Dossier : 02 18 15 Date : 20031217 Commissaire : M e Michel Laporte RÉGIE DU LOGEMENT Requérante c. X Intimé DÉCISION L'OBJET DEMANDE DE NE PAS TENIR COMPTE D'UNE DEMANDE D'ACCÈS [1] La Régie du logement (la « Régie ») présente une requête à la Commission d'accès à l'information (la « Commission »), selon les termes de l’article 126 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi »), aux fins de l’autoriser à ne pas tenir compte de la demande d’accès de l’intimé pour obtenir l’ensemble des décisions rendues par la Régie. [2] Une audience a lieu à Montréal le 10 novembre 2003. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
02 18 15 Page : 2 L'AUDIENCE A) LE LITIGE [3] L’intimé confirme qu’il veut « […] accéder aux décisions de la Régie autrement qu’en utilisant les terminaux officiels […] », ceux-ci n’étant uniquement accessibles que pendant les heures normales de travail. Il précise que les renseignements qu’il veut obtenir sont le numéro de la décision, le nom du propriétaire, l’adresse du logement visé par la décision, les noms du locataire et du propriétaire, la raison de la décision et la réclamation autorisée. B) LA PREUVE i) De la Régie M e Louis Levasseur [4] M e Louis Levasseur, secrétaire de la Régie et responsable de l’accès, atteste avoir pris connaissance de la demande d’accès. Il relate que l’intimé, justifiant son inscription à la Commission à titre d’agent de renseignements personnels, veut obtenir, pour des fins de nature commerciale, l’accès aux 233 400 décisions enregistrées jusqu’à maintenant à la Régie. [5] M e Levasseur explique que la Régie détient, depuis le mois de janvier 1999, une banque de décisions à laquelle s’ajoutent 4 000 à 4 500 décisions par mois aux 233 000 existantes actuellement. Outre la décision elle-même, la première page englobe les 11 niveaux d’informations suivants (pièce O-2) : N os 1 et 6 Numéro de dossier; N os 2, 8, 9 et 10 Noms des parties; N o 3 Date de l’audience; N o 4 Date de la signature; N os 5 et 7 Nom du décideur; N o 6 Lieu du bureau régional; N o 11 Logement concerné. [6] M e Levasseur fait remarquer qu’il apparaît toujours aux décisions le nom d’une personne physique. [7] M e Levasseur indique qu’il est possible, à partir du terminal mis à la disposition des parties dans la salle d’attente de la Régie, de consulter ou de
02 18 15 Page : 3 trouver une décision pendant les heures d’ouverture de bureaux. La personne n’a qu’à inscrire soit le numéro du dossier, soit le nom de l’une des parties ou soit un mot-clé. Il précise que le terminal permet un accès à toutes les décisions de la Régie peu importe le lieu de consultation. Il spécifie qu’aucune imprimante n’est branchée à ces terminaux. Une personne voulant obtenir une copie de la décision doit en faire la demande aux préposés de la Régie, lesquels, sur paiement des frais, photocopient la décision demandée. [8] M e Levasseur certifie qu’une consultation à l’aide des terminaux s’effectue à la pièce et que la Régie n’a jamais communiqué toute la banque de ses décisions. [9] M e Levasseur fait valoir que la Régie, selon les termes de l’article 5 de la Loi sur la Régie du logement 2 , peut décider de publier périodiquement un recueil de décisions rendues. De fait, une entente avec la Société québécoise d’information juridique (« Soquij ») permet à celle-ci de publier ce recueil (pièce O-3). Le choix d’insérer une décision au recueil est pris en tenant compte de l’interprétation de l’article de loi en litige, de faits inusités ou d’un nouveau point de droit. Le recueil publié par SOQIJ comprend les décisions de la Régie et celles de la Cour du Québec et de la Cour d’appel. [10] Interrogé par l'intimé, M e Levasseur mentionne qu’il n’existe que des politiques locales concernant l’utilisation des terminaux, et ce, sans contrôle formel. Il reconnaît que certains bureaux locaux restreignent la période d’utilisation du terminal à 15 minutes par personne, aux fins d’en permettre l’accès à un plus grand nombre de personnes possible. ii) De l'intimé [11] L'intimé atteste que sa démarche vise des fins commerciales. Il veut « bâtir » une base de données pouvant être accessible sur son site Internet. Il désire fournir un accès 24 heures sur 24 aux clients dûment enregistrés, lesquels peuvent obtenir, à partir, par exemple, du nom d’un locataire, un profil de celui-ci. Il vise même une éventuelle accessibilité avec la nouvelle génération de téléphones cellulaires. [12] L'intimé cherche un accommodement pour accéder aux décisions se trouvant au terminal, après les heures régulières de travail, parce que, dit-il, il n’est actuellement « pas pratique » de passer en revue toutes les décisions. Selon sa propre évaluation, la vérification de 75 décisions prend une heure. 2 L.R.Q., c. R-8.1.
02 18 15 Page : 4 C) LES ARGUMENTS i) De la Régie [13] La procureure de la Régie, M e Anne Morin, fait valoir que sa cliente est un organisme public et également un tribunal, selon les articles 4, 5 et 28 de sa loi, détenant des dossiers de nature publique assujettis à la Loi : 4. Un organisme, ci-après appelé «la Régie», est institué sous le nom de «Régie du logement». 5. La Régie exerce la compétence qui lui est conférée par la présente loi et décide des demandes qui lui sont soumises. Elle est en outre chargée: 1° de renseigner les locateurs et les locataires sur leurs droits et obligations résultant du bail d'un logement et sur toute matière visée dans la présente loi; 2° de favoriser la conciliation entre locateurs et locataires; 3° de faire des études et d'établir des statistiques sur la situation du logement; 4° de publier périodiquement un recueil de décisions rendues par les régisseurs. 28. La Régie connaît en première instance, à l'exclusion de tout tribunal, de toute demande: 1° relative au bail d'un logement lorsque la somme demandée ou la valeur de la chose réclamée ou de l'intérêt du demandeur dans l'objet de la demande ne dépasse pas le montant de la compétence de la Cour du Québec; 2° relative à une matière visée dans les articles 1941 à 1964, 1966, 1967, 1969, 1970, 1977, 1984 à 1990 et 1992 à 1994 du Code civil; 3° relative à une matière visée à la section II, sauf aux articles 54.5, 54.6, 54.7 et 54.11 à 54.14. Toutefois, la Régie n'est pas compétente pour entendre une demande visée aux articles 645 et 656 du Code de procédure civile (chapitre C-25).
02 18 15 Page : 5 [14] M e Morin avance que la Régie, aux termes des articles 29.1, 55 et 64 de la Loi, est autorisée à recueillir les renseignements ayant un caractère public se trouvant aux décisions 3 : 29.1 La décision rendue par un organisme public dans l'exercice de fonctions quasi judiciaires est publique. Toutefois, un organisme public doit refuser de communiquer un renseignement contenu dans cette décision lorsque celle-ci en interdit la communication, au motif qu'il a été obtenu alors que l'organisme siégeait à huis-clos, ou que celui-ci a rendu à son sujet une ordonnance de non-publication, de non-divulgation ou de non-diffusion ou que sa communication révélerait un renseignement dont la confirmation de l'existence ou la communication doit être refusée en vertu de la présente loi. 55. Un renseignement personnel qui a un caractère public en vertu de la loi n'est pas nominatif. 64. Nul ne peut, au nom d'un organisme public, recueillir un renseignement nominatif si cela n'est pas nécessaire à l'exercice des attributions de cet organisme ou à la mise en œuvre d'un programme dont il a la gestion. [15] M e Morin soumet toutefois que l'intimé veut accéder à l’universalité des décisions (plus de 230 000) pour des fins commerciales, étant un motif non prévu à la Loi 4 . Le mode d’accès énoncé à l’article 10 de la Loi, soumet-elle, ne s’effectue qu’à l’unité et que durant les heures de bureau de la Régie 5 . Les renseignements nominatifs contenus aux documents, le caractère commercial reconnu par l’utilisation que veut faire l'intimé des renseignements 6 et le nombre de documents que comporte l’actuelle demande empêchent et justifient la Régie de ne pas y donner suite, selon les termes des articles 53 et 126 de la Loi : 3 Régie du logement c. Lisi, [1995] C.A.I. 423 (C.Q.). 4 Régie du bâtiment du Québec c. Entreprises E.C.L.M. inc., [1999] C.A.I. 31; Régie du bâtiment du Québec c. Compagnie de gestion Optilog inc., [1999] C.A.I. 176; Ville de La Baie c. Residentex inc., [199] C.A.I. 433. 5 Lampron c. M.R.C. L’Île d’Orléans, [2000] C.A.I. 248. 6 Conseil scolaire de l’Île de Montréal c. Directron Média inc., [1992] C.A.I. 24; Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation c. Services sanitaires Transvick inc., [1998] C.A.I. 225; Régie du bâtiment du Québec c. Ville de Beauport, [1995] C.A.I. 448 (C.Q.); Régie de bâtiment du Québec c. Horizon Date Source inc., [1998] C.A.I. 293.
02 18 15 Page : 6 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1 o leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2 o ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 126. La Commission peut, sur demande, autoriser un organisme public à ne pas tenir compte de demandes manifestement abusives par leur nombre, leur caractère répétitif ou leur caractère systématique. Il en est de même lorsque, de l'avis de la Commission, ces demandes ne sont pas conformes à l'objet des dispositions de la présente loi sur la protection des renseignements personnels. Un membre de la Commission peut, au nom de celle-ci, exercer seul les pouvoirs que le présent article confère à la Commission. ii) De l'intimé [16] L'intimé soumet que son projet, bien que de nature commerciale, ne constitue qu’un nouveau mode de communication via Internet des décisions rendues par la Régie ayant déjà un caractère public. Il prétend que sa demande et l’utilisation qu’il veut faire des renseignements recueillis n’apportent pas une grande distorsion à la Loi. [17] L'intimé prétend que sa reconnaissance d’agent de renseignements personnels par la Loi l’autorise à recevoir les renseignements demandés. Il trouve difficile à comprendre ou concilier, dans les circonstances, qu’on lui refuse la communication de renseignements personnels. Il est d’avis que la Loi l’autorise à posséder ce type de renseignements, étant, de surcroît, des décisions disponibles aux terminaux publics de la Régie. Il réitère que les renseignements sont déjà de nature publique et qu’il ne veut pas altérer ces informations, mais plutôt dresser un profil de ce qui apparaît déjà au contenu de la décision. Il prétend que son projet se conforme à la Loi.
02 18 15 Page : 7 DÉCISION [18] D’entrée de jeu, la Commission signale que l’inscription prévue à l’article 70 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 7 ne sert qu’à la Commission pour la gestion du registre des agents de renseignements personnels (l’« agent ») : 70. Tout agent de renseignements personnels qui exploite une entreprise au Québec doit s'inscrire auprès de la Commission. Est un agent de renseignements personnels toute personne qui, elle-même ou par l'intermédiaire d'un représentant, fait le commerce de constituer des dossiers sur autrui, de préparer et de communiquer à des tiers des rapports de crédit au sujet du caractère, de la réputation ou de la solvabilité des personnes concernées par ces dossiers. [19] Cette inscription de l’agent ne le relève pas des autres obligations prévues à cette loi ou à d’autres lois, notamment au sujet de l’obtention du consentement de la personne concernée ou pour communiquer des renseignements personnels à des tiers. [20] Sur le fond du litige, la preuve démontre que la Régie exerce ses compétences conférées par sa loi dans le cadre de relations locateurs et locataires et recueille donc des renseignements ayant un caractère nominatif. Dans l’affaire Conseil scolaire de l'Île de Montréal c. Directron Média inc. 8 , il est exprimé, au sujet de l’article 126 de la Loi, que : La Commission s’est bien gardée, jusqu’à maintenant, de prendre en considération les intentions du demandeur lorsqu’elle examine en révision le refus signifié par un organisme assujetti à la loi. Dans ce cas-ci en regard de l’article 126 alinéa 2, l’examen des finalités de la demande s’avère indispensable si l’on veut en évaluer la conformité (ou non) à l’objet de la loi en ce qui concerne le volet de la protection des renseignements personnels. De plus, la discrétion reconnue à la Commission, à ce même article 126, par l’inclusion de l’expression « de l’avis de la Commission », justifie cette démarche exceptionnelle. 7 L.R.Q., c. P-39.1. 8 Précitée, note 6, 27-28.
02 18 15 Page : 8 L’organisme m’a convaincu qu’en formulant cette demande d’accès à des renseignements personnels, même à caractère public, l’intention de la demanderesse est de constituer des banques de données informatisées pour dessiner des profils d’individus, le tout à des fins lucratives. […] À la lumière de la démonstration faite par l’organisme, il m’est impossible de ne pas signifier mon accord : la démarche de la demanderesse, envisagée dans sa globalité, aboutit, à mon avis, à un réel détournement du sens de la loi. C’est pourquoi l’organisme doit être autorisé à ne pas tenir compte de cette demande. (soulignements ajoutés) [21] Le même raisonnement a guidé la Commission dans tous les autres dossiers cités par la Régie 9 . [22] Du cas sous étude, l'intimé a justement déclaré son intention d’obtenir les renseignements de la Régie pour dresser un profil d’individus à des fins commerciales. La Commission est d’avis que les renseignements nominatifs colligés par la Régie ne l’ont pas été pour permettre à l'intimé de monter une banque de données visant la constitution, pour des fins lucratives, d’un profil d’individus. Elle autorise donc la Régie à ne pas tenir compte de la demande d’accès. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [23] AUTORISE la Régie à ne pas tenir compte de la demande d’accès de l'intimé. MICHEL LAPORTE Commissaire Cadieux et Associés 9 Précitées, notes 4, 5 et 6.
02 18 15 Page : 9 (M e Anne Morin) Procureurs de la requérante
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.