Dossier : 02 07 45 Date : 20030617 Commissaire : M e Michel Laporte X Demandeur c. ASSURANCE VIE DESJARDINS-LAURENTIENNE Entreprise DÉCISION L'OBJET DU LITIGE [1] Le procureur du demandeur, M e Martin Larocque, conteste, au nom de son client, la décision de l’entreprise, Assurance vie Desjardins-Laurentienne (« l’Entreprise ») de lui refuser l’accès, selon les termes du 2 e paragraphe de l’article 39 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé 1 (la « Loi »), au rapport d’expertise de nature psychologique réalisé par M me Barbara Lehoux. [2] Une audience a lieu à Montréal le 9 juin 2003. 1 L.R.Q., c. P-39.1.
02 07 45 Page : 2 L'AUDIENCE A) LES ADMISSIONS [3] Les procureurs des parties admettent les faits suivants : • Le demandeur, technicien-ambulancier, a reçu une rente d’invalidité de l’Entreprise, en vertu d’une clause occupationnelle, pendant une période de deux ans, ayant débuté au mois de novembre 1996; • À l’échéance de cette période de deux ans, l’invalidité totale d’un individu est définie comme étant l’incapacité de celui-ci d’assumer d’autres fonctions rémunératrices; • L’expertise produite par le D r Gilles Grenier en 1998, soit à l’échéance du deux ans de la clause occupationnelle, conclut que le demandeur peut assumer une autre fonction rémunératrice que celle de technicien-ambulancier; • Le demandeur a reçu une copie de cette dernière expertise du D r Grenier; • Suivant l’expertise du D r Grenier, l’Entreprise a cessé de verser au demandeur les prestations d’invalidité; • Le demandeur a intenté des procédures judiciaires contre l’Entreprise au mois de décembre 2001, soit avant le dépôt de la demande d’accès. B) LA PREUVE i) De l'Entreprise [4] M. Éric Vézina, responsable du dossier du demandeur, mentionne que l’Entreprise a donné le mandat à la firme McKinnon Groupe Conseil inc., au mois de mai 1999, pour procéder à une évaluation du demandeur (pièce E-1 en liasse). Cette firme a désigné M me Barbara Lehoux, psychologue, pour faire l'expertise. Il indique que l’Entreprise a pris cette décision dans le but d’obtenir un nouvel avis sur les capacités du demandeur d’assumer d’autres fonctions rémunératrices. Il dépose à la Commission d'accès à l'information (la « Commission »), sous pli confidentiel, l’expertise de M me Lehoux.
02 07 45 Page : 3 [5] M. Vézina fait valoir que l’Entreprise a maintenu sa décision de ne plus verser de prestations d’invalidité au demandeur à la suite de cette dernière expertise. Il affirme que l’Entreprise ne communique habituellement pas une expertise lorsqu’il y a probabilité de poursuites judiciaires. [6] Interrogé par la procureure du demandeur, M me Mélissa Depetrillo, M. Vézina précise que les prestations d’invalidité ont débuté le 11 décembre 1996 et cessé d’être versées le 10 décembre 1998. Il atteste que la décision de cesser le versement des prestations a été prise à la suite de l’évaluation réalisée par le D r Grenier le 3 novembre 1998. Il confirme qu’une évaluation psychologique est considérée comme une information de nature médicale par l’Entreprise. [7] M. Vézina explique que l’Entreprise a requis une expertise supplémentaire de la firme McKinnon Groupe Conseil inc. pour évaluer les nouvelles informations médicales soumises par le demandeur. C) LES ARGUMENTS i) De l'Entreprise [8] M e Jean-François Lavoie plaide que l’expertise de M me Lehoux complète celle du D r Grenier et concerne la procédure judiciaire prise par le demandeur. Il invoque l’article 39 de la Loi pour en refuser l’accès, l’Entreprise n’ayant pas à dévoiler les documents pouvant être utilisés lors d’une procédure judiciaire : 39. Une personne qui exploite une entreprise peut refuser de communiquer à une personne un renseignement personnel la concernant lorsque la divulgation du renseignement risquerait vraisemblablement: […] 2 o d'avoir un effet sur une procédure judiciaire dans laquelle l'une ou l'autre de ces personnes a un intérêt. [9] M e Lavoie soumet qu’au présent dossier, la procédure judiciaire est certaine. L’Entreprise a exercé alors sa discrétion pour refuser la communication d’une expertise ayant un lien direct avec une procédure judiciaire 2 et pouvant avoir un impact sur celle-ci 3 . 2 Personnelle-Vie (La), corporation d’assurances c. Cour du Québec, 1997] C.A.I. 466 (C.S.); X. c. Bélair Direct, compagnie d'assurances, [2002] C.A.I. 312. 3 Therrien c. Caisse d’économie des pompiers de Montréal, [2001] C.A.I. 406.
02 07 45 Page : 4 ii) Du demandeur [10] M me Depetrillo rappelle que le document en litige est une évaluation psychologique de nature médicale autorisée par le demandeur. Elle avance que le demandeur n’avait pas le choix. D’une part, s’il refuse de passer l’expertise, aucune prestation ne lui sera versée. D’autre part, l’Entreprise lui refusera quand même la communication de l’expertise, qu’elle soit favorable ou non, voulant ainsi ne pas s’obliger à verser des prestations. Dans les circonstances, elle estime que cette situation constitue un bris du principe prévu à l’article 27 de la Loi : 27. Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit, à la demande de la personne concernée, lui en confirmer l'existence et lui donner communication des renseignements personnels la concernant. [11] M me Depetrillo prétend que la seule restriction pouvant s’appliquer au cas sous étude est celle de l’article 37 de la Loi, étant en présence de renseignements de nature médicale 4 : 37. Une personne qui exploite une entreprise de services professionnels dans le domaine de la santé peut refuser momentanément à une personne concernée la consultation du dossier qu'elle a constitué sur elle si, de l'avis d'un professionnel de la santé, il en résulterait un préjudice grave pour sa santé. La personne qui exploite un autre type d'entreprise et détient de tels renseignements peut en refuser la consultation à une personne concernée à la condition d'offrir à celle-ci de désigner un professionnel du domaine de la santé de son choix pour recevoir communication de tels renseignements et de les communiquer à ce dernier. Le professionnel du domaine de la santé détermine le moment où la consultation pourra être faite et en avise la personne concernée. [12] M me Depetrillo fait valoir que le demandeur et sa famille ont accepté de collaborer à la réalisation de l’expertise en litige, malgré le fait qu’il savait très bien que celle-ci puisse entraîner, inévitablement, une procédure judiciaire. Elle soumet toutefois que le demandeur n’a jamais renoncé à recevoir communication de 4 Personnelle-Vie (La), corporation d'assurances c. Cour du Québec, précitée, note 2.
02 07 45 Page : 5 renseignements médicaux le concernant, selon le principe de l’article 27 et les modalités prévues à l’article 37 de la Loi. DÉCISION [13] Le juge Bergeron de la Cour supérieure, dans l’affaire Personnelle-Vie (La), corporation d'assurances c. Cour du Québec 5 , conclut que l’article 37 ne fait pas obstacle aux autres restrictions à l’accès prévues à la Loi, même lorsqu’il s’agit de renseignements médicaux. Une entreprise peut donc invoquer le 2 e paragraphe de l’article 39 de la Loi pour en refuser l’accès. [14] Le demandeur a exercé un droit lui étant reconnu à l’article 27 de la Loi. Il n’est pas contesté que le rapport en litige est un document concernant le demandeur au sens de l’article 2 de la Loi et que l’Entreprise en refuse l’accès en vertu de l’article 39 : 2. Est un renseignement personnel, tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l'identifier. [15] L’article 39 de la Loi permet à l’Entreprise de refuser la communication de renseignements personnels risquant d’avoir un effet sur une procédure judiciaire. M. Vézina a déclaré que le demandeur a reçu une copie de l’expertise du D r Grenier. Il a également déclaré que le demandeur a donné à l’Entreprise par la suite plusieurs documents émanant de son médecin traitant, d’où l’expertise de M me Lehoux. [16] J’ai examiné le rapport en litige. Il s’agit d’une évaluation de huit pages de nature psychologique réalisée par M me Barbara Lehoux. [17] Les deux premières pages du document en litige, factuelles, contiennent des renseignements au sujet du demandeur qui lui sont connus ou qui lui ont déjà été donnés par l’Entreprise. En fait, l’évaluation de M me Lehoux ne débute concrètement qu’à la troisième page de son rapport. La Commission est d’avis que ces deux pages ne renferment pas de renseignements répondant aux conditions de l’article 39 de la Loi. Le demandeur peut donc en obtenir copie. [18] Toutefois, l’analyse du rapport et la preuve me convainquent que le reste de l’expertise de M me Lehoux se rapporte au litige faisant l’objet d’un recours judiciaire par le demandeur. L’Entreprise ayant utilisé la discrétion prévue à 5 Précitée, note 2, 478.
02 07 45 Page : 6 l’article 39 et les conditions de cet article étant satisfaites, le demandeur ne pourra donc obtenir copie des pages 3 à 8. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [19] ACCUEILLE, en partie, la demande d’examen de mésentente du demandeur; [20] ORDONNE à l’Entreprise de communiquer au demandeur les pages 1 et 2 du rapport en litige; [21] REJETTE, quant au reste, la demande d’examen de mésentente. MICHEL LAPORTE Commissaire Séguin, Cardinal, Sylvain (M me Mélissa Depetrillo, stagiaire) Procureurs du demandeur Cholette, Houle (M e Jean-François Lavoie) Procureurs de l'entreprise
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