Dossiers : 02 07 98 02 10 89 Date : 20030716 Commissaire : M e Michel Laporte X Demandeurs c. MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX Organisme DÉCISION L'OBJET DEMANDE DE RÉVISION DOSSIER N O 02 07 98 [1] Le 16 avril 2002, la procureure des demandeurs, M e Nathalie Croteau, écrit à M. Claude Lamarre, du Service des ressources documentaires du ministère de la Santé et des Services sociaux (le « Ministère »), en ces termes : Nous représentons [les demandeurs] dans une action civile contre le Carrefour des jeunes de Montréal, la Communauté urbaine de Montréal, M. Gilles Beaulieu et le Procureur général suite aux événements qui ont mené à la tenue de la Commission d’enquête Gagnon.
02 07 98 Page : 2 02 10 89 Vous nous avez déjà fait parvenir copie des transcriptions du témoignage de M. Claude Élie de la CUM devant la commission d’enquête Gagnon. Maintenant nous désirons obtenir copie des transcriptions des témoignages des enfants : [elle nomme le nom des 5 enfants] rendus devant la Commission d’enquête Gagnon. Ces transcriptions nous sont nécessaires afin de préparer adéquatement notre dossier. (Les crochets sont du soussigné) [2] Le 3 mai 2002, le Ministère invoque les articles 29.1, 53, 54 et 59 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi ») pour lui refuser l’accès aux renseignements demandés. [3] Le 24 mai suivant, M e Croteau sollicite l’intervention de la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») pour qu’elle révise cette décision du Ministère. DOSSIER N O 02 10 89 [4] Le 4 juin 2002, M e Croteau écrit de nouveau à M. Lamarre du Ministère ce qui suit : […] Nous désirons obtenir copie des transcriptions des témoignages des personnes suivantes : Gaston Villeneuve (19.09.88), Lise Ouellet-Brumat (19.09.88, 23.09.88, 26.09.88) et Rosanne Charpentier (26.09.88, 26.09.88, 3.10.88) rendus devant la Commission d’enquête Gagnon. Ces transcriptions nous sont nécessaires afin de préparer adéquatement notre dossier. [5] Le 26 juin 2002, le Ministère avise M e Croteau que les témoignages de M. Gaston Villeneuve, M mes Lise Ouellet-Brumat et Rosanne Charpentier lui sont accessibles, à l’exception des renseignements permettant d’identifier une autre personne au sens de l’article 88 de la Loi. Le Ministère ajoute qu' : 1 L.R.Q., c. A-2.1.
02 07 98 Page : 3 02 10 89 ! en vertu du décret 1678-87 qui précise que la Commission d’enquête Gagnon doit faire rapport en prenant soin d’exclure de ce rapport tout renseignement nominatif de façon à sauvegarder la réputation des personnes impliquées; ! en vertu des articles 5 et 6 des règles de pratique et procédure d’audiences publiques : • les noms des enfants qui témoignent lors des audiences de la Commission, de même que ceux qui ont résidé ou résidant du Centre d’accueil, ainsi que toute information de nature à permettre leur identification, ne doivent faire l’objet d’aucune publication; • les noms des employés du centre d’accueil, de même que toute autre personne contre lesquelles des allégations d’abus sexuels impliquant des enfants du centre d’accueil ont été formulées, ne doivent faire l’objet d’aucune publication. [6] Le 9 juillet 2002, M e Croteau conteste également cette décision du Ministère. [7] Le 26 juin 2003, une audience a lieu à Montréal. L'AUDIENCE A) LE LITIGE [8] Le litige porte sur l’accès aux transcriptions sténographiques des témoignages rendus par cinq enfants (dossier n o 02 07 98) et aux parties masquées de ceux livrés par des adultes à la Commission d'enquête portant sur des allégations d'abus sexuels impliquant des enfants résidant dans un centre d'accueil de la région de Montréal 2 (la « Commission Gagnon ») (pièce O-1) (dossier n o 02 10 89). La Commission a reçu une preuve commune pour les deux dossiers. 2 Commission d’enquête portant sur des allégations d’abus sexuels impliquant des enfants résidant dans un centre d’accueil de la région de Montréal, M e Jean-Denis Gagnon, président de la Commission, juin 1989, 290 pages.
02 07 98 Page : 4 02 10 89 B) LA PREUVE Du Ministère i) Dossier n o 02 07 98 L’accès aux témoignages rendus par des enfants [10] M. Claude Lamarre, chef du Service des ressources documentaires et responsable de l’accès, atteste avoir trouvé tous les documents recherchés par les demandeurs, ceux-ci étant conservés semi-actifs aux archives du Ministère. En raison du type de demande, il souligne avoir consulté la Direction des affaires juridiques du Ministère pour déterminer de l’accessibilité ou non aux documents exigés par les demandeurs. [11] M. Lamarre explique que les documents requis par les demandeurs sont des témoignages ayant été rendus dans le cadre de la Commission Gagnon (pièce O-1). Cette dernière était présidée par M e Jean-Denis Gagnon et celui-ci remet son rapport au mois de juin 1989. [12] M. Lamarre dépose également les Recommandations et le mandat confié à M e Gagnon par décret gouvernemental 3 , les Règles de pratique et de procédure adoptées par la Commission Gagnon, la décision rendue le 2 mai 1989 par la Cour d’appel du Québec l’opposant à Southam inc. 4 et la décision rendue par la Cour supérieure, le 21 décembre 1988, sur une requête en évocation 5 (pièce O-2 en liasse). [13] M. Lamarre signale que sa décision de ne pas communiquer les témoignages rendus par les enfants dans le cadre de l’enquête s’inspire des dispositions de la Loi, du décret instituant la Commission Gagnon et des Règles de pratique et de procédure adoptées par celle-ci. Il remet à la Commission, sous pli confidentiel, les documents demeurant en litige. [14] M. Lamarre invoque les articles 29.1, 53 et 54 de la Loi, le paragraphe c) du décret gouvernemental et les articles 5 et 6 des Règles de pratique et de 3 Décret n o 1678-87, 4 novembre 1987. 4 Gagnon c. Southam inc., C.A. Montréal, n o 500-09-000631-887, 2 mai 1989, jj. Bisson, Mailhot et Richard. 5 Centre d'accueil… c. Gagnon, C.S. Montréal, n o 500-05-013201-882, 21 décembre 1988, j. Vaillancourt.
02 07 98 Page : 5 02 10 89 procédure de la Commission Gagnon pour refuser l’accès aux documents demandés : 29.1 La décision rendue par un organisme public dans l'exercice de fonctions quasi judiciaires est publique. Toutefois, un organisme public doit refuser de communiquer un renseignement contenu dans cette décision lorsque celle-ci en interdit la communication, au motif qu'il a été obtenu alors que l'organisme siégeait à huis-clos, ou que celui-ci a rendu à son sujet une ordonnance de non-publication, de non-divulgation ou de non-diffusion ou que sa communication révélerait un renseignement dont la confirmation de l'existence ou la communication doit être refusée en vertu de la présente loi. 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1 o leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2 o ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. Décret n o 1678-87 c) faire rapport en prenant soin d’exclure de ce rapport tout renseignement nominatif de façon à sauvegarder la réputation des personnes impliquées;
02 07 98 Page : 6 02 10 89 Règles de pratique et de procédure 5. Les noms des enfants qui témoignent lors des audiences de la Commission, de même que de ceux qui ont résidé ou résident au centre d’accueil, ainsi que toute information de nature à permettre leur identification ne doivent faire l’objet d’aucune publication. 6. Les noms des employés du centre d’accueil, de même que de toute autre personne contre lesquels des allégations d’abus sexuels impliquant des enfants du centre d’accueil ont été formulées, ne doivent faire l’objet d’aucune publication. [15] Interrogé par M e Croteau, M. Lamarre relate avoir demandé l’aide des Services juridiques pour évaluer la demande d’accès, considérant que les demandeurs étaient des personnes sur qui pesaient des allégations d’abus sexuels visées dans le cadre de la Commission Gagnon. [16] M. Lamarre prend connaissance des articles 9 et 20 des Règles de pratique et de procédure de la Commission Gagnon (pièce D-1) : 9. Les témoignages d’enfants seront diffusés dans la salle où la Commission tient habituellement ses audiences, par télévision en circuit fermé ou par tout autre moyen télévisuel. Seront admis dans la salle d’audience habituelle de la Commission afin d’assister à la télédiffusion de ces témoignages: - les personnes contre lesquelles des allégations d’abus sexuels impliquant des enfants du centre d’accueil ont été formulées et leurs procureurs; - des représentants du centre d’accueil dont le nombre sera déterminé par le président de la Commission, ainsi que le procureur de cet établissement; - toute autre personne dont la présence dans la salle parait justifiée et qui est autorisée à y demeurer par le président de la Commission.
02 07 98 Page : 7 02 10 89 20. Sous réserve des articles 9, 10, 11 et 19, toute personne désirant obtenir une copie de la transcription d’un témoignage ou une photocopie d’un document doit obtenir une autorisation préalable du président. Cette autorisation peut être accordée suivant les modalités déterminées par la Commission. ii) Dossier n o 02 10 89 L'accès aux témoignages rendus par des adultes [17] M. Lamarre affirme avoir donné une copie des transcriptions des témoignages d’adultes exigée par les demandeurs, masquée cependant des passages permettant d’identifier les enfants ou des tierces parties. Il invoque les articles 14 et 88 de la Loi et les Règles de pratique et de procédure de la Commission Gagnon pour en refuser l’accès : 14. Un organisme public ne peut refuser l'accès à un document pour le seul motif que ce document comporte certains renseignements qu'il doit ou peut refuser de communiquer en vertu de la présente loi. Si une demande porte sur un document comportant de tels renseignements, l'organisme public peut en refuser l'accès si ces renseignements en forment la substance. Dans les autres cas, l'organisme public doit donner accès au document demandé après en avoir extrait uniquement les renseignements auxquels l'accès n'est pas autorisé. 88. Sauf dans le cas prévu par le paragraphe 4 o de l'article 59, un organisme public doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant lorsque sa divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement nominatif concernant une autre personne physique ou l'existence d'un tel renseignement, à moins que cette dernière n'y consente par écrit. [18] M. Lamarre dépose, sous pli confidentiel, quatre cartables, identifiant par un trait au marqueur de couleur jaune les parties ayant été masquées.
02 07 98 Page : 8 02 10 89 [19] Il est convenu que M. Lamarre ne passe en revue qu’un cartable, celui des témoignages rendus par M. Gaston Villeneuve et M me Lise Ouellet-Brumat, les autres cartables contenant le même type de renseignements. [20] M. Lamarre souligne que les renseignements masqués aux pages : • 13 (n o 20), 14 (n os 10 et 15), 16 (n o 20), 17 (n os 10, 15 et 25), 18 (n o 20), 19 et 35 sont des noms, prénoms ou titres de personnes autres que la personne qui témoigne; • 184 (n o 10) constituent une mesure permettant de trouver le nom d’une personne; • 30 identifient un centre d’accueil; • 31 (n o 15) et 33 (n o 15) permettent de reconnaître un groupe de personnes et des postes; • 39 sont des noms et des lieux; • 41 sont des noms et des qualificatifs permettant de trouver un nom; • 50, 51, 76 (n os 15 et 20), 79 (n o 10), 89 et 91 (n o 20) sont des noms d’enfants. [21] Interrogé par M e Croteau, M. Lamarre confirme que le Ministère a déjà remis aux demandeurs une copie intégrale du témoignage rendu par deux policiers. Il atteste qu’une attention plus particulière a été faite à partir du moment où la demande visait à obtenir copie des témoignages d’enfants. C) LES ADMISSIONS DES PARTIES [22] Les parties admettent, à cette étape-ci, que les médias ont eu accès aux témoignages livrés par les enfants, mais avec une interdiction émise par la Commission Gagnon de ne pas dévoiler le nom de ceux-ci (p. 5 de la pièce O-1) : […] Dans de tels cas, les journaux et autres médias d’information ne devaient pas diffuser le témoignage entendu tant que tous ceux ou celles qui avaient été mentionnés comme ayant pris part à l’activité relatée n’avaient pas été entendus par la Commission.
02 07 98 Page : 9 02 10 89 [23] Les parties admettent également les situations suivantes : • Les demandeurs sont des personnes ayant assisté aux témoignages des enfants au sens de l’article 9 des Règles de pratique et de procécure de la Commission Gagnon; • Les demandeurs étaient des personnes susceptibles d’obtenir une copie des notes sténographiques lors de l’enquête de la Commission Gagnon; • Les demandeurs ont entrepris des recours de nature civile; • La Commission Gagnon est un organisme ayant des pouvoirs quasi-judiciaires. D) LES ARGUMENTS i) Du Ministère [24] La procureure du Ministère, M e Sophie Primeau, rappelle que le décret gouvernemental interdit que soit dévoilé le nom des enfants, des personnes impliquées et des centres d’accueil, le but de la Commission Gagnon étant de faire la lumière sur les cas d’abus sexuels et de faire les recommandations qui s’imposent. Elle rappelle également que les Règles de pratique et de procédure de la Commission Gagnon reprennent les éléments du décret pour assurer le droit à la réputation des individus et la protection des personnes. Elle souligne que le Rapport Gagnon ne mentionne pas les noms des enfants ni ceux des personnes impliquées. [25] M e Primeau signale que les journalistes et les procureurs ont eu accès aux témoignages des enfants, mais avec interdiction d’en communiquer la teneur et les noms. Elle rappelle que les enfants témoignaient en circuit fermé. [26] M e Primeau fait valoir que le procureur, représentant à l’époque les travailleurs visés par la Commission Gagnon, pouvait demander au Commissaire Gagnon une copie des transcriptions sténographiques pour aider ses clients dans le cadre de cette enquête. Celle-ci étant terminée, peut-on, dix ans plus tard, prendre connaissance de ces témoignages? Elle soutient que le souci de préserver l’identité des enfants demeure même si l’enquête est terminée. [27] M e Primeau invoque le 2 e alinéa de l’article 53 de la Loi pour dire que le commissaire Gagnon a émis une ordonnance empêchant la communication du
02 07 98 Page : 10 02 10 89 témoignage des enfants et que ceux-ci n’ont pas consenti à la communication des renseignements les concernant 6 . [28] M e Primeau invoque également l’article 88 de la Loi pour refuser de communiquer les renseignements permettant aux demandeurs la révélation d’informations sur d’autres personnes physiques 7 . [29] M e Primeau avance que si les demandeurs veulent obtenir, dans le cadre d’une procédure de nature civile, copie des transcriptions, ils n’ont qu’à utiliser la procédure prévue à cet effet au Code de procédure civile. ii) Des demandeurs [30] M e Croteau fait valoir que les demandeurs en la présente détenaient un statut particulier dans le cadre de l’enquête de la Commission Gagnon comme parties accusées. Elle prétend que ce dernier statut leur permet de recevoir copie des documents en litige. Elle ajoute que la Commission Gagnon tenait des audiences publiques et privées, mais que, dans tous les cas, les demandeurs étaient présents. Elle réfère à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire du sang contaminé pour situer les objectifs poursuivis dans le cadre d’une enquête 8 . [31] M e Croteau avance que l’interdiction émise par la Commission Gagnon de ne pas publier s’adressait aux médias et qu’obtenir copie des transcriptions n’équivaut pas à les publier. Elle répète que le nom des enfants et leurs déclarations sont déjà détenus par les demandeurs. [32] M e Croteau soutient que le 2 e alinéa de l’article 53 de la Loi ne s’applique pas aux demandeurs parce que ceux-ci assistaient aux audiences à huis clos. Elle soumet que l’article 35 de la Charte des droits et libertés de la personne 9 doit permettre à ses clients d’assumer une défense pleine et entière de leurs droits 10 : 6 Raymond DORAY et François CHARETTE, Accès à l’information, loi annotée, jurisprudence, analyse et commentaires, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001; Yvon DUPLESSIS et Jean HÉTU, L’accès à l’information et la protection des renseignements personnels, Loi indexée, commentée et annotée, Brossard, Publications CCH ltée, 2002. 7 X. c. Ministère de la Main-d'œuvre et de la Sécurité du revenu du Québec, [1988] C.A.I. 180; Bernard c. Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal, [1990] C.A.I. 76; Boussetta c. Commissaire à la déontologie policière, [1993] C.A.I. 280; Bruneau c. Commissaire à la déontologie policière, [1997] C.A.I. 7; Lisi c. Régie du logement, [1992] C.A.I. 322 et [1995] 423 (C.Q.). 8 Société canadienne de la Croix-Rouge c. Krever, [1997] 3 R.C.S. 440. 9 L.R.Q., c. C-12. 10 Dubois c. Dupuis, [1998] R.J.Q. 1366 (C.A.).
02 07 98 Page : 11 02 10 89 35. Tout accusé a droit à une défense pleine et entière et a le droit d'interroger et de contre-interroger les témoins. DÉCISION [33] D’entrée de jeu, je tiens à signaler que la Commission n’est pas habilitée à trancher un litige en matière civile. Les règles de communication de la preuve applicables devant les tribunaux supérieurs relèvent de la prorogative du juge officiant ce type de procès. L’accès aux témoignages rendus par des enfants [34] Le mandat de la Commission Gagnon visait à faire la lumière sur une série d’événements qui se seraient produits dans un centre d’accueil pour enfants pendant la période de 1981 à 1986. Des allégations d’abus sexuels visaient des employés de ce centre d’accueil, dont les demandeurs. Selon le décret gouvernemental, la Commission Gagnon devait « faire rapport en prenant soin d’exclure de ce rapport tout renseignement nominatif de façon à sauvegarder la réputation des personnes impliquées » 11 (pièce O-2) et soumettre des recommandations pour éviter la répétition d'une telle situation. [35] La Commission Gagnon, dans le cadre de son mandat, adopte des règles de pratique et de procédure. Elle décide notamment que les témoignages d’enfants 12 seront entendus dans une salle différente de celle de l’audience (articles 8 et 9 des Règles de pratique et de procédure) pour les protéger et que les médias ne peuvent révéler l’identité des enfants ni leur témoignage tant qu’elle n’a pas reçu tous les témoignages 13 . Il importe immédiatement de citer un extrait de la décision rendue par la Cour d’appel du Québec concernant le droit des médias d’informer le public sur le déroulement des audiences de cette Commission Gagnon. La Cour d’appel, devons-nous le noter, a accueilli l’appel logé par la Commission Gagnon contre le groupe de presse Southam inc. sur la viabilité de ses règles de fonctionnement 14 : Le caractère temporaire des interdictions n’atténue pas, selon le juge, la nature de l’atteinte, la liberté de la 11 Précitée, note 2, 4. 12 Précitée, note 2, 165 (Cinquante-six enfants ont été entendus dans le cadre des travaux de la Commission Gagnon). 13 Précitée, note 2, 5. 14 Précitée, note 4, 11.
02 07 98 Page : 12 02 10 89 presse devant forcément inclure le droit pour cette dernière de publier ce qu’elle veut et quand elle le veut, pour répondre au désir du public. Quant aux motifs invoqués par l’appelant pour justifier de telles interdictions, à savoir empêcher que les enfants qui devaient témoigner subséquemment soient influencés par les reportages des médias, le juge les écarte comme n’ayant pas été prouvés quoiqu’il écrive avoir en main des coupures de presse qui font état que des enfants ont avoué à l’appelant avoir été incités à mentir sur les incidents d’abus sexuels ou encore à les exagérer. [36] La Commission Gagnon aborde, au début de son rapport, des règles de preuve applicables, mais s’attarde surtout aux critères énoncés par quatre experts venus témoigner devant elle, soit les D rs Elissa P. Benedek, psychiatre et professeure à l’Université du Michigan, John Charles Yuille, professeur à l’Université de Colombie-Britannique, Hubert Van Gijseghem, psychologue et professeur à l’Université de Montréal, et Diane Casoni, psychologue et directrice d’un centre de formation en psychothérapie et en psychothérapie psychanalytique 15 . L’objectif de la Commission est de mieux cerner ce qu’elle peut retenir du témoignage d’un enfant potentiellement victime d’abus sexuels et le meilleur contexte pour l' interviewer 16 . La Commission Gagnon retient des experts, entre autres, que l’interrogatoire d’un enfant doit être court, sans questions suggestives et réalisé par une personne neutre formée à cet effet et n’ayant pas d’idées préconçues. [37] Le rapport de la Commission évite également de mentionner le nom des enfants et des employés du centre d’accueil visés par des allégations d’abus sexuels. Elle désigne les personnes par un vocable alphabétique (A, B, C, etc.) 17 . [38] La conclusion, les constats et les recommandations de la Commission Gagnon ne pointent d’ailleurs spécifiquement aucun coupable ni ne dévoilent l’identité du centre d’accueil, d’enfants ou de membres du personnel visés par des allégations d’abus sexuels. Je dois toutefois spécifier que les noms de membres du personnel interrogés par la Commission Gagnon et ayant fait l’objet de la présente demande d’accès sont cités au Rapport Gagnon. 15 Précitée, note 2, 35 à 89. 16 Précitée, note 2, 69, 71, 87 et 96. 17 Précitée, note 2, 113, 129, 165, 261 et 264.
02 07 98 Page : 13 02 10 89 [39] Je relève de l’ensemble de la lecture du Rapport Gagnon, des Règles de pratique et de procédure et des décisions rendues par les tribunaux supérieurs en lien avec cette Commission d’enquête le souci constant de préserver l’anonymat des personnes impliquées, surtout des enfants. Ma compréhension est que la Commission Gagnon voulait vérifier le bien-fondé des cas d’abus sexuels, repérer le caractère systémique ou non de situations d’abus sexuels et y apporter les correctifs qui s’imposent, sans nécessairement pointer un coupable en particulier. [40] Je peux difficilement ignorer, pour l’analyse du présent dossier, cette volonté manifeste de conserver l’anonymat des enfants, omniprésente tant au décret gouvernemental que par le président de l’enquête et le rapport lui-même venant confirmer cette préoccupation constante. [41] J’ai lu les documents en litige portant sur le témoignage des enfants dont les demandeurs veulent obtenir copie. Il s’agit sans contredit du témoignage d’enfants clairement identifiés répondant aux diverses questions leur étant posées par le procureur de la Commission Gagnon. Ces témoignages rapportent des événements qui, directement ou non, permettent d’identifier d’autres personnes physiques, incluant les demandeurs et d’autres enfants. [42] La preuve non contestée démontre que les demandeurs sont des personnes sur qui pesaient des allégations d’abus sexuels. Il a été reconnu que ces demandeurs et leur procureur étaient présents à toutes et chacune des audiences tenues soit publiquement ou privément, y compris lors du témoignage des enfants. Il est évident que les demandeurs ayant assisté aux diverses audiences ont entendu le témoignage des enfants, étant des personnes impliquées. La preuve a également démontré que les journalistes ont obtenu copie des témoignages, avec la restriction de ne pas dévoiler le nom des enfants. [43] Je suis donc d’avis que les documents en litige ne divulgueraient vraisemblablement pas aux demandeurs, personnes impliquées 18 , des renseignements nominatifs qu’ils ne connaissent pas déjà, selon les termes de l’article 88 de la Loi. [44] Toutefois, je me dois également de conserver le caractère confidentiel de renseignements nominatifs qui, du cas sous étude, visent l’anonymat des enfants ayant témoigné devant la Commission Gagnon. Il faut dire que la Commission Gagnon résume très bien dans son rapport l’essentiel du témoignage des enfants. 18 P. c. Tribunal administratif du Québec, C.A.I. Montréal, n os 01 19 72 et 01 14 59, 4 avril 2003, c. Laporte.
02 07 98 Page : 14 02 10 89 [45] Je ne peux modifier la décision prise par la Commission Gagnon. Comme je l’exprimais précédemment, je me dois de respecter à la fois la lettre et l’esprit à l’origine de la mise en place de cette Commission Gagnon et sa finalité, imprégnant ce désir non équivoque de ne pas communiquer le nom des enfants. [46] Ainsi, le seul fait de permettre aux demandeurs d’obtenir copie de ces témoignages enlèverait, selon moi, cet objectif d’anonymat. Certes, une ordonnance de la Commission permettant aux demandeurs d’obtenir copie des témoignages d’enfants pourrait être assortie d’une autre leur interdisant de communiquer sous aucune considération le nom des enfants. [47] Cette dernière hypothèse ne peut malheureusement pas être retenue. Dans l’affaire Pratte c. Université de Montréal 19 , la juge Gouin rappelle à la Commission qu’elle a juridiction pour émettre des ordonnances auprès de ministères ou d'organismes relevant de la Loi, mais ne peut en émettre concernant des individus n’étant pas soumis à la Loi. Dans notre situation, par exemple, ce sont les demandeurs. [48] Dans les circonstances propres à la présente, considérant les pouvoirs inhérents de la Commission Gagnon, ses Règles de pratique et de procédure, son rapport et les articles 29.1, 53, 54 et 56 de la Loi, j’en arrive à la conclusion que les demandeurs ne peuvent recevoir copie du témoignage des enfants. L'accès aux témoignages rendus par des adultes [49] J’ai examiné les parties masquées en litige se trouvant aux documents. Il s’agit des témoignages de M. Gaston Villeneuve et de M mes Lise Ouellet-Brumat et Rosanne Charpentier. [50] La vérification des parties masquées aux documents au sujet de personnes adultes ayant témoigné à la Commission Gagnon, le témoignage de M. Lamarre et la preuve documentaire me convainquent que les demandeurs, personnes impliquées dans le cadre de l’enquête, peuvent avoir accès à ces témoignages, à l’exception du nom des enfants, et ce, pour les motifs mentionnés précédemment. [51] Je suis d’avis que les renseignements en litige ont déjà été entendus par les demandeurs et ne leur divulgueraient vraisemblablement pas des renseignements au sujet d’autres personnes physiques qu’ils ne connaissent pas déjà. J’ajoute que les noms des témoins sont inscrits au Rapport Gagnon et que rien de la preuve ne me permet de conclure que ces témoignages ont été donnés 19 [2001] C.A.I. 487 (C.Q), 490. Sur les autres points, la Cour du Québec rejette la requête pour permission d’appeler.
02 07 98 Page : 15 02 10 89 en séance privée. D’ailleurs, même si cela était le cas, le statut de personnes impliquées des demandeurs et le fait que les noms soient cités au Rapport Gagnon et qu’ils ne sont pas des personnes ayant fait l'objet d'allégations d’abus sexuels leur ouvre la voie pour recevoir copie de ces témoignages. La seule restriction que je relève, à la lecture de ces témoignages, est l’ordonnance du commissaire Gagnon demandant l’exclusion des témoins. Les demandeurs pourront donc obtenir une copie des témoignages, à l’exception des nom et prénom des enfants se trouvant déjà masqués. Le Ministère ne pourra communiquer ces nom et prénom d’enfants apparaissant particulièrement aux pages suivantes des témoignages rendus par : • M. Gaston Villeneuve, 19 septembre 1988, les pages 14, 16 à 21, 24, 41, 50 et 51; • M me Lise Ouellet-Brumat, 19 septembre 1988, les pages 96, 110 à 113, 115, 116, 118, 120, 128 à 134, 136 à 146, 148 à 155, 158 à 161, 163, 164, 167, 168, 176, 177, 186, 204 à 207, 215, 217, 220 à 222, 224, 225, 227 à 237, 240 à 243, 245 à 248, 251, 254, 262 à 265, 267 à 275, 277 à 280, 282 à 287, 295 à 300, 302 à 304, 306 à 313, 315, et 319 à 328; • M me Lise Ouellet-Brumat, 23 septembre 1988, les pages 3, 4, 7, 9 à 11, 13, 15 à 20, 22 à 28, 31 à 40, 42, 43, 45, 47 à 72, 74 à 83, 95, 97 à 99, 101 à 107, 109 à 138, 140 à 142, 144, 145, 148 à 150, 155 à 158, 161, 165 à 169, 189, 190, 195 à 201, 212, 219, 220, 222, 223, 225, 227, 237, 238, 241, 251, 253, 255 et 257; • M me Lise Ouellet-Brumat, 26 septembre 1988, les pages 5 à 7, 9 à 14, 16, 24 à 26, 28, 29, 31 à 36, 38 à 43, 50, 58 à 67, 70, 87 à 90, 93 à 97, 101, 104 à 111, 115 à 120 et 124; • M me Rosanne Charpentier, 26 septembre 1988, les pages 147 à 154, 157, 168, 171 à 174, 176, 181, 182, 189 à 194, 201 à 206, 213, 214, 217 à 219, 233, 234, 239, 240, 248 et 249; • M me Rosanne Charpentier, 3 octobre 1988, les pages 5 à 24, 29, 30, 32 à 37, 40 à 44, 46, 48 à 50, 53, 55, 59, 65, 73, 74, 86 à 90, 92, 99, 102, 104 à 114, 116, 117, 119, 121 à 124, 130 à 132, 137, 140 à 146, 149, 150, 152 à 160, 169 à 171, 173, 175 à 177, 190, 197, 202, 203, 205 à 207, 209, 212, 223, 230 à 234 et 239.
02 07 98 Page : 16 02 10 89 POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [52] REJETTE la demande de révision visant à obtenir une copie du témoignage des enfants rendus à la Commission Gagnon (C.A.I. n o 02 07 98); [53] ACCUEILLE, en partie, la demande de révision visant à obtenir les témoignages d’adultes rendus à la Commission Gagnon (C.A.I. n o 02 10 89); [54] PREND ACTE que les demandeurs ont obtenu copie des témoignages demandés, à l’exception des parties ayant été masquées demeurant en litige; [55] ORDONNE au Ministère de communiquer aux demandeurs les parties masquées en litige aux documents constituant le témoignage d’adultes, à l’exception des nom et prénom des enfants y apparaissant, tel qu'il a été précédemment indiqué à la décision; [56] REJETTE, quant au reste, la demande de révision (C.A.I. n o 02 10 89). MICHEL LAPORTE Commissaire M e Nathalie Croteau Procureure des demandeurs Bernard, Roy & Associés (M e Sophie Primeau) Procureurs de l'organisme
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