Dossier : 00 20 58 Date : 20030127 Commissaire : Diane Boissinot MAROIS, M e JEAN-PHILIPPE Demandeur c. RÉGIE DE L’ASSURANCE-MALADIE DU QUÉBEC Organisme DÉCISION OBJET DEMANDE DE RÉVISION EN MATIÈRE D’ACCÈS (a. 135 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la Loi)). [1] Le 25 octobre 2000, le demandeur s’adresse au Responsable de l’accès (le Responsable) de l’organisme pour obtenir copie du rapport de la Direction des enquêtes de l’organisme concernant le médicament appelé « Aredia » et la correspondance entre l’organisme et le ministère de la Santé et des services sociaux au sujet de ce médicament. [2] Cette demande d’accès est reçue au bureau du Responsable le 27 octobre suivant et, le 15 novembre 2000, ce dernier transmet certains documents au 1 L.R.Q., c. A-2.1 (la Loi)
00 20 58 Page 2 sur 7 demandeur mais refuse toutefois de communiquer deux documents, le rapport d’enquête et une lettre adressée au ministère de la Santé et des Services sociaux. [3] Le refus du Responsable de communiquer les deux documents est basé sur les articles 63 de la Loi sur l’Assurance-maladie du Québec 2 (LAMQ) et 14, 22, 28, 37, 39 et 53 de la Loi. [4] Le demandeur inscrit sa demande de révision et une audience se tient en la Ville de Québec, le 22 octobre 2002. L’AUDIENCE A) LE LITIGE [5] D’emblée, au tout début de l’audience, l’avocat de l’organisme annonce que ce dernier, suivant en cela les deux jugements ci-après cités, renonce à invoquer les articles 28 de la Loi et 63 de la LAMQ 3 . [6] Au cours de l’audience, le demandeur, quant à lui, avise la Commission et l’organisme qu’il renonce à obtenir des renseignements nominatifs qui lui sont refusés en vertu des articles 53 et 59, alinéa premier et qui sont contenus au rapport en litige. Il les informe également qu’il ne veut pas obtenir le nom des entreprises que l’organisme refusait de lui révéler en vertu de l’article 22 de la Loi. Le demandeur ne conteste plus la décision du Responsable quant à ces renseignements et aux motifs invoqués à l’appui de leur retenue. [7] Ne restent donc en litige que les parties des deux documents qui contiennent les renseignements visés par les articles 37 et 39 de la Loi. B) LA PREUVE i) de l’organisme [8] L’avocat de l’organisme appelle, pour témoigner, monsieur André Simard (M. Simard), enquêteur à la Direction des enquêtes de l’organisme. Il est un des deux auteurs du rapport d’enquête en litige. L’autre enquêteur se nomme Yvon Rhéaume de la même Direction. 2 L.R.Q., c. A-29 (la LAMQ) 3 Procureur général du Québec c. Beaulieu, [1993] CAI 315 (C.Q.) et X c. Régie de l’assurance-maladie du Québec, CAI Montréal n° 00 10 03, le 9 avril 2002, pages 6 et 7.
00 20 58 Page 3 sur 7 [9] M. Simard dépose, sous pli confidentiel à la Commission, une copie de ce rapport. Le rapport daté du 19 janvier 2000 contient 9 pages et 17 pièces y sont annexées. Les deux premières pages sont consacrées à la Table des matières et à la liste des annexes. Les pages 3 à 9 inclusivement constituent la substance du rapport. Il déclare que les enquêteurs en arrivent à formuler deux recommandations qui se retrouvent sur trois lignes à la dernière section du rapport, la section 8 à la page 9. [10] M. Simard explique qu’il a enquêté à la suite d’une plainte provenant d’une personne extérieure à l’organisme, plainte acheminée à son service par une employée du service de l’Expertise pharmaceutique de l’organisme. [11] M. Simard déclare que la seule correspondance visée par la demande d’accès est la lettre adressée le 31 mars 2000 par le Directeur de la rémunération des professionnels de l’organisme à la Sous-ministre adjointe, Direction générale de la planification et de l’évaluation, du ministère de la Santé et des Services sociaux concernant l’enquête. Il dépose aussi, sous pli confidentiel à la Commission, copie de cette lettre de deux pages. [12] Le témoin Simard déclare que cette lettre contient, en substance, certains éléments du rapport d’enquête et c’est pour cette raison que le Responsable l’a jugée inaccessible. Il estime que si le Rapport était jugé accessible par la Commission, la lettre devrait l’être aussi. [13] Aux fins d’application de l’article 39 de la Loi, l’avocat de l’organisme déclare dans ses représentations que lors de la décision du Responsable sous révision, aucune décision n’avait encore été prise par l’administration concernant les deux recommandations du rapport d’enquête. Il admet que le processus décisionnel est maintenant terminé et que des décisions ont été prises sur les deux recommandations du rapport. [14] L’avocat de l’organisme admet également que la lettre du 31 mars 2000, en litige ici, a été dévoilée à l’Assemblée nationale par l’Opposition officielle, à l’insu et contre la volonté de l’organisme, et que le contenu de cette lettre y a été discuté pendant trois jours. ii) du demandeur [15] Le demandeur n’apporte aucun élément de preuve supplémentaire.
00 20 58 Page 4 sur 7 C) LES ARGUMENTS i) de l’organisme [16] L’avocat de l’organisme passe rapidement en revue chacune des pages du rapport, de ses annexes et de la lettre du 31 mars 2000, indiquant les endroits où les articles qui restent invoqués s’appliquent. Aucun passage spécifique de la lettre du 31 mars 2000 n’est identifié. Tout au plus ne seraient visés par la restriction à l’accès que les éléments se trouvant également dans le rapport et auxquels s’appliqueraient les articles 37 et 39. ii) du demandeur [17] Le demandeur rappelle qu’il n’entend pas exiger les renseignements nominatifs, ni les renseignements fournis par des tiers au sens des articles 23 et 24, s’il en est, ni les renseignements visés par l’article 22, s’il en est. Ces renseignements ne sont pas en litige et l’organisme peut les soustraire des documents en litige. [18] Le demandeur plaide que, le processus décisionnel étant terminé, la Commission peut, en vertu des pouvoirs que lui accorde l’article 141 de la Loi, ordonner à l’organisme de divulguer la partie « analyse » du rapport en litige, le tout en conformité à l’esprit de l’article 39 de la Loi. DÉCISION [19] J’ai bien examiné les deux documents en litige et peux conclure de la façon suivante pour chacun des articles restant invoqués par l’organisme pour en restreindre l’accès, savoir les articles 37 et 39 de la Loi. ARTICLE 37 [20] L’article 37 se lit : 37. Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans, par un de ses membres, un membre de son personnel, un membre d'un autre organisme public ou un membre du
00 20 58 Page 5 sur 7 personnel de cet autre organisme, dans l'exercice de leurs fonctions. Il peut également refuser de communiquer un avis ou une recommandation qui lui ont été faits, à sa demande, depuis moins de dix ans, par un consultant ou par un conseiller sur une matière de sa compétence. [21] De l’avis de la Commission, les deux recommandations apparaissant à la page 9 du rapport d’enquête sous le titre « 8. Recommandations » sont des recommandations au sens de l’article 37 et de la jurisprudence développée par la Commission et la Cour du Québec, en particulier dans le jugement de la Cour du Québec dans l’affaire Deslauriers 4 : […] À partir du moment où l'organisme, ou quelqu'un pour lui, procède à une évaluation des faits, ou porte sur ceux-ci un jugement de valeur, en fonction de ce qui devrait être fait par le décideur, la loi permet à l'organisme de garder le secret . Dès lors, pour déterminer si un organisme peut refuser de communiquer un document ou partie d'icelui au motif qu'il contient un avis ou une recommandation, le Tribunal doit en venir à la conclusion, à l'examen du document en litige, que celui-ci comporte une évaluation ou un jugement de valeur portant sur les informations qui peuvent faire l'objet d'une décision, évaluation ou jugement de valeur formulés de nature à mettre l'organisme dans une position de choix: agir ou non [...] Dans ce contexte, les mots avis et recommandation expriment à des degrés divers une même chose, c'est-à-dire l'énoncé d'un jugement de valeur conditionnant l'exercice d'un choix entre diverses alternatives. [22] Ces trois dernières lignes du rapport sont inaccessibles parce qu’elles constituent en fait, selon la preuve, et en droit des recommandations faites depuis moins de 10 ans par deux membres du personnel de l’organisme dans l’exercice de leurs fonctions. 4 Deslauriers c. Québec (Sous-ministre de la Santé et des Services sociaux), [1991] CAI 311 (C.Q.) 321.
00 20 58 Page 6 sur 7 ARTICLE 39 [23] L’article 39 stipule ce qui suit : 39. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse produite à l'occasion d'une recommandation faite dans le cadre d'un processus décisionnel en cours, jusqu'à ce que la recommandation ait fait l'objet d'une décision ou, en l'absence de décision, qu'une période de cinq ans se soit écoulée depuis la date où l'analyse a été faite. [24] L’avocat de l’organisme admet que le processus décisionnel est maintenant terminé. Cette admission n’a pas pour effet d’établir la date où ce processus s’est terminé ni la date de la décision qui aurait mis fin au processus décisionnel. Rien dans la preuve ne vient établir à quelle époque le processus décisionnel a pris fin. L’affirmation de l’avocat de l’organisme, en argumentation, que le processus décisionnel était terminé lors de la décision du Responsable, n’est pas recevable en preuve, cet avocat ne pouvant à la fois témoigner et plaider pour l’une des parties. [25] Or l’analyse visée par l’article 39 ne peut bénéficier de cette exception à l’accès que tant que le processus de décision n’est pas terminé. [26] L’organisme n’a pas prouvé qu’au moment de la décision du Responsable, sous examen, soit le 31 mars 2000, le processus décisionnel était toujours en cours. En effet, nul ne sait à quelle époque la décision sur les deux recommandations a été prise. [27] L’organisme ne peut donc se prévaloir avec succès de la restriction à l’accès prévue par l’article 39 de la Loi. [28] L’analyse qui précède les deux recommandations est donc accessible. CONCLUSION [29] Les documents en litige sont accessibles tels que déposés après avoir masqué les renseignements identifiés ci-après au dispositif.
00 20 58 Page 7 sur 7 [30] POUR CES MOTIFS, la Commission ACCUEILLE EN PARTIE la demande de révision; et ORDONNE à l’organisme de remettre au demandeur les documents en litige après avoir masqué, dans ces documents, a) le nom et les coordonnées de la personne de l’extérieur qui a porté plainte, b) les nom et prénom et autres coordonnées de tous les pharmaciens en pratique privée nommés dans le rapport, à quelque titre que ce soit, et dans l’annexe 16, à ses deux premières colonnes, c) le nom de la société apparaissant au troisième paragraphe du chapitre 5 du rapport, d) les deux recommandations au chapitre 8 du rapport, e) la dernière phrase du deuxième paragraphe et la première phrase du quatrième paragraphe de la lettre du 31 mars 2000, f) le nom de la société visée par l’annexe 14. Québec, le 27 janvier 2003 DIANE BOISSINOT Commissaire Avocat de l’organisme : M e Denis Semco
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