Dossier : 03 05 40 Date : 20040109 Commissaire : M e Michel Laporte DEVEAU, LAVOIE, BOURGEOIS, LALANDE & ASSOCIÉS Demanderesse c. DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS Organisme DÉCISION L'OBJET DEMANDE DE RÉVISION [1] Le bureau d’avocats Deveau, Lavoie, Bourgeois, Lalande & Associés conteste la décision rendue par le Directeur général des élections (le « DGE ») de lui refuser la communication, selon les termes des articles 14 et 53 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (la « Loi »), « […] aux informations retranchées relativement aux noms et adresses des conseillers juridiques dans les lettres du 11 octobre 2001 et 9 novembre 2001. » [2] Une audience a lieu à Montréal le 8 décembre 2003.
03 05 40 Page : 2 L'AUDIENCE A) LE LITIGE [3] La procureure de la demanderesse, M e Lise Boily-Monfette, confirme avoir reçu les lettres des 11 octobre et 9 novembre 2001, masquées des nom de la firme d'avocats et de son client. L’objet du litige, souligne-t-elle, est de statuer sur l’accessibilité au nom de la firme devant apparaître sur les lettres. B) LA PREUVE Du DGE M me Thérèse Fortier [4] M me Thérèse Fortier, responsable de l’accès et de la protection des renseignements personnels, remet à la Commission d'accès à l'information (la « Commission »), sous pli confidentiel, une copie intégrale des lettres des 11 octobre et 9 novembre 2001. Elle affirme avoir retranché le nom de la firme d'avocats inscrit à ces lettres, s’agissant d’un « indicatif du nom du plaignant ». Elle signale ne pas avoir obtenu le consentement de la personne concernée pour communiquer cette information. La Commission [5] La Commission autorise le DGE à présenter une preuve ex parte selon les termes de l’article 20 de ses Règles de procédure 1 : 20. La Commission peut prendre connaissance, en l'absence du requérant et à huis clos, d'un document que l'organisme public ou le tiers prétend devoir être soustrait à l'accès en vertu d'une restriction prévue à la section II de la Loi. C) LES ARGUMENTS i) Du DGE [6] La procureure du DGE, M e Lucie Fiset, raconte que son client est habilité à recevoir des plaintes de citoyens et à faire enquête. Elle relate que les pouvoirs du DGE permettent notamment l’émission d’un constat d’infraction ou d’un recours de 1 Règles de preuve et de procédure de la Commission d'accès à l'information, décret 2058-84.
03 05 40 Page : 3 nature judiciaire. Elle soutient que les deux lettres en litige sont intimement liées entre elles et se rapportent aux élections ayant eu lieu à cette époque en la Ville de Saint-Jérôme. [7] M e Fiset fait valoir la similarité des deux lettres, celle du 11 octobre 2001 où un procureur agit au nom d’un client et celle du 9 novembre 2001 où un procureur agit cependant à titre personnel. Elle croit que la communication du nom de l’étude d’avocats apparaissant aux lettres dévoilerait à la demanderesse l’identité d’un plaignant. En cas de doute, ajoute-t-elle, la Commission doit en refuser la communication 2 . [8] M e Fiset soumet que le DGE ne peut être contraint de donner le nom d’un plaignant même lors de procédures judiciaires. Elle établit une similitude avec la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Leipert 3 au sujet du privilège des « indicateurs de police ». Elle plaide que le nom d’un plaignant ne peut être communiqué « […] pour protéger les citoyens qui collaborent à l’application des lois et encourager les autres à en faire autant. […] » 4 Ce privilège, dit-elle, empêche la divulgation de son nom, mais aussi de tous renseignements susceptibles d’en révéler implicitement l’identité. Elle prétend que cet empêchement peut également s’appliquer en matières pénale et civile, étant d’intérêt public au nom d’une saine administration de la justice 5 . [9] M e Fiset réitère que le DGE doit protéger l’identité des plaignants s’il veut continuer d’obtenir leur collaboration. Elle avance qu’il serait incongru que le DGE ne puisse divulguer le nom d’un plaignant en matière pénale, mais soit obligé de le faire dans le cadre de l’actuelle procédure. Elle prétend qu’il ne peut y avoir deux poids deux mesures, sans compromettre la Loi électorale 6 . Elle soumet qu’il ne peut être permis de faire indirectement ce que la loi ne permet pas de faire directement. [10] M e Fiset répète que le nom d’un plaignant est un renseignement confidentiel devant être protégé. Elle est d'avis qu’une firme d’avocats n’est pas une personne morale, mais une société civile de nature commerciale 7 . 2 Corporation d’habitations Jeanne-Mance c. Laroche, [1997] C.A.I. 427 (C.Q.). 3 [1997] 1 R.C.S. 281. 4 Id., 5 sur 11. 5 Id., 6 sur 11; Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.S.C. 60, p. 90. 6 L.R.Q., c. E-3.3. 7 Laiterie de choix inc. c. Ministère de l’Environnement, [1986] C.A.I. 43.
03 05 40 Page : 4 ii) De la demanderesse [11] M e Boily-Monfette soumet ses arguments en soulignant qu’elle ne connaît pas la preuve soumise ex parte. Elle dit partager le principe que le nom d’un plaignant est confidentiel. Elle précise toutefois que cette exception ne peut s’appliquer au nom d’un procureur ou d’une firme d’avocats. En vertu de la Loi, il doit s’agir d’un renseignement nominatif prévu à l’article 53 de la Loi, le nom d’un procureur agissant pour une société en nom collectif ne pouvant se qualifier sous cet article 8 : 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1 o leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2 o ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. [12] M e Boily-Monfette mentionne que la lettre du 11 octobre 2001 indique que le procureur agit à titre de conseiller juridique. Elle répète que son client ne veut pas le nom d’une personne physique, mais bien celui de la firme d’avocats ayant agi au dossier. Elle croit que la communication du nom d’une firme d’avocats, ayant déposé une plainte pour une personne physique, ne dévoile pas le nom d’un plaignant. Elle soutient que l’en-tête de lettre de la firme d’avocats ne peut donner le nom du plaignant, soit-il un client, un employé ou même un avocat de cette firme d’avocats. DÉCISION [13] La discussion en la présente porte sur deux plaintes déposées au DGE. Il est admis que la partie demanderesse a déjà reçu le contenu de ces plaintes, soit les lettres des 11 octobre et 9 novembre 2001. Le seul objet du litige est donc de décider de l’accès au nom de la firme d’avocats ayant été masqué par le DGE sur chacune de ces lettres. 8 Association des propriétaires de cinémas et ciné-parcs du Québec inc. c. Société québécoise de développement de la main-d'œuvre, [1998] C.A.I. 53.
03 05 40 Page : 5 [14] Un renseignement nominatif, selon les termes des articles 54 et 56 de la Loi, est celui qui concerne une personne physique et permet de l’identifier : 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 56. Le nom d'une personne physique n'est pas un renseignement nominatif, sauf lorsqu'il est mentionné avec un autre renseignement la concernant ou lorsque sa seule mention révélerait un renseignement nominatif concernant cette personne. [15] La Loi empêche la communication d’un renseignement nominatif, étant confidentiel selon l’article 53 de la Loi, même lorsqu’il ne subsiste qu’un doute quant à la possibilité d’identifier une personne physique. Entre dans cette catégorie de renseignement nominatif l’identité de l’auteur d’une plainte 9 . [16] La Commission relève d’ailleurs que la Cour Suprême du Canada, dans les affaires R. c. Leipert 10 et Bisaillon c. Keable 11 , traite du privilège des indicateurs de police, lesquels sont, à l’évidence, des personnes physiques. Dans les circonstances, la Commission partage les prétentions du DGE selon lesquelles la Loi protège l’identité d’un plaignant ou d’un indicateur de police, personnes physiques. [17] Toutefois, du cas sous étude, vu la preuve et la vérification de la copie intégrale des lettres des 11 octobre et 9 novembre 2001, remise sous pli confidentiel, j’arrive à la conclusion que celles-ci ne révèlent aucunement un renseignement nominatif au sens de la Loi. Je suis plutôt d’avis que les noms du client et de la firme d’avocats inscrits à chacune des lettres ne sont pas des renseignements visés par les articles 53, 54 et 56 de la Loi. [18] En outre, je n’ai pu trouver de restrictions en vertu de la Loi électorale 12 applicables en la présente. J’ajoute que le litige a été circonscrit à la communication du nom de la firme d’avocats, et non à l’obtention du nom du client. Je réitère que je n’aurais pas eu d’hésitation à interdire la communication du nom d’un plaignant, personne physique, ce qui n’est manifestement pas notre situation. 9 Précitée, note 2. 10 Précitée, note 3. 11 Précitée, note 5. 12 Précitée, note 6, art. 570 et suiv.
03 05 40 Page : 6 POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [19] ACCUEILLE la demande de révision de la demanderesse; [20] PREND ACTE que le litige est limité au nom de la firme d’avocats inscrit à l’en-tête des lettres des 11 octobre et 9 novembre 2001; [21] ORDONNE donc au DGE de ne communiquer à la demanderesse que le nom apparaissant à l’en-tête des lettres des 11 octobre et 9 novembre 2001. MICHEL LAPORTE Commissaire Deveau, Lavoie, Bourgeois, Lalande & Associés (M e Lise Boily-Monfette) Procureurs de la demanderesse M e Lucie Fiset Procureure de l'organisme
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