Dossier : 02 19 33 Date : 20030619 Commissaire : Christiane Constant M me X Demanderesse c. Commission des normes du travail Organisme public DÉCISION OBJET DU LITIGE DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D'ACCÈS [1] Le 20 novembre 2002, la demanderesse formule à la Commission des normes du travail (la « CNT ») une demande pour avoir accès aux « documents représentant les notes de Chantal Grégoire, que j’avais pourtant déjà commencé à en prendre connaissance ». [2] N’ayant pas obtenu de réponse, la demanderesse sollicite, le 20 décembre suivant, une demande auprès de la Commission d'accès à l'information (la « Commission ») pour réviser le refus présumé de la CNT.
02 19 33 Page : 2 L'AUDIENCE [3] Le 22 avril 2003, une audience se tient à Montréal en présence de la demanderesse ainsi que du procureur et du témoin de la CNT. LA PREUVE [4] La CNT est représentée par M e Robert Rivest, du cabinet d’avocats Poirier Chassé Rivest. Celui-ci remet à la demanderesse, à l’audience, une copie du dossier la concernant, à l’exception des notes qu’il a déposées sous le sceau de la confidentialité (dix pages). A) M ME CHANTAL GRÉGOIRE, TÉMOIN POUR LA CNT [5] L’avocat fait témoigner, sous serment, M me Chantal Grégoire. Celle-ci déclare qu’elle était l’inspecteur enquêteur responsable du dossier de la demanderesse à la CNT lors de la demande d’accès. Durant son enquête, elle écrivait dans le système informatique ses notes personnelles constituées d’informations recueillies auprès des représentants de l’ancien employeur de la demanderesse, le Centre multi-ethnique de Notre-Dame-de-Grâce, ainsi que de témoins. [6] Elle indique que ces notes représentent des annotations ou un brouillon auxquels elle se référait notamment pour la préparation et la rédaction de son rapport final d’enquête. Clarification requise par la demanderesse [7] M me Grégoire réitère l’essentiel de sa déposition. Se référant à une liste incluse au dossier de la CNT, elle explique que les renseignements qui y sont colligés, ont été fournis par l’ancien employeur de la demanderesse; M me Grégoire signe ce document à l’audience et le remet à celle-ci. B) LA DEMANDERESSE [8] Après avoir été assermentée, la demanderesse déclare avoir demandé à la CNT l’accès au dossier la concernant dans son intégralité, y inclus les notes préparées par M me Grégoire. Elle estime que ces notes, faisant l’objet du présent litige, lui appartiennent, ayant été constituées à partir d’informations recueillies
02 19 33 Page : 3 auprès de son ancien employeur et de témoins pour la rédaction d’un rapport d’enquête à son égard. Alors que son ancien employeur aurait indiqué avoir versé un certain montant auquel la demanderesse n’avait pas droit, celle-ci soutient plutôt que celui-ci lui devait de l’argent. [9] La demanderesse signale qu’au moment de la consultation du dossier au bureau de la CNT, elle avait déjà commencé à prendre connaissance de renseignements importants inscrits à ces notes jusqu’à ce qu’un représentant de l'organisme reprenne le dossier. De plus, elle se dit insatisfaite de la manière dont le dossier a été traité par la CNT à partir de la rédaction de sa plainte pécuniaire jusqu’à celle du rapport final d’enquête par M me Grégoire; elle en fournit certains exemples. [10] De l’avis de la demanderesse, cette manière de procéder de la CNT a permis à cette dernière de refuser de poursuivre son ex-employeur, car sa plainte pécuniaire aurait été déposée hors délai, ce qu'elle a contesté, mais sans succès. La demanderesse ajoute que l’examen des notes lui a permis de découvrir des faits nouveaux dont la CNT aurait dû tenir compte dans le traitement de sa plainte. Contre-interrogatoire de la demanderesse par M e Rivest [11] En contre-interrogatoire, la demanderesse reconnaît vouloir obtenir une copie des notes préparées par M me Grégoire, tel qu'elle l'a formulé à sa demande d’accès datée du 20 novembre 2002 (pièce O-1), ainsi que des résultats du dossier d’enquête eu égard à son ancien employeur. Elle reconnaît également avoir communiqué à la Commission, le 20 décembre 2002, sa demande de révision du refus présumé de la CNT (pièce O-2). C) EXPLICATIONS SUPPLÉMENTAIRES FOURNIES PAR M ME GRÉGOIRE [12] M me Grégoire souligne qu’elle a communiqué par téléphone, à plusieurs reprises, avec la demanderesse afin de la mettre au courant du déroulement de l’enquête en question; elle ajoute l'avoir déjà rencontrée en compagnie du vice-président de la CNT, M e Pierre Boileau. Lors de cette rencontre qui aurait duré près de deux heures, ils lui ont expliqué notamment que sa plainte pécuniaire avait été déposée après le délai prescrit par la Loi sur les normes du travail 1 (« L.n.t. »). M me Grégoire indique que d’autres éléments recueillis lors de cette enquête ont été également pris en considération et que la CNT en est arrivé à la 1 L.R.Q., c. L-1.1.
02 19 33 Page : 4 conclusion de ne pas intenter de recours contre l’ancien employeur de la demanderesse. La CNT a donc fermé le dossier au mois de janvier 2003. ARGUMENTS [13] M e Rivest résume les circonstances selon lesquelles la CNT a donné le mandat à M me Grégoire d'inspecter et d'enquêter sur les éléments fournis par la demanderesse contre son ancien employeur. [14] L'avocat de la CNT plaide que seules les notes personnelles préparées par M me Grégoire font l’objet du présent litige. Il invoque à cet effet l’article 9 alinéa 2 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 2 (la « Loi sur l’accès »). Il commente à cet effet le jugement Ministère de la Justice c. Komulainen 3 , selon lequel la Cour du Québec a statué « que les notes prises par un procureur lorsqu’il rencontre un témoin et celles qu’il a rédigées » en vue de sa plaidoirie, constituent des notes personnelles au sens de l’article 9 al. 2 de la Loi sur l’accès. Elles demeurent donc inaccessibles à celui qui en a fait la demande. L’avocat souligne que la Commission a également statué dans le même sens dans la décision St-Sauveur c. Commission des normes du travail 4 . [15] Par ailleurs, l’avocat rappelle les efforts déployés par les représentants de la CNT qui ont tenu à informer la demanderesse du déroulement de l’enquête ainsi que du contenu du rapport. Les informations consignées aux notes personnelles de M me Grégoire l'ont guidée dans la préparation et la rédaction de son rapport final. Une décision administrative a alors été prise de ne pas intenter de recours contre l’ancien employeur de la demanderesse. [16] M e Rivest indique que, dans ces circonstances, la CNT est tenue au respect des dispositions législatives contenues à l’article 107.1 de la L.n.t., lesquelles permettent à une personne insatisfaite d’une décision administrative d'en demander la révision. La demanderesse s’est prévalue, sans succès, de ce droit. Le dossier est fermé depuis le 14 janvier 2003 au bureau de la CNT, date à laquelle la demanderesse en a été avisée par écrit. 2 L.R.Q., c. A-2.1. 3 [1997] C.A.I. 444 (C.Q.). 4 C.A.I. Montréal n o 02 05 81,16 décembre 2002, c. Constant.
02 19 33 Page : 5 DÉCISION [17] La CNT a remis, à l’audience, à la demanderesse une copie de son dossier. De plus, elle a transmis à la soussignée des documents qui peuvent être décrits comme suit : • Rapport d’enquête sur plainte pécuniaire, incluant ses annexes (dix pages) intégralement; • Un autre exemplaire de ce même rapport démontrant que des renseignements ont préalablement été élagués; • Résultats du dossier concernant le Centre multi-ethnique de Notre-Dame-de-Grâce. [18] La CNT a aussi déposé, à l’audience, sous le sceau de la confidentialité, deux exemplaires d'un document portant le titre « Cheminement du dossier » et dont les pages couvertures sont identifiées comme étant : • Document représentant les notes de l’inspecteur enquêteur Chantal Grégoire, intégralement; • Document représentant les notes de l’inspecteur enquêteur Chantal Grégoire, sans les renseignements nominatifs. [19] La preuve non contestée démontre que la demanderesse souhaite avoir accès seulement aux notes colligées par M me Grégoire, dans le cadre d’une enquête effectuée par celle-ci auprès de son ancien employeur et de témoins, faisant suite à une plainte pécuniaire déposée par la demanderesse auprès de la CNT. [20] Il s’agit de déterminer si le document dans lequel se trouvent les notes faisant l’objet du présent litige, constitue des notes personnelles au sens du deuxième alinéa de l’article 9 de la Loi sur l’accès : 9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public. Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature. [21] Un examen attentif de ce document est nécessaire afin de statuer sur le bien-fondé ou non de cette demande. La soussignée considère que le motif soulevé par la CNT, à l’audience, pour refuser à la demanderesse l’accès n’est
02 19 33 Page : 6 pas une restriction; ce refus vise plutôt une absence au droit d’accès de celle-ci. L'article 9 alinéa 2 de la Loi sur l'accès représente donc une exception au droit général de toute personne d’avoir accès à des documents détenus par un organisme public, tel la CNT. [22] Ce document, intitulé « Cheminement du dossier », contient notamment les dates des interventions de M me Grégoire dans le cadre de son enquête, un bref résumé de ces interventions, des mots abrégés, des phrases incomplètes. La majeure partie des renseignements qui s’y trouvent, sont factuels. De plus, la preuve non contredite a démontré que l’enquête de l’organisme concernant la demanderesse est terminée, duquel s’ensuit un rapport; l’organisme lui ayant transmis une copie de ce rapport. [23] La soussignée considère qu’il n’existe aucun motif valable pour l’organisme à ne pas lui en faire parvenir une copie; l’article 9 alinéa 2 ci-dessus mentionné ne s’applique pas dans le présent cas tel qu’il est indiqué à la décision X c. Ministère de la Justice 5 , qui a été confirmée par la Cour du Québec 6 . [24] De plus, la soussignée fait siens les commentaires des auteurs Duplessis Hétu 7 lorsqu’ils indiquent que : Une personne qui se prévaut, comme en l'espèce, de son droit d'accès aux renseignements la concernant, tel que prévu à l'article 83 de la loi est susceptible de se voir refuser l'accès à certains renseignements suivant l'article 87. Le deuxième alinéa de l'article 9 est une exception au droit général de toute personne d'avoir accès aux documents des organismes publics. Mais cet alinéa ne peut être invoqué lorsqu'il s'agit de l'exercice du droit d'accès par une personne aux renseignements la concernant. En effet, l'article 87 prévoit que seules les exceptions prévues à la section II du chapitre II de la loi, soit celles des articles 18 à 41, peuvent être opposées à une demande d'accès à des renseignements nominatifs. Or, l'article 9 alinéa 2, ne fait pas partie de ces dispositions. [...] Ce n'est certes pas sans raison que le législateur ne réfère pas dans l'article 87 de la loi à la section I du chapitre II, dans laquelle l'article 9 se trouve. L'article 9 vise toute personne, y compris des tiers, qui fait une demande d'accès aux documents d'un organisme 5 [1997] C.A.I. 253. 6 [1998] C.A.I. 488 (C.Q.). 7 Yvon DUPLESSIS et Jean HÉTU, Accès à l'information et protection des renseignements personnels. Loi annexée, commentée et annotée, CCH, 2002, f. 29 003
02 19 33 Page : 7 public. Dans le cas de l'article 83, il s'agit du droit pour une personne d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Il est admissible que le législateur ait prévu des restrictions différentes au droit d'accès dans les deux cas. [25] La demanderesse a donc droit de recevoir communication de tout renseignement la concernant; ce droit étant régi particulièrement par le deuxième alinéa de l’article 83 de la Loi sur l’accès et à la décision X c. Commission scolaire du Lac Saint-Jean 8 . 83. Toute personne a le droit d'être informée de l'existence, dans un fichier de renseignements personnels, d'un renseignement nominatif la concernant. Elle a le droit de recevoir communication de tout renseignement nominatif la concernant. [...] [26] Cependant, la soussignée constate que le document en litige contient des renseignements nominatifs au sens de l’article 53 de la Loi sur l'accès qui, une fois dévoilés, permettraient d’identifier une personne physique (art. 54). La preuve n’a pas démontré que les personnes citées à ce document aient consenti à la communication des renseignements qui les concernent au sens de l’article 88 de ladite loi. 53. Les renseignements nominatifs sont confidentiels sauf dans les cas suivants: 1° leur divulgation est autorisée par la personne qu'ils concernent; si cette personne est mineure, l'autorisation peut également être donnée par le titulaire de l'autorité parentale; 2° ils portent sur un renseignement obtenu dans l'exercice d'une fonction d'adjudication par un organisme public exerçant des fonctions quasi judiciaires; ils demeurent cependant confidentiels si l'organisme les a obtenus alors qu'il siégeait à huis-clos ou s'ils sont visés par une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion. 54. Dans un document, sont nominatifs les renseignements qui concernent une personne physique et permettent de l'identifier. 88. Sauf dans le cas prévu par le paragraphe 4 o de l'article 59, un organisme public doit refuser de donner communication à une personne d'un renseignement nominatif la concernant lorsque sa 8 [2000] C.A.I. 263.
02 19 33 Page : 8 divulgation révélerait vraisemblablement un renseignement nominatif concernant une autre personne physique ou l'existence d'un tel renseignement, à moins que cette dernière n'y consente par écrit. [27] De plus, la preuve non contestée indique que la demanderesse insatisfaite de la décision administrative de la CNT relative à cette enquête, s’est prévalue de son droit de révision au sens de l’article 107.1 de la L.n.t. : 107.1. Le plaignant peut, par écrit, demander une révision de la décision visée à l'article 107 dans les 30 jours de sa réception. La Commission doit rendre une décision finale, par courrier recommandé ou certifié, dans les 30 jours de la réception de la demande du plaignant. [28] La demanderesse n’ayant pas eu gain de cause, la CNT a fermé le dossier, tel qu’elle l'a indiqué à la lettre datée du 14 janvier 2003 qu’elle lui a transmise. [29] En ce qui concerne les motifs invoqués par la demanderesse, à l’audience, selon lesquels la CNT n’aurait pas procédé diligemment au traitement de son dossier, la Commission n’est pas habilitée à intervenir sur ce point, n’étant pas le forum approprié. [30] Par ailleurs, la soussignée constate que des renseignements nominatifs ont déjà été extraits par l’organisme dans les « Documents représentant les notes de l’inspecteur enquêteur Chantal Grégoire - Cheminement du dossier » qu’il a déposés, à l’audience, sous le sceau de la confidentialité. De cette version élaguée, la demanderesse a droit de recevoir une copie de ce qui suit : • Page 1, à partir du « 2002-09-06 » jusqu’au mot « Pierre Lamy », à l’exception des mots inscrits sous la rubrique « Réalisé par »; • Page 2, à partir de « Cette date » jusqu’aux mots « ne sont pas syndiqués. », à l’exception des mots indiqués sous la rubrique « Réalisé par »; • Page 3, à partir de « passe plutôt » jusqu’à « Lamy », à l’exception des mots indiqués sous la rubrique « Réalisé par »; • Page 4, à partir de « M. » jusqu’au « 2002/09/27 », et à l’exception des mots indiqués sous la rubrique « Réalisé par »; • Page 5, à partir de « regardé le dossier » jusqu’au mot « Lamy » et à l’exception des mots indiqués sous la rubrique « Réalisé par »;
02 19 33 Page : 9 • Page 6, à partir de « attestation » et à l’exception des mots indiqués sous la rubrique « Réalisé par »; • Page 7, à partir de « Je le remercie » jusqu’aux mots « avec M. Boileau » et à l’exception des mots indiqués sous la rubrique « Réalisé par »; • Page 8, à partir de « mentionner » et à l’exception des mots indiqués sous la rubrique « Réalisé par »; • Page 9, à partir du mot « L’employé », en enlevant préalablement les mots indiqués sous la rubrique « Réalisé par »; • Page 10, à partir du « 2002-11-21 » jusqu’aux mots « Fin du rapport » et à l’exception des mots indiqués sous la rubrique « Réalisé par ». [31] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : ACCUEILLE la demande en révision de la demanderesse contre la Commission des normes du travail; ORDONNE à l’organisme de lui communiquer copie du document, tel qu'il est décrit au paragraphe 30; FERME le présent dossier portant le n o 02 19 33. CHRISTIANE CONSTANT Commissaire Montréal, le 19 juin 2003 M e Robert Rivest POIRIER CHASSÉ RIVEST Procureurs pour la Commission des normes du travail
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