02 04 71 BERNARD, YVAN, le demandeur, c. MINISTÈRE DES AFFAIRES MUNICIPALES ET DE LA MÉTROPOLE, l’organisme. Le 7 mars 2002, le demandeur s’adresse au responsable de l’accès de l’organisme (le Responsable) afin d’obtenir, entre autres, copie du rapport produit par le Bureau régional concerné dans le cadre de sa demande d’enquête visant la destitution du maire et du secrétaire-trésorier de la Municipalité de Saint-Côme-Linière. Le 27 mars 2002, le Responsable lui fait parvenir une copie du rapport demandé après en avoir masqué les analyses et les recommandations et ce, en application des articles 32, 37 et 39 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la Loi). Le 2 avril 2002, le demandeur requiert la Commission d’accès à l’information (la Commission) de réviser la décision du Responsable comme le lui permet l’article 135 de la Loi. Une audience se tient en la ville de Québec le 9 octobre 2002. L’AUDIENCE LA PREUVE 1 L.R.Q., c. A-2.1.
02 04 71 -2-L’organisme dépose sous la cote O-1, avec le consentement du demandeur, la copie élaguée du rapport telle que remise au demandeur le 27 mars dernier. Chacun des espaces blancs représentant les parties élaguées porte l’indication du ou des articles de la Loi invoqués par le Responsable à l’encontre de sa communication. L’intégrale de ce rapport est déposée entre les mains de la Commission sous pli confidentiel. La comparaison de ces deux textes a pour effet de déterminer l’objet du litige, c’est-à-dire les parties retranchées de l’accès. L’avocat de l’organisme appelle, pour témoigner, monsieur Gérald Fleurant (M. Fleurant). M. Fleurant est coordonnateur au traitement des plaintes au bureau du Sous-ministre chez l’organisme. Il a été impliqué dans le traitement de cette demande d’accès et dans le traitement de la plainte au sein de l’organisme. Il dépose, sous la cote O-2, la plainte formulée, le 10 septembre 2001, par le demandeur et d’autres personnes. Le demandeur reconnaît qu’il est un des signataires de cette plainte. Étant donné, d’une part, les allégations et les reproches formulés contre certaines personnes physiques par, d’autre part, des personnes physiques autres que le demandeur, personnes qui, d’une part comme de l’autre, n’ont pas nécessairement souhaité que le contenu de la plainte et leur identité soient rendus publics, la soussignée frappe la plainte déposée sous la cote O-2 d’un interdit de publication, de divulgation et de diffusion par la Commission, telle interdiction ne devant cependant pas valoir à l’encontre des parties aux présentes. M. Fleurant explique ensuite le cheminement normal d’une plainte au sein de l’organisme et les règles de traitements de ces plaintes. Il dépose, à l’appui de son témoignage, en liasse sous la cote O-3, l’actuelle politique de traitement des plaintes au sein de l’organisme adoptée en septembre 2002 ainsi que celle qui l’a précédée et qui était en vigueur depuis octobre 1995. Il réfère en particulier aux pages 9 et 10 de la politique d’octobre 1995 où sont expliqués les critères d’admissibilité d’une plainte, en particulier celui qui vise à la préservation de la règle du sub judice. Ainsi, d’étape en étape, décrite tout au long de cette politique, une plainte pourra soit être rejetée, soit passer de l’étude préliminaire du coordonnateur, à l’analyse du bureau régional, puis à l’examen du comité de coordination des plaintes (CCP), puis, si nécessaire à la vérification par le service d’examen des contestations qui en fait rapport aux autorités de l’organisme.
02 04 71 -3-Dans le présent dossier, les critères d’admissibilité de la plainte étaient satisfaits. Elle a donc été transmise au bureau régional compétent qui a fait la première analyse qui en a fait rapport préliminaire au témoin, le 29 octobre 2001; après échanges entre le témoin, M. Fleurant et le directeur du bureau régional concerné, M. Maurice Lebrun, et après correction de certaines coquilles, le rapport final au directeur du bureau régional, M. Lebrun, est rédigé et signé par M. Patrick Tavan, le 12 novembre 2001, en tenant compte des commentaires du témoin et de la nouvelle information transmise par le plaignant à l’analyste que les tribunaux étaient saisis d’une action par le plaignant. C’est le rapport en litige. Le témoin Fleurant est donc informé de la procédure intentée par le plaignant contre la Municipalité de Saint-Côme-Linière et sa mairesse le 14 novembre 2001 comme en fait foi le bordereau de transmission qu’il dépose sous la cote O-4 et la copie de la requête du demandeur en injonction interlocutoire et action en injonction permanente et en dommages à la Cour supérieure qui est transmise par cet envoi et qu’il dépose sous la cote O-5 (avril 2001). Il dépose également, en liasse sous la cote O-6, les requête et action amendées au même effet (décembre 2001) et la défense amendée (juillet 2002) dans cette cause. Dans le but de s’assurer que la plainte sous examen rencontrait toujours les critères d’admissibilité, en particulier celui relatif aux règles du sub judice, le témoin Fleurant déclare avoir alors vérifié si les allégués du demandeur dans les procédures judiciaires étaient similaires à ceux que soulevait sa plainte. Le témoin est d’avis que les paragraphes 10 à 15 et 16 à 59 des requête et action correspondent à des éléments de la plainte au point de rendre la plainte inadmissible à l’examen par l’organisme en vertu de la politique de traitement des plaintes de 1995 alors en vigueur (O-3). Le 28 novembre suivant (2001) le témoin s’adresse au demandeur par courrier qu’il dépose sous la cote O-7 pour lui faire part que, compte tenu de ces procédures, l’organisme ne peut s’immiscer dans une décision éventuelle de la Cour supérieure et ne peut plus intervenir dans ce dossier. Le témoin rajoute cependant qu’advenant l’arrêt complet des procédures judiciaires ou le désistement du demandeur dans celles-ci, le processus de traitement de la plainte pourrait être repris, sur demande du plaignant. Il estime que le processus de l’examen de la plainte est suspendu au sein du ministère tant que les tribunaux restent saisis d’un litige mettant en cause des éléments reliés à la plainte. En ré-interrogatoire, le témoin précise qu’à son avis, n’eut été des procédures judiciaires
02 04 71 -4-O-5 et O-6, la plainte n’en serait pas restée au stade actuel et aurait vraisemblablement été référée au Comité des plaintes pour une étude plus approfondie en raison de son sérieux et des questions qu’elle soulevait. Le demandeur reconnaît les procédures O-5 et O-6 et déclare que ces procédures sont toujours pendantes devant la Cour supérieure. Il reconnaît qu’il pourrait toujours, même aujourd’hui, amender ses actions. LES ARGUMENTS L’avocate de l’organisme rappelle que ce dernier a remis au demandeur les parties du rapport qui ne sont pas des analyses ou des avis ou recommandations. Les analyses ont été retenues en application des articles 32 et 39 de la Loi. Les avis et recommandations l’ont été en vertu de l’article 37 de la Loi. Les trois conditions d’application de l’article 32 sont réunies : il doit s’agir d’une analyse 2 , une procédure judiciaire doit être éminente ou existante (O-5 et O-6) et la divulgation du contenu de l’analyse retenue risque d’avoir un effet sur cette procédure judiciaire 3 . Pour ce qui est de l’application de l’article 39, la notion d’analyse reste la même que celle qui prévaut pour l’application de l’article 32. Il doit s’agir ici d’une analyse qui fait partie d’un processus décisionnel qui n’est pas encore terminé 4 ou d’une analyse qui, en l’absence de décision, a été soumise pour décision, avec ses recommandations, depuis cinq ans et plus. Selon l’avocat de l’organisme, preuve a été faite qu’il n’y a pas eu de décision et que l’étude de la plainte a été mis en veilleuse. Il est établi que le processus décisionnel n’a pas abouti et qu’il a été suspendu. L’analyse a été complétée il y a moins de cinq années soit en 2001. 2 Lemay c. Hydro-Québec, [1998] CAI 381, 389 ; Ferland c. Ministère des Affaires Municipales, (1984-86) 1CAI 360 3 Lemay c. Hydro-Québec, ib. id. p. 389, Premier tech ltée c. Ministère de l’Environnement et de la Faune, [1997] CAI 207, 211 ; Gagnon c. Ville de St-Laurent, [1988] CAI 341, 343, 344 ; Nadeau c. Ministère des Affaires Municipales, CAI Montréal 93 07 58, le 15 février 1994, M e Laurie Miller, commissaire, p. 3/4 (AZ-50003676). 4 Ferland c. Ministère des Affaires Municipales, a contrario, voir supra note 2 ; Fortin c. Ville de Cap-Rouge, [1997] CAI 312, 319 ; Clennet c. Société d’habitation du Québec, [1987] CAI 439, 432 ; Leroux c. Ministère de la sécurité publique [1993] CAI 299, 301 ; Morency
02 04 71 -5-Enfin, les parties identifiées comme étant des avis ou des recommandations pouvant être retenus en application de l’article 37 répondent à la définition d’avis et de recommandation élaborée dans Deslauriers c. Ministère de la Santé et des Services sociaux 5 . L’avocate de l’organisme prétend que les parties retranchées des pages 5 et 7 sont clairement des recommandations ou des avis suivis de recommandations au sens développé par la jurisprudence. Le demandeur argue, quant à l’article 32, que, même si certains des faits signalés dans la plainte sont les mêmes que les faits allégués dans les poursuites judiciaires, les buts visés par ces procédures judiciaires qu’il a intentées contre le maire et la municipalité (dommages-intérêts pour réparer les préjudices résultant du bruit et de l’intimidation) ne sont pas les mêmes que les buts visés par la plainte portée chez l’organisme (allégations d’administration municipale contraire aux lois et règlements et demande de destitution de certains officiers municipaux). Il n’y a pas de lien entre les deux processus. Quant à l’article 39, le demandeur prétend que le témoignage de M. Fleurant établit plutôt que le dossier de plainte est maintenant fermé à moins qu’il ne fasse une autre demande en qualité de plaignant. Pour le demandeur, le processus décisionnel est terminé puisqu’on a pris la décision de fermer le dossier de plainte. L’article 39 ne s’applique donc pas. Le demandeur s’en remet à la Commission pour déterminer si les autres parties retenues sont des avis et recommandations au sens de l’article 37 de la Loi. DÉCISION Les restrictions à l’accès qui sont invoquées par l’organisme sont celles prévues par les articles 39, 32 (relatives aux analyses) et celle prévue par l’article 37 (relative aux avis et recommandations) : 39. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse produite à l'occasion d'une recommandation faite dans le cadre d'un processus décisionnel en cours, jusqu'à ce que la recommandation ait fait l'objet d'une décision ou, en l'absence de c. Ville de Chicoutimi, [1987] CAI 140, 144. 5 [1991] CAI 311 (C.Q.) 319, 321.
02 04 71 -6-décision, qu'une période de cinq ans se soit écoulée depuis la date où l'analyse a été faite. 32. Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire. 37. Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans, par un de ses membres, un membre de son personnel, un membre d'un autre organisme public ou un membre du personnel de cet autre organisme, dans l'exercice de leurs fonctions. Il peut également refuser de communiquer un avis ou une recommandation qui lui ont été faits, à sa demande, depuis moins de dix ans, par un consultant ou par un conseiller sur une matière de sa compétence. La Commission a examiné la preuve et les parties masquées du rapport en litige et en vient aux conclusions qui suivent. Article 39 La preuve établit que le processus décisionnel concernant la plainte du demandeur adressée à l’organisme n’est pas terminé (politique et témoignage). Il est seulement suspendu et ce, tant que les tribunaux n’auront pas apprécié des faits qui sont identiques à ceux soulevés dans la plainte qui fait l’objet du rapport en litige et, le cas échéant, tant que le plaignant n’aura pas demandé de poursuivre l’enquête déjà commencée sur sa plainte. La Commission n’a pas compris, de la preuve, que le demandeur devait présenter une nouvelle plainte à l’organisme. L’effet de la divulgation de l’analyse sur la procédure judiciaire n’est pas pertinent dans l’appréciation qu’il faut faire de l’application de l’article 39 au cas en litige comme il peut l’être dans l’appréciation de l’application de l’article 32. Il faut seulement se demander ici si le processus décisionnel est terminé ou non. L’existence de procédures judiciaires est prouvée et les témoignages et la politique établissent qu’en ce cas, l’enquête doit être suspendue. La Commission n’a pas à se demander si la suspension de l’examen de la plainte est justifiée ou non. Elle n’a pas à juger si la condition d’admissibilité d’une plainte, en particulier celle relative au respect du processus judiciaire (sub judice), est raisonnable ou non. L’organisme reste maître de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’application de ses
02 04 71 -7-politiques. L’organisme reste également maître de décider des procédures auxquelles l’examen des plaintes qu’il reçoit sont soumises. L’examen des extraits retranchés de l’accès en vertu de l’article 39 révèle qu’ils sont, en substance, des analyses au sens des critères développés par la jurisprudence citée par l’avocat de l’organisme. La politique du traitement des plaintes de 1995 (O-3), à partir de la page 15, propose d’ailleurs un plan de rédaction de rapport type et de ses parties réservées à l’analyse. L’examen de ces analyses démontre qu’elles précèdent des recommandations précises et mènent à l’élaboration de ces dernières, le tout dans un processus décisionnel. La preuve établit que ce processus décisionnel n’était pas terminé lors du traitement de la demande d’accès par le Responsable. La preuve démontre, enfin, que la période de cinq années prévue à l’article 39 n’est pas encore écoulée. Vu la conclusion que l’article 39 s’applique à tous les extraits masqués (voir O-1) où cet article est soulevé avec l’article 32, il est inutile que la Commission apprécie l’application de ce dernier aux mêmes extraits. Article 37 On a vu que la politique relative à l’examen des plaintes (O-3) en vigueur lors du dépôt de la plainte prévoit une forme précise pour la rédaction des rapports et les endroits où doivent s’inscrire les recommandations. Après examen des textes masqués en vertu de l’article 37 de la Loi, la Commission est d’avis qu’ils contiennent, en substance, des avis ou des recommandations au sens que la jurisprudence a donné à ces mots. Les autres conditions d’application de cet article n’étant pas, avec raison, contestées par le demandeur, la Commission est d’avis que le Responsable était fondé d’invoquer l’article 37 partout où cet article a été soulevé. POUR TOUS CES MOTIFS, la Commission FRAPPE d’un interdit de publication, de divulgation et de diffusion par la Commission d'accès à l'information la plainte déposée sous la cote 0-2, tel interdit ne devant cependant pas valoir à l’encontre des parties aux présentes; et REJETTE la demande de révision.
02 04 71 -8-Québec, le 7 janvier 2003 DIANE BOISSINOT Commissaire Avocate de l'organisme : M e Denise Cardinal
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