Dossier : 00 17 63 Date : 2 mai 2003 Commissaire : M e Hélène Grenier X Demandeur c. VILLE DE MONTRÉAL Organisme DÉCISION OBJET DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE DE RECTIFICATION [1] Le 23 août 2000, le demandeur requiert de l’organisme la destruction de l’original d’une vidéocassette ayant servi à l’enregistrement de ses activités alors qu’il était en arrêt de travail. Il précise : « Le 22 mars 1999, je faisais une entorse au genoux gauche qui a dû me mettre en arrêt de travail. L’on a par la suite diagnostiqué une déchirure (du) ménisque récidivante ou résiduelle. …malgré le fait que du travail en assignation temporaire m’ait été proposé par le médical, cela a été refusé par mon service horticulture en avril ou mai 1999 contremaître Ronald Laurin… Je vous demande comme travailleur qui, après avoir accumulé 1 600 heures en maladie plus 647 heures de vacances qui devaient m’être remboursées suite au verglas et qui sont retenues actuellement par mon ex-employeur parce que fait un cas de C.S.S.T..Je vous demande la preuve de la destruction de cette bande
00 17 63 Page : 2 vidéo qui sauf le fait de m’avoir vu fonctionner dans ma vie privée et familiale n’aura servi qu’à jeter sur moi du discrédit et des préjugés... ». [2] Le 25 septembre 2000, le responsable de la protection des renseignements personnels détenus par l’organisme refuse d’acquiescer à cette demande. [3] Le demandeur requiert la révision de cette décision. Il prétend que la collecte des renseignements constituant cette vidéocassette n’est pas autorisée par la loi. L'AUDIENCE du 5 mars 2003 A) LA PREUVE i) de l'organisme Témoignage de M me Yvette Bédard [4] M me Yvette Bédard témoigne sous serment; elle est à l’emploi de l’organisme depuis 1989. M me Bédard est chef de division pour les ressources humaines de l’arrondissement Rosemont-Petite Patrie. Elle était, au début de l’année 1999, agente de personnel; à ce titre, elle devait conseiller et supporter les gestionnaires dans les dossiers de relations de travail. [5] Dans l’exercice de ses fonctions, M me Bédard a noté les renseignements suivants qui lui ont été communiqués sur le demandeur, le 12 mai 1999, par le contremaître responsable de ce dernier : un autre contremaître avait, la veille, vu le demandeur faire des travaux d’élagage avec son véhicule personnel alors qu’il était « en accident de travail » depuis le 22 mars 1999; ce contremaître était disposé à témoigner. M me Bédard a alors communiqué ces renseignements à un avocat de la direction des relations de travail de l’organisme qui lui a conseillé de recueillir, sans tarder et à l’aide de vidéocassettes, des renseignements sur les activités du demandeur avant d’imposer quelque mesure. Elle a conséquemment communiqué avec M. Patrick Marinelli, enquêteur à l’emploi de l’organisme, qui a accepté sa demande d’enquête et qui a indiqué que cette enquête serait complétée après l’obtention du certificat médical qui serait fourni par le demandeur à l’issue de sa visite chez son médecin le 7 juin 1999.
00 17 63 Page : 3 [6] Le contremaître responsable du demandeur ne disposait pas, alors, de travail léger et sédentaire pouvant être offert à ce dernier comme le suggérait le bureau médical de l’organisme. [7] Le 8 juin 1999, le bureau médical de l’organisme a répondu à M me Bédard qu’aucun renseignement n’avait été obtenu sur l’état du demandeur depuis la visite de celui-ci, le 7 juin, chez son médecin. M me Bédard ainsi que son supérieur ont obtenu la même réponse le 15 juin 1999. Cette situation devait amener M me Bédard à requérir, au nom de son supérieur, que le contremaître responsable du demandeur exige que ce dernier produise un certificat médical sous peine de « coupures de C.S.S.T. » Le 15 juin toujours, le demandeur a expliqué à son contremaître que son rendez-vous chez le médecin était reporté au 28 juin 1999 et qu’il en avait déjà donné avis au bureau médical de l’organisme. Le 16 juin 1999, M. Marinelli a indiqué détenir un enregistrement d’images sur le demandeur, images dont l’analyse nécessitait la présence d’un médecin; cette partie de l’enquête a été effectuée au bureau médical de l’organisme avec un médecin, l’infirmière du bureau médical, une conseillère en relations de travail, le supérieur de M me Bédard, une agente de personnel collègue de M me Bédard, les contremaître et surintendant responsables du demandeur ainsi que M me Bédard elle-même. [8] Le 28 juin 1999, M me Bédard a appris du bureau médical de l’organisme que le demandeur « avait une prolongation de 3 semaines en C.S.S.T. » et qu’une contre-expertise médicale du demandeur était prévue le 8 juillet suivant. [9] M me Bédard reconnaît l’avis d’infraction (O-1) signifié au demandeur et reçu par lui le 30 juin 1999, avis indiquant, en ce qui concerne les 11, 28 et 29 mai 1999, que « Pendant votre absence en accident de travail, vous avez exécuté des tâches incompatibles avec votre état de santé ». [10] M me Bédard a par la suite appris du demandeur qu’il voulait prendre sa retraite pour éviter « un paquet de problèmes ». L’organisme l’a enfin avisée que le demandeur s’était vu accorder une mise à la retraite (O-2); l’aspect disciplinaire du dossier du demandeur n’a conséquemment pas été poursuivi. Contre-interrogatoire de M me Bédard [11] L’organisme n’avait pas de travail léger à offrir au demandeur même si une suggestion à cet égard avait été formulée par le bureau médical. Le
00 17 63 Page : 4 demandeur a été surveillé parce qu’il avait été vu en pleine activité malgré son état. Témoignage de M. Claude Champagne [12] M. Claude Champagne témoigne sous serment. Il est à l’emploi de l’organisme depuis 27 ans. Il est responsable des enquêtes requises par l’organisme lorsque des renseignements conflictuels sont communiqués sur des employés de l’organisme; il occupait cette fonction de responsable des enquêtes en 1999. [13] M. Champagne reconnaît le rapport d’enquête écrit et détaillé concernant le demandeur (O-3). Il a autorisé l’embauche des enquêteurs qui ont rédigé ce rapport et qui ont aussi enregistré, sur vidéocassette, les images en litige; il a fait préparer les crédits requis (1200 $ à 1300 $/jour de filature) pour payer ces enquêteurs. [14] M. Champagne a reçu, de la part des enquêteurs, ce rapport (O-3) avec la vidéocassette originale. Le rapport comprend des extraits de la bande vidéo avec les commentaires des enquêteurs qui ont enregistré les images durant une période déterminée. Contre-interrogatoire de M. Champagne [15] Le mandat confié aux enquêteurs visait d’abord la collecte d’images au cours d’une première journée et, si les résultats étaient probants, au cours d’une deuxième. [16] L’organisme a indiqué aux enquêteurs qu’ils étaient mandatés pour surveiller, conformément à la loi, les activités quotidiennes d’une personne qui avait été dénoncée alors qu’elle était « en accident de travail » et que sa capacité de travailler faisait l’objet de limitations précises. Témoignage de M. André Petit [17] M. André Petit témoigne sous serment. M. Petit est, depuis 1990, chef de section de la gestion des documents au service du greffe de l’organisme.
00 17 63 Page : 5 [18] Le calendrier de conservation des documents de l’organisme, approuvé selon la Loi sur les archives (L.R.Q., c. A-21.1), prévoit que les dossiers d’employés permanents, lesquels incluent les renseignements de relations de travail, sont détenus en phase active jusqu’à un an après le départ de l’employé, en phase semi-active, dans un entrepôt, jusqu’à 100 ans d’âge de l’employé, ce, avant d’être conservé en permanence en phase inactive (O-4). [19] Ce calendrier de conservation prévoit aussi que les dossiers médicaux des employés, détenus à la division de la prévention et de la santé au travail de l’organisme, sont conservés en phase active jusqu’au départ de l’employé et en phase semi-active, dans un entrepôt, jusqu’à 100 ans d’âge de l’employé avant d’être conservé de façon permanente. Ces dossiers incluent les renseignements sur les accidents de travail ainsi que la documentation relative aux absences de maladie (O-4). La vidéocassette en litige fait partie du dossier médical du demandeur. [20] À la connaissance de M. Petit, les règles de conservation précitées sont uniformes dans l’ensemble des municipalités du Québec. ii) du demandeur [21] Le demandeur était employé de l’organisme comme émondeur. [22] Ses gestionnaire et contremaître de l’époque considéraient qu’il pouvait exécuter des travaux qui, à son avis, étaient incompatibles avec son état de santé parce qu’il était en arrêt de travail depuis le 22 mars 1999 et « en période de C.S.S.T » à cause d’une entorse au genou; ceux-ci l’ont conséquemment avisé qu’une enquête effectuée en mai 1999 démontrait sa capacité à travailler et qu’il « serait sujet à des mesures disciplinaires » alors qu’ils n’avaient pas, plus tôt, contesté son arrêt de travail commencé le 22 mars. [23] Le demandeur se rapportait régulièrement à l’hôpital en raison du diagnostic médical établi et du suivi requis par son état. Fin avril 1999, il a rencontré ses gestionnaire et contremaître pour leur faire part de sa disponibilité à accomplir un travail léger, comme aide-magasinier par exemple, compte tenu de ses quelque 28 ans de service, de ses 1540 heures de congé de maladie et de ses 647 heures de vacances accumulées, offre qui n’a pas été retenue par l’organisme. À son avis, l’organisme l’a précipité à la retraite.
00 17 63 Page : 6 [24] L’enregistrement dont le demandeur a obtenu copie et dont il décrit le contenu en audience ne serait, selon ce qu’il présume, qu’une partie des images constituant la vidéocassette en litige; à son avis, la partie à laquelle l’accès lui a été refusé serait constituée d’images familiales « très privées » en raison de « l’intimité non visible » des activités légitimes qui se déroulaient derrière sa roulotte pendant qu’il s’adonnait à des travaux de terrassement qui ont duré toute une journée. Contre-interrogatoire du demandeur [25] Le terrain de camping où certaines des images en litige ont été enregistrées accueille environ 400 campeurs. Le demandeur y louait le lot #252 et y installait sa roulotte; une rue sans issue passe derrière ce lot. À son avis, les enquêteurs ont enregistré leurs images à partir de cette rue ou d’un terrain adjacent, en se cachant. B) LES ARGUMENTS i) de l'organisme [26] La collecte des renseignements enregistrés sur la vidéocassette en litige était, selon le témoignage de M me Bédard, nécessaire à l’exercice des attributions de l’organisme; cette collecte est autorisée en vertu de l’article 64 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 qui prévoit que : 64. Nul ne peut, au nom d'un organisme public, recueillir un renseignement nominatif si cela n'est pas nécessaire à l'exercice des attributions de cet organisme ou à la mise en œuvre d'un programme dont il a la gestion. [27] La preuve démontre que les activités du demandeur, exercées alors qu’il était en « accident de travail » le 11 mai 1999, ont été rapportées par un dénonciateur qui s’est dit prêt à témoigner de ce qu’il avait vu, dénonciation considérée comme sérieuse par le gestionnaire de personnel concerné qui avait 1 L.R.Q., c. A-2.1.
00 17 63 Page : 7 l’obligation de vérifier si ces activités étaient compatibles avec les fonctions du demandeur et de prendre les mesures qui s’imposaient le cas échéant. [28] La preuve démontre que le dossier du demandeur a été traité avec sérieux afin que les mesures appropriées soient prises par les représentants concernés de l’organisme. [29] L’organisme a agi conformément à la loi, la surveillance à l’extérieur d’un établissement pouvant être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et si elle est conduite par des moyens raisonnables 2 ; l’organisme a démontré le lien existant entre la mesure prise par lui et les exigences de son bon fonctionnement. Il a précisément démontré la nécessité de la collecte des renseignements dont le demandeur requiert la destruction. [30] L’organisme a enfin démontré la légalité de la conservation, par lui, de ces renseignements enregistrés sur la vidéocassette en litige. ii) du demandeur [31] L’organisme a, à partir d’une information inexacte concernant ses activités du 11 mai 1999, monté un scénario pour pousser le demandeur à prendre sa retraite. L’organisme n’avait aucun motif raisonnable de le surveiller. [32] Le demandeur était disposé à effectuer un travail léger et il en a donné avis à l’organisme qui lui a opposé un refus; les médecins qui le soignaient savaient qu’il consentait à retourner au travail dès avril 1999. Ce sont les médecins qui ont établi un diagnostic exigeant qu’il soit en arrêt de travail. [33] Les images enregistrées sur la vidéocassette sont susceptibles de confondre le demandeur avec son fils. [34] Les enquêteurs ont illégalement enregistré le détail de tout ce qui s’est passé derrière sa roulotte. Ils auraient, entre autres, fait preuve de voyeurisme et de perversité en enregistrant des images auxquelles le demandeur n’a pas eu accès. 2 Syndicat des travailleurs (euses) de Bridgestone Firestone de Joliette c. Trudeau [1999] R.J.Q. 2229.
00 17 63 Page : 8 DÉCISION [35] La demande de rectification soumise à l’organisme est régie par l’article 89 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels : 89. Toute personne qui reçoit confirmation de l'existence dans un fichier d'un renseignement nominatif la concernant peut, s'il est inexact, incomplet ou équivoque, ou si sa collecte, sa communication ou sa conservation ne sont pas autorisées par la loi, exiger que le fichier soit rectifié. [36] Cette loi prévoit une règle de preuve particulière en cas de contestation relative à la demande de rectification : 90. En cas de contestation relative à une demande de rectification, l'organisme public doit prouver que le fichier n'a pas à être rectifié, à moins que le renseignement en cause ne lui ait été communiqué par la personne concernée ou avec son accord. [37] J’ai pris connaissance de la vidéocassette en litige dont l’exemplaire original m’a été remis par l’organisme. Ce document ne comprend aucune des images dont le demandeur présume l’enregistrement et auxquelles il prétend ne pas avoir eu accès. Ce document est essentiellement constitué d’images montrant le demandeur exécutant des travaux à l’extérieur de sa résidence et de sa roulotte, travaux dont le demandeur a pu discuter au cours de l’audience puisqu’il a obtenu de l’organisme une copie de la vidéocassette détenue. La preuve démontre que ces renseignements nominatifs ont été recueillis au nom de l’organisme. [38] Le demandeur a exécuté les travaux précités les 28 et 29 mai 1999 alors qu’il était, selon ce que démontre la preuve, en arrêt de travail en raison d’un accident de travail; l’enregistrement des activités du demandeur au cours de ces deux journées démontre que le demandeur semble, conformément à la dénonciation du 11 mai 1999, dans une forme qu’il le fait paraître apte à effectuer son travail régulier chez l’organisme alors qu’il ne s’y présente toujours
00 17 63 Page : 9 pas vu l’avis de son médecin. Les images montrant le demandeur effectuant ces travaux sont commentées avec détails dans le rapport d’enquête déposé par l’organisme (O-3); elles constituent un témoignage neutre des activités du demandeur et elles supportent et confirment le contenu du rapport d’enquête, éléments déterminants qui n’ont servi qu’à la seule gestion du demandeur en tant qu’employé de l’organisme et qui, dans ce cadre de gestion, ont appuyé la décision de soumettre le demandeur à la contre-expertise médicale prévue. La destruction de la vidéocassette en litige aurait pour effet de détruire l’un des éléments qui a éclairé l’organisme dans sa prise de décision concernant le demandeur. [39] La preuve démontre particulièrement que le demandeur a été dénoncé auprès de son employeur comme ayant des activités incompatibles avec son état, tel que cet état était déterminé par un médecin depuis l’événement du 22 mars 1999, activités par ailleurs vraisemblablement compatibles avec son travail. [40] La preuve démontre que l’organisme avait des raisons valables de croire que cette dénonciation était sérieuse et qu’il a pris les mesures qui s’imposaient pour la vérifier avant de décider de procéder à une contre-expertise médicale. [41] La preuve démontre que la collecte de renseignements établissant la capacité physique du demandeur alors qu’il était en arrêt de travail par rapport à la capacité requise pour l’exécution de son travail était nécessaire. [42] La preuve démontre spécifiquement que les renseignements recueillis sont ceux qui étaient nécessaires pour démontrer la capacité physique du demandeur par rapport à celle requise pour l’exécution de son travail régulier chez l’organisme. La preuve démontre aussi que le demandeur ne partageait pas l’avis de ses supérieurs quant à sa capacité de retourner au travail. [43] La preuve démontre que la collecte des renseignements enregistrés sur la vidéocassette en litige était, compte tenu de la dénonciation du 12 mai 1999, nécessaire à l’exercice, par l’organisme, de ses attributions à titre d’employeur du demandeur ; la preuve démontre que, suite à cette collecte de renseignements et à leur analyse, des mesures additionnelles auraient été prises par l’organisme n’eût été de la décision du demandeur de prendre sa retraite. La preuve démontre que la collecte des renseignements nécessaires a été effectuée conformément aux prescriptions de l’article 64 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
00 17 63 Page : 10 [44] L’organisme a démontré, conformément à l’article 90 précité, que la vidéocassette en litige n’avait pas à être détruite et qu’elle devait être conservée en phase semi-active. [45] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : REJETTE LA DEMANDE DE RÉVISION. HÉLÈNE GRENIER Commissaire M e Philippe Berthelet Avocat de l’organisme
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