Dossier : 03 05 66 Date : 20040130 Commissaire : M e Christiane Constant M. X Demandeur c. Hôpital Jean-Talon Organisme public DÉCISION L'OBJET DU LITIGE LA DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 27 février 2003, le demandeur requiert de l’organisme, la copie intégrale du dossier médical de son épouse décédée, pour la période comprise entre le 15 juillet et le 4 août 2002, car, à son avis, les soins appropriés ne lui auraient pas été prodigués. [2] Le 5 mars suivant, l’organisme, par l’entremise de M me Janine Girard, du Service des archives médicales, avise le demandeur que « Nous ne pouvons toutefois accéder à votre requête dans le présent contexte étant donné que c’est un cas de coroner ». Elle le réfère donc au Bureau du coroner du Québec. [3] Insatisfait, le demandeur s’adresse, le 28 mars 2003, à la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») afin que soit révisée la décision de l’organisme.
03 05 66 Page : 2 L’AUDIENCE [4] La présente cause est entendue en audience, à Montréal, le 3 décembre 2003, en présence des parties et de leurs témoins. LA PREUVE A) INTERROGATOIRE DU DEMANDEUR PAR M E SIMON GAGNÉ [5] Après avoir été assermenté, le demandeur est interrogé par M e Simon Gagné, procureur de l’organisme. Il déclare que lors de sa demande initiale, il voulait obtenir une copie intégrale du dossier médical de son épouse décédée, M me X (pièce O-1), et reconnaît que par la suite, il a réclamé un accès partiel audit dossier (pièce O-2). [6] De plus, il affirme que, le 31 mars 2003, son procureur à l’époque, M e Jean-Pierre Boucher, a formulé auprès de l’organisme une nouvelle demande d’accès (pièce O-3), précisant que le demandeur […] aimerait avoir accès au dossier de son épouse et obtenir une copie conforme de l’Hôpital Jean-Talon. Même si une enquête du Coronaire (sic) est en cours, (le demandeur) est en droit d’obtenir une copie conforme du dossier de son épouse. […] [7] Le demandeur précise que le couple n’avait pas d’enfant, mais que sa défunte épouse avait des frères et des soeurs. Il explique, à sa manière, l’état dans lequel feue M me X se trouvait lorsqu’elle a été conduite chez l’organisme le 15 juillet 2002 pour y requérir des soins; quelques jours plus tard, elle a reçu son congé de l’hôpital. [8] Ayant constaté une détérioration de son état, le demandeur affirme l’avoir conduite dans un autre hôpital, le 24 juillet suivant, lequel l’aurait transférée le lendemain chez l’organisme, son dossier médical s’y trouvant déjà. Elle y reçoit à nouveau son congé le 4 août 2002 et est décédée le même jour. Le demandeur estime que le décès est survenu parce que l’organisme n’a pas prodigué à sa défunte épouse les soins appropriés. [9] De plus, il affirme que feue M me X n’ayant pas laissé de testament écrit, c’est leur certificat de mariage (non produit à l’audience) qui constitue le document légal lui permettant de se considérer comme étant son héritier légal.
03 05 66 Page : 3 B) INTERROGATOIRE DU DEMANDEUR PAR M E JEAN-PATRICK SIMARD [10] M e Simard est le procureur du demandeur. Celui-ci réitère sa déposition initiale et ajoute que sa défunte épouse a été admise à l’hôpital à deux reprises et qu’elle y a reçu son congé également à deux reprises entre le 15 juillet et le 4 août 2002, date de son décès. [11] Il signale qu’il veut avoir accès audit dossier car il a l’intention d’entreprendre des procédures judiciaires contre l’organisme qui, à son avis, aurait commis une erreur médicale à l’égard de son épouse, feue M me X. [12] Par ailleurs, il reconnaît avoir reçu copie du rapport du coroner (pièce D-1 en liasse). Il précise que l’organisme a indiqué que feue M me X avait des problèmes d’asthme alors que le coroner a plutôt indiqué qu’elle avait « un problème cardiaque ». C) DÉPOSITION DE M me T.E.E., TÉMOIN POUR LE DEMANDEUR [13] Le demandeur fait témoigner, sous serment, une amie de la défunte, M me T.E.E. Celle-ci déclare qu’elle a travaillé durant plus de vingt ans à titre d’ophtalmologiste en Égypte et qu’elle était une amie personnelle de feue M me X depuis une quinzaine d’années; elle lui a rendu visite à l’hôpital. [14] Elle déclare également avoir pris connaissance du rapport du coroner (pièce D-1 en liasse précitée) et en propose une interprétation en précisant notamment que feue M me X éprouvait « un problème cardiaque », alors que l’organisme fait allusion plutôt à un problème d’asthme. M me T.E.E. réfère à cet effet à un extrait du document (pièce D-1 en liasse), traduit dans la langue anglaise, selon lequel le coroner indique, entre autres, […] According to the history obtained, it appears that Mrs. […] was taken to Sacré-Cœur Hospital at approximately 9:15 p.m. in cardiopulmonary arrest. […] [15] À cette étape de l’interrogatoire, la soussignée avise les parties que la Commission n’est pas habilitée à statuer sur l’éventualité ou non d’une erreur médicale qui aurait été commise par l’organisme eu égard au décès de M me X, n’étant pas le forum approprié. [16] S’adressant à l’avocat de l’organisme, celui-ci l’informe qu’il n’a pas de question à poser au témoin.
03 05 66 Page : 4 LES ARGUMENTS A) DE M E SIMON GAGNÉ, POUR L’ORGANISME [17] M e Gagné fait ressortir que deux points nécessitent d’être examinés par la Commission, à savoir : a) la demande initiale telle qu’elle est formulée par le demandeur; b) l’absence de preuve à l’effet que le demandeur puisse être l’héritier légal de la défunte. [18] Tout d’abord, l’avocat plaide que le dossier d’un usager est confidentiel selon les termes de l’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux 1 (la « L.s.s.s.s. »), sous réserve des restrictions législatives qui méritent d’être interprétées de façon restrictive. LA DEMANDE INITIALE [19] Il réfère à la demande initiale du demandeur selon laquelle celui-ci souhaitait avoir un accès intégral au dossier de feue M me X, son épouse (pièce O-1 précitée) alors que, par la suite, il requiert de l’organisme un accès partiel audit dossier (pièce O-2 précitée), se déclarant à l’audience l’héritier légal de son épouse décédée, sans jamais produire de preuve à cet effet. LE DEMANDEUR, HÉRITIER ÉVENTUEL [20] L’avocat signale qu’une personne se plaçant dans cette catégorie (exercer un droit à titre d’héritier) ne doit pas seulement l’alléguer, mais il doit également être en mesure de le démontrer, et ce, conformément à la décision X c. Institut Philippe-Pinel de Montréal 2 . Une preuve tangible est donc nécessaire. Il ajoute que le seul fait d’être l’époux de feue M me X ne donne pas nécessairement au demandeur un accès au dossier médical de celle-ci. [21] L’avocat signale qu’à partir du moment où le demandeur aurait pu établir qu’il avait un droit à titre d’héritier, comme il le prétend, l’organisme aurait pu lui donner accès au dossier médical, conformément au premier alinéa de l’article 23 L.s.s.s.s. Or, tel n’est pas le cas. 1 L.R.Q., c. S-4.2. 2 AZ-97151188, [1997] C.A.I. 304.
03 05 66 Page : 5 [22] Citant la décision X c. Hôpital du St-Sacrement 3 , l’avocat indique que […] La simple demande visant à évaluer l’existence ou non de droits à faire valoir tient de la pure hypothèse et est insuffisante pour autoriser l’Hôpital à briser la confidentialité à laquelle il est tenu. Le premier alinéa de l’article 23 L.s.s.s.s. ne s’applique donc pas. […] [23] Toutefois, l’avocat argue, subsidiairement, que dans l’éventualité où la Commission décide que le demandeur devrait avoir accès au dossier médical de feue M me X, cet accès devrait couvrir uniquement la période allant du 15 juillet au 4 août 2002, date du décès. B) DE M E JEAN-PATRICK SIMARD, POUR LE DEMANDEUR [24] M e Simard, pour sa part, plaide que l’organisme a manqué à son devoir de prêter assistance au demandeur, selon les termes de l’article 96 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 4 (la « Loi sur l’accès »), afin de lui permettre, entre autres, de savoir s’il peut ou non exercer un droit à titre d’héritier de feue M me X, son épouse n’ayant pas laissé de testament écrit. [25] Par ailleurs, l’avocat réfère à un extrait de la déposition du demandeur, révélant son intention d’entreprendre des procédures judiciaires contre l’organisme qui, selon lui, aurait commis une erreur médicale à l’égard de feue M me X, d’une part. [26] Il réfère, d’autre part, à la déposition de M me T.E.E., qui rappelle que le rapport du coroner a démontré que feue M me X éprouvait « un problème cardiaque » alors que l’organisme a plutôt indiqué qu’elle avait « des problèmes d’asthme ». LA DÉCISION [27] En regard de la possibilité d’une erreur médicale soulevée par le demandeur lors de sa déposition à l’audience, la soussignée tient à préciser que la Commission n’est pas habilitée à statuer sur ce point, n’étant pas le forum approprié, et ce, tel qu’il est mentionné aux décisions Gauvin c. Hôtel-Dieu de 3 AZ-96151009, page 2 du résumé, [1996] C.A.I. 33. 4 L.R.Q., c. A-2.1.
03 05 66 Page : 6 Montréal 5 , B c. Hôpital Louis-H Lafontaine 6 et Ouellet c. Corporation intermunicipale de transport des Forges 7 . [28] Par ailleurs, la soussignée note que la preuve obtenue à l’audience vise deux demandes d’accès dont la preuve soulève, entre autres, les éléments suivants : • Qu’entre le 15 juillet et le 4 août 2002, date de son décès, feue M me X a été hospitalisée, à deux reprises chez l’organisme; • Qu’à la suite de ce décès, le demandeur formule une première demande pour avoir un accès intégral au dossier médical de son épouse décédée (pièce O-1) pour la période précitée; • Que le demandeur a formulé une autre demande, cette fois-ci pour avoir un accès partiel audit dossier (pièce O-2); • Qu’il estime que l’organisme aurait commis une erreur médicale qui aurait conduit au décès de son épouse. De sa propre évaluation, il cherche à obtenir plus d’informations pouvant l’aider à intenter des procédures judiciaires contre cet organisme; • Qu’il est l’héritier ab intestat de son épouse et que le couple était sans enfant. Assise légale [29] L’article 94 de la Loi sur l’accès ainsi que les articles 19, 23 et 28 L.s.s.s.s. prévoient que : Loi sur l’accès 94. Une demande de communication ou de rectification ne peut être considérée que si elle est faite par écrit par une personne physique justifiant de son identité à titre de personne concernée, à titre de représentant, d'héritier ou de successeur de cette dernière, d'administrateur de la succession, de bénéficiaire d'assurance-vie ou comme titulaire de l'autorité parentale. Elle est adressée au responsable de la protection des renseignements personnels au sein de l'organisme public. 5 [1994] C.A.I. 139. 6 [1993] C.A.I. 15. 7 C.A.I. n o 92 06 07, 15 décembre 1992, c. Cyr.
03 05 66 Page : 7 Si la demande est adressée à la personne ayant la plus haute autorité au sein de l'organisme public, cette personne doit la transmettre avec diligence au responsable qu'elle a désigné en vertu de l'article 8, le cas échéant. L.s.s.s.s. 19. Le dossier d'un usager est confidentiel et nul ne peut y avoir accès, si ce n'est avec le consentement de l'usager ou de la personne pouvant donner un consentement en son nom, sur l'ordre d'un tribunal ou d'un coroner dans l'exercice de ses fonctions, dans le cas où la présente loi prévoit que la communication de renseignements contenus dans le dossier peut être requise d'un établissement ou dans le cas où un renseignement est communiqué pour l'application de la Loi sur la santé publique (chapitre S-2.2). 23. Les héritiers, les légataires particuliers et les représentants légaux d'un usager décédé ont le droit de recevoir communication de renseignements contenus dans son dossier dans la mesure où cette communication est nécessaire à l'exercice de leurs droits à ce titre. Il en est de même de la personne ayant droit au paiement d'une prestation en vertu d'une police d'assurance sur la vie de l'usager ou d'un régime de retraite de l'usager. Le conjoint, les ascendants ou les descendants directs d'un usager décédé ont le droit de recevoir communication des renseignements relatifs à la cause de son décès, à moins que l'usager décédé n'ait consigné par écrit à son dossier son refus d'accorder ce droit d'accès. Malgré le deuxième alinéa, les personnes liées par le sang à un usager décédé ont le droit de recevoir communication de renseignements contenus dans son dossier dans la mesure où cette communication est nécessaire pour vérifier l'existence d'une maladie génétique ou d'une maladie à caractère familial. 28. Les articles 17 à 27 s'appliquent malgré la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1). [30] Les deux demandes d’accès du demandeur ont été formulées auprès de l’organisme en application de la L.s.s.s.s. [31] L’article 19 L.s.s.s.s. stipule de manière non équivoque que le dossier médical d’un usager est confidentiel et le législateur n’y fait aucune distinction entre un usager vivant et un usager décédé. Ce principe de la confidentialité d’un
03 05 66 Page : 8 dossier médical est également retenu et commenté par les auteurs Doray et Charrette 8 . [32] Eu égard à la demande initiale d’accès (pièce O-1), la preuve non contredite démontre que cette demande vise l’intégralité du dossier médical de feue M me X pour la période allant du 15 juillet au 4 août 2002. Ce n’est que par la suite que le demandeur a formulé une autre demande (pièce O-2) par laquelle il voudrait, cette fois-ci, avoir un accès partiel à ce même dossier. [33] Par ailleurs, la soussignée note du témoignage du demandeur que celui-ci s’est limité à prétendre qu’il est l’héritier ab intestat de son épouse décédée et de ce fait, qu’il possède le droit de requérir et d’obtenir les renseignements recherchés. Il n’apparaît nulle part dans les deux demandes que le demandeur réclame cet accès aux documents à titre d’héritier. [34] Ainsi, il importe de préciser que l’article 94 de la Loi sur l’accès précité prévoit, entre autres, que l’identité d’une personne, en l’occurrence le demandeur, à ce titre soit justifiée ainsi que la nécessité d’obtenir communication des renseignements demandés pour l’exercice d’un droit à ce titre, tel qu’il est indiqué à la décision X c. Institut Philippe-Pinel 9 précitée, d’une part, et tel qu’il est commenté par les auteurs Duplessis et Hétu 10 . [35] Par ailleurs, dans l’affaire X c. Hôpital St-Sacrement 11 précitée, la Commission a notamment indiqué que : Le premier alinéa de l’article 23 prévoit que le dossier médical est accessible dans la mesure où cette communication est nécessaire à l’exercice [des droits de l’héritier]. Au moment où l’héritier présente la demande, il doit être en mesure de faire état d’un fait ou d’une irrégularité qui laissent raisonnablement supposer qu’il a un droit à faire valoir en raison de ce fait ou de cette irrégularité. […] [36] De plus, la preuve a démontré que le demandeur désire exercer un droit personnel qui ne rencontre pas les critères législatifs prévus aux articles 23 L.s.s.s.s. et 94 de la Loi sur l’accès précités. 8 Raymond DORAY et François CHARETTE, Accès à l'information. Loi annotée. Volume 1, Éditions Yvon Blais, 2002, 168E/9 et 168E/18. 9 Précitée, note 2. 10 Yvon DUPLESSIS et Jean HÉTU, L'accès à l'information et la protection des renseignements personnels. Loi indexée, commentée et annotée, vol. 3, Publications CCH ltée, 2003, f. 232 502. 11 Note 3, idem.
03 05 66 Page : 9 [37] Par ailleurs, l’article 28 L.s.s.s.s. prévoit que les articles 17 à 27 de cette loi s’appliquent, malgré la Loi sur l’accès, l’on ne peut donc pas y déroger. [38] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE la demande de révision du demandeur contre l’Hôpital Jean-Talon; FERME le présent dossier n o 03 05 66. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Montréal, le 30 janvier 2004 M e Jean-Patrick Simard Procureur du demandeur M e Simon Gagné HEENAN BLAIKIE Procureur de l’Hôpital Jean-Talon
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