Dossier : 01 16 85 Date : 20030206 Commissaire : M e Diane Boissinot SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC Organisme requérant (la SAQ) c. EVERELL, MARTIN Demandeur intimé (M. Everell) DÉCISION OBJET REQUÊTE DE LA SAQ EN VUE D’ÊTRE AUTORISÉE À NE PAS TENIR COMPTE D’UNE DEMANDE D’ACCÈS (a. 126 la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la Loi). [1] Le 17 octobre 2001, M. Everell s’adresse à la SAQ pour obtenir les rapports budgétaires produits et remis au président et aux vice-présidents pour chacune des périodes budgétaires pour les années 1998, 1999, 2000 et 2001 et ce, pour tous les postes budgétaires de la SAQ. [2] Le 6 novembre 2001, la SAQ formule à la Commission d’accès à l’information (la Commission) une requête en vertu de l’article 126 de la Loi : 126. La Commission peut, sur demande, autoriser un organisme public à ne pas tenir compte de demandes manifestement 1 L.R.Q., c. A-2.1.
01 16 85 Page : 2 abusives par leur nombre, leur caractère répétitif ou leur caractère systématique. Il en est de même lorsque, de l'avis de la Commission, ces demandes ne sont pas conformes à l'objet des dispositions de la présente loi sur la protection des renseignements personnels. Un membre de la Commission peut, au nom de celle-ci, exercer seul les pouvoirs que le présent article confère à la Commission. [3] La requête allègue, entre autres en ses paragraphes 10 à 16, ce qui suit : 10. Comme la précédente demande, la demande du 17 octobre 2001 porte sur une période de quatre années et les documents demandés totalisent plusieurs milliers de pages; 11. La demande du 17 octobre constitue une véritable partie de pêche dans les documents de votre requérante; 12. Ces documents contiennent entre autres des renseignements nominatifs qui ne peuvent être divulgués et des renseignements financiers, commerciaux ou techniques dont la divulgation risquerait de nuire à la compétitivité de votre requérante ou de lui causer une perte; 13. Sous réserve qu’elle vise des documents qui globalement seraient accessibles, ce qui n’est pas admis, la demande du 17 octobre implique le repérage, l’examen et l’élagage de plusieurs milliers de pages; 14. La demande du 17 octobre ne peut manifestement pas être traitée dans le délai imparti par la Loi; 15. La demande du 17 octobre s’inscrit dans une trilogie de demandes de monsieur Martin Everell et constitue une suite de démarches systématiques, répétitives, harcelantes et envahissantes; 16. La demande du 17 octobre n’est pas conforme à l’objet de la loi et est manifestement abusive; [4] Une audience se tient en la ville de Québec, le 4 novembre 2002.
01 16 85 Page : 3 L'AUDIENCE A) LA PREUVE i) de la SAQ Témoignage de Monsieur D’Aquila [5] L’avocat de la SAQ appelle d’abord, pour témoigner, monsieur Jean D’Aquila, vice-président, Finances de la SAQ. [6] Puisque la production des rapports demandés tombe sous la responsabilité de la Division qu’il dirige, la division des Finances, la responsable de l’accès de l’organisme (la Responsable), madame Suzanne Paquin, s’est adressée à lui pour évaluer l’ampleur de la demande d’accès. [7] Monsieur D’aquila a lu la demande d’accès et a demandé à monsieur Pierre Simoneau, le directeur adjoint, budget et information de gestion, de la division qu’il dirige de préparer un aperçu des rapports budgétaires « produits et remis » à l’une ou l’autre des personnes occupant les postes de président et de vice-présidents de la SAQ. [8] Il dépose, en liasse sous la cote O-1, le document préparé par M. Simoneau pour répondre à sa demande. [9] Monsieur D’Aquila explique que six différents types de rapports (identifiés par les numéros 5113, 5163, 5177, 5162, 5114 et 5179) sont produits et remis à l’une ou l’autre de ces personnes et ce, à chaque période budgétaire. Il y a treize périodes budgétaires par année financière. [10] Monsieur d’Aquila réfère la Commission à la page 1 de la pièce O-1 qui est le tableau préparé par monsieur Simoneau pour une seule période budgétaire, soit la période 08 pour l’année 2002-2003. Pour cette période, les 6 rapports budgétaires génèrent un volume de 5 336 pages. [11] Le témoin D’Aquila ajoute qu’il n’est pas déraisonnable de conclure, en extrapolant, que les 13 périodes budgétaires par année durant les quatre années visées par la demande ont généré 277 472 pages de rapports budgétaires produits et remis à l’un ou l’autre des personnes occupant les postes nommés à cette demande.
01 16 85 Page : 4 [12] Cette somme de pages équivaut à 100 pieds linéaires de papier. [13] Monsieur D’Aquila estime que ces documents recèlent des renseignements nominatifs, en particulier certains concernant les employés de la SAQ. En effet, selon la configuration des emplois dans chacune des succursales, par exemple, il arrive que la lecture de certains postes budgétaires révèle le salaire d’un employé spécifique non-cadre, ses absences pour maladie ou pour vacances, etc. [14] Monsieur D’Aquila estime qu’il faudra raturer ces renseignements pour se conformer aux articles 53, 54 57 et 59 alinéa premier de la Loi. [15] Il réfère à la page 2 de la pièce O-1 où monsieur Simoneau en est arrivé à la conclusion que le salaire de 488 employés de la SAQ non-cadres peut être isolé et révélé par la divulgation de ces pages. [16] Il rappelle que les loyers des succursales sont des renseignements qui peuvent être visés par l’article 22 de la Loi. Les documents demandés recèlent ces renseignements et la Responsable devra vraisemblablement en faire l’élagage. [17] Monsieur D’Aquila souligne que certains des chiffres peuvent dévoiler les commissions sur les ventes versées aux agences de la SAQ en régions éloignées. Ce sont des renseignements de nature financière ou commerciale fournis par des tiers qui sont possiblement visés par les articles 23 et 24 de la Loi et que la Responsable devra protéger par élagage. [18] Le témoin réfère à la page 3 de la pièce O-1 préparé par monsieur Simoneau illustrant par un tableau le contenu de son témoignage aux cinq paragraphes précédents. [19] Le témoin D’Aquila dépose sous la cote O-2 le calendrier utilisé à la SAQ illustrant les 13 périodes budgétaires par année fiscale. [20] En contre-interrogatoire, monsieur D’Aquila affirme qu’il n’y a pas de rapport-synthèse de tous ces rapports et que certaines informations d’un rapport peuvent se retrouver dans d’autres rapports. Témoignage de madame Richard
01 16 85 Page : 5 [21] L’avocat de la SAQ appelle ensuite, pour témoigner, madame Francine Richard, adjointe de la Responsable. [22] Madame Richard fait une brève description des effectifs de son Service qui emploie, au total, six personnes, en l’incluant. Elle mentionne également quelle est la charge de travail de son équipe pour les dernières années et son mode de fonctionnement. [23] Madame Richard est convaincue que son service ne pourrait pas répondre à la demande d’accès dans le délai imparti par la Loi. [24] Elle corrobore le témoignage de monsieur D’Aquila en ce qui concerne le type de renseignements que, selon toute vraisemblance et à première vue, elle devrait protéger : les renseignements nominatifs concernant les employés ainsi que ceux visés par les articles 22, 23 et 24 de la Loi. [25] Madame Richard décrit ensuite, l’une après l’autre, les nombreuses et fastidieuses démarches que son équipe devrait accomplir pour finaliser cette tâche gigantesque, à ses yeux. [26] Elle estime à un mois le temps qu’un employé devra consacrer pour reproduire en photocopie les 277,000 pages qui serviront de document de travail à son service pour faire l’élagage. Ensuite, pour illustrer l’énormité de la charge de travail d’analyse et d’élagage, elle suggère au tribunal de se demander si une personne normalement constituée peut arriver à lire et analyser 1,000 pages par jour, ce dont elle doute. [27] Madame Richard explique aussi les autres tâches qui s’ajoutent à celles-là. ii) du demandeur [28] Le demandeur ne présente aucun élément de preuve. B) LES ARGUMENTS de la SAQ [29] L’avocat de la SAQ estime que preuve est faite qu’il est impossible de traiter la demande d’accès et de protéger les renseignements que, selon toute vraisemblance, elle vise et ce, dans la période statutaire prévu par la Loi 2 . Il 2 Robitaille, Paul-André c. Ville de Beauport, CAI Montréal 90 06 26, le 6 juin 1991; Supermarché Murdochville inc. c. Société des alcools du Québec et al, CAI Montréal 91 00 35, le 28 mai 1991; Matériaux A.G.D. inc. c. Société des alcools du Québec,
01 16 85 Page : 6 plaide que pour cette raison seule la SAQ devrait être autorisée à ne pas tenir compte de la demande d’accès 3 . [30] Le simple fait que des milliers de pages soient en jeu justifie la Commission d’accueillir la présente requête 4 . [31] Le droit d’accès n’est pas illimité. DÉCISION [32] La preuve convainc la Commission que la demande d’accès vise environ 277,000 pages de rapports budgétaires qu’il faut analyser pour en extraire les renseignements nominatifs ou autres renseignements visés par les articles 22, 23 et 24 qu’elles contiennent. [33] La preuve démontre aussi que la SAQ ne pourrait aucunement répondre à cette demande d’accès dans le délai de 20 ou 30 jours imparti par l’article 47 de la Loi. [34] La jurisprudence citée par l’avocat de la SAQ est pertinente. Dans l’affaire Mclauchlan 5 , rassemblant des faits similaires à ceux présentement en cause, la soussignée appliquait le jugement de la Cour du Québec dans l’affaire Winters plus haut citée : L’argument principal de l’organisme est fondé sur l’application du premier alinéa de l’article 126. Il s’agit de déterminer si, comme l’invoque l’organisme, la demande est manifestement abusive par le nombre de documents qu’elle vise. Dans le jugement Winters 6 , la Cour du Québec, après avoir statué qu’une seule demande, en principe, ne peut être considérée « abusive par leur nombre », s’exprime néanmoins de la façon suivante : […] Il est évident que le législateur n’envisageait pas des demandes d’accès aussi colossales quand il a édicté Montréal 98 03 42, le 31 mai 1999. 3 Ville de Montréal c. Winters, [1991] CAI 359, (C.Q.) 362, 363; Ministère des Transports c. McLauchlan, [2000] CAI, 7, 12, 13; Société des alcools du Québec c. Everell, Martin, Québec 00 04 14, le 21 février 2002. 4 Bureau du Caroner c. Bayle, [1995] CAI 214, 221. 5 Op. cit. supra note 3. 6 Op. cit. supra, note 2, page 362 et 363.
01 16 85 Page : 7 l’article 9 de la Loi. Comment le responsable de l’organisme public pourrait-il, dans le délai de 20 jours de l’article 47, donner suite à une demande d’accès à un dossier contenant plus de 1 000 documents et vérifier dans ce délai les restrictions au droit d’accès de certains de ces documents ? […] Le tribunal est d’avis que, généralement, des demandes portant sur des centaines voire des milliers de documents à la fois sont juridiquement irrecevables au sens de la Loi sur l’accès. […] Le témoignage de monsieur Perron et la preuve documentaire déposée, en liasse, sous la cote O-1 démontrent que l’organisme ne peut, malgré sa taille, répondre rigoureusement et dans les délais impartis par la Loi, à la demande d’accès qui vise des centaines de documents [...]. (J’ai souligné) [35] La Commission est convaincue que la demande d’accès de monsieur Everell est manifestement abusive au sens du premier alinéa de l’article 126. [36] POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [37] AUTORISE la SAQ à ne pas tenir compte de la demande d’accès du 17 octobre 2001. Québec, le 6 février 2003 DIANE BOISSINOT Commissaire Avocat de la SAQ : M e Gilles Jolicoeur
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