Dossier : PP 99 12 93 Date : 3 octobre 2003 Commissaires : M e Hélène Grenier M e Christiane Constant X Plaignant c. MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE Organisme Et MINISTÈRE DU REVENU Organisme intervenant DÉCISION LA PLAINTE [1] Le plaignant prétend que l’organisme a, sans son consentement, communiqué au ministère du Revenu la déclaration statutaire qu’il a faite aux policiers de la Sûreté du Québec, dans la nuit du 13 mars 1997, alors qu’il était interrogé à la suite de son arrestation à son domicile (P-3). [2] Le plaignant appuie sa prétention en indiquant que le 10 juillet 1997, il recevait la visite d’un enquêteur du ministère du Revenu qui lui a exhibé une
PP 99 12 93 Page : 2 copie de cette déclaration statutaire qui n’avait jamais été déposée nulle part ailleurs. [3] Le plaignant souligne avoir ensuite été cotisé pour des revenus additionnels de 43,000.00 $ réalisés durant une période de 2 ans et provenant de la vente de stupéfiants qu’il décrivait dans sa déclaration. Le plaignant souligne également avoir « été cotisé par le fédéral sur la même base avec le même document » (P-3). L'AUDIENCE A) LA PREUVE i) du plaignant [4] Le plaignant ne présente aucune preuve hormis la correspondance (P-1 à P-6) qu’il a eue avec le ministère de la Sécurité publique avant de formuler sa plainte auprès de la Commission. Son procureur admet qu’à la suite de la déclaration statutaire du 13 mars 1997, son client a comparu le même jour et qu’il a reconnu sa culpabilité en septembre 1997 à une accusation de possession de stupéfiants dans le but d’en faire le trafic. ii) de l'organisme [5] L’organisme admet qu’au printemps 1997, compte tenu du mode de fonctionnement du GRICO, monsieur Luc Lachance, vérificateur du ministère du Revenu, a eu accès à la déclaration statutaire du plaignant, déclaration obtenue par les enquêteurs Michel Marcotte et Robert Garnier de la Sûreté du Québec le 13 mars 1997. L’organisme admet également que peu de temps après, à la demande du service d’enquête du ministère du Revenu, une copie de la déclaration statutaire du plaignant leur fut transmise par télécopieur par M. Allan Richard de la Sûreté du Québec. [6] Les renseignements personnels (P-2) ainsi communiqués indiquent essentiellement que le plaignant: • a été arrêté chez lui par des policiers; • leur a signalé les endroits où il cachait les stupéfiants qui lui appartenaient;
PP 99 12 93 Page : 3 • a fait état de ses revenus notamment tirés de la vente de stupéfiants depuis une période déterminée. [7] L’organisme a démontré, ex parte, le mode de fonctionnement et le plan d’action confidentiels du Groupe régional d’intervention contre le crime organisé (GRICO) en 1997. Il a fait état des activités de ce groupe d’intervention et il a établi ce à quoi servaient les activités du GRICO. iii) de l’organisme intervenant [8] La preuve ex parte présentée par le ministère du Revenu a porté sur la nécessité de la collecte, par le ministère du Revenu et pour l’application d’une loi fiscale au Québec, de la déclaration statutaire que lui a communiquée le ministère de la Sécurité publique par l’entremise de la Sûreté du Québec. B) LES ARGUMENTS i) du plaignant [9] La déclaration statutaire du plaignant est confidentielle en vertu de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (« Loi sur l'accès »). La preuve démontre à cet égard que cette déclaration a été communiquée au ministère du Revenu entre mars et juillet 1997. [10] La Loi sur la police habilite les corps policiers à prévenir, détecter et réprimer le crime et les infractions aux lois, alors que le ministère du Revenu est entre autres habilité à lutter contre l’évasion fiscale. La communication de la déclaration statutaire du 13 mars 1997 au ministère du Revenu constitue essentiellement la communication d’un renseignement fiscal effectuée en dehors du mandat légal des policiers. [11] L’article 28 de la Loi sur l'accès prohibe la communication de cette déclaration statutaire parce que la Sûreté du Québec n’a pas le mandat d’appliquer une loi fiscale : 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu
PP 99 12 93 Page : 4 par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible: 1° d'entraver le déroulement d'une procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires; 2° d'entraver le déroulement d'une enquête; 3° de révéler une méthode d'enquête, une source confidentielle d'information, un programme ou un plan d'action destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois; 4° de mettre en péril la sécurité d'une personne; 5° de causer un préjudice à une personne qui est l'auteur du renseignement ou qui en est l'objet; 6° de révéler les composantes d'un système de communication destiné à l'usage d'une personne chargée d'assurer l'observation de la loi; 7° de révéler un renseignement transmis à titre confidentiel par un corps de police ayant compétence hors du Québec; 8° de favoriser l'évasion d'un détenu; ou 9° de porter atteinte au droit d'une personne à une audition impartiale de sa cause. Il en est de même pour un organisme public, que le gouvernement peut désigner par règlement conformément aux normes qui y sont prévues, à l'égard d'un renseignement que cet organisme a obtenu par son service de sécurité interne, dans le cadre d'une enquête faite par ce service et ayant pour objet de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, susceptibles d'être commis ou commis au sein de l'organisme par ses membres, ceux de son conseil d'administration ou son personnel, lorsque sa divulgation serait susceptible
PP 99 12 93 Page : 5 d'avoir l'un des effets mentionnés aux paragraphes 1° à 9° du premier alinéa. [12] Le 2 ième alinéa de l’article 59 de la Loi sur l'accès, qui autorise la communication exceptionnelle de renseignements nominatifs dans certains cas déterminés et selon des conditions strictes, ne s’applique pas à la communication illégale de la déclaration statutaire : 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. Toutefois, il peut communiquer un tel renseignement sans le consentement de cette personne, dans les cas et aux strictes conditions qui suivent: 1° au procureur de cet organisme si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi que cet organisme est chargé d'appliquer, ou au Procureur général si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi applicable au Québec; 2° au procureur de cet organisme, ou au Procureur général lorsqu'il agit comme procureur de cet organisme, si le renseignement est requis aux fins d'une procédure judiciaire autre qu'une procédure visée dans le paragraphe 1 o ; 3° à une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, si le renseignement est requis aux fins d'une poursuite pour infraction à une loi applicable au Québec; 4° à une personne à qui cette communication doit être faite en raison d'une situation d'urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne concernée; 5° à une personne qui est autorisée par la Commission d'accès à l'information, conformément à l'article 125, à
PP 99 12 93 Page : 6 utiliser ce renseignement à des fins d'étude, de recherche ou de statistique; 6° (paragraphe abrogé); 7° (paragraphe abrogé); 8° à une personne ou à un organisme, conformément aux articles 61, 67, 67.1, 67.2, 68 et 68.1. 9° à une personne impliquée dans un événement ayant fait l'objet d'un rapport par un corps de police, lorsqu'il s'agit d'un renseignement sur l'identité de toute autre personne qui a été impliquée dans cet événement, sauf s'il s'agit d'un témoin, d'un dénonciateur ou d'une personne dont la santé ou la sécurité serait susceptible d'être mise en péril par la communication d'un tel renseignement. [13] L’article 67 de la Loi sur l'accès, exception à laquelle réfère le 2 ième alinéa de l’article 59 précité, ne peut s’appliquer parce que le ministère de la Sécurité publique ne s’est pas conformé aux prescriptions de l’article 67.3 de cette loi : 67. Un organisme public peut, sans le consentement de la personne concernée, communiquer un renseignement nominatif à toute personne ou organisme si cette communication est nécessaire à l'application d'une loi au Québec. 67.3 Un organisme public doit inscrire, dans un registre tenu conformément aux règles établies par la Commission, toute communication de renseignements nominatifs visée aux articles 67, 67.1, 67.2, 68 et 68.1, à l'exception de la communication d'un renseignement nominatif requis par une personne ou un organisme pour imputer, au compte d'un membre d'un organisme public, de son conseil d'administration ou de son personnel, un montant dont la loi oblige la retenue ou le versement; Le registre comprend notamment:
PP 99 12 93 Page : 7 1° la nature ou le type des renseignements communiqués; 2° les personnes ou organismes qui reçoivent cette communication; 3° l'usage projeté de ces renseignements; 4° les raisons justifiant cette communication; 5° (paragraphe abrogé). [14] Le défaut, par le ministère de la Sécurité publique, de se conformer aux prescriptions de l’article 67.3 de la Loi sur l’accès invalide la communication de la déclaration statutaire. Cette déclaration a conséquemment été obtenue illégalement par le ministère du Revenu qui doit la détruire. [15] L’article 67 de la Loi sur l’accès est une disposition facultative. La déclaration statutaire a été communiquée facultativement, sans autorisation spécifique; le caractère facultatif de la communication effectuée sans habilitation spécifique démontre l’absence de nécessité de cette communication. [16] Tel que le démontre la preuve, aucune entente écrite relative à la communication de cette déclaration n’existait au moment où elle a été communiquée. Le 2 ième paragraphe de l’article 68 de la Loi sur l'accès ne peut, non plus, recevoir application : 68. Un organisme public peut, sans le consentement de la personne concernée, communiquer un renseignement nominatif: 1° à un organisme public lorsque cette communication est nécessaire à l'exercice des attributions de l'organisme receveur ou à la mise en oeuvre d'un programme dont cet organisme a la gestion; 2° à une personne ou à un organisme lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient. Ces communications s'effectuent dans le cadre d'une entente écrite. [17] La déclaration statutaire du 13 mars 1997 n’équivaut pas à une accusation portée publiquement. La communication de cette déclaration n’était
PP 99 12 93 Page : 8 pas nécessaire au plaignant pour reconnaître sa culpabilité devant un tribunal criminel; le ministère du Revenu pouvait se satisfaire de cette reconnaissance de culpabilité et n’avait pas besoin de la déclaration statutaire. ii) de l’organisme [18] L’article 67 de la Loi sur l'accès habilite le ministère de la Sécurité publique à communiquer, à sa discrétion, la déclaration statutaire du plaignant au ministère du Revenu : 67. Un organisme public peut, sans le consentement de la personne concernée, communiquer un renseignement nominatif à toute personne ou organisme si cette communication est nécessaire à l'application d'une loi au Québec. [19] L’article 67, précité, légalise la communication de la déclaration statutaire visée par la plainte, ce, même sans le consentement du plaignant. Cette disposition constitue une autorisation d’agir légalement. [20] Le défaut du ministère de la Sécurité publique de se conformer à l’article 67.3 de la Loi sur l'accès n’invalide pas la communication de cette déclaration. [21] L’article 68 de la Loi sur l'accès ne s’applique pas en l’espèce : 68. Un organisme public peut, sans le consentement de la personne concernée, communiquer un renseignement nominatif: 1° à un organisme public lorsque cette communication est nécessaire à l'exercice des attributions de l'organisme receveur ou à la mise en oeuvre d'un programme dont cet organisme a la gestion; 2° à une personne ou à un organisme lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient. Ces communications s'effectuent dans le cadre d'une entente écrite.
PP 99 12 93 Page : 9 [22] Le plaignant a consenti, en faisant sa déclaration statutaire, à ce qu’elle soit publiquement utilisée contre lui. Le plaignant devait s’attendre à l’utilisation publique de son aveu relatif au trafic de stupéfiants. L’article 67 de la Loi sur l'accès s’applique et autorise la communication de cette déclaration au ministère du Revenu qui est habilité à lutter contre l’économie souterraine. iii) de l’organisme intervenant (le Ministère du Revenu) [23] L’article 67 de la Loi sur l'accès autorise le ministère du Revenu à procéder à la collecte de la déclaration statutaire du 13 mars 1997. La collecte de cette déclaration auprès de la Sûreté du Québec était nécessaire à l’application d’une loi fiscale au Québec. [24] Le ministère du Revenu a démontré la nécessité de sa participation au groupe régional d’intervention contre le crime organisé (GRICO). [25] Le ministère du Revenu a démontré son intérêt ainsi que ses activités en ce qui concerne l’économie souterraine. [26] Le ministère du Revenu a particulièrement démontré comment sa présence au sein du groupe régional d’intervention lui permettait de vérifier et de déterminer la nécessité de la collecte de renseignements d’intérêt fiscal. [27] Le défaut du ministère de la Sécurité publique de se conformer aux prescriptions de l’article 67.3 de la Loi sur l’accès n’a aucunement pour effet d’invalider la communication de la déclaration statutaire du plaignant. L’article 67.3 prévoit la tenue d’un registre dans lequel sont inscrites les communications de renseignements nominatifs faites en vertu de certaines dispositions de la loi précitée, ce, dans le but : • d’informer sur la nature ou le type de renseignements communiqués, sur les personnes ou organismes qui reçoivent les communications, sur l’usage projeté des renseignements ainsi que sur les raisons justifiant la communication; • de permettre aux personnes ainsi informées de porter plainte, s’il y a lieu. [28] L’article 68 de la Loi sur l'accès ne s’applique pas à la communication de la déclaration statutaire puisque cette communication n’était pas justifiée par des circonstances exceptionnelles. La lutte à l’économie souterraine existe afin de taxer, en vertu d’une loi fiscale qui s’applique, les revenus qui en résultent.
PP 99 12 93 Page : 10 [29] Le plaignant n’a subi aucun préjudice du fait de la communication légale de sa déclaration statutaire du 13 mars 1997 et de l’application d’une loi fiscale. [30] La communication de la déclaration statutaire a été effectuée pour l’exercice des fonctions du ministère du Revenu. [31] Il n’existe aucune corrélation entre l’acte criminel et le fait fiscal. Le ministère du Revenu devait avoir accès à la déclaration statutaire même si elle est confidentielle. L’exercice des fonctions de ce ministère n’est pas tributaire de la publicité accordée à certains renseignements personnels; le ministère du Revenu peut, en vertu de l’article 67 précité, procéder à la collecte de renseignements nominatifs. DÉCISION [32] La question qui doit être tranchée ne concerne que la légalité de l’accès à la déclaration statutaire du plaignant qui a été donné au ministère du Revenu par le ministère de la Sécurité publique. [33] Les règles régissant la protection des renseignements personnels sont prévues par les articles 53 et suivants de la Loi sur l'accès. La déclaration statutaire signée par le plaignant en mars 1997 est substantiellement constituée de renseignements personnels qui le concernent et qui sont visés par sa plainte. [34] Cette déclaration statutaire renseigne essentiellement sur les activités illégales et lucratives du plaignant; des accusations criminelles de même qu’une vérification, une enquête et une cotisation effectuées par le fisc ont, en vertu de la loi, résulté de la communication de cette déclaration statutaire. [35] La communication de la déclaration statutaire du 13 mars 1997 n’a pas, selon la preuve faite, causé de préjudice au plaignant. Seule l’application d’une loi fiscale en a résulté. [36] Le ministère du Revenu a démontré la nécessité de la collecte, par lui, de la déclaration statutaire du plaignant : cette collecte était, compte tenu des revenus réalisés mais non déclarés au fisc par le plaignant conformément à la loi, nécessaire à l’application d’une loi fiscale par cet organisme. [37] L’article 67 de la Loi sur l'accès autorise le ministère de la Sécurité publique à communiquer au ministère du Revenu des renseignements
PP 99 12 93 Page : 11 personnels confidentiels si cette communication est nécessaire à l’application d’une loi au Québec, et ce, sans le consentement de la personne concernée par ces renseignements. Corollairement, l’article 67 autorise la collecte, par le ministère du Revenu et auprès du ministère de la Sécurité publique, de renseignements personnels confidentiels nécessaires à l’application d’une loi au Québec, ce, sans le consentement de la personne concernée par ces renseignements. [38] La plainte n’est pas fondée, conséquemment. [39] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE la plainte. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire HÉLÈNE GRENIER Commissaire M e François Leduc Avocat du plaignant M e Claude Gagnon Avocat du ministère de la Sécurité publique M e Nancy Morency Avocate du ministère du Revenu
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