DEMANDEUR, M. A [17] Le demandeur, M. A, après avoir été assermenté, déclare qu’il effectue des transactions personnelles à la bourse, par l’intermédiaire de l’entreprise, depuis 1998-1999; les demandeurs détiennent cinq comptes avec celle-ci. Il décrit le type de transactions qu’il a fait dans l’un de ces comptes qui « était à risque faible ». Il souligne que certaines transactions peuvent être à risque faible ou élevé. Il déclare gérer les comptes des demandeurs. [18] De plus, il affirme qu’au cours de l’année 1999-2000, il a contacté sa succursale afin de faire modifier le niveau de risque de ce compte sans toutefois pouvoir obtenir le résultat escompté; les représentants de l’entreprise, par exemple, ayant « mis des délais sur des transactions ». Les représentants de sa succursale ont tenté de joindre par téléphone M me Aubut qui n’a pas cru nécessaire de retourner leurs appels au moment opportun. [19] Par ailleurs, il précise, qu’à plusieurs reprises, des transactions n’ont pu se faire, ayant été dans l’impossibilité de joindre un représentant à la ligne téléphonique de l’entreprise désignée à cette fin. [20] Il signale qu’avant d’entamer une conversation avec M. Fortin, il s’identifie d’abord, en lui fournissant des renseignements confidentiels le concernant, tel son numéro d’assurance sociale. C’est ce qu’il a fait le 15 octobre 2002; au cours de cet entretien téléphonique dont la durée n’excède pas treize minutes, il avait à prendre une décision éclairée, en effectuant une transaction précise à un moment précis. Il prétend que son numéro d’assurance sociale aurait dû se retrouver dans la cassette que l’entreprise lui a communiquée. Or, ce n’est pas le cas. [21] M. A ajoute que M. Fortin l’a mis en attente à trois reprises et indique son insatisfaction à l’égard de l’entreprise qui ne lui a pas fourni les renseignements financiers qu’il recherchait au moment opportun. Il estime que conséquemment aux inconvénients rencontrés qu’il attribue à l’entreprise, les demandeurs ont droit à une compensation monétaire.
03 08 25 Page : 5 [22] Il souhaite donc obtenir une copie intégrale, car il est « en train de monter un dossier pour intenter éventuellement » des procédures judiciaires contre l’entreprise pour pouvoir obtenir une compensation monétaire. Il soumet en preuve de la correspondance échangée entre lui et l’entreprise (pièce D-1 en liasse) ainsi que de la documentation relative à cette affaire. CONTRE-INTERROGATOIRE DE M. A [23] Contre-interrogé par l’avocate de l’entreprise, M. A précise que durant l’année 1998-1999, il a effectué entre trente et trente-cinq transactions et affirme avoir pris connaissance de la lettre datée du 3 avril 2003 que l’Ombudsman lui a fait parvenir (pièce E-4 précitée), lui permettant d’écouter les enregistrements téléphoniques de sa conversation avec M. Fortin. Il reconnaît de plus qu’il « réclamait et réclame des sommes d’argent à la banque » pour les motifs ci-dessus mentionnés. C) DÉPOSITION DE L’AUTRE DEMANDEUR, M ME B [24] M me B, qui témoigne sous serment, complète la déposition de M. A et déclare que, par le biais d’une procuration, M. A est autorisé à agir en son nom lors de transactions financières auprès de l’entreprise. Elle signale, entre autres, que c’est lui qui téléphonait à l’entreprise afin de « passer la transaction » pour les deux demandeurs. Elle se dit avoir été surprise de constater que des informations personnelles sont manquantes dans la cassette; elle voudrait donc en obtenir une copie intégrale. LES ARGUMENTS [25] M e Pelletier, pour l’entreprise, argue que lorsqu’un client appelle l’entreprise pour passer une transaction, il n’est pas nécessaire qu’il communique toujours avec le même employé, mais que toutes les conversations téléphoniques sont enregistrées par les employés. Elle argue que les renseignements extraits de la cassette audio ne concernent pas les demandeurs; l’entreprise ne peut donc pas les leur communiquer. [26] L’avocate rappelle la déposition de M. A, l’un des demandeurs, qui a affirmé son désir d’intenter des procédures judiciaires contre l’entreprise parce qu’il se déclare insatisfait des services rendus par celle-ci qui ne lui aurait pas fourni les renseignements financiers nécessaires, au moment opportun, pour pouvoir passer une transaction (pièce E-1 précitée), ainsi que son intention de réclamer une compensation monétaire.
03 08 25 Page : 6 [27] En conséquence, l’avocate plaide que le deuxième paragraphe de l’article 39 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 (la « Loi sur le secteur privé ») stipule qu’une personne exploitant une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel qui la concerne, lorsque la divulgation de celui-ci risquerait d’avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l’une ou l’autre de ces personnes a un intérêt. [28] L’avocate réfère à la décision Personnelle Vie, corporation d’assurance c. Cour du Québec, Perreault et al. 2 , par laquelle la Cour supérieure a statué, entre autres, qu’ : Il n’est pas nécessaire que la procédure judiciaire soit effectivement en cours au moment où l’on invoque la restriction. Ce ne doit cependant pas être une simple procédure hypothétique. Il faut des circonstances qui permettent de croire que des procédures seront intentées incessamment. Certaines décisions parlent de procédures prévisibles, probables, imminentes. Il faut qu’il existe au moins un risque de procédures judiciaires une intention manifestée en ce sens. Ainsi, l’admission d’un demandeur à l’effet qu’il pourrait avoir l’intention d’instituer des procédures judiciaires contre l’entreprise pour se faire indemniser a été reconnue comme suffisante. LA DÉCISION [29] L’article 1 de la Loi sur le secteur privé, à son deuxième alinéa, stipule que : 1. La présente loi a pour objet d'établir, pour l'exercice des droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil du Québec en matière de protection des renseignements personnels, des règles particulières à l'égard des renseignements personnels sur autrui qu'une personne recueille, détient, utilise ou communique à des tiers à l'occasion de l'exploitation d'une entreprise au sens de l'article 1525 du Code civil du Québec. Elle s'applique à ces renseignements quelle que soit la nature de leur support et quelle que soit la forme sous laquelle ils sont accessibles : écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre. […] 1 L.R.Q., P-39.1. 2 REJB 1997-01696, par. 64-65 du texte intégral.
03 08 25 Page : 7 [30] Dans le cas sous étude, il est admis que l’entreprise a transmis à M. A une copie élaguée des renseignements, enregistrés à compter du 15 octobre 2002, se trouvant à la cassette, mais dont les demandeurs souhaitent en obtenir une copie intégrale. Ces conversations se trouvent sur une cassette sous forme sonore. Elles ont été tenues dans le cadre de transactions financières relatives à l’achat d’actions, sur réquisition des demandeurs, M. A agissant en son nom et pour M me B par le biais d’une procuration. [31] De plus, la déposition de M. A est non équivoque; celui-ci se dit insatisfait des services rendus par l’entreprise à son égard; M me B abonde dans le même sens; les demandeurs n’ont pas pu effectuer des transactions financières qu’ils auraient voulu faire. Plus particulièrement, M. A se plaint que M. Fortin, responsable de son dossier au sein de l’entreprise, ne lui aurait pas fourni les conseils adéquats et qu’il n’aurait pas respecté ses instructions, le 3 novembre 2002; ce qui aurait fait perdre aux demandeurs un montant d’argent qu’il évalue à 13 038 $, tel qu’il est mentionné dans leur lettre datée du 9 février 2003 (annexée à la pièce D-1 en liasse). [32] L’Ombudsman, pour sa part, réfute toutes les accusations de M. A à l’égard de l’employé de l’entreprise, et ce, telles qu’elles sont décrites à sa réponse du 19 février 2003. [33] De ce qui précède, M. A considère que l’accès intégral aux enregistrements des conversations téléphoniques lui permettra, entre autres, de cueillir des informations afin d’entreprendre des procédures judiciaires contre l’entreprise et lui réclamer une compensation monétaire. [34] Le deuxième paragraphe de l’article 39 de la Loi sur le secteur privé stipule que : 39. Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement: […] 2° d'avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l'une ou l'autre de ces personnes a un intérêt. [35] Les dispositions législatives ci-dessus indiquées à cet article sont claires et la preuve non contredite de l’une ou l’autre des parties est consistante, en ce que les demandeurs ont l’intention de poursuivre l’entreprise pour les motifs qu’ils ont indiqués.
03 08 25 Page : 8 [36] Dans l’affaire X c. Bélair Direct, compagnie d’assurance 3 , la soussignée souscrit aux commentaires de la commissaire, M e Hélène Grenier, lorsqu’elle indique notamment que : La preuve démontre qu’avant la demande d’accès du 17 octobre 2001, le demandeur avait exprimé à l’entreprise son insatisfaction quant au traitement de sa réclamation, qu’il avait donné avis de son intention d’avoir recours à un avocat, qu’il avait fait l’objet d’une enquête en rapport avec sa réclamation, qu’il s’était objectée, à tort ou à raison, à la façon dont l’enquête s’est déroulée, qu’il s’était plaint du comportement de l’enquêteur du service anticrime des assureurs auprès du Bureau des assurances du Canada et qu’il avait reçu la décision de l’entreprise de ne pas l’indemniser. [37] Comme dans le cas sous étude, la preuve a démontré qu’avant de formuler leur demande d’accès, les demandeurs, par l’intermédiaire de M. A, avaient clairement indiqué leur volonté d’entreprendre contre l’entreprise des recours judiciaires pour des motifs non équivoques. Néanmoins, celle-ci leur a tout de même fourni une copie élaguée de l’enregistrement des conversations téléphoniques tenues entre ses représentants et M. A. [38] Par ailleurs, il importe de rappeler que l’application de l’article 39, à son deuxième paragraphe, nécessite non seulement la possibilité pour une personne concernée d’intenter une procédure judiciaire, mais que cette dernière doit être imminente 4 . [39] De plus, la Commission a déjà établi que « la présence d’un lien direct entre le sujet du document refusé et l’objet du litige suffisait à conclure que sa divulgation risquerait d’avoir un effet sur la procédure » 5 . [40] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : PREND ACTE que l’entreprise a fait parvenir, avant l’audience, aux demandeurs, un extrait de l’enregistrement des conversations téléphoniques tenues entre ses représentants et M. A, l’un des demandeurs; 3 [2002] C.A.I. 312, 315. 4 Morin-Gauthier c. Assurance-Vie Desjardins [1994] C.A.I. 226. 5 Lina DESBIENS et Diane POITRAS, Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, textes annotés. Montréal, SOQUIJ, 1996, p. 555 et Bérubé c. Caisse populaire Desjardins de Baie-Comeau [1994] C.A.I. 298.
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