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02 02 21 GUY BOUCHER, 02 02 22 GISÈLE BOUCHER, 02 02 23 DIANE LECLAIR, demandeurs, c. MINISTÈRE DU REVENU, organisme. LA DEMANDE Le 8 janvier 2002, le procureur des demandeurs requiert, auprès du ministère du Revenu (le « Ministère ») : « […] Nos clients désirent avoir accès et copie de leur dossier et ce, depuis notre dernière demande envoyée le 12 mars 2001. Sans restreindre la généralité de ce qui précède, nos clients désirent avoir accès et copie du rapport d'opposition, de tous les rapports de vérification, des notes aux dossiers de l'agent de vérification, la correspondance liée à ce dossier et toute autre information recueillie dans le cadre de la vérification pour les périodes mentionnées en rubrique. » […] Le Ministère répond, en refusant l'accès, en date du 7 février 2002 : « […] Concernant votre présente demande, nous avons identifié l'ensemble des documents dont vous recherchez la communication. Veuillez cependant noter que nous avons refuser l'accès complet à quelques documents, conformément aux dispositions des articles 53, 54, 59 et 88 de la Loi sur l'accès, étant donné que leur divulgation révélerait vraisemblablement des renseignements nominatifs concernant des personnes ou l'existence d'un tel renseignement et que ces personnes n'ont pas consenti par écrit à leur communication. Ces documents vous sont également refusés en vertu de l'article 69 de la Loi sur le ministère du Revenu (L.R.Q. l, chapitre M-31) puisqu'il s'agit de renseignements obtenus dans l'application d'une loi fiscale concernant des tiers ou ont été fournis par des tiers, lesquels sont confidentiels. » […] Devant ce refus, le procureur des demandeurs fait une demande de révision, le 18 février 2002, auprès de la Commission d'accès à l'information (la « Commission »).
02 02 21 - 2 -02 02 22 02 02 23 Laudience est tenue à Montréal le 17 mai 2002. L'AUDIENCE Les représentations des demandeurs Dentrée de jeu, le procureur souligne que lobjectif des trois demandeurs est identique, à savoir l'accès aux documents versés dans leur dossier. Ils acceptent, cependant, que le Ministère élague les parties desdits documents qui révéleraient des renseignements personnels sur des tiers. Le procureur souligne lobligation de principe pour lorganisme, en vertu de larticle 14 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels 1 (la « Loi »), de donner laccès après avoir extrait les renseignements auxquels il doit refuser l'accès en vertu de la même Loi. Les représentations du Ministère M. Marcel Carbonneau, agent de recherche travaillant à la Direction centrale de laccès à linformation, témoigne pour le Ministère, ayant traité les demandes daccès. Il précise que, tenant compte des demandes daccès faites par les mêmes personnes en février 2001, il a commencé à examiner des documents à partir de cette date. Il a obtenu ces documents du vérificateur, car une vérification est en cours et un projet de cotisation fut envoyé aux demandeurs en décembre 2001. En général, dit-il, le Ministère traite ces documents comme confidentiels parce quun avis de cotisation finale na pas encore été émis. Il affirme avoir examiné tous les documents dans leur dossier pour décider de leur accessibilité. Une portion des documents a déjà été rendue aux demandeurs. De plus, on leur a retourné tous les documents quils avaient eux-mêmes soumis au Ministère. 1 L.R.Q., c. A-2.1.
02 02 21 - 3 -02 02 22 02 02 23 Quant aux autres documents dans les dossiers des demandeurs, qui sont déposés lors de l'audience sous pli confidentiel, il affirme quil sagit de façon évidente de documents qui proviennent dun tiers, avec lajout de quelques résumés préparés par M. Sylvain Genest, vérificateur - programme de lutte à l'évasion fiscale. M. Carbonneau témoigne sur la nature de chacun de ces documents, la raison motivant le Ministère à ne pas les divulguer et, à la demande expresse du procureur des demandeurs, le type de tiers qui serait en cause : personne physique ou morale de droit privé ou public, le cas échéant. Ces informations dont M. Carbonneau témoigne se résument, de façon succincte, ainsi : Le dossier de Madame Gisèle Boucher Il y a quelque 124 pages de documents dans ce dossier. Numéro de page Type de document 000001 notes manuscrites cest le seul document qui a été élagué des renseignements personnels et divulgué 000002 à 7 bordereau de transmission de demande de précisions envoyée à un tiers qui est une personne morale de droit privé 000008 à 9 réponse du tiers qui est une personne morale de droit privé 000010 à 14 documents qui proviennent dun tiers qui est une personne morale de droit public et on pourrait connaître la provenance de ces documents de par leur nature même. 000015 à 59 la même chose 000060 à 75 la même chose 000076 à 81 comme le document 02, provenant dun tiers qui est une personne morale de droit privé 00082 à 95 ce sont des documents provenant dun autre tiers, personne morale de droit privé, sur un autre sujet 000097 à 124 documents envoyés par un tiers qui est une personne morale de droit privé
02 02 21 - 4 -02 02 22 02 02 23 Le dossier de Madame Diane Leclair Il y a quelque 121 pages dans ce dossier. Numéro de page Type de documents 000001 à 3 aide-mémoire manuscrit et document en provenance dun tiers qui est une personne morale de droit privé. Les notes manuscrites pourraient révéler la provenance de linformation 000004 à 000007 documents en provenance dune personne morale de droit privé 000008 notes manuscrites dinformation en provenance dune personne morale de droit privé 00009 à 000012 documents en provenance dune personne morale de droit privé 000013 à 000015 notes de conversations avec des personnes physiques 000016 à 000017 documents en provenance dune personne morale de droit privé en support aux documents 000013 à 000015 000018 résumé d'informations provenant dun tiers 000019 à 000064 voir liste du ministère - différents documents et informations en provenance de personnes physiques et morales, de droit privé 000065 à 96 ce sont des documents obtenus dun tiers et des notes sur les dossiers 000012 à 000121 ce sont des documents en provenance dun organisme public et de la correspondance avec lorganisme et des notes au sujet des informations détenues par cet organisme. Le dossier de Monsieur Guy Boucher Il y a quelque 651 pages dans ce dossier. Numéro de page Type de documents 00001 à 0000 documents en provenance dun organisme public 00008 à 000017 correspondance avec une personne morale de droit privé 000017 à0000 21 documents en provenance dun organisme public 000022 à 000028 documents qui concernent une société en nom collectif 000029 documents qui concernent un organisme public 000030 à 000033 documents qui concernent une personne physique 000034 à 000038 documents provenant dun organisme public qui concernent le contribuable et les tiers À ce stade dans le témoignage, le procureur des demandeurs a relevé lorganisme de l'obligation de continuer à faire témoigner M. Carbonneau quant à la nature des autres documents dans le dossier de M. Boucher, étant donné le volume de documents impliqués.
02 02 21 - 5 -02 02 22 02 02 23 Toutefois, M. Carbonneau tient à préciser que les documents 000119 à 000121 inclusivement impliquent des tiers qui sont des personnes physiques. Contre-interrogé par le procureur des demandeurs, M. Carbonneau affirme ne pas avoir vu de documents concernant la compagnie à numéros de M me Leclair. Il na pas traité la première demande daccès de 2001 et na pas analysé quels documents étaient visés par la demande de 2001. Il explique ensuite comment il traite une demande daccès en se référant à larticle 69 de la Loi sur le ministère du Revenu 2 (la « L.M.R. »). Il comprend que, dans le présent dossier, on est dans un processus de vérification. Sil y a une cotisation émise par le Ministère, cela change beaucoup ce qui est accessible. Le demandeur a, dès ce moment, accès aux documents qui le concernent, mais non pas les documents qui concernent un tiers ou qui sont en provenance dun tiers. En date de ce jour, il comprend quil ny a pas de cotisations émises dans les présents dossiers. La preuve et les représentations additionnelles Une lecture attentive des autres documents dans le dossier de M. Boucher, déposés en preuve mais nayant pas été qualifiés quant à leur nature par M. Carbonneau lors de son témoignage, permet de voir que ce sont tous des documents de même nature, soit des documents en provenance des organismes publics, des personnes morales de droit civil ou des personnes physiques. Tous ces documents contiennent des renseignements personnels, lesquels, par leur teneur, identifient des personnes physiques ou morales. Les notes et autorités des deux parties furent reçues à la Commission à la suite de laudience et la preuve fut complétée en date du 23 août 2002. 2 L.R.Q., c. M-31.
02 02 21 - 6 -02 02 22 02 02 23 Les arguments des demandeurs Le procureur des demandeurs fait valoir quen matière fiscale, il ne faut pas établir de distinction entre l'étape précédant lémission dun avis de cotisation et celle postérieure à cet avis. Selon lui, la cotisation inclut le projet de cotisation. Il cite, en appui de cette interprétation, la loi fédérale incluant le projet de cotisation dans lavis de cotisation en ce qui concerne la déductibilité des dépenses. On a jugé quil sagit du même processus. Larticle équivalent dans la loi québécoise est larticle 336e)i) de la Loi sur les impôts du Québec 3 (la « L.I. »). Quant au problème posé par la présence dinformations en provenance de tiers et identifiant des tiers, le procureur suggère délaguer cette information. Mais il souligne que le vocable tiers doit être interprété dans le contexte. Dans la présente cause, il soumet que linterprétation que lon devrait adopter est celle qui distingue les personnes physiques et les personnes morales des organismes publics au sens de larticle 3 de la Loi. Il prétend que le contribuable doit avoir accès aux informations en provenance des organismes publics, car cette information lui serait accessible autrement. Il dénonce linterprétation de la Loi qui veut que, puisquelle se trouve dans les dossiers du Ministère, cette information devienne inaccessible. À l'appui de cette position, il soumet que c'est dans la Loi et non pas dans la L.M.R. que se trouve la définition de « tiers » qui doit s'appliquer dans la présente cause, citant en appui la décision récente de la Commission dans Osram Sylvania ltée c. ministère de l'Environnement 4 . Finalement, il signale que larticle 69.0.1c) de la L.M.R. sapplique dans les présentes circonstances, car, en émettant un projet de cotisation, le Ministère démontre que les renseignements en question sont nécessaires à lapplication et lexécution dune loi fiscale. 3 L.R.Q., c. I-3. 4 C.A.I. Québec, n o 00 13 82, 9 août 2002, c. Boissinot.
02 02 21 - 7 -02 02 22 02 02 23 Les arguments de lorganisme Le procureur du Ministère, au contraire, souligne les différences entre la cotisation et le projet de cotisation. Il soumet que le projet de cotisation na, pour ainsi dire, aucune valeur juridique. La question de la déductibilité des frais n'est pas pertinente pour déterminer la question de laccessibilité. Il souligne la règle générale à leffet que les contribuables nont accès quà ce qui les concerne, tout en tenant compte du principe quun fonctionnaire ne peut révéler des informations en provenance de tiers ou qui révèlent lidentité des autres. Il cite larticle 69.0.1.c) de la L.M.R. qui établit une règle dexception au principe de la confidentialité des dossiers fiscaux. Sil y avait une cotisation, le contribuable pourrait faire opposition et, éventuellement, interjeter un appel devant la Cour du Québec. Dans ce cas, le Ministère a la pratique de révéler les éléments sur lesquels se base la cotisation. Le procureur ajoute quil est fort possible que le Ministère némette pas de cotisation pour les années 1997 à 1999. La jurisprudence quil a soumise est constante sur la nature confidentielle des informations détenues par le Ministère en provenance des tiers, dit-il, et la définition de tiers doit tenir compte de la dérogation expresse de la Loi dont bénéficient les articles 69 à 71 de la L.M.R. à cette époque 5 . Par ailleurs, il prétend quil nest pas possible de faire de lélagage à cause de la nature des documents en cause. 5 Modifiée par la Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu et d'autres dispositions législatives relativement à la protection des renseignements confidentiels, L.Q. 2002, c. 5, art. 30 et 31.
02 02 21 - 8 -02 02 22 02 02 23 LA DÉCISION En appui de la demande de faire réviser la décision du Ministère dans ces trois dossiers, on soulève trois questions : 1) Est-ce quun organisme public est compris dans la définition de tiers au sens de larticle 69 de la L.M.R.? 2) Est-ce que lenvoi dun projet de cotisation fait en sorte que les parties sont dans la même situation que lors de lémission dun avis de cotisation et que la preuve du Ministère devient accessible au contribuable? 3) Est-ce que le paragraphe 69.0.1(c) de la L.M.R. prévoit une exception à la confidentialité entourant les dossiers fiscaux en ce quil permettrait la divulgation des renseignements quil est raisonnable de considérer comme nécessaires à lapplication et lexécution des lois fiscales? Les documents provenant des organismes publics Il est admis en preuve que plusieurs des documents non divulgués par le Ministère sont en provenance dorganismes publics. Il est aussi admis quune personne a le droit de recevoir les renseignements contenus dans son dossier qui est détenu par un organisme public, avec quelques exceptions importantes, tels les renseignements confiés ou permettant didentifier un tiers ou encore des exceptions qui peuvent être invoquées pour le travail de nature policière 6 . Cependant, lorsque les renseignements personnels sont versés par un organisme public au dossier du Ministère à la demande de celui-ci, est-ce que ces mêmes informations ne devraient pas continuer de revêtir un caractère public? Leffet contraire serait absurde, prétend-on. Ce nest pas la première fois que la Commission constate que les mesures destinées à protéger le secret fiscal et qui ont pour effet dabriter du regard du contribuable des informations sur lui-même autrement publiques ou accessibles provoquent lindignation ou,
02 02 21 - 9 -02 02 22 02 02 23 dans ce cas-ci, la qualification d’« absurdité ». Toutefois, cette réaction fort compréhensible ne peut fournir dargument de fond pour modifier ce qui est de jurisprudence constante, soit linaccessibilité des informations en provenance des tiers ou révélant lidentité des tiers. La L.M.R. ne fait pas de distinction entre ces tiers afin de créer des règles différentes en ce qui concerne, par exemple, des tiers personnes physiques par rapport à ce qui concerne des tiers organismes publics. Un regard sur la jurisprudence récente de la Commission nous permet de voir que les renseignements en provenance des tiers ou identifiant des tiers sont inaccessibles même sil sagit dinformations fournies par des organismes publics qui seraient accessibles au contribuable sil les demandait directement de ces organismes 7 . L'effet de l'application de la L.M.R. résulte dans une modification de certains principes de la L.A.I. par l'effet de la dérogation expresse de l'article 169. Ainsi, la Commission a reconnu que les exigences de confidentialité présentes dans l'administration d'une loi fiscale peuvent avoir des conséquences différentes, voire opposées, aux dispositions de la Loi. C'est ce qui arrive aux renseignements fournis par des tiers, organismes publics. D'accessibles au citoyen, ils deviennent inaccessibles lorsque transmis par l'organisme public, un tiers, au ministère du Revenu. L'article 69 de la L.M.R. empêche leur divulgation. La Commission a déjà décidé dans le cas d'informations qui sont : […] des renseignements fiscaux visés par l'article 69 de la L.M.R. qui concernent, en substance, soit le demandeur et des tierces personnes morales concurremment, soit des tierces personnes morales seulement. En cette matière, la L.M.R. doit avoir préséance puisque les dispositions de la Loi sur l'accès à l'égard des renseignements concernant des tierces personnes morales ne sont pas compatibles avec les règles de confidentialité énoncées dans la L.M.R., en particulier à son article 69. Comme nous l'avons vu dans l'affaire Lelièvre c. Ministère du revenu 8 , lorsqu'il y a conflit entre les deux lois, les articles 69 à 71 6 L.R.Q., c. A-2.1, art. 29. 7 2744-3522 Québec inc. c. Québec (ministère du Revenu), [2001] C.A.I. 413; Côté c. Québec (ministère du Revenu), C.A.I. Montréal, n o 99 13 69, 25 juillet 2000, c. Boissinot, Sdiri c. Québec (ministère du Revenu), C.A.I. Montréal, n o 98 16 39, 3 septembre 1999, c. Boissinot; Morel c. Québec (ministère du Revenu), [1998] C.A.I. 370; Daniel c. Québec (ministère du Revenu) [1997] C.A.I. 321. 8 C.A.I. Québec, n o 98 10 07, le 27 mai 1999, c. Boissinot, p. 13-19.
02 02 21 - 10 -02 02 22 02 02 23 de la L.M.R. s'appliquent malgré la Loi sur l'accès. Ces renseignements sont confidentiels et ne sont donc pas accessibles au demandeur, en application de l'article 69 de la L.M.R. » 9 Quant au principe dinterprétation qui veut quil y ait une présomption de cohérence et dharmonie entre les lois connexes portant sur une même matière qui devraient « […] donner à des problèmes semblables des solutions semblables » 10 , il doit sappliquer tenant compte des fonctions respectives de la Loi et de l'article 69 et suivants de la L.M.R. La Loi crée un régime général daccessibilité des documents détenus par un organisme public, incluant les renseignements personnels détenus sur des personnes physiques. La L.M.R. est complémentaire à ce régime général en ce quelle prévoit des règles particulières dans ce domaine éminemment sensible qui est le traitement du dossier fiscal. En effet, la notion de secret fiscal est un des premiers exemples législatifs de la protection accordée aux renseignements personnels et la L.M.R. renferme un code complet et autonome sur le secret fiscal. Lorsque la Commission interprète la L.M.R., elle le fait en référant à l'article 69 et suivants, même si le régime qui y est prévu donne un résultat différent que celui qui serait obtenu en application de la Loi 11 . La présomption de cohérence à laquelle réfère le professeur Pierre-André Côté nest pas une présomption didentité entre des législations, mais de simple compatibilité. De plus, les tribunaux doivent, lorsque possible, interpréter les lois de manière à éviter des conflits directs et la conclusion conséquente de labrogation implicite par le législateur 12 . Dans le cas présent, donner une protection générale aux renseignements en provenance ou au sujet des tiers dans lapplication dune loi fiscale ne contredit pas lharmonie qui existe entre ces deux législations, car il faut noter que les renseignements normalement accessibles au contribuable qui les demande auprès dun organisme public ne cessent pas de lêtre parce 9 Côté c. Québec (ministère du Revenu) , précité, note 7, 7. 10 Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1982, p. 298. 11 André OUIMET, « L'accès aux documents administratifs et aux renseignements personnels : un éventail de droits », Communication présentée dans le cadre de la formation permanente, Barreau du Québec, 19 avril 2001. 12 Supra, note 8, p. 299.
02 02 21 - 11 -02 02 22 02 02 23 quils peuvent aussi se retrouver dans un dossier fiscal en appui dun exercice de vérification par le Ministère. La décision récente dans Osram Sylvania ltée c. ministère de l'Environnement 13 réitère l'application de la règle générale de l'accès contenu à l'article 171, qui affirme que : […] le droit d'accès conféré par une loi, ancienne ou nouvelle, ne peut être restreint par l'une ou l'autre des dispositions de la Loi sur l'accès, sauf par celles relatives à la protection des renseignements personnels, et ce, malgré le caractère de prépondérance résultant de l'application de son article 168 : 168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d'une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la présente loi. […] En édictant le paragraphe 1 o de l'article 171 de la Loi sur l'accès, le législateur a voulu que la Loi sur l'accès constitue réellement, dans le paysage législatif du Québec, un minimum garanti d'accès pour le citoyen, soumis à une seule restriction, dans tous les cas : celle de ne pas porter atteinte à la protection de renseignements personnels : 171. Malgré les articles 168 et 169, la présente loi n'a pas pour effet de restreindre: 1°l'exercice du droit d'accès d'une personne à un document résultant de l'application d'une autre loi ou d'une pratique établie avant le 1er octobre 1982, à moins que l'exercice de ce droit ne porte atteinte à la protection des renseignements personnels; 2° la protection des renseignements personnels ni l'exercice du droit d'accès d'une personne à un renseignement nominatif la concernant, résultant de l'application d'une autre loi ou d'une pratique établie avant le 1er octobre 1982; 3° la communication de documents ou de renseignements exigés par le Protecteur du citoyen ou par assignation, mandat ou ordonnance d'une personne ou d'un organisme ayant le pouvoir de contraindre à leur communication. Toutefois, les circonstances différèrent ici. À l'encontre de l'article 118.4 de la Loi sur la qualité de l'environnement 14 , la L.M.R. n'énonce pas de droit général d'accès aux dossiers fiscaux. Son article 69 énonce plutôt le principe de la protection des renseignements fiscaux avec quelques exceptions strictement définies pour la communication des renseignements confidentiels le concernant à un citoyen. L'article 171 de la Loi n'a pas 13 Supra, note 4. 14 L.R.Q., c. Q-2.
02 02 21 - 12 -02 02 22 02 02 23 pour résultat d'écarter les stipulations particulières entourant l'accès très limité aux renseignements fiscaux. Je conclus, en conséquence, que la règle ordinairement applicable aux informations des tiers détenues par le Ministère et contenue à larticle 69 de la L.M.R. sapplique également ici aux informations en provenance dun organisme public. Le principe du cloisonnement est une des bases de la protection des renseignements personnels au sein de lÉtat et il convient dinterpréter les dispositions de la L.M.R. de manière à donner application à ce principe. Laccessibilité à létape du projet de cotisation Les demandes daccès dans les présents dossiers ont été faites après quun projet de cotisation fut envoyé aux contribuables demandeurs par le Ministère. Est-ce que lenvoi de ce projet de cotisation a pour effet datténuer la force du secret fiscal tel que défini à larticle 69 et suivants de la L.M.R.? Est-ce que l'envoi d'un projet de cotisation crée des circonstances analogues à celles qui prévalent lors de lémission dun avis de cotisation, dune opposition et dun appel de la cotisation devant la Cour du Québec en ce qui concerne laccessibilité aux documents contenus au dossier de vérification? Une longue tradition en droit fiscal distingue le processus de cotisation, une opération, de lavis de cotisation, un papier envoyé au contribuable, selon la définition jurisprudentielle : « The assessment is different from the notice of assessment; the one is an operation, the other a piece of paper. The nature of the assessment operation was clearly stated by the Chief Justice of Australia, Isaacs, A.C.j., in Federal Commissioner of Taxation v. Clarke ((1927) 40 C.L.R. 246 at 277): An assessment is only the ascertainment and fixation of liability, a definition which he had previously elaborated in The King v. Deputy Federal Commissioner of Taxation (S.A.); ex parte Hooper((1926) 37 C.L.R. 368 at 373): An "assessment" is not a piece of paper; it is an official act or operation; it is the Commissioner's
02 02 21 - 13 -02 02 22 02 02 23 ascertainment, on consideration of all relevant circumstances, including sometimes his own opinion, of the amount of tax chargeable to a given taxpayer. When he has completed his ascertainment of the amount he sends by post a notification thereof called a notice of assessment" But neither the paper sent nor the notification it gives is the "assessment". That is and remains the act of operation of the Commissioner. It is the opinion as formed, and not the material on which it was based, that is one of the circumstances relevant to the assessment. The assessment, as I see it, is the summation of all the factors representing tax liability, ascertained in a variety of ways, and the fixation of the total after all the necessary computations have been made. » Cette jurisprudence est citée par le procureur des demandeurs pour appuyer largumentation que toute lopération de cotisation, incluant le projet de cotisation, forme un tout dont lavis nest, pour ainsi dire, quune expression formelle. Un argument similaire se retrouve dans la référence aux pratiques acceptées du fisc fédéral quant à la déductibilité des frais engagés par un contribuable pour se défendre dès quil a été informé quil fait lobjet dune vérification 15 . Cet argument sappuie aussi sur les pratiques de larticle 336(e) de la L.I. 16 . Ces arguments, tirés des pratiques habituelles qui prévalent dans ladministration de la législation fiscale, pourraient nous éclairer en labsence de toute indication claire dans la législation que nous examinons. Toutefois, les articles 69 à 71 de la L.M.R. constituent un régime complet dapplication du secret fiscal. Les pratiques administratives ne peuvent, de toute façon, contredire une disposition législative expresse. Il est important de considérer le rôle et l'impact du projet de cotisation par rapport à l'avis de cotisation. Le premier est de nature tentative et exploratoire. Il est émis de façon préliminaire, afin de bien jauger la position du contribuable et la preuve qu'il pourrait 15 David M. SHERMAN, La Loi du Praticien, 3 e éd., Éditions Carswell, 2001, p. 528. 16 Supra, note 3.
02 02 21 - 14 -02 02 22 02 02 23 soumettre à l'appui de ses arguments face à un éventuel avis de cotisation. Il ne résulte pas nécessairement dans un avis de cotisation, mais sert de point de repère pour des discussions entre le Ministère et le contribuable, semble-t-il. Il n'affecte pas les droits du contribuable car, en soi, il ne lui porte pas préjudice. Cependant, un avis de cotisation comporte des caractéristiques très différentes. Il peut être émis après qu'un projet de cotisation a été discuté. Il constitue, en quelque sorte, l'opinion finale du Ministère quant à la contribution fiscale due par un contribuable pour une période précise. Il est exécutoire et, ainsi, peut être contesté par le contribuable au moyen d'un avis d'opposition et un recours éventuel devant la Cour du Québec. L'avis de cotisation peut porter préjudice au contribuable qui peut le contester par voie judiciaire. Ce n'est pas parce qu'un processus est continu et peut se terminer devant les tribunaux avec les règles alors habituellement applicables de divulgation de la preuve que les éléments de preuve au dossier doivent être divulgués au stade préliminaire. C'est ce que la Cour suprême du Canada a décidé dans l'arrêt 2858-0702 Québec inc. et Lac d'Amiante du Canada ltée 17 qui traite de l'étendue de la règle de confidentialité lors de l'interrogatoire au préalable. En décidant de l'application de la règle implicite de la confidentialité à cette étape, tant que l'information obtenue ne fait pas partie du dossier du tribunal, la Cour suprême reconnaît, dans les procédures préliminaires au procès, une certaine zone de confidentialité pour les interrogatoires au préalable. Bien que cet arrêt traite de l'inaccessibilité pour les médias d'information aux éléments potentiels de preuve dévoilés lors des interrogatoires au préalable, compte tenu du droit fondamental au respect de la vie privée, il peut néanmoins nous instruire dans la présente demande de révision. 17 [2001] 2 R.C.S. 743.
02 02 21 - 15 -02 02 22 02 02 23 L'envoi d'un projet de cotisation, tout comme l'interrogatoire au préalable, est une procédure exploratoire. Voici comment la Cour suprême du Canada distingue entre la confidentialité qui doit entourer l'interrogatoire et la transparence nécessaire des actions en justice : « […] Certes, ce droit à la confidentialité cédera devant la décision de l'adversaire d'utiliser effectivement le contenu de l'interrogatoire, lorsqu'il choisira d'en faire en tout ou en partie un élément du dossier de sa propre contestation judiciaire. S'imposera alors la volonté législative de communication de l'information au cours du procès civil, à des fins de transparence du système. Par contre, à l'étape d'un interrogatoire préalable, la préoccupation de transparence du système n'entre pas en ligne de compte puisqu'il ne s'agit pas d'une audience des tribunaux. Dans ce cas, il est donc légitime de privilégier l'intérêt de protection de la vie privée à travers l'obligation de confidentialité des renseignements divulgués. » 18 […] Par analogie, dans le cas présent, le secret fiscal qui assure la confidentialité quant aux renseignements fournis ou identifiant les tiers doit être respecté au stade du projet de cotisation. Ce n'est que lors de l'avis de cotisation et la contestation par voie des tribunaux qu'entrent en jeu les règles de divulgation de la preuve en vertu du Code de procédure civile. La confidentialité imposée par le secret fiscal disparaît, tout comme l'information obtenue dans un interrogatoire au préalable : « […] Lorsque l'affaire se rend à l'étape du procès, l'efficacité de l'application de cette règle demeure sans doute limitée et temporaire. En effet, l'interrogatoire préalable ne constitue qu'une étape dans le développement du procès civil. Si la partie adverse choisit d'utiliser le contenu de l'interrogatoire dans le débat au fond et pour cette fin, le verse dans le dossier du tribunal, toute espérance de confidentialité disparaît. Seuls des motifs qui resteront d'exception, comme par exemple l'intérêt d'une partie à la protection de secrets commerciaux ou des privilèges de confidentialité particuliers comme le secret professionnel ou le huis clos attaché à certains débats relatifs à l'état des personnes, conduiront le tribunal à maintenir un secret partiel ou complet sur certaines informations, pendant le procès et dans les dossiers judiciaires. Donc, l'obligation de confidentialité ne représentera parfois qu'une simple transition dans le dévoilement graduel d'une information à l'origine privée. » 19 […] 18 Supra, note 4 19 Supra, note 4.
02 02 21 - 16 -02 02 22 02 02 23 La même distinction entre la nature confidentielle de certaines informations en vertu de la L.A.I. et les mêmes informations dans le contexte d'une procédure judiciaire fut rappelée dans la décision récente de la Commission, Friend et Friend c. Commission des normes du travail 20 . Lexception à la règle de la confidentialité des dossiers fiscaux La règle de protection des renseignements confiés au Ministère est la suivante : 69. Sont confidentiels tous renseignements obtenus dans l'application d'une loi fiscale. Il est interdit à tout fonctionnaire de faire usage d'un tel renseignement à une fin non prévue par la loi, de communiquer ou de permettre que soit communiqué à une personne qui n'y a pas légalement droit un tel renseignement ou de permettre à une telle personne de prendre connaissance d'un document contenant un tel renseignement ou d'y avoir accès. Une règle dexception se trouve dans le paragraphe 69.0.1c) : 69.0.1. Malgré l'article 69, un fonctionnaire peut: c) communiquer à une personne un renseignement confidentiel qu'il est raisonnable de considérer comme nécessaire à l'application ou à l'exécution d'une loi fiscale à son égard, […] Dans léconomie générale de la L.M.R., il faudrait voir cet article comme permettant au Ministère de jouir dune discrétion dans la divulgation dinformations au contribuable. Selon le Ministère, la divulgation sert au stade de lopposition ou de lappel de lavis de cotisation, car le contribuable a le droit de connaître la preuve sur laquelle le Ministère se base. Linterpréter autrement voudrait dire que dès que les informations servant à interpréter la L.M.R. sont versées au dossier dun contribuable, elles devraient lui devenir accessibles. Cette interprétation viderait larticle 69 de son sens qui est détablir la norme 20 C.A.I. Montréal, n o PP 99 19 78, 27 mai 2002, c. Laporte, Constant et Stoddart, p. 11.
02 02 21 - 17 -02 02 22 02 02 23 de protection des renseignements au dossier fiscal en général et, plus spécifiquement, ceux en provenance ou permettant didentifier des tiers 21 . Lutilisation du terme « exécution » dans cet article suggère que cest particulièrement lorsquil y a une décision dans un dossier de contribuable qui peut porter atteinte aux droits de celui-ci quil pourrait avoir accès aux documents autrement inaccessibles. Un projet de cotisation, émis pour discussion avec le contribuable, sans quun avis de cotisation suive nécessairement, ne comporte pas cet élément décisionnel qui le rapproche de lexécution de la Loi. Les documents déposés en preuve dans ces trois dossiers sont, de fait, des documents émanant des tiers ou permettant didentifier des tiers. Il n'est pas possible d'élaguer les informations confidentielles qui en forment la substance. Ils ne sont pas, pour les raisons développées ci-dessus, accessibles aux demandeurs. EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION : REJETTE la demande de révision des demandeurs et FERME le dossier. Montréal, 18 septembre 2002 JENNIFER STODDART Commissaire M e Richard Généreux Procureur des demandeurs M e Alain-François Meunier Procureur de l'organisme 21 Supra, note 5, p. 3-6.
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