Dossier : 02 14 64 Date : 2003.08.04 Commissaire : M e Diane Boissinot DÉCISION L’OBJET DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D’ACCÈS formulée en vertu de l’article 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels [1] Le 31 juillet 2002, l’avocat de la demanderesse s’adresse à la Sûreté du Québec, agissant sous l’autorité de l’organisme, afin d’obtenir copie du rapport de police numéro 245-010810-002 et l’identité des trois enfants mineurs responsables des dommages causés aux biens de l’assurée, sa cliente. 1 L.R.Q., c. A-2.1, ci-après appelée « la Loi » ou « la Loi sur l’accès ».COMPAGNIE CANADIENNE D’ASSURANCES GÉNÉRALES LOMBARD (l’assureur) subrogée aux droits de COMMISSION SCOLAIRE DU FER (l’assurée) Demanderesse c. MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE Organisme 1 .
02 14 64 Page : 2 [2] Le 26 août 2002, le responsable de l’accès à l’information de l’organisme (le Responsable) reçoit la demande à ses bureaux et, le 11 septembre suivant, se prévaut du délai supplémentaire de 10 jours en sus du délai de 20 jours prévu pour répondre à la demande d’accès. [3] Le 18 septembre 2002, le Responsable refuse l’accès au rapport d’enquête demandé pour les motifs qui suivent : […] En effet, celui-ci est constitué notamment de renseignements nominatifs concernant des tiers et d’avis qui ne peuvent être divulgués conformément aux articles 9, 28 par. (1) , 32, 53, 54, 59 et 88 de la Loi sur l’accès. De plus, la communication de ces documents pourrait entraver le déroulement d’une procédure devant une personne ou un organisme exerçant des fonctions judiciaires. [4] Le 23 septembre suivant, l’avocat de la demanderesse formule à la Commission d’accès à l’information (la Commission) une demande de révision de cette décision et une audience se tient en la ville de Montréal, le 25 mars 2003. L’AUDIENCE LA PREUVE i) de l’organisme Témoignage de monsieur André Marois, Responsable [5] Monsieur Marois dépose, sous pli confidentiel à la Commission, les documents en litige composant le dossier d’enquête de la Sûreté du Québec numéro 245-010810-002. [6] Le dossier complet d’enquête contient 51 feuillets numérotés au bas à droite de chacun des feuillets. [7] Le dossier d’enquête est composé des documents suivants que l’on peut repérer aux feuillets (F) indiqués ci-après : • Des dénonciations (F 1 et 7)
02 14 64 Page : 3 • Des recommandations-Orientations du Directeur de la protection au substitut du procureur général (F 2 et 8) • Des évaluations de la preuve et orientation (F 3 et 9) • Des demandes d’intenter des procédures (F 4, 5, 10 et 11) • Des listes de témoins à assigner (F 6 et 12) • La rédaction du rapport d’enquête (F 13 et 14) • Le précis des faits (F 15 à 22) • Une note à l’intention de monsieur Ricard (F 23) • Des déclarations d’enfants mineurs et d’autres personnes (F 24 à 39) • Un rapport d’expertise – scènes de crime (F 40) • Une autorisation à saisie (F 41) • Des rapports à la suite d’une saisie sans mandat (F 42 à 44) • Un rapport d’événement 245-010810-002 (F 46 à 49) • Des notes manuscrites du ou des policiers F 50 et 51) [8] Le Responsable indique, pour chacun des feuillets, quelles sont les dispositions de la Loi qui justifient le refus de communiquer parmi celles qu’il avait mentionnées de façon plus générale dans la réponse du 18 septembre 2002, sous examen, soit les articles 9 alinéa deuxième, 28 paragraphe 3°, 32, 53, 59, 59, alinéa deuxième, paragraphe 9°. Il n’invoque plus les articles 28 paragraphe 1° et 88 de la Loi. [9] Il ajoute à cette série les articles 44.1 (5) et 44.2 (2) de la Loi sur les jeunes contrevenants 2 et l’article 11.2 de la Loi sur la protection de la jeunesse 3 . ii) de la demanderesse [10] L’avocat de la demanderesse dépose, en liasse sous la cote D-1, les mises en demeure envoyées aux parents des enfants que la demanderesse soupçonne être les auteurs des actes criminels reprochés. [11] Ces mises en demeure sont immédiatement frappées, par la Commission, d’un interdit de publication, de diffusion et de communication dans le but de protéger l’identité des enfants soupçonnés et de celle de leurs parents et autres renseignements nominatifs les concernant. 2 L.R.C., ch. Y-1, ci-après appelée la « LJC ». 3 L.R.Q., c. P-34.1, ci-après appelée la « LPJ ».
02 14 64 Page : 4 REPRÉSENTATIONS i) de l’organisme [12] L’avocate de l’organisme plaide que les dispositions d’une loi fédérale prévalent sur celles d’une loi d’une législature provinciale lorsque les dispositions de l’une sont inconciliables avec les dispositions de l’autre. [13] La LJC, loi édictée par une législature du Parlement du Canada, stipule, en son article 44.2 (2), ce qui suit : 44.2 (1) […] (2) Un agent de la paix peut communiquer à une compagnie d'assurance des renseignements contenus dans un dossier tenu en application de l'article 42 pour l'investigation d'une réclamation découlant d'une infraction commise par l'adolescent visé par le dossier ou qui lui est imputée. [14] Cette disposition est incompatible avec les dispositions de la Loi sur l’accès invoquées d’abord par le Responsable, à l’exception du paragraphe 9° de l’alinéa deuxième de l’article 59 de la Loi qui permet la divulgation de certains renseignements nominatifs contenus au rapport en litige à certaines personnes et de l’article 32 de la Loi qui est d’application facultative par l’organisme. [15] En effet, la LJC autorise la divulgation à un assureur, par l’agent de la paix, de n’importe quel des renseignements contenus dans le rapport qui permet l’investigation d’une réclamation découlant d’une infraction commise par un adolescent, infraction qui est l’objet du dossier d’enquête, ce que prohibent les articles 53, 28 et 59, alinéa premier de la Loi sur l’accès pour les renseignements qu’ils visent. [16] Dans les circonstances, l’avocate de l’organisme soutient qu’il convient de respecter les règles particulières d’accès prévues à la LJC, notamment à ses articles 44.1, 44.2 et 45, 45.01, 45.1 et 45.2.
02 14 64 Page : 5 [17] La Commission a respecté ces règles particulières dans les affaires Thiffault, Yergeau et Boucher 4 . [18] Dans le cas qui nous occupe, l’avocate est d’avis que la LJC laisse à l’agent de la paix l’entière discrétion de révéler ou non à l’assureur les renseignements visés par l’article 44.2 (2) de cette loi. ii) de la demanderesse [19] L’avocat de la demanderesse estime qu’il serait judicieux d’avoir les noms des bonnes personnes avant d’intenter une action contre elles. Il plaide que l’article 44.2 (2) de la LJC a été édicté justement à cette fin. [20] Il soutient que la rédaction de l’article 44.2 de la LJC consacre davantage un droit clair d’accès automatique à l’assureur qu’elle n’institue une discrétion totale de l’agent de la paix de divulguer ou non ou une permission de le faire sans transgresser cette loi. [21] La jurisprudence a reconnu qu’une rédaction législative employant le mot « peut » signifie parfois l’octroi d’un droit en faveur du bénéficiaire. [22] Il est de l’intérêt de la justice que l’assureur puisse instituer sa poursuite contre la bonne personne. LA DÉCISION [23] La preuve et l’examen des documents en litige établissent que ces derniers font tous partie d’un dossier visé par l’article 42 de la LJC : 42. Le dossier relatif à une infraction imputée à un adolescent comportant, notamment, l’original ou une reproduction des empreintes digitales ou de toute photographie de l’adolescent peut être tenu par le corps de police qui a mené l’enquête à ce sujet ou qui a participé cette enquête. 4 Thiffault c. Québec (ministère de la sécurité publique), [1989] CAI 139; Yergeau, Ménard et associés c. Joliette (Ville de), [1989] CAI 58, 59, 50 et 61; Boucher c. Lachenaie (Ville de), [2000] CAI 258.
02 14 64 Page : 6 [24] En vertu de cette dernière loi, un régime particulier d’accès est prévu pour ce type de dossiers 5 . [25] Le Responsable a, soit dans sa réponse sous examen, soit durant l’audience, invoqué plusieurs dispositions à l’appui de son refus de communiquer la totalité des documents en litige. [26] Il s’agit des articles 9 alinéa deuxième, 28 alinéa premier, paragraphe 3°, 32, 53, 59 alinéa premier, 59 alinéa deuxième, paragraphe 9° de la Loi, de l’article 44.2 de la LJC et de l’article 11.2 de la LPJ. [27] Tout d’abord, la Commission est d’avis que l’article 11.2 de la LPJ ne s’applique pas en l’espèce. En effet, la preuve et l’examen des documents en litige convainquent la Commission que les renseignements en cause ne sont pas cueillis dans le cadre de l’application de cette Loi : 11.2 Les renseignements recueillis dans le cadre de l'application de la présente loi concernant un enfant ou ses parents et permettant de les identifier sont confidentiels et ne peuvent être divulgués par qui que ce soit, sauf dans la mesure prévue au chapitre IV.1. [28] La Commission, de la preuve et du même examen, est aussi convaincue que le paragraphe 9° du deuxième alinéa de l’article 59 de la Loi est inapplicable au présent dossier parce que l’assureur n’est pas une « personne impliquée » au sens de ce paragraphe 6 : 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. Toutefois, il peut communiquer un tel renseignement sans le consentement de cette personne, dans les cas et aux strictes conditions qui suivent: 1 o […] 9 o à une personne impliquée dans un événement ayant fait l'objet d'un rapport par un corps de police, lorsqu'il s'agit d'un 5 Lire notamment ses articles 44.1, 44.2 et 45, 45.01, 45.1 et 45.2. 6 Assurance royale (L’) c. Bureau du commissaire des incendies de la ville Québec, [1998] CAI 215, 223.
02 14 64 Page : 7 renseignement sur l'identité de toute autre personne qui a été impliquée dans cet événement, sauf s'il s'agit d'un témoin, d'un dénonciateur ou d'une personne dont la santé ou la sécurité serait susceptible d'être mise en péril par la communication d'un tel renseignement. [29] Restent les articles 9 alinéa deuxième, 28 alinéa premier, paragraphe 3°, 32, 53, 59, 59 alinéa deuxième, paragraphe 9° de la Loi et l’article 44.2 de la LJC. [30] D’une part, les articles 28, 53 et le premier alinéa de l’article 59 de la Loi prohibent toute divulgation des renseignements qu’ils visent et le deuxième alinéa de l’article 9 de la Loi exclut le type de renseignements qu’il mentionne de l’application de la Loi, donc empêche l’accès en vertu du premier alinéa de l’article 9 : 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d’accès aux documents d’un organisme public. Ce droit ne s’étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature. 28. Un organisme public doit refuser de confirmer l'existence ou de donner communication d'un renseignement obtenu par une personne qui, en vertu de la loi, est chargée de prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois, lorsque sa divulgation serait susceptible: […] 3° de révéler une méthode d'enquête, une source confidentielle d'information, un programme ou un plan d'action destiné à prévenir, détecter ou réprimer le crime ou les infractions aux lois; 4° […]
02 14 64 Page : 8 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1 o leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2 o ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 59. Un organisme public ne peut communiquer un renseignement nominatif sans le consentement de la personne concernée. […] [31] D’autre part, les articles 32 de la loi et 44.2 (2) de la LJC laissent la discrétion de divulguer ou non les renseignements ou les documents qu’ils visent : 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. 44.2 (1) […] (2) Un agent de la paix peut communiquer à une compagnie d'assurance des renseignements contenus dans un dossier tenu en application de l'article 42 pour l'investigation d'une réclamation découlant d'une infraction commise par l'adolescent visé par le dossier ou qui lui est imputée. [32] À chaque fois que la Loi sur l’accès oblige l’organisme à protéger les renseignements qu’il détient dans le dossier en litige, elle le fait en application de
02 14 64 Page : 9 dispositions inconciliables avec l’article 44.2 (2) de la LJC qui octroie à l’agent de la paix l’entière discrétion de les rendre accessibles à l’assureur ou non. [33] Seul l’article 32 de la Loi sur l’accès est conciliable avec cette disposition de la LJC. En effet, en principe, l’organisme peut, à sa discrétion, divulguer ou ne pas divulguer une analyse visée par cette disposition. Il a choisi de ne pas le faire ici, comme il le pouvait en vertu de l’article 44.2 (2). [34] Un principe de droit constitutionnel bien établi donne prépondérance à toute loi du Canada promulguée dans les limites de sa compétence lorsque les dispositions d’une loi d’une province sont inconciliables avec ses dispositions. La LJC est une Loi du gouvernement du Canada et les dispositions de la Loi sur l’accès invoquées ici à l’appui du refus sont inconciliables avec les siennes, sauf pour ce qui est des analyses visées par l’article 32 de la Loi sur l’accès. [35] L’organisme peut, par son responsable de l’accès, exercer la discrétion lui résultant de l’article 32 de la Loi sur l’accès et de l’article 44.2 (2) de la LJC en refusant au demandeur l’accès, pour consultation, de l’ensemble des renseignements ou des documents en litige. [36] POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission FRAPPE D’UN INTERDIT DE PUBLICATION, de diffusion et de divulgation les documents déposés en liasse sous la cote D-1; et REJETTE la demande de révision. Québec, le 4 août 2003 DIANE BOISSINOT Commissaire Avocate de l’organisme : M e Dominique Legault Avocat de la demanderesse : M e Jean-François Germain
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