Dossier : 03 04 29 Date : 20031203 Commissaire : M e Christiane Constant M me X Demanderesse c. Ville de Montréal Organisme public DÉCISION L’OBJET DU LITIGE DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 29 janvier 2003, la demanderesse requiert, par courrier électronique, de M e Jonathan Shecter, secrétaire de l’arrondissement Côte-Saint-Luc/Hampstead/ Montréal-Ouest de la Ville de Montréal (la « Ville »), de lui communiquer copie de tous documents qui se trouvent à son dossier, à l’exception des « feuilles de temps, déductions à la source ou autre (sic) documents se rapportant à la paye ». [2] Le 17 février suivant, M e Shecter, lui transmet, par courriel, un accusé de réception et l’avise qu’elle aura accès à certains documents. [3] Le 28 février, la Ville consent à lui donner copie d’un document relatif à son embauche, mais, pour se faire, elle devra préalablement prendre rendez-vous avec la directrice des Ressources humaines pour pouvoir le consulter et en obtenir copie. Quant aux autres documents pour lesquels l’accès est refusé, la
03 04 29 Page : 2 Ville invoque à cet effet les articles 32, 37 et 5 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi sur l’accès »). [4] Insatisfaite, la demanderesse sollicite, le 3 mars 2003, une demande pour que soit révisée le refus de la Ville auprès de la Commission d’accès à l’information (la « Commission »). L’AUDIENCE [5] Après avoir été remise à deux reprises à la demande de l'organisme, l'audience de cette cause se tient à Montréal, le 17 septembre 2003, en présence de la demanderesse. La Ville, pour sa part, est représentée par M e Hélène Simoneau, du cabinet d’avocats JALBERT SÉGUIN CARON; et par M me Rasha Hojeige, stagiaire en droit. LA PREUVE DE LA DEMANDERESSE [6] La demanderesse, déclare sous serment, que la Ville ne lui a remis aucun document en réponse à sa demande d’accès. [7] Elle déclare également qu’elle travaillait pour la Ville depuis une quinzaine d’années. Elle s’est absentée à plusieurs reprises de son travail particulièrement pour cause de maladie. Elle affirme que le 29 janvier 2003, elle a dû une fois de plus s’absenter pour les mêmes motifs. Alors qu’elle était en arrêt de travail, son état de santé s’est détérioré et elle a fait une dépression nerveuse. Elle précise que son employeur, la Ville, a transmis à un psychiatre des renseignements confidentiels à son sujet indiquant notamment qu’elle « n’est pas une bonne employée ». Elle est congédiée le 11 mars 2003 duquel congédiement s’ensuit un grief qui n’a pas encore abouti. [8] Elle voudrait avoir accès à son dossier d’employée, de manière à ce qu’elle puisse connaître les motifs pour lesquels la Ville aurait indiqué qu’elle « n’est pas une bonne employée », alors qu’elle y a occupé un emploi pendant une quinzaine d’années. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
03 04 29 Page : 3 [9] M e Simoneau indique qu’elle n’a pas de questions à poser à la demanderesse. LA PLAIDOIRIE A) DE M E HÉLÈNE SIMONEAU, POUR LA VILLE [10] D’emblée, l’avocate avise la soussignée qu’elle n’a pas de témoin à faire entendre. Elle précise que la Ville consent à communiquer à la demanderesse une série de soixante-deux documents; elle dépose, sous le sceau de la confidentialité, le dossier d’employée intégral ainsi qu’une liste intitulée « Inventaire des documents contenus au dossier de l’employeur ». L’avocate signale que cette liste préparée pour la Commission, fait la description de chaque document (pièces O-1 à O-76) et que quatorze d’entre eux demeurent en litige. [11] Elle indique que la Ville a l’intention de plaider principalement que les documents en litige constituent une analyse selon les termes de l’article 32 de la Loi sur l’accès et que leur divulgation risque vraisemblablement d’avoir un incidence sur la procédure judiciaire présentement en cours, c’est-à-dire le grief de la demanderesse (pièce O-70) devant être entendu devant un arbitre de griefs. [12] Dans l’éventualité où la Commission décide que les documents litigieux ne constituent pas une analyse, elle entend subsidiairement plaider que ces documents constituent des avis ou recommandations au sens de l’article 37 de ladite loi. [13] L’avocate confirme une partie de la déposition de la demanderesse selon laquelle elle travaillait pour la Ville depuis une quinzaine d’années et qu’elle s’est absentée à plusieurs reprises de son travail pour diverses raisons. La Ville a mis fin à son emploi; ce qui a conduit au dépôt d’un grief actuellement en cours. L’avocate argue que la Commission n’est pas habilitée à entendre une cause en matière de grief; cette compétence étant dévolue à un arbitre de griefs. [14] L’avocate argue que les plus récents documents réfèrent à l’année 2003 et sont en lien direct avec la position de la Ville, lesquels lui sont nécessaires pour la procédure de grief. Elle précise que les documents litigieux peuvent être répartis en deux groupes : a) Une série de documents est constituée d’analyses et de rapports médicaux, à savoir ceux portant les n os de l’inventaire : O-7, O-8, O-21, O-24, O-43, O-44, O-46, O-49, O-54 et O-55;
03 04 29 Page : 4 b) Une autre série représentant d’autres types d’analyses portent les cotes O-23, O-60, O-61 et O-72. [15] L’avocate cite en exemple le document confidentiel (pièce O-8) daté du 11 décembre 1992, émanant d’un médecin du Groupe de santé Médisys inc. où celui-ci, à la demande de l’employeur, fait l’analyse de l’état de santé de la demanderesse. À partir de la quatrième page, ce médecin émet des recommandations. [16] Elle cite de plus en exemple le document confidentiel (pièce O-23) daté du 21 septembre 1999, provenant de l’assureur de la Ville, la Croix Bleue (l’« Assureur ») eu égard à la situation dans laquelle se trouvait alors la demanderesse. L’avocate fournit, parmi les documents en litige, d’autres exemples à partir desquels un médecin tire ses conclusions. B) M me RASHA HOJEIGE, POUR LA VILLE [17] M me Hojeige, stagiaire en droit, présente les arguments de la Ville, en présence de M e Simoneau. L’ARTICLE 32 DE LA LOI SUR L’ACCÈS [18] M me Hojeige plaide que l’article 32 de la Loi sur l’accès accorde un pouvoir discrétionnaire à un organisme public, c’est-à-dire la Ville, à ne pas communiquer une analyse lorsque sa divulgation risque d’avoir un effet sur une procédure judiciaire. Elle soutient que la plupart des documents en litige constituent des analyses rédigées par des médecins au sens de l’article 32; les renseignements personnels que contiennent ces rapports ont été obtenus dans le cadre de la relation employeur/employée, et ils seront débattus devant un arbitre de griefs. [19] Bien que ces renseignements concernent la demanderesse, M me Hojeige invite la soussignée à ne pas permettre la communication de ces documents en raison de la procédure judiciaire présentement en cours, et ce, conformément à la décision C c. Hôpital Ste-Croix 2 . Elle cite également l’affaire Lavoie c. Ville de Montréal 3 , pour laquelle la Commission a décidé notamment que : […] Les documents en litige en tant que diagnostics faits à partir d’observations du patient et de son examen par le médecin sont de nature analytique. […] 2 [1985] 1 C.A.I. 248. 3 [1985] 1 C.A.I. 440.
03 04 29 Page : 5 [20] M me Hojeige réfère à titre d’exemple à la décision Guérette c. Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal 4 , dans laquelle la Commission a conclu à l’application de l’article 32 de la Loi sur l’accès : […] L’examen des documents produits sous le sceau de la confidentialité démontre cette aptitude à retourner au travail en question, ce qui a motivé l’organisme à procéder à un congédiement administratif. Ces documents contiennent des faits concernant la demanderesse, l’analyse de ces faits par les médecins et leur avis concernant l’aptitude de la demanderesse à retourner au travail. Ces documents constituent la preuve de l’organisme devant l’arbitre pour justifier sa décision de terminer l’emploi de la demanderesse. Par conséquent, le soussigné est d’opinion que l’article 32 de la Loi sur l’accès reçoit toute son application dans le présent cas, rendant l’accès aux documents demandés inaccessible […]. C) DE LA DEMANDERESSE [21] La demanderesse, pour sa part, réitère les motifs pour lesquels elle souhaite obtenir copie de son dossier d’employée. LA DÉCISION [22] L’examen des documents se trouvant au dossier de la demanderesse indique que celle-ci travaillait pour la Cité de Côte-Saint-Luc, qui a été fusionnée à la Ville de Montréal et qui est devenue l’arrondissement de Côte-Saint-Luc/ Hampstead / Montréal-Ouest (pièce O-1), d’où l’explication fournie par la demanderesse voulant qu’elle travaillait « pour la Ville depuis quinze ans ». [23] Les documents en litige sont décrits comme suit : • Pièce O-7 : une lettre datée du 10 décembre 1992 émanant de la directrice des ressources humaines pour l’ancienne Cité de Côte-Saint-Luc au Groupe Santé Médisys, à laquelle sont joints divers documents relatifs à l’assurance-invalidité et à une déclaration du médecin traitant de la demanderesse; • Pièce O-8 : un rapport médical daté du 11 décembre 1992 provenant d’un médecin du Groupe de santé Médisys inc., à la demande de l’employeur; 4 [2001] C.A.I. 313.
03 04 29 Page : 6 • Pièce O-21 : une lettre de transmission, par télécopieur, de la Ville à l’Assureur, de la réclamation d’assurance-invalidité de la demanderesse, avec documents annexés; • Pièce O-23 : une lettre de l’Assureur à la directrice des Ressources humaines, en date du 21 septembre 1999; • Pièce O-24 : transmission par télécopieur, le 8 octobre 1999, de la Ville à l’Assureur de la « Déclaration complémentaire du médecin traitant » de la demanderesse. • Pièce O-43 : un certificat médical du médecin traitant de la demanderesse, daté du 12 juin 2002; • Pièce O-44 : transmission par télécopieur, le 31 juillet 2002, de la Ville à l’Assureur d’une « Déclaration complémentaire du médecin traitant »; • Pièce O-46 : une note concernant un message téléphonique relatif à la demanderesse, deux pages frontispices de transmission par télécopieur, auxquelles sont annexés deux formulaires de l’Assureur transmis à son employeur à des dates différentes; • Pièce O-49 : transmission, par télécopieur, le 18 septembre 2002, par la Ville à l’Assureur, d’un formulaire (en deux exemplaires) auquel est annexée une note manuscrite de la demanderesse; • Pièce O-54 : transmission par télécopieur à la Ville d’un rapport préliminaire de l’Assureur, daté du 5 février 2003; • Pièce O-55 : un certificat médical daté du 11 février 2003; • Pièce O-60 : un formulaire de cessation d’emploi dûment complété, le 19 février 2002, auquel est annexé un « Historique des gains assurables » de la demanderesse, un document intitulé « Maintenance des dossiers employés » et un message téléphonique; • Pièce O-61 : une note de service datée du 20 février 2003 traitant de la suspension de la demanderesse par la Ville; • Pièce O-72 : une lettre datée du 28 mai 2003 du bureau de Développement des ressources humaines Canada à la Ville. [24] Les documents en litige sont constitués de renseignements personnels qui concernent directement une personne physique, à savoir la demanderesse, selon les termes de l’article 83 de la Loi sur l’accès et devraient théoriquement lui être accessibles; c’est un droit prépondérant qui lui appartient.
03 04 29 Page : 7 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. Toutefois, un mineur de moins de quatorze ans n'a pas le droit d'être informé de l'existence ni de recevoir communication d'un renseignement nominatif de nature médicale ou sociale le concernant, contenu dans le dossier constitué par l'établissement de santé ou de services sociaux visé au deuxième alinéa de l'article 7. [25] Cependant, ce droit d’accès qui n’est pas absolu, est assujetti aux restrictions législatives se trouvant au chapitre II, de la section II de la Loi sur l’accès, lesquelles visent les articles 18 à 41 de ladite loi, dont l’article 32. Ces restrictions constituant des exceptions au principe général d’accessibilité enchâssé à l’article 83 de la Loi sur l’accès, elles doivent être interprétées restrictivement, tel qu’il est mentionné à la décision P.L. c. Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances 5 . [26] Dans le cas sous étude, la preuve documentaire et testimoniale et non contredite a démontré que la demanderesse a été congédiée au mois de mars 2003. De ce congédiement, découle un grief (pièce O-70) déposé par le Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (le « SCFP »), au nom de la demanderesse, au bureau de l’arrondissement. Ce grief devra être soumis, en temps opportun, à un arbitrage. [27] Cependant, la soussignée retient qu’à l’audience, la Ville consent à lui communiquer copie d’une série de soixante-deux documents, dont la description se trouve à l’inventaire des documents produits sous le sceau de la confidentialité, à l’exception de ceux décrits au paragraphe 23. [28] L’assise légale invoquée par la Ville comme motif de refus est tout d’abord l’article 32 de la Loi de l’accès : 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. 5 [1988] C.A.I. 355 en référence dans Yvon DUPLESSIS et Jean HÉTU, L'accès à l'information et la protection des renseignements personnels. Loi indexée, commentée et annotée, vol. 3, Publications CCH ltée, 2003, folio 210 101.
03 04 29 Page : 8 [29] Pour voir à l’application de cet article, l’organisme doit être en mesure de démontrer que les trois conditions ci-après mentionnées sont respectées 6 : • Que le document en litige répond à la définition d’une analyse; • Qu’une procédure judiciaire est en cours ou à tout le moins qu’il y a de sérieux éléments de preuve de l’imminence d’une procédure judiciaire; • Que la divulgation de cette analyse risquerait vraisemblablement d’avoir un effet sur cette procédure judiciaire. [30] De plus, le mot analyse est défini comme étant une : « Étude faite en vue de discerner les différentes parties d’un tout, de déterminer ou d’expliquer les rapports qu’elles entretiennent les unes avec les autres » 7 . [31] Les auteurs Duplessis et Hétu, pour leur part, indiquent 8 que le mot analyse « est essentiellement une opération intellectuelle de décomposition de problème en ses principaux éléments, une suite de déductions et de conclusions logiques qui s’articule à partir de faits ou de constatations objectives », et ce, tel qu’il est mentionné aux décisions Clennet c. Société d’habitation du Québec 9 et Ami-e-s de la terre de Québec c. Communauté urbaine de Québec 10 , [32] L’examen de la preuve dans la présente cause a démontré que les trois conditions précitées pour voir à l’application de l’article 32 de la Loi sur l’accès sont rencontrées aux pièces O-8, O-21, O-44, O-46, O-54, et O-61. Ces documents constituent une analyse au sens de l’article 32 de ladite loi. Ils semblent être en lien direct avec la procédure de grief actuellement pendante et la divulgation de cette analyse risque vraisemblablement d’avoir un impact sur cette procédure. Ils sont alors inaccessibles à la demanderesse. [33] Quant au document (pièce O-23) émanant de l’Assureur, il représente une demande d’appui adressée à la Ville dans le but de porter davantage une aide à la demanderesse; il lui est accessible. [34] En ce qui a trait aux deux lettres datées respectivement du 8 octobre 1999 (pièce O-24) et du 31 juillet 2002 (pièce O-44), elles ne révèlent aucune information pouvant avoir un effet quelconque dans la procédure de grief actuellement en cours. Ce sont deux transmissions par la Ville à l’Assureur de 6 Idem, 2 e vol., f. 97 401. 7 Le Petit Larousse illustré, Paris, Larousse, 2001, p. 63. 8 Ibidem, note 5, vol. 2, f. 97 407. 9 [1987] C.A.I. 439 en référence dans Idem, f. 97 406. 10 [1993] C.A.I. 27 en référence dans Idem, f. 97 406.
03 04 29 Page : 9 déclarations du médecin traitant de la demanderesse. Ces documents lui sont accessibles et l’article 32 de la Loi sur l’accès ne s’applique pas. [35] En ce qui concerne le document coté O-60, la Ville devra le communiquer à la demanderesse, après avoir masqué la case 18 traitant des commentaires de l’employeur. [36] Quant à la pièce O-70, ce document est accessible à la demanderesse; il indique que le SCFP a déposé un grief, au nom de la demanderesse, contre son employeur, à la suite de son congédiement. En regard de ce document, la soussignée considère que les trois conditions requises pour voir à l’application de l’article 32 de la Loi sur l’accès ne sont pas rencontrées. [37] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE, en partie, la demande de révision de la demanderesse contre la Ville de Montréal; ORDONNE à la Ville de communiquer à la demanderesse copie des documents tels qu'ils sont décrits aux paragraphes 33, 34, 35 et 36. REJETTE, quant au reste, la demande de révision et ferme le présent dossier portant le n o 03 04 29. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Montréal, le 3 décembre 2003 M e Hélène Simoneau JALBERT SÉGUIN CARON Procureurs de la Ville de Montréal
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